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Rapport d'enquête aéronautique A00A0185

Sortie en bout de piste
du Fokker F-28 C-GKCR
exploité par les Lignes aériennes Canadien régional
à Fredericton (Nouveau-Brunswick)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le Fokker F-28 MK 1000, immatriculé C-GKCR, portant le numéro de série 11101 et assurant le vol 8604 des Lignes aériennes Canadien régional effectuait un vol régulier de transport de passagers de nuit entre Toronto (Ontario) et Fredericton (Nouveau-Brunswick) avec 42 passagers et 4 membres d'équipage à son bord. Après l'atterrissage sur la piste 09 de l'aéroport de Fredericton, l'avion est sorti en bout de piste. Personne n'a été blessé; l'avion n'a pas été endommagé.

Renseignements de base

Le vol en croisière s'était déroulé sans problème. À 1 h 22, heure normale de l'Atlantique (HNA)Note de bas de page 1, l'équipage de conduite a indiqué à la station d'information de vol (FSS) de Fredericton qu'il se trouvait à 18 minutes de l'aéroport et a demandé un rapport sur les conditions météorologiques qui prévalaient à Fredericton en prévision de l'approche. Le spécialiste de l'information de vol a indiqué que la visibilité était réduite à 4 milles terrestres dans la neige, que les vents soufflaient du 020° magnétique à 7 noeuds et que la température était de 0,4 °C. Le spécialiste a aussi indiqué que des balayeuses s'affairaient à balayer une mince couche de neige fondante sur l'axe de la piste 15/33 mais que le compte rendu de l'état de la surface de la piste (RSC) officiel indiquait que la piste était nue et mouillée sur 100 % de sa surface. L'équipage de conduite a indiqué qu'il aimerait que la piste 09 soit balayée puisque le vent favorisait l'utilisation de cette piste. À 1 h 25, soit 19 minutes avant le toucher des roues de l'appareil, les véhicules ont reçu l'autorisation de balayer la piste 09.

À 1 h 34, le centre de contrôle régional (ACC) de Moncton a indiqué aux spécialistes de l'information de vol que l'appareil avait été autorisé à effectuer une approche directe de la piste 09 mais que ce dernier avait également l'option de faire une approche indirecte pour se poser sur la piste 33. À 1 h 35, le spécialiste FSS a communiqué à l'équipage de conduite un compte rendu RSC de la piste 09 qui faisait état des renseignements suivants : sur une bande de 100 pieds centrée sur l'axe de piste, surface à 50 % nue et mouillée et à 50 % recouverte d'une mince couche de neige fondante avec ¼ de pouce de neige fondante à l'extérieur de la zone centrale. L'équipage de conduite a répondu qu'il avait bien reçu les renseignements, qu'il estimait arriver dans 5 minutes et qu'il avait été autorisé à effectuer une approche VOR (radiophare omnidirectionnel VHF) de la piste 09 ou de faire une approche indirecte pour se poser sur la piste 33. Puisqu'il avait le choix d'atterrir sur l'une ou l'autre de ces pistes, l'équipage de conduite a demandé que les véhicules de déneigement quittent ces deux pistes. À 1 h 37, le spécialiste a communiqué à l'équipage de conduite un compte rendu RSC à jour de la piste 15/33 indiquant que la piste était entièrement recouverte de neige mouillée et qu'il y avait 1½ pouce de neige fondante sur une bande de 100 pieds centrée sur l'axe de piste. L'équipage n'a pas été prévenu que la neige fondante s'accumulait rapidement sur les deux pistes.

À 1 h 38, soit 6 minutes avant le toucher des roues, le rapport final communiqué à l'équipage de conduite faisait état d'une visibilité de 2 à 3 milles terrestres à l'aéroport, et juste avant le toucher des roues, des vents du 010° à 7 noeuds ont été signalés.

L'avion a effectué une approche VOR directe sans aucun problème. Les volets ont été sortis à 42 degrés pour l'approche et l'atterrissage, et la vitesse d'approche de référence (VREF) indiquée était de 117 noeuds. Les aérofreins ont été déployés à environ 100 pieds au-dessus du sol, conformément aux procédures d'utilisation normalisées (SOP). À 1 h 44, l'avion a touché des roues à environ 1 400 pieds après le seuil de la piste 09, soit à l'intérieur de la zone de toucher des roues, à une vitesse indiquée de 118 noeuds. Les destructeurs de portance avaient été réglés pour se déployer automatiquement à l'atterrissage. Immédiatement après le toucher des roues du train principal, le commandant de bord a commandé manuellement le déploiement des destructeurs de portance au cas où le déploiement automatique n'aurait pas eu lieu. Les freins ont été serrés environ une seconde après le toucher des roues du train avant. L'équipage de conduite a senti que le dispositif d'antidérapage fonctionnait même si la qualité du freinage était faible. Comme le dispositif d'antidérapage fonctionnait et qu'il permettait un freinage maximal dans les circonstances, aucun autre système de freinage n'a été utilisé.

L'avion est sorti en bout de piste à une vitesse de 58 noeuds et s'est immobilisé à environ 320 pieds au-delà de l'extrémité de la piste, près de la clôture délimitant l'aéroport. L'équipage de conduite a signalé la sortie en bout de piste à la FSS, a coupé le réacteur no 1, a démarré le groupe auxiliaire de bord (APU) et l'a sélectionné avant de couper le réacteur no 2.

Deux véhicules de lutte contre les incendies de l'aéroport sont intervenus après la sortie en bout de piste; le premier a été autorisé à circuler sur le terrain d'aviation à 1 h 45. Le premier véhicule est arrivé sur le lieu de l'accident environ 1½ minute après la première alarme, et le second véhicule, environ une minute plus tard. Les passagers ont débarqué de l'avion en groupes et ont été amenés à l'aérogare en taxi.

Quinze minutes après l'accident, un compte rendu RSC relatif à la piste 09 indiquait que presque toute la piste était recouverte de ¼ de pouce de neige fondante. Seule l'extrémité départ de la piste était encore à 50 % mouillée et à 50 % recouverte de ¼ de pouce de neige fondante.

L'enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR) ainsi que l'enregistreur de données de vol (FDR) ont été envoyés au Laboratoire technique du BST. L'enregistrement du CVR a révélé que l'enregistreur avait continué de fonctionner pendant plus de 30 minutes après l'accident, ce qui a effacé les renseignements relatifs à l'accident. Le FDR a fourni des données utiles qui ont montré que le vol s'était déroulé normalement et que le toucher des roues sur la piste s'était effectué à l'intérieur des paramètres normaux. Les données ont aussi été utilisées pour calculer les performances de freinage réelles durant la course au sol. Les calculs ont permis d'établir que les performances de freinage se trouvaient bien en deçà de ce qu'il est possible d'obtenir sur une piste mouillée. Durant la première partie de la course à l'atterrissage, la décélération correspondait au profil de décélération de l'avion quand l'équipage n'a pas recours au freinage des roues.

Aucune anomalie mécanique de l'aéronef qui aurait pu contribuer à la sortie en bout de piste n'a été décelée. La masse et le centrage de l'avion ont été, tout au long du vol, à l'intérieur des limites prescrites. La masse calculée de l'avion à l'atterrissage était de 55 435 livres. Les pneus étaient en bon état et étaient gonflés correctement. Aucun des pneus ne montrait de traces de dommages comme de l'usure par trottoir ou une dévulcanisation du caoutchouc. Des marques de dérapage intermittentes ont été relevées légèrement à gauche de l'axe de la piste sur une distance d'environ 150 pieds à partir de l'extrémité de la piste. Le circuit de freinage a fonctionné normalement au cours des essais statiques et dynamiques qui ont été effectués après l'accident.

L'équipage avait accès au tableau des distances d'atterrissage recommandées en fonction des coefficients canadien de frottement sur piste (CRFI)Note de bas de page 2. Cependant, aucune lecture n'est prise pour des pistes couvertes de neige fondante puisque les coefficients CRFI ne sont exacts que pour la neige compactée ou la glace.

L'aéroport de Fredericton est un aéroport certifié non contrôlé. Les spécialistes de l'information de vol travaillent à partir de l'ancienne tour de contrôle. L'aéroport comporte deux pistes : la 15/33 qui mesure 6 000 pieds de longueur et la 09/27 qui a 5 100 pieds de longueur. La surface des pistes est asphaltée et mesure 200 pieds de largeur, et elle ne présente pas une pente longitudinale significative. La piste 15 est desservie par un système d'atterrissage aux instruments (ILS) avec approche de précision et elle constitue une priorité lorsqu'il s'agit de procéder au déblaiement de la neige. Les pistes 09 et 27 sont desservies par des approches de non-précision aux instruments. La piste 33 n'est pas desservie par une approche aux instruments. Il est possible, à partir des approches des autres pistes, d'effectuer une approche indirecte pour se poser sur la piste 33; cependant, les conditions météorologiques au moment de l'accident ne permettaient pas une telle manoeuvre.

Les tableaux du manuel des SOP des Lignes aériennes Canadien régional permettent aux équipages de conduite de calculer les distances d'atterrissage en tenant compte de diverses combinaisons de masse et de CRFI. Lorsqu'il n'y a pas de lecture de CRFI disponible, les équipages se réfèrent au tableau des équivalents CRFI qui se trouve dans les SOP de la compagnie ou dans la Publication d'information aéronautique (A.I.P. Canada) (voir figure 1). En utilisant ce tableau, les équipages peuvent choisir un équivalent CRFI pour certains contaminants de piste typiques comme l'eau, la neige ou la glace. Ce tableau ne donne toutefois pas d'équivalent CRFI pour une contamination par de la neige fondante.

Figure 1. RSC et équivalents CFRI.
RSC et équivalents CFRI

Même si l'équipage de conduite n'avait pas ce qu'il lui fallait pour établir un indice de friction calculé, il a estimé que la friction de la piste était équivalente à la valeur la plus faible pour une piste mouillée, soit un CRFI de 0,3. En utilisant cette donnée ainsi qu'un vent debout de 2 noeuds, l'équipage de conduite a calculé la distance d'atterrissage sur la piste 09 comme étant de 4 525 pieds. À l'aide de la même méthode, le calcul pour la piste 15, avec un vent arrière de 6 noeuds, a donné une distance d'atterrissage de 5 100 pieds.

Le tableau des atterrissages sur neige fondante ou sur neige qui se trouve dans le manuel des SOP, lequel est utilisé pour la planification des vols, fournit des données sur les masses maximales à l'atterrissage aux aéroports qui signalent une contamination par la neige fondante ou par la neige correspondant à une accumulation allant jusqu'à 0,5 pouce. Selon ce tableau, si les volets de l'avion en question sont sortis à 42 degrés en vue d'un atterrissage sur une piste de 5 000 pieds de longueur, alors sa masse maximale à l'atterrissage est de 52 600 livres. La masse à l'atterrissage de l'avion en question était supérieure de quelque 2 835 livres à la masse maximale. Puisque les prévisions météorologiques ne faisaient pas état de neige, rien ne justifiait l'utilisation de ce tableau avant le décollage.

Analyse

L'approche en vue de l'atterrissage a été stable, et l'avion a touché des roues à l'intérieur des paramètres normaux à un noeud au-dessus de la VREF. Les freins des roues ont été serrés peu après le toucher des roues jusqu'à la fin de la course à l'atterrissage. Les marques de freinage intermittentes relevées sur la piste confirment que les freins ont bien été serrés et que le système d'antidérapage a fonctionné durant la course à l'atterrissage. Les pneus étaient en bon état, et des essais effectués après l'accident montrent que les freins ont fonctionné normalement. Par conséquent, les piètres performances de freinage de l'avion ont probablement été causées par une contamination de la piste par la neige fondante.

Les conditions météorologiques qui prévalaient 22 minutes avant l'atterrissage, soit avant le premier contact avec la FSS de Fredericton, permettaient d'effectuer une approche de l'une ou l'autre des pistes. Les vents signalés (du 020° à 7 noeuds) favorisaient l'utilisation de la piste 09, ce qui signifiait une composante vent debout faible comparée à une composante vent arrière sur la piste 15. Le spécialiste de l'information de vol a indiqué que la mince couche de neige fondante sur la piste 15/33 était en train d'être balayée, et le compte rendu RSC officiel indiquait une surface 100 % nue et mouillée. Rien n'indiquait, après que l'équipage a demandé le balayage de la piste 09, que les pistes ne conviendraient pas à l'atterrissage. L'équipage a probablement cru que les deux pistes seraient nues et mouillées et que l'avion serait en mesure de se poser en toute sécurité sur l'une ou l'autre des pistes.

Le compte rendu RSC de la piste 09 qui a été communiqué à l'équipage environ 10 minutes avant son arrivée indiquait que 50 % de l'axe de la piste était recouvert d'une mince couche de neige fondante. Le tableau des équivalents CRFI ne donne pas de coefficient pour les pistes qui sont partiellement ou totalement contaminées par la neige fondante. L'équipage n'avait donc aucun moyen d'estimer l'équivalent CRFI en vue de l'atterrissage sur la piste 09. Environ 8 minutes avant l'atterrissage, l'équipage de conduite a indiqué au spécialiste de l'information de vol qu'il avait le choix d'atterrir sur l'une ou l'autre des pistes et a alors demandé que les véhicules se retirent des deux pistes. Cette information laisse croire que l'équipage a continué de penser que les deux pistes conviendraient à l'atterrissage et qu'il n'était pas au courant que de la neige fondante s'accumulait sur les pistes. Sept minutes avant l'atterrissage, le compte rendu RSC pour la piste 15/33 communiqué à l'équipage indiquait que toute la surface de la piste était recouverte de neige fondante, ce qui faisait en sorte que cette piste ne pouvait être utilisée. Ce compte rendu aurait pu permettre d'indiquer qu'il y avait aussi de la neige fondante qui s'accumulait rapidement sur la piste 09; cependant, cette information n'a pas été clairement communiquée à l'équipage de conduite.

Les comptes rendus RSC sont des instantanés de l'état des pistes au moment de l'observation. Ces comptes rendus n'indiquent pas s'il y a accumulation d'un contaminant, comme de la neige fondante, ni le taux d'accumulation de ce contaminant. Une quantité importante de neige fondante a été observée sur la piste, 15 minutes après l'accident. La plus grande partie de cette neige fondante s'est probablement accumulée sur l'axe de piste, qui avait été balayée, entre le moment où le balayage a cessé sur la piste 09 et l'arrivée de l'avion, soit pendant une période de 10 minutes. L'équipage ne s'attendait pas à une telle accumulation de neige fondante, laquelle a sensiblement réduit les performances de freinage attendues. Lorsque l'équipage a calculé les distances d'atterrissage requises, il a présumé que le CRFI était de 0,3, soit l'équivalent de la plus faible valeur pour une piste mouillée, mais cette valeur ne convient pas à une piste contaminée par de la neige fondante, et l'équipage n'avait aucun moyen d'établir un équivalent CRFI.

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. La neige fondante a réduit les performances de freinage de l'avion, si bien qu'il n'a pas été possible d'immobiliser l'avion sur la longueur de piste disponible.
  2. L'équipage a été prévenu que la surface d'atterrissage était recouverte à 50 % d'une mince couche de neige fondante et qu'elle était nue et mouillée à 50 %; cependant, sa décision d'atterrir était basée sur le fait que la piste était nue et mouillée.
  3. L'équipage de conduite n'a pas été prévenu que de la neige fondante s'accumulait rapidement sur la piste durant l'approche.

Faits établis quant aux risques

  1. Le tableau des équivalents du coefficient canadien de frottement sur piste (CRFI) n'indique aucune valeur pour les pistes contaminées par de la neige fondante. Les équipages de conduite n'ont aucun moyen d'évaluer facilement les effets de la neige fondante sur les performances de freinage d'un avion.
  2. Les comptes rendus de l'état de la surface de la piste (RSC) n'indiquent pas s'il y a une accumulation de contaminant, comme de la neige fondante, ni le taux d'accumulation du contaminant.

Mesures de sécurité

En septembre 2001, le Comité technique de la partie III du Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne (CCRAC) de Transports Canada a accepté les Avis de proposition de modification (APM) 2001-257 et 2001-258. Ces APM introduisent de nouveaux règlements et de nouvelles normes concernant les comptes rendus de l'état de la surface pour les mouvement des aéronefs (AMSCR) et la planification et la maintenance aux aéroports. Ces règlements et ces normes visent à pallier aux lacunes des comptes rendus RSC officiels et des tableaux des équivalents CRFI.

L'aéroport de Fredericton ne donne plus suite aux demandes non essentielles relatives à l'enlèvement de la neige sur la piste 09/27.

Le 14 mai 2002, le BST a envoyé l'Avis de sécurité aérienne A020014 à Transports Canada portant sur le bien-fondé des comptes rendus RSC et des équivalents CRFI et sur les connaissances des équipages concernant les limitations associées à ces comptes rendus. L'avis suggérait à Transports Canada d'établir un moyen d'aviser les équipages de conduite et les autres membres de la communauté aéronautique des limitations associées aux comptes rendus RSC et aux équivalents CRFI, particulièrement lorsque les températures ambiantes à l'aéroport avoisinent le point de congélation et lorsqu'il y a des précipitations ou de l'humidité visible. L'avis suggérait également à Transports Canada d'insister sur le fait que l'enlèvement des contaminants sur les pistes constitue une priorité, particulièrement dans ces conditions environnementales.

Le 20 juin 2002, un deuxième avis (A020014-1) a été envoyé à Transports Canada lui suggérant d'établir des équivalents CRFI pour les pistes contaminées par de la neige fondante.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .