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Rapport d'enquête aéronautique A03C0068

Défectuosité d'une gouverne
du Beech King Air C90A C-FGXU
exploité par le Gouvernement du Canada
Ministère des transports
à 25 nm au sud-ouest de Dauphin (Manitoba)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

L'équipage d'un Beech King Air C90A de Transports Canada, immatriculé C-FGXU, numéro de série LJ1140, quitte Winnipeg (Manitoba) à 9 h 40, heure normale du Centre, pour un vol d'entraînement de routine à destination de Prince Albert (Saskatchewan). Le commandant de bord est le pilote aux commandes, et le copilote est le pilote qui n'est pas aux commandes. Vers 10 h 26, au niveau de vol 220, l'équipage entend une forte détonation, accompagnées de fortes vibrations de la cellule et d'un important cabré de l'avion. Le commandant de bord débraye le pilote automatique, réduit la puissance, compense à fond en piqué et pousse sur le manche pour reprendre la maîtrise de l'appareil. Alors que la vitesse diminue à moins de 150 nœuds environ, les vibrations cessent. Comme il n'a qu'un contrôle limité de la profondeur, le commandant de bord réduit la puissance et se met en descente tout en maintenant le manche poussé à fond de façon à se maintenir en palier. Le copilote déclare une situation d'urgence et demande un déroutement sur Dauphin, l'aéroport convenable le plus proche, pour se poser. À 15 000 pieds, le commandant de bord décide de sortir le train d'atterrissage pour accélérer la descente et à titre de précaution pour disposer de plus de temps pour stabiliser l'avion si la sortie du train d'atterrissage détériore l'écoulement d'air derrière la queue. Avant d'atterrir, à environ 200 pieds au-dessus du sol, l'équipage ressent une autre vibration brève, suivie d'une brusque abattée qui nécessite une compensation et des sollicitations énergiques du pilote en profondeur pour stabiliser l'avion. L'équipage effectue un atterrissage sans volets sans incident. Après avoir quitté l'avion, l'équipage constate que la bielle du volet compensateur de gauche s'est rompue.

Renseignements de base

Les documents de Transports Canada indiquaient que l'équipage de bord était certifié et qualifié pour remplir les tâches qui lui étaient dévolues. Avant le départ, le pilote commandant de bord avait vérifié tous les compensateurs de gouverne sur toute leur plage de débattement, et les deux membres d'équipage avaient vérifié le fonctionnement électrique des compensateurs de tangage de la profondeur, conformément aux procédures d'exploitation normales. Les vérifications du compensateur de la profondeur étaient normales; il n'y avait aucun grippage et aucune force excessive n'était nécessaire pour qu'il fonctionne.

Le dispositif de compensation de la profondeur comporte une bielle reliée au volet compensateur par un ensemble de douilles en acier inoxydable, une douille intérieure tournant dans une douille extérieure au point de fixation. La dernière grande inspection de ce dispositif de compensation de la profondeur a eu lieu lors d'une inspection en 2 phases de l'avion, le 21 octobre 2002, alors que la cellule avait accumulé 7 901 heures de vol. Le jeu libre des volets compensateurs avait été vérifié et jugé comme étant conforme aux spécifications prescrites par le fabricant.

Les pièces de fixation de la bielle du volet compensateur de la profondeur avaient été enlevées pour faciliter la pose de nouvelles pièces contrôlées par magnétoscopie (contre-écrous crénelés en fibre MS 17825-4 et boulons à tolérance serrée AN 174-7). Après avoir enlevé les pièces de fixation, on a constaté que la douille intérieure en acier (réf. 90-524024-1) du bras du volet compensateur de gauche était grippé dans la douille extérieure en acier (réf. 90-610010-5). La douille intérieure a été déposée, et on a découvert qu'elle était corrodée et rouillée. Les deux surfaces de contact des douilles intérieure et extérieure ont été nettoyées, les douilles ont été graissées et reposées avec les nouvelles pièces de fixation. Le volet compensateur de la profondeur a subi des essais sur toute sa plage de débattement, et on a constaté qu'il fonctionnait parfaitement, sans aucun signe de grippage.

Photo 1. Bielle rompue du volet compensateur de la profondeur
Photo of Bielle rompue du volet compensateur de la profondeur

L'incident s'est produit au bout d'environ 150 heures de vol après l'inspection, à 8050 heures cellule. Un examen de l'avion après l'incident a révélé que la bielle du volet compensateur de la profondeur de gauche s'était rompue au niveau de son filetage, au niveau de la surface du contre-écrou voisin de la chape réglable (voir la photo 1). La chape était grippée à un angle droit par rapport au guignol du volet compensateur. La découpe de la bielle sur l'intrados de la gouverne de profondeur montrait des marques de frottement résultant du coincement de la chape à plusieurs endroits dans la découpe après que la rupture s'est produite. Le couple de serrage des pièces de fixation a été vérifié, et on a constaté qu'il était de 90 lb-po. Le couple recommandé par le fabricant est de 25 à 30 lb-po, avec la possibilité d'aller jusqu'à 50 lb-po pour faciliter le centrage de l'écrou crénelé dans la découpe. Selon ce qui a été rapporté, une clé dynamométrique a servi à serrer l'écrou crénelé

Le volet de compensation et la quincaillerie de fixation ont été amenés au Laboratoire technique du BST pour examen. Un examen au microscope électronique à balayage du faciès de rupture de la partie filetée de la bielle a révélé de la fatigue qui débutait au fond du filet. La fissuration par fatigue s'était transformée en rupture par surcharge, sans qu'on puisse remarquer une zone de surcharge finale, ce qui laisse à penser que la rupture s'est produite dans des conditions de charge normales lorsque la crique a atteint une longueur critique. Des essais métallurgiques de la bielle ont montré que son matériau était conforme aux spécifications.

L'examen des surfaces intérieures de la chape de la bielle a révélé une zone renfoncée par usure et des signes de frottement autour du trou de fixation recevant le boulon unissant la chape au guignol. L'examen du guignol a révélé que le frottement mécanique avait éliminé la peinture sur celui-ci, à la périphérie de la douille extérieure, ce qui correspond à la zone de contact entre les côtés du guignol et la chape de la bielle du volet compensateur.

Photo 2. Douille intérieure et douille extérieure
Photo of Douille intérieure et douille extérieure

Le couple de rotation requis pour faire tourner l'écrou crénelé a été mesuré à 3 lb-po. La position relative de la douille intérieure a été notée, et la chape a été reposée sur le guignol au moyen des pièces de fixation d'origine. Le tout a été serré à un couple de 25 lb-po, selon la spécification du fabricant, plus 3 lb-po de couple de rotation pour un couple total de 28 lb-po. Un dynamomètre de traction a servi à mesurer la résistance à la rotation de la chape; les résultats donnaient une force moyenne de 18,1 lb-po. Le couple sur le boulon de fixation a alors été accru jusqu'à 87 lb-po, plus un couple de rotation de 3 lb-po, pour un total de 90 lb-po pour que le tout corresponde à l'ensemble tel qu'il avait été posé. Un dynamomètre a de nouveau servi à mesurer la force requise pour faire tourner la chape : les résultats donnaient une force moyenne de 52,7 lb-po. On a remarqué que pendant les essais, la douille intérieure restait solidaire de la douille extérieure et que la chape tournait autour de la douille intérieure (voir la photo 2). La chape est conçue pour demeurer solidaire de la douille intérieure et pour tourner avec cette dernière.

La douille intérieure a été déposée, et on a observé une importante éraillureNote de bas de page 1 irrégulière sur toute la circonférence de la surface extérieure de la douille intérieure. Un contrôle des dimensions par comparaison avec les spécifications du constructeur montrait que la paroi intérieure de la douille extérieure était sous-dimensionnée et non cylindrique, alors que le diamètre de la douille intérieure était surdimensionné, ce qui créait un ajustement serréNote de bas de page 2 entre les deux douilles et causait une éraillure irrégulière. La plage de jeu prévue par le constructeur se situe entre 0,0001 et 0,0016 pouce; le jeu mesuré se situait entre 0,0000 et -0,0013 pouce.

Transports Canada a inspecté deux douilles intérieures neuves et une douille extérieure neuve provenant de ses magasins; elles avaient été fournies par le constructeur de l'avion. Un contrôle des dimensions des douilles a révélé que leur forme n'était pas cylindrique (ovalisation) ni conforme aux spécifications dimensionnelles du constructeur. Les deux douilles intérieures étaient surdimensionnées de 0,0003 à 0,0004 pouce; la douille extérieure était sous-dimensionnée de 0,0009 pouce, et les trois douilles présentaient une ovalisation se situant entre 0,0006 et 0,0008 pouce. Il n'y a aucune limite d'ovalisation. La forme ovale des douilles, si celles-ci étaient centrées, aurait créé un ajustement serré qui aurait empêché la douille intérieure de tourner.

Le laboratoire technique du BST a examiné récemment une bielle de volet compensateur qui s'était rompue sur une avion Beech King Air 90 exploité commercialement à la suite d'un incident semblable, le 5 juin 2002. Le mode de défaillance était similaire à celui du présent cas.

Analyse

L'ensemble volet compensation/chape avait été inspecté et entretenu environ 150 heures avant la rupture. À ce moment, on avait constaté que la douille intérieure était grippée dans la douille extérieure et corrodée. Le grippage de la douille intérieure a probablement provoqué l'usure observée sur les surfaces intérieures de la chape et peut avoir amorcé la crique de fatigue à l'extrémité de la bielle si la résistance à la rotation de la chape était suffisante à ce moment-là.

La bielle du volet compensateur de la profondeur s'est rompue à la suite du criquage par fatigue de la partie filetée de l'extrémité de la bielle. La crique par fatigue a été amorcée par la charge de flexion accrue résultant du raidissement croissant de la fixation reliant la bielle au volet compensateur. L'ajustement d'origine entre les douilles intérieure et extérieure était moins qu'idéale, et un ajustement serré s'est produit entre ces deux pièces à certains points autour de la surface de contact. La forme non-cylindrique de la surface intérieure de la douille extérieure correspond à celle constatée sur une douille neuve que l'on retrouve dans les magasins de Transports Canada. Cependant, une telle forme pourrait être l'indication d'un alésage manuel quelque temps après fabrication afin de faciliter l'insertion de la douille intérieure. L'alésage des douilles sans les dessins connexes pourrait entraîner un risque de grippage si les limites dimensionnelles et d'ovalisation ne sont pas strictement respectées. Les Services aviation de Transports Canada indiquent que les dessins connexes pour une telle pratique ne sont pas facilement accessibles aux techniciens d'entretien d'aéronefs. Le mouvement entre deux douilles mal montées, allié à un couple de serrage supérieur aux spécifications du boulon traversant, a probablement causé l'éraillure qui s'est finalement soldée par un grippage.

Comme la douille était grippée, la bielle du volet compensateur avait tourné sur la surface intérieure de la chape et les surfaces extérieures de la douille intérieure. Par contre, le boulon traversant était trop serré, ce qui a eu pour effet d'empêcher toute rotation et a accru la charge de flexion sur la bielle jusqu'à ce qu'elle se rompe par fatigue. On considère que tout le processus s'est déroulé de façon progressive à mesure que la graisse de l'ensemble était éliminée, que des débris de frottement s'accumulaient, qu'une éraillure/usure se produisait et que le frottement de tout l'ensemble s'accroissait. La conception acier sur acier des douilles des volets compensateurs de la profondeur augmente le risque de rupture si le graissage est insuffisant.

Le Laboratoire technique du BST a rédigé le rapport suivant :

Faits établis

Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs

  1. La bielle du volet compensateur de la profondeur s'est rompue à la suite d'un criquage par fatigue de la partie filetée à l'extrémité de la bielle. La crique par fatigue a été amorcée par une augmentation de la charge de flexion provoquée par le raidissement progressif de la fixation entre la bielle et le volet compensateur, ce qui a limité le mouvement de la gouverne de profondeur.
  2. L'ajustement d'origine entre les douilles intérieure et extérieure était moins qu'idéal, en raison d'un ajustement serré entre ces deux pièces à certains points autour de la surface de contact.
  3. Le mouvement entre ces deux douilles mal montées, allié à un couple de serrage à l'installation supérieur à la valeur prescrite sur le boulon traversant, a probablement causé l'éraillure, qui s'est soldée par un grippage.
  4. Le boulon de fixation de la bielle du volet compensateur de la profondeur était serré à un couple supérieur à celui prescrit par le constructeur. Par conséquent, lorsque la douille intérieure s'est grippée, la chape de la bielle ne pouvait plus tourner librement.

Faits établis quant aux risques

  1. La conception de l'ensemble de douilles est telle que les tolérances serrées de la paire de douilles intérieure et extérieure exigent le strict respect des tolérances de fabrication, un contrôle de la qualité et des méthodes d'entretien optimales.
  2. Les douilles intérieure et extérieure du volet compensateur de la profondeur sont fabriquées en acier inoxydable, ce qui accroît le risque de grippage si le graissage n'est pas suffisant.
  3. Plusieurs des douilles neuves obtenues du constructeur n'étaient pas conformes aux spécifications relatives aux dimensions nominales. La distribution de telles douilles pourrait se traduire par leur alésage ou leur usinage visant à en faciliter la pose. L'alésage de ces douilles sans les dessins connexes accroît le risque de grippage si les limites dimensionnelles et d'ovalisation ne sont pas strictement respectées.

Mesures de sécurité

Le 21 mars 2003, Transports Canada a publié l'avis de difficulté en service AL-2003-03, qui recommande que les exploitants des avions Raytheon/Beech de la série 90 démontent et inspectent minutieusement l'installation de pièces de fixation du volet compensateur de la profondeur pour s'assurer que les douilles intérieure et extérieure tournent librement.

Le constructeur Raytheon/Beech a été avisé à propos des douilles neuves et hors tolérances stockées dans les magasins de Transports Canada et il procède à une vérification du contrôle de la qualité des douilles stockées dans ses propres magasins.

La Raytheon Aircraft Company a pris les mesures suivantes concernant les douilles du volet compensateur de la profondeur :

  1. En avril 2004, une communiqué de sécurité a été publié pour aviser les exploitants d'inspecter les douilles de volet compensateur de la profondeur en vue d'y déceler des signes de grippage; le communiqué décrit les deux incidents qui se sont produits et rappelle aux exploitants de s'assurer par inspection de la pose appropriée et des mesures correctives à prendre en cas de douilles grippées.
  2. Les douilles de l'inventaire des pièces de rechange ont fait l'objet d'un contrôle dimensionnel.
  3. Des révisions sur les méthodes d'installation ont été apportées au manuel de maintenance :
    • permission de polir les pièces pour assurer un bon montage;
    • inspection visant à assurer que seule la douille intérieure touche la chape après le montage;
    • instructions sur l'alésage de la douille extérieure après sa pose (il se produit une déformation pendant la pose de la douille).

Le 9 juin 2004, le Bureau de la sécurité des transports a envoyé au ministre des Transports l'avis de sécurité aérienne A040035, dans lequel il suggérait que Transports Canada pourrait souhaiter entrer en contact avec la FAA pour un suivi des vérifications de contrôle de la qualité du constructeur pour s'assurer qu'il ne reste aucune douille hors tolérances stockée ou distribuée.

Le 9 juin 2004, le BST a envoyé au ministre des Transports l'avis de sécurité aérienne A040036 dans lequel il suggérait que Transports Canada pourrait souhaiter entrer en contact avec le constructeur et la FAA pour s'assurer que les questions de conception et d'entretien relativement aux douilles de volet compensateur sont résolues de façon adéquate.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .