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Rapport d'enquête aéronautique A96C0002

Impact sans perte de contrôle
Cessna T210M Centurion C-GPID
1,5 mi au sud de l'Aéroport de Flin Flon (Manitoba)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 10 janvier 1996 à 21 h 8, heure normale du Centre (HNC), le pilote d'un Cessna 210 appelle par radio la station d'information de vol (FSS) de The Pas (Manitoba) pour signaler qu'il est prêt à rouler en vue du décollage pour un vol selon les règles de vol à vue (VFR) entre Flin Flon (Manitoba) et Lynn Lake (Manitoba). La FSS de The Pas accuse réception du message et donne au pilote les derniers renseignements sur le vent à Flin Flon ainsi que le calage altimétrique en vigueur à The Pas. À 21 h 10 HNC, le pilote signale qu'il va rappeler après avoir décollé de la piste 18, mais il ne donne pas signe de vie après cette communication. À 21 h 23 HNC, la FSS de The Pas appelle le détachement de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de Flin Flon et signale qu'elle a perdu le contact radio avec l'avion. La GRC effectue des recherches au sol à l'aéroport et dans les environs, mais elle ne réussit pas à localiser l'avion. À 22 h 24 HNC, le satellite de recherche et de sauvetage (SARSAT) capte un signal de radiobalise de repérage d'urgence (ELT) au voisinage de l'aéroport de Flin Flon, et le Centre de coordination de sauvetage (RCC) des Forces canadiennes confie les recherches à l'unité de recherche et de sauvetage (SAR) de Winnipeg. La GRC de Flin Flon organise des recherches au sol et des motoneigistes se mettent à chercher dans les environs de l'aéroport. À 2 h HNC, on repère l'avion à un mille et demi environ de l'extrémité de la piste 18. Le pilote est transporté à l'hôpital où l'on constate son décès.

Renseignements de base

L'avion en provenance de Saskatoon (Saskatchewan) s'était posé à Flin Flon un peu plus tôt dans la journée. Après son arrivée, le pilote avait déposé un plan de vol VFR auprès de la FSS de The Pas en vue d'un départ à 20 h 50 HNC à destination de Lynn Lake (Manitoba), là où l'avion était basé. Le pilote avait indiqué sur son plan de vol que le vol prendrait une heure et qu'il emportait du carburant pour quatre heures de vol. Vers 21 h 10 HNC, des témoins dans une petite maison située au sud de l'aéroport ont vu les feux d'un avion qui décollait de l'aéroport. L'appareil se trouvait à 1/8 de mille environ de l'extrémité de la piste 18 et à une altitude comprise entre 400 et 500 pieds-sol. Les témoins ont déclaré que la cellule et le bruit de l'avion semblaient normaux lorsque l'avion a survolé la maison.

La région de Flin Flon et de Lynn Lake était sous l'influence d'un creux barométrique en altitude qui était orienté au sud le long d'une ligne entre Lynn Lake et Grand Rapids. Le long de la route prévue, on prévoyait des plafonds à 1 000 pieds-sol avec une visibilité de quatre à six milles dans de la neige légère. Le sommet de la couverture nuageuse la plus basse atteignait 6 000 pieds-mer; une seconde couche de nuages épars se trouvait au-dessus, entre 10 000 et 12 000 pieds-mer. On prévoyait de la bruine givrante d'intensité légère à modérée dans les nuages. Quand l'avion a décollé, les vents en surface à Flin Flon soufflaient du 200 degrés vrai à six noeuds; la température était de moins 10 degrés Celsius. Aucune précipitation verglaçante n'a été signalée dans la région de Flin Flon la nuit de l'accident.

L'aérodrome de Flin Flon se trouve dans une localité nordique relativement éloignée. Il y a très peu de lumières au sol au sud-ouest du terrain et, au moment de l'accident, les lumières de la ville et le ciel fournissaient très peu de clarté.

L'aérodrome se trouve dans l'espace aérien contrôlé; dans un tel espace, les vols peuvent être effectués selon les règles de vol à vue ou selon les règles de vol aux instruments (IFR). Tout vol à vue, de nuit ou autre, est régi par le Règlement de l'Air qui stipule que «l'aéronef utilisé en vol VFR doit être piloté par référence visuelle au sol ou à l'eau». Les minima météorologiques applicables au vol dans l'espace aérien contrôlé sont précisés dans les Ordonnances sur la navigation aérienne, et ils exigent un plafond de 1 000 pieds-sol ainsi qu'une visibilité en vol de trois milles terrestres. Il existe à l'aéroport de Flin Flon une zone de contrôle qui a un rayon de cinq milles autour de l'aéroport. Tout aéronef VFR qui évolue dans cette zone doit rester au moins à 500 pieds des nuages et se trouver à une altitude minimale de 500 pieds-sol.

L'avion s'est écrasé sur la surface gelée du lac Athapapuskow, à un mille et demi environ au sud de l'extrémité de la piste 18. L'avion a percuté la surface gelée du lac l'aile droite légèrement basse, dans une assiette en tangage peu prononcée et à haute vitesse, au cap de 240 degrés magnétique. L'avion a parcouru quelque 800 pieds sur la surface gelée du lac en se disloquant avant de s'immobiliser. L'accident n'offrait aucune chance de survie parce que l'avion a été entièrement détruit.

L'examen de l'épave n'a révélé aucun signe de défaillance du groupe motopropulseur, des commandes de vol ou des systèmes de l'avion qui aurait pu contribuer à l'accident. Les dommages aux pales d'hélice indiquent que le moteur fournissait une puissance élevée à l'impact. Le train d'atterrissage était rentré, mais les trappes du train principal étaient ouvertes. Il n'a pas été possible d'établir si les portes s'étaient ouvertes sous le choc ou si le train était en mouvement dans une position intermédiaire. Les volets étaient rentrés. Une analyse des ampoules a confirmé que les instruments et les circuits électriques étaient sous tension au moment de l'impact. Un examen a confirmé que les instruments de vol fonctionnaient au moment de l'impact. Des marques sur l'horizon artificiel indiquaient un piqué de l'ordre de 15 degrés et un tangage presque nul à l'impact. La carte de l'indicateur de situation horizontale (HSI) indiquait un cap de 240 degrés, ce qui correspond au sillon laissé par l'avion.

Le pilote était titulaire d'une licence de pilote privé en état de validité et de l'annotation pour le vol de nuit; il totalisait quelque 1 600 heures de vol. En 1991, il avait essayé d'obtenir la qualification de vol aux instruments, mais il avait échoué à quatre reprises avant de finalement réussir en mai 1992. Deux ans plus tard, il avait échoué à une vérification de routine effectuée par un inspecteur de Transports Canada, et il avait alors perdu sa qualification de vol aux instruments. Il avait été établi que le pilote ne répondait pas aux normes exigées pour se prévaloir de la qualification de vol aux instrument à cause d'une faiblesse au niveau des procédures de départ et de maîtrise de l'altitude.

Les analyses toxicologiques et les examens pathologiques n'ont rien révélé d'anormal ni aucun signe d'incapacité du pilote avant l'impact. Le pilote a subi un traumatisme sévère au moment de l'accident qui a dû provoquer une perte de conscience et le décès dans les minutes qui ont suivi. L'examen des dossiers personnels du pilote n'a révélé aucun problème médical qui aurait pu nuire au pilote en vol.

L'avion était un Cessna T210M Centurion de 1978 avec moteur turbocompressé et train d'atterrissage rentrant. L'avion volait sous immatriculation privée et était entretenu selon un calendrier annuel d'inspections aux 100 heures. La dernière inspection avait eu lieu le 13 avril 1995 à 2 309,9 heures cellule. Au moment de l'accident, l'avion avait accompli quelque 30 heures de vol depuis cette inspection. La dernière panne signalée était survenue environ quatre jours avant l'accident lors d'un vol vers Saskatoon. L'avion avait eu des problèmes électriques qui avaient été attribués à une rupture de courroie d'alternateur. La courroie avait été remplacée et la batterie avait fait l'objet d'un entretien. Il semble que l'avion n'avait eu aucun problème pendant le vol de retour entre Saskatoon et Flin Flon.

Des illusions sensorielles peuvent provoquer une désorientation spatiale susceptible d'agir fortement sur le comportement et le rendement du pilote. Par désorientation, on entend une mauvaise perception ou interprétation de l'assiette de l'avion par rapport aux références horizontales et gravitationnelles, ou les deux. Les pilotes ayant peu d'heures de vol aux instruments sont particulièrement sujets à la désorientation spatiale quand ils se retrouvent privés de toute référence extérieure pour évaluer l'assiette de leur appareil.

Le Cessna T210 Centurion est un appareil pouvant accélérer relativement vite. Une forte accélération au décollage et pendant la montée initiale peut donner l'illusion que l'angle de tangage augmente. L'illusion somatogravique est une fausse sensation de tangage (rotation dans le plan vertical) due à l'accélération linéaire. Dans des conditions normales, il est possible de reconnaître et de corriger cette sensation à l'aide de moyens visuels; toutefois, lors d'un décollage par nuit noire en direction d'une région offrant peu de références visuelles, cette illusion continue à se manifester avec force. La réaction normale d'un pilote ressentant cette sensation consiste à pousser sur le manche, ce qui réduit l'angle de montée de l'avion.

Certaines conditions de vol peuvent également créer une perte de conscience de la situation. Le pilote peut avoir du mal à rester maître de la situation s'il survient une panne ou une situation imprévue en vol et qu'il lui faut réagir à ces situations.

Analyse

Compte tenu du plafond bas et des procédures VFR normales dans la zone de contrôle, le pilote aurait dû monter à 500 pieds-sol environ après le décollage avant de se mettre en virage vers le nord et de passer par le travers de l'aéroport. Les déclarations des témoins relatives au profil de vol de l'avion après le décollage indiquent que le pilote a probablement suivi les procédures VFR normales de départ dans la zone de contrôle.

L'avion a percuté la surface gelée du lac Athapapuskow à un mille et demi environ de l'extrémité de la piste 18, ce qui indique que l'avion a descendu après le décollage. Le sillon laissé par l'épave était orienté au cap de 240 degrés magnétique, signe que juste avant l'accident le pilote était probablement en train de se mettre en léger virage à droite pour se diriger vers le nord.

L'examen de l'épave n'a révélé aucun signe de défaillance du groupe motopropulseur, des commandes de vol ou des systèmes de l'avion qui aurait pu contribuer à l'accident. Toutefois, compte tenu de l'importance des dommages, la possibilité d'une panne non identifiée ou d'une situation imprévue qui aurait déconcentré le pilote ne peut être écartée. Les résultats des examens toxicologiques et pathologiques étaient normaux et n'ont révélé aucun signe d'incapacité du pilote avant l'impact.

Un décollage de nuit d'un aérodrome situé dans le Nord peut être difficile. Même dans des conditions météorologiques VFR, un tel départ oblige le pilote à se fier davantage aux références visuelles disponibles et aux connaissances de base du vol aux instruments. Dans le cas présent, le pilote avait toujours eu de mauvais résultats aux épreuves en vol IFR puisqu'il avait du mal à maîtriser l'altitude et qu'il commettait des erreurs de procédures, et il avait échoué à sa dernière requalification de vol aux instruments.

Dans la région de l'accident, les lumières de la ville et le ciel fournissaient très peu de clarté. Il faisait nuit, le ciel était couvert, il y avait peu de références extérieures en raison du peu de clarté au sol et du ciel, et il fallait utiliser l'éclairage du poste de pilotage pour voir le tableau de bord; tous ces facteurs réunis ont pû empêcher le pilote de conserver les références visuelles au sol nécessaires pendant la montée initiale, et le pilote a peut-être dû s'en remettre à ses habiletés de vol aux instruments. Dans de telles conditions, toute source de distraction en vol aurait compliqué davantage la tâche du pilote, ce dernier ayant alors de plus en plus de mal à rester maître de la situation.

L'accélération avant du Cessna 210 est suffisante pour donner au pilote l'illusion que l'angle de tangage augmente. Compte tenu de la nuit noire et du peu de références extérieures qu'il y avait à ce moment-là, une illusion somatogravique a peut-être fait croire à tort au pilote que l'angle de tangage de son avion augmentait. Cette illusion a pu être accentuée par une accélération de l'avion plus importante qu'à l'accoutumée reliée à une pente de montée peu prononcée. Si cette illusion est passée inaperçue, le pilote a peut-être mal réagi en poussant sur le manche. L'avion se serait alors mis en descente après le décollage pour finalement s'écraser sur la surface gelée du lac.

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

Faits établis

  1. Des conditions météorologiques de vol à vue prévalaient au moment du départ de Flin Flon, notamment le ciel était couvert à quelque 1 000 pieds-sol.
  2. Il y avait très peu de lumières au sol au sud-ouest de l'aérodrome de Flin Flon et, dans la région de l'accident, les lumières de la ville et le ciel fournissaient très peu de clarté.
  3. Le peu de clarté au sol et le ciel couvert ont peut-être empêché le pilote de garder les références visuelles au sol dont il avait besoin, et il a peut-être dû s'en remettre à ses habiletés de vol aux instruments, notamment pendant la montée initiale.
  4. Le pilote avait toujours eu de mauvais résultats aux épreuves en vol IFR puisqu'il avait du mal à maîtriser l'altitude et qu'il commettait des erreurs de procédures, et il avait échoué à sa dernière requalification de vol aux instruments.
  5. L'examen de l'épave n'a révélé aucun signe de défaillance du groupe motopropulseur, des commandes de vol ou des systèmes de l'avion qui aurait pu contribuer à l'accident.
  6. Compte tenu de l'importance des dommages, la possibilité d'une panne non identifiée ou d'une situation imprévue qui aurait déconcentré le pilote ne peut être écartée.
  7. Les résultats des analyses toxicologiques et des examens pathologiques se sont avérés normaux et n'ont révélé aucun signe d'incapacité du pilote avant l'impact.
  8. L'accident n'offrait aucune chance de survie parce que l'avion s'est disloqué.
  9. Une illusion somatogravique a peut-être perturbé les capacités du pilote pendant l'accélération au décollage et la montée initiale.

Causes et facteurs contributifs

Le pilote s'est dirigé involontairement vers la surface gelée parce qu'il n'était probablement plus maître de la situation à cause des effets combinés du manque de références extérieures et de ses faibles compétences de vol aux instruments. Les effets de l'illusion somatogravique ont peut-être contribué à la désorientation du pilote.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail et W.A. Tadros.