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Document d'information et recommandation dans le cadre de l'enquête M04N0086

Approbation des caractéristiques de stabilité des petits bateaux de pêche

L'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur le chavirement du petit bateau de pêche Ryan's Commander (M04N0086) a révélé une lacune de sécurité récurrente qui exige des mesures correctives urgentes.

Le 19 septembre 2004, le petit bateau de pêche de 149,4 tonneaux de jauge brute (tjb) Ryan's Commander appareille de Bay de Verde (Terre-Neuve-et-Labrador) pour se rendre à son port d'attache, St. Brendan's (île Cottel), à Terre-Neuve-et-Labrador. Le bateau poursuit sa route vers le nord sans incident. Vers 18 h, heure avancée de Terre-Neuve (HAT)Note de bas de page 1 , à environ 7 milles marins au large du cap Bonavista (Terre-Neuve-et-Labrador), le bateau met le cap vers le nord-ouest. Durant les 30 minutes suivantes, le bateau en travers du vent et des vagues subit trois forts mouvements de roulis sur bâbord. Il se rétablit des deux premiers mouvements de roulis, mais se retrouve engagé après le troisième. Les six membres de l'équipage abandonnent le bateau pour monter à bord d'un radeau de sauvetage pneumatique après avoir lancé un message de détresse. Un hélicoptère de recherche et sauvetage récupère un des membres de l'équipage à bord du radeau pneumatique. Les cinq autres membres de l'équipage sont éjectés du radeau pneumatique dans la mer à l'approche de la terre. L'accident fait deux morts.

Le Ryan's Commander a été construit en 2004 sous le régime du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche. Même si le plan d'aménagement d'ensemble du bateau approuvé par Transports Canada prévoyait le dépôt de données sur la stabilité une fois la construction terminée, ces données n'ont pas été soumises et la stabilité du bateau n'a pas été pleinement évaluée. Cependant, un certificat d'inspection des navires à vapeur a été délivré pour le bateau.

En août 2002, le BST a fait enquête sur l'accident du petit bateau de pêche Cap Rouge II, qui a chaviré avec sept personnes à bord au large de l'embouchure du fleuve Fraser (Colombie-Britannique)Note de bas de page 2 . Cinq personnes, dont deux enfants, sont restées coincées dans la coque chavirée et se sont noyées. L'enquête sur cet accident a révélé que la stabilité transversale inhérente du bateau avait été progressivement réduite par des ajouts structurels et la pose d'équipement de pêche supplémentaire et plus lourd. En outre, la pose d'équipement supplémentaire et son effet sur la stabilité n'avaient pas été surveillés ou évalués par une personne disposant des compétences voulues, ni portés à l'attention d'inspecteurs de Transports Canada. Durant les inspections quadriennales régulières, les inspecteurs de Transports Canada n'ont remarqué aucune de ces modifications nuisant à la stabilité du bateau.

La réglementation actuelle exige uniquement que les petits bateaux de pêche (jaugeant plus de 15 tjb, mais moins de 150 tjb) se livrant à la pêche au hareng ou au capelan présentent des données sur la stabilité aux fins d'approbation. Les propriétaires d'autres bateaux de pêche, comme le Ryan's Commander, ne sont pas tenus de présenter de telles données aux fins d'approbation, ni de communiquer une telle information à Transports Canada pour examen ou information aux fins de la sécurité.

En mai 2003, Transports Canada a décidé de moderniser les exigences réglementaires en matière de stabilité et d'adopter des exigences de stabilité pour tous les bateaux de pêche de moins de 24 m de longueur peu importe le type de pêche auquel ils se livrent. Toute nouvelle exigence applicable aux bateaux de pêche nouveaux ou existants devait être intégrée au nouveau Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche dont l'entrée en vigueur était alors prévue en 2006.

Le BST s'était réjoui de l'intention de Transports Canada d'appliquer des normes de stabilité appropriées pour tous les petits bateaux de pêche. Cependant, à la lumière des constatations de l'enquête sur l'accident du Cap Rouge II, le BST se préoccupait de ce que les équipages des bateaux de pêche continueraient d'être exposés à un risque important en attendant l'entrée en vigueur du nouveau Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche. Entre-temps, le BST avait par conséquent recommandé que :

le ministère des Transports exige que tous les nouveaux petits bateaux de pêche pontés inspectés présentent, aux fins d'approbation, des données sur la stabilité.
Recommandation M03-05 du BST

et que

le ministère des Transports exige que tous les petits bateaux de pêche inspectés, pour lesquels il n'y a pas actuellement de données approuvées sur la stabilité, soient soumis à un essai de période de roulis et une vérification du franc-bord correspondant au plus tard lors de leur prochaine inspection quadriennale régulière.
Recommandation M03-06 du BST

En février 2004, Transports Canada a répondu que les nouvelles exigences visant à pallier les préoccupations envers la stabilité des bateaux de pêche devaient être soumises au processus régulier d'élaboration de règlements et que l'on pouvait prévoir leur intégration au Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche. Le BST s'est toutefois inquiété du fait que la réponse ne laissait entrevoir aucune action concrète ou engagement à parer au problème de sécurité à court terme. En juillet 2004, le BST a jugé « insatisfaisante » la réponse de Transports Canada aux deux recommandations et l'a fait savoir à Transports Canada.

En octobre 2004, à la suite d'une réunion tenue en août 2004 avec des représentants de Transports Canada, le personnel du BST a été informé qu'en attendant l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, Transports Canada envisageait de cibler, de concert avec d'autres organismes et des associations de bateaux de pêche, les bateaux tant nouveaux qu'existants considérés comme présentant un risque quant à leur stabilité.

Le Bureau reconnaît l'intention de Transports Canada d'appliquer des normes de stabilité appropriées à tous les bateaux de pêche dans la nouvelle réglementation, dont on prévoit maintenant l'entrée en vigueur au plus tôt à la mi-2007. Le fait d'attendre la promulgation de nouvelles dispositions réglementaires avant de prendre des mesures signifie cependant que les bateaux continueront d'être exposés à un risque. L'article 48 de l'actuel Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche permet aux inspecteurs d'exiger tout essai afin de s'assurer qu'un navire est apte à tenir la mer en regard de l'usage auquel il est destiné. Cette disposition, jointe à des lignes directrices uniformisées, donnerait la possibilité de repérer les bateaux comportant un risque, à l'égard desquels des données sur la stabilité pourraient être présentées aux fins d'approbation.

Il est entendu qu'il relèverait de la précaution élémentaire d'aider à garantir qu'avant d'être mis en service, ces bateaux soient conçus de façon à disposer d'une stabilité adéquate dans toute la gamme des conditions de chargement pertinentes à leur utilisation prévue. Nonobstant l'absence d'exigences officielles et coordonnées que tous les petits bateaux de pêche présentent des données sur la stabilité aux fins d'approbation, certains bureaux de Transports Canada ont pris des initiatives à cet égard. Par exemple, les renseignements recueillis durant l'enquête sur le chavirement du Ryan's Commander indiquent que le bureau de St. John's a rédigé en 1999 des lignes directrices internes selon lesquelles un bateau doté de réservoirs d'eau de mer réfrigérés doit présenter des données sur la stabilité aux fins d'approbationNote de bas de page 3. En 2004, le bureau régional de Québec a adopté des lignes directrices précisant des conditions pour l'évaluation complète de la stabilité de petits bateaux de pêche nouveaux et existantsNote de bas de page 4 . Ces lignes directrices tiennent compte de facteurs comme la longueur du bateau, les limitations des voyages, l'aménagement et la pose d'équipement antiroulis.

L'absence d'exigences officielles a mené à des disparités et de la confusion dans l'application au cas par cas, d'une région à l'autre, de politiques, lignes directrices ou procédures visant à déterminer quels petits bateaux de pêche doivent présenter des données sur la stabilité. Des bateaux qui peuvent avoir des caractéristiques de stabilité inadéquates peuvent ainsi continuer d'être mis en service. Le Bureau estime donc que des mesures de sécurité provisoires s'imposent pour réduire le risque, dans l'intérêt des petits bateaux de pêche.

Depuis 1990, le BST a exprimé à diverses occasions ses préoccupations quant à l'effet nuisible que des modifications structurelles peuvent avoir sur la stabilité des naviresNote de bas de page 5. Depuis le chavirement du Cap Rouge II, le BST a entamé des enquêtes sur cinq chavirements, y compris celui du Ryan's Commander; ces accidents ont fait 11 mortsNote de bas de page 6.

Sur les quelque 4500 petits bateaux de pêche tenus d'être inspectés par Transports Canada par suite de modifications qui y ont été apportées, la majorité n'a pas de données sur la stabilité approuvées, ou ces données sont incomplètes. Lorsque des modifications nuisent à la sécurité, le bateau et l'équipage sont exposés à un risque, et les décisions de l'équipage fondées sur des données inexactes ou incomplètes minent la sécurité de l'exploitation du bateau.

En l'absence de données appropriées sur la stabilité, les pêcheurs peuvent ne pas saisir pleinement les risques inhérents à l'exploitation de leurs bateaux. Par conséquent, le BST se préoccupe du fait qu'à court terme, les petits bateaux de pêche nouveaux et existants seront exploités sans que leurs caractéristiques de stabilité soient évaluées convenablement. Le Bureau recommande donc que :

le ministère des Transports veille à ce que les recommandations antérieures M03-05 et M03-06 du Bureau soient mises en oeuvre immédiatement.
Recommandation M05-04 du BST

Le Bureau se réserve le droit de formuler d'autres recommandations si l'enquête révèle d'autres lacunes de sécurité.