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Pour les enquêteurs du BST, la séquence des événements n’est qu’une partie de l’équation

Par Kathy Fox,
Présidente, Bureau de la sécurité des transports du Canada

La version anglaise de cet article a été publiée dans l'édition du 26 février 2018 du Hill Times.

Chaque fois que le Bureau de la sécurité des transports (BST) envoie des enquêteurs sur les lieux d'un accident, c'est pour répondre à deux questions primordiales : que s'est-il passé et pourquoi. Pour ce faire, il nous faut des renseignements. Or, trop souvent, nous nous butons à un vieux problème : bon nombre d'aéronefs ne sont pas tenus d'avoir des « boîtes noires », c'est-à-dire des dispositifs permettant d'enregistrer les conversations, les images vidéo ou encore les données de vol dans le poste de pilotage.  Les renseignements enregistrés dans ces dispositifs sont particulièrement importants lorsqu'il n'y a ni témoin ni survivant et que l'épave est trop endommagée pour révéler quoi que ce soit.

Le mois dernier, le BST a publié son rapport d'enquête sur un accident d'avion mortel qui est survenu en 2016 aux Îles-de-la-Madeleine (Québec). Heureusement pour les enquêteurs, le pilote avait mis au point et installé son propre enregistreur léger, même si la réglementation ne l'exigeait pas. Cette initiative s'est révélée inestimable, car elle a fourni au BST des enregistrements de conversations dans le poste de pilotage ainsi que des données sur l'accélération et du GPS. Bref, ce dispositif nous a permis de reconstituer en détail le déroulement du vol.

Sans cet enregistreur, nous n'aurions peut-être jamais pu apprendre ce qui s'est passé ni écarter d'autres hypothèses que nous avons examinées durant l'enquête, ce qui est tout aussi important.

Le BST prévoit publier plus tard cette année son rapport d'enquête sur un autre accident d'avion qui a fait couler beaucoup d'encre : celui d'un avion privé Cessna C500 Citation qui s'est écrasé quelques minutes après son départ de l'aéroport de Kelowna (Colombie-Britannique) en octobre 2016. Comme nous l'avons déjà dit publiquement, l'avion n'était pas tenu d'avoir un enregistreur à bord, et l'absence de données a sérieusement compliqué le travail des enquêteurs.

La nécessité de telles données s'impose également dans d'autres modes de transport. Dans le secteur maritime, de nombreux navires doivent déjà, en fonction de leur taille et de leur zone d'exploitation, être équipés d'un enregistreur des données du voyage qui enregistre et suit plusieurs paramètres de performance semblables à ceux qu'on retrouve dans l'aviation.  Par ailleurs, un avant-projet de loi propose de moderniser le secteur ferroviaire canadien en équipant les locomotives d'enregistreurs audio-vidéo. Le projet de loi C-49, qui vient de franchir la deuxième lecture au Sénat, obligerait leur installation dans la cabine des locomotives de tête en voie principale, et permettrait à Transports Canada et aux compagnies ferroviaires d'obtenir les enregistrements dans certaines conditions précises.

Le BST réclame l'installation d'enregistreurs de conversations dans les locomotives depuis 2003. Il y a six ans aujourd'hui, soit en 2012, le train 92 de VIA Rail déraillait tout près de Burlington, en Ontario, coûtant la vie aux trois membres de l'équipe de conduite et blessant des dizaines de passagers. C'est à la suite de cet accident que le BST a recommandé l'installation obligatoire d'enregistreurs vidéo dans les cabines de locomotives, afin de mieux comprendre les échanges des membres de l'équipe de conduite, d'autant plus que les enregistrements de conversations à eux seuls ne permettent pas toujours de tirer des conclusions irréfutables. Cela est particulièrement vrai pour certains facteurs, comme les interactions entre membres de l'équipe, le degré de saturation des tâches, la gestion de la charge de travail, le stress, la fatigue ou les distractions.

Les avantages de ces données sont évidents : une fois les lacunes de sécurité cernées, les enquêteurs du BST peuvent en faire part aux intervenants du secteur, à l'organisme de réglementation et à l'ensemble de la population canadienne. De plus, les exploitants devraient aussi avoir accès aux enregistrements, afin de pouvoir déterminer, à un stade précoce, les problèmes systémiques qui doivent être corrigés avant qu'un accident ne se produise. Nous reconnaissons également que les employés pourraient être préoccupés par la protection de leur vie privée; par conséquent, il est important de mettre en œuvre des mesures de protection pour assurer un équilibre entre les droits des travailleurs et la sécurité publique.

Malgré tout, de nombreux aéronefs, navires et locomotives ne sont toujours pas tenus d'avoir un enregistreur à bord, sous une forme ou une autre. Il est temps que cela change. La technologie permet de saisir et d'enregistrer de plus en plus de données, toujours plus facilement et à meilleur prix. C'est pourquoi le BST continuera d'insister pour avoir accès à plus de renseignements cruciaux pour accomplir son travail. En plus de comprendre ce qui s'est produit, nous devons déterminer le « pourquoi », puisque ce sont les réponses à cette question qui permettent les améliorations et font en sorte que les leçons tirées d'une tragédie servent à prévenir d'autres accidents similaires.