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Rapport d'enquête aéronautique A94A0252

Défaillance d'un composant de réacteur/arrêt intentionnel
Air Nova
British Aerospace BAe-146-200 C-GRNV
Newark (New Jersey) É.-U.



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le BAe-146-200 (C-GRNV) du vol ARN896 effectuait un vol international régulier entre Newark (New Jersey, É.-U.) et Halifax (Nouvelle-Écosse, Canada). Pendant la montée initiale en partance de Newark, alors que l'avion franchissait 9 000 pieds-mer en montée vers le niveau de vol 190, des vibrations qui dépassaient la limite maximale autorisée se sont produites dans le réacteur numéro quatre. L'équipage a finalement arrêté ce réacteur, et après avoir consulté les services d'entretien, de régulation des vols et d'exploitation de la compagnie, il a pris la décision de continuer le vol jusqu'à Halifax où il s'est posé sans autre incident.

Le Bureau a déterminé qu'une aube du troisième étage s'est rompue, ce qui a causé des vibrations excessives qui ont incité l'équipage de conduite à effectuer un arrêt de précaution du réacteur numéro quatre. L'aube du troisième étage s'est rompue à cause de la progression en surcharge d'une crique de fatigue mégacyclique ayant pris naissance près du bord d'attaque de l'aube.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le BAe-146-200 (C-GRNV) du vol ARN896 effectuait un vol international régulier entre Newark (New Jersey, É.-U.)Note de bas de page 1 et Halifax (Nouvelle-Écosse, Canada). Alors que l'avion franchissait 9 000 pieds-mer en montée en partance de Newark, le voyant de vibrations du réacteur numéro quatre s'est allumé, et l'indicateur de vibrations a affiché 3 pouces par seconde (po/s). L'équipage a réduit la puissance du réacteur numéro quatre, et le niveau de vibrations a diminué à moins de 1,2 po/s. L'équipage a ensuite effectué les vérifications de la liste de contrôle des vibrations du réacteur; toutefois, lorsque l'avion a été mis en palier au niveau de vol 190, le niveau de vibrations avait de nouveau augmenté au-dessus de la limite maximale autorisée de 1,2 po/s. L'équipage a arrêté le réacteur conformément aux procédures.

L'équipage a consulté les services d'entretien, de régulation des vols et d'exploitation de la compagnie, et il décidé de poursuivre le vol. L'avion a atterri sans autre incident à Halifax où les services d'urgence étaient prêts à intervenir.

L'incident s'est produit de jour, à 13 h 48, heure normale de l'Est, par 42° 44′ de latitude Nord et 073° 48′ de longitude OuestNote de bas de page 2.

1.2 Victimes

Équipage Passagers Tiers Total
Tués - - - -
Blessés graves - - - -
Blessés légers/ indemnes 5 48 - 53
Total 5 48 - 53

1.3 Dommages à l'aéronef

À part les dommages internes du réacteur numéro quatre, l'avion n'a pas été endommagé.

1.4 Autres dommages

Aucun.

1.5 Renseignements sur le personnel

Commandant de bord Premier Officier
Âge 31 ans 32 ans
Licence pilote de ligne pilote de ligne
Date d'expiration du certificat de validation 1er décembre 1995 21 février 1995
Nombre d'heures de vol 8 845 9 700
Nombre d'heures de vol sur type en cause 1 200 800
Nombre d'heures de vol dans les 90 derniers jours 167 150
Nombre d'heures de vol sur type en cause dans les 90 derniers jours 167 150
Nombre d'heures de service avant l'événement 8 8
Nombre d'heures libres avant la prise de service 16 16

Les membres de l'équipage de conduite possédaient les licences et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur.

1.6 Renseignements sur l'aéronef

Constructeur British Aerospace
Type BAe-146-200
Année de construction 1989
Numéro de série E2133
Certificat de navigabilité valide
Nombre total d'heures de vol cellule 12 669
Type de moteur (nombre) Lycoming ALF-502-R-5 (4)
Type d'hélice (nombre) S.O.
Masse maximale autorisée au décollage 42 184
Types de carburant
recommandés
Jet A, Jet A-1 et Jet B
Type de carburant utilisé Jet A

L'avion était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. La masse et le centrage étaient dans les limites prescrites.

1.7 Conditions météorologiques

Au moment de l'accident, les conditions météorologiques étaient les suivantes :

Newark - Ciel clair et vent soufflant du 320 degrés à 20 noeuds avec rafales atteignant 33 noeuds.

Halifax - Nuages épars à 600 pieds, plafond à 1 500 pieds et ciel couvert, visibilité de six milles dans des averses de pluie et de neige, et vent soufflant du 240 degrés à 15 noeuds avec rafales atteignant 25 noeuds.

1.8 Poursuite du vol jusqu'à Halifax

L'équipage a décidé de poursuivre le vol jusqu'à Halifax parce que l'avion venait juste de traverser une zone importante de turbulence modérée et de cisaillement du vent à basse altitude associés à de forts vents de surface dans la région de New York, et parce que les conditions météorologiques à Halifax étaient meilleures pour un atterrissage sur trois réacteurs.

1.9 Examen du réacteur

Le démontage du réacteur numéro quatre (Lycoming ALF-502R-5, numéro de série LF- 05483A) a révélé qu'une aube du troisième étage de la turbine s'était rompue. Il s'agissait du troisième incident de ce type en moins d'un an mettant en cause le même avion (C-GRNV). Les trois incidents mettaient en cause des réacteurs dont les aubes avaient été remplacées, et les dernières réparations avant la rupture avaient été la modification de ces aubes, conformément au bulletin technique ALF 72-270R1.

Le disque du troisième étage de la turbine et l'arbre ont été envoyés au Laboratoire technique du BST pour que la rupture soit analysée et pour déterminer s'il existe un lien entre les trois ruptures (rapport technique LP 03/95). L'analyse des deux ruptures antérieures d'aubes du troisième étage de la turbine ont également été effectuées au Laboratoire technique du BST (rapports techniques LP 31/94 et LP 89/94).

1.10 Examen du Laboratoire technique

1.10.1 Aube du troisième étage de la turbine

L'une des aubes du disque du troisième étage s'est rompue à 12 mm environ au-dessus de la plate-forme. L'extrémité carénée de la deuxième aube, à droite de l'aube rompue, a été sectionnée. Les dommages subis par les autres aubes sont des ébréchures sur les bords de fuite, près des extrémités. Des inspections visuelles et par ressuage ont été effectuées sur toutes les aubes à la recherche de criques dans la zone où la fracture s'est produite, et aucune n'a été décelée. Afin de faciliter l'examen détaillé des aubes à l'aide d'un microscope optique et d'un microscope électronique à balayage, l'aube rompue et deux aubes avoisinantes ont été enlevées du disque. L'aube fracturée porte la référence 2079, qui correspond au numéro de lot de coulée.

L'aube s'est rompue dans le sens de la corde à 12 mm vers l'extérieur de la plate-forme, et la surface de la fracture est plus ou moins perpendiculaire à l'axe longitudinal de l'aube. Deux régions distinctes sont visibles sur la fracture. La première région s'étend sur 10 mm environ du bord d'attaque et semble plus aplatie et plus brillante que le reste de la fracture. Juste au bord d'attaque, il y a une très petite région qui reflète la lumière différemment. Lorsqu'on regarde de côté, une entaille de type «V» est visible. Cette sorte de topographie de fracture correspond à une propagation de niveau I et II d'une crique de fatigue. La partie plus sombre de la fracture, au-delà de la zone de 10 mm, indique une rupture finale rapide.

L'examen à l'aide du microscope électronique à balayage a confirmé la propagation de niveau I de la crique de fatigue caractérisée par des facettes cristallographiques prononcées. Des poches isolées de microporosité ont également été décelées dans la région de niveau I de la crique de fatigue. Plus loin dans la fracture, la propagation de niveau II de la crique de fatigue, avec ses lignes concentriques et ses striations typiques, est devenue prédominante. Un meulage et un polissage successifs au point d'origine n'ont pas révélé de grandes discontinuités métallurgiques; toutefois, une microporosité clairsemée a été découverte à l'intérieur de la région d'origine au moment du troisième polissage. La microporosité était si faible qu'elle aurait sans aucun doute satisfait aux critères de réception du constructeur.

La microstructure de l'aube rompue est typique du superalliage à base de nickel coulé. Une comparaison de la microstructure de l'aube rompue avec celle des deux aubes avoisinantes n'a révélé aucun écart métallurgique. De même, les valeurs des essais de dureté effectués sur les sections longitudinales de l'aube rompue et des deux aubes avoisinantes sont pratiquement identiques. Les radiographies à rayons X diffusés du matériau des aubes ont confirmé que l'alliage était conforme à la spécification M3617R du constructeur.

Le troisième étage de la turbine avait été modifié de façon à permettre l'exécution du bulletin technique ALF 72-270R1. Le bulletin demandait l'usinage d'un profil reconçu de rainure de talon d'aube qui rend la rainure de broche de disque moins sensible au criquage. Le matériau enlevé à cause de cette modification est remplacé par une pièce rapportée. En d'autres termes, les talons d'aube conservent la configuration d'origine. Toutes les aubes, y compris l'aube rompue, étaient fermement en place dans leurs rainures respectives, et les interstices des extrémités carénées ont été vérifiés par l'exploitant qui a constaté qu'ils étaient dans les limites. Les aubes totalisaient 4 103 heures et 3 836 cycles de fonctionnement entre le moment de la modification et le moment de la défaillance.

1.11 Ruptures antérieures d'aubes du troisième étage de la turbine

À la suite d'inquiétudes exprimées par des exploitants, Transports Canada a invité Allied Signal (anciennement Textron Lycoming) à donner un exposé sur les problèmes en service des réacteurs de la série ALF 502. La rencontre a eu lieu le 19 janvier 1995 à Ottawa.

Les problèmes de rupture d'aubes du troisième étage de la turbine se sont produits pour la première fois en 1991 (Air Wisconsin); depuis, il y a eu quatre autres incidents (un chez Air BC et trois chez Air Nova). Toutes les ruptures d'aubes de turbine mettaient en cause des réacteurs dont les aubes avaient été remplacées, et elles étaient confinées. Allied Signal a indiqué que la durée de vie moins longue que prévue des aubes de la roue de turbine après le remplacement au moment de la révision était due au fait qu'il s'agissait d'aubes usagées. Ces dernières satisfaisaient aux spécifications au moment du montage; toutefois, à la suite d'un examen des ruptures d'aubes, le constructeur du réacteur a déterminé que les interstices des extrémités carénées entre les aubes avoisinantes étaient excessifs. La dimension des interstices était probablement due à l'usure en service des points élevés des surfaces usées du carénage des aubes usagées. Le constructeur du réacteur a conclu que les interstices excessifs ont causé une diminution de l'amortissement qui a donné lieu à la rupture par fatigue mégacyclique.

2.0 Analyse

2.1 Analyse de la rupture - Aube du troisième étage de la turbine

Cette rupture d'une aube du troisième étage ressemble de façon frappante à la rupture qui a fait l'objet d'un examen l'an dernier (rapport technique LP 89/94). Dans ce cas comme dans le présent événement, des criques de fatigue de niveau I et II ont été déceléesalors que le matériau au point d'amorce de la crique ne présentait aucune imperfection particulière. Dans le présent cas, il y avait un peu de microporosité clairsemée au point d'origine. Toutefois, on croit que la microporosité a simplement servi à localiser le point d'origine de la crique plutôt que de l'avoir causé. Les aubes respectives provenaient du même fournisseur, mais elles portaient des numéros de lot de coulée différents, de sorte que le problème ne semble pas être relié à une série.

Il n'y avait pas de rapport évident entre la modification apportée au disque du troisième étage de la turbine et l'apparition de cette rupture.

La première des trois ruptures d'aube du troisième étage sur l'avion en question a fait l'objet d'un examen dans le rapport technique LP 31/94. Dans ce cas, l'aube s'était rompue à travers la plate- forme à cause d'une fatigue qui s'était établie dans une zone de porosité en amas; on avait jugé que cette dernière dépassait les critères de réception du constructeur. Par conséquent, aucun lien n'a été établi entre la première rupture et les deux qui ont suivi.

Dans le cas qui nous occupe, l'aube du troisième étage s'est rompue à cause de la progression en surcharge d'une crique de fatigue ayant pris naissance près du bord d'attaque de l'aube. Il est possible que le remplacement d'aubes par des aubes usagées ait donné lieu à des interstices excessifs entre les aubes avoisinantes, ce qui s'est traduit par une diminution de l'amortissement et la rupture due à de la fatigue mégacyclique.

2.2 Arrêt en vol du réacteur numéro quatre

La rupture d'une aube de la turbine du réacteur numéro quatre était confinée et a causé des vibrations dépassant la limite autorisée de 1,2 po/s. Les vibrations excessives ont incité l'équipage de conduite à effectuer un arrêt de précaution en vol du réacteur numéro quatre, conformément aux procédures.

3.0 Faits établis

  1. Une aube du troisième étage du réacteur portant le no de série LF-05483A s'est rompue à cause de la progression en surcharge d'une crique de fatigue ayant pris naissance près du bord d'attaque de l'aube. À l'exception d'une microporosité clairsemée décelée dans la région de fatigue de niveau I, il n'y avait pas d'autres imperfections ou dommages dans le matériau permettant d'expliquer le mécanisme d'amorce de la rupture.
  2. On considère que le matériau constituant l'aube du troisième étage était conforme à la composition chimique et aux limites de porosité indiquées dans la spécification M3617 du constructeur.
  3. Il ne semble y avoir aucun rapport entre les modifications apportées au disque du troisième étage de la turbine et l'apparition de la rupture.
  4. La rupture d'aube du troisième étage ressemble beaucoup à celle ayant fait l'objet d'un examen l'an dernier (rapport technique LP 89/94). Le mécanisme de rupture était identique, mais il n'a pas été possible de trouver une cause sous-jacente commune.
  5. Toutes les ruptures antérieures d'aubes du troisième étage de turbine se sont produites sur des réacteurs dont les aubes avaient été remplacées, et les aubes se sont rompues par fatigue mégacyclique. Il est possible que la durée de vie moins longue que prévue des aubes de la roue de turbine après le remplacement au moment de la révision soit due au fait qu'il s'agissait d'aubes usagées et que les interstices des extrémités carénées étaient excessifs entre les aubes avoisinantes.
  6. La rupture d'une aube de turbine du réacteur numéro quatre était confinée et a causé des vibrations dépassant les limites autorisées de 1,2 po/s.
  7. Les vibrations excessives ont incité l'équipage de conduite à effectuer un arrêt de précaution du réacteur numéro quatre, conformément aux procédures.

3.1 Causes

Une aube du troisième étage s'est rompue, ce qui a causé des vibrations excessives qui ont incité l'équipage de conduite à effectuer un arrêt de précaution du réacteur numéro quatre. L'aube du troisième étage s'est rompue à cause de la progression en surcharge d'une crique de fatigue mégacyclique ayant pris naissance près du bord d'attaque de l'aube.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

Allied Signal met au point des procédures de remise en état du carénage afin de résoudre en partie le problème. Transports Canada effectue actuellement un contrôle des exploitants canadiens et d'autres pays qui utilisent les réacteurs ALF 502 afin de déterminer les taux d'arrêts en vol des réacteurs et leur fiabilité.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président John W. Stants et des membres Zita Brunet et Maurice Harquail.

Annexes

Annexe A - Liste des rapports pertinents

L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Annexe B - Sigles et abréviations

BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
É.-U.
États-Unis
mm
millimètre(s)
po/s
pouce(s) par seconde
S.O.
sans objet