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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A22W0005

Perte de maîtrise et collision avec le relief
Delta Helicopters Ltd.
Bell 206B JetRanger II (hélicoptère) (C-FCQJ)
Aérodrome de Camrose (Alberta), 23 NM ESE



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

À 8 h 26Note de bas de page 1 le 23 janvier 2022, l’hélicoptère Bell Textron Inc. 206B JetRanger II (Bell 206B) (immatriculation C-FCQJ, numéro de série 540) exploité par Delta Helicopters Ltd. (Delta) a décollé de l’aérodrome de Camrose (CEQ3) (Alberta) dans le but d’effectuer une série de vols de relevés fauniques pour le compte du gouvernement provincial de l’Alberta. Le pilote, 3 observateurs de la faune, leur équipement et environ 65 gallons américains de carburant étaient à bord.

Il s’agissait du 6e jour consécutif que des vols de relevés fauniques étaient effectués. Les vols de relevés étaient généralement effectués à une altitude d’environ 2700 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL), soit environ 300 pieds au-dessus du sol (AGL), et à une vitesse indiquée d’environ 90 nœuds. Pendant les vols de relevés, lorsque les observateurs repéraient des animaux sauvages, le pilote ralentissait, descendait et manœuvrait à basse altitude et à faible vitesse afin que les observateurs puissent dénombrer les animaux et les classifier par taille et par sexe.

Après le départ, le pilote s’est dirigé vers le nord-est en direction de la ligne de relevé initiale vers le sud. Le relevé a commencé à 8 h 46 et s’est terminé à 9 h 20. Le pilote s’est ensuite rendu 2,5 milles marins (NM) à l’est, vers la ligne de relevé suivante. Le relevé a été effectué en direction nord et a commencé à 9 h 22. Au cours du relevé en direction nord, plusieurs manœuvres de vol à basse altitude et à faible vitesse ont été effectuées afin que les observateurs puissent relever la faune qu’ils avaient repérée. Vers 9 h 46, les observateurs ont repéré plusieurs animaux dans des broussailles, et le pilote a effectué un virage à gauche de 360° en descente et en décélération pour permettre aux observateurs de dénombrer et de classifier les animaux. Après avoir effectué le virage à gauche, l’hélicoptère était sur une trajectoire de 330° magnétiques (M) à une altitude d’environ 2400 pieds ASL (80 pieds AGL) et à une vitesse sol d’environ 9 nœuds. À ce moment-là, l’hélicoptère a amorcé une rotation intempestive vers la droite (figure 1).

Figure 1. Trajectoire de vol de l’hélicoptère (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Trajectoire de vol de l’hélicoptère (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Le pilote a tenté de reprendre la maîtrise en direction; toutefois, pendant cette tentative, l’hélicoptère est descendu et a heurté le relief à une vitesse avant faible ou nulle. L’hélicoptère s’est immobilisé dans des broussailles à l’endroit et en grande partie intact. Les patins d’atterrissage ont été considérablement écartés en raison des forces d’impact, et la traverse tubulaire du patin d’atterrissage arrière a été poussée vers le haut dans le fuselage, perçant le réservoir de carburant. Tous les occupants ont été grièvement blessés par les forces d’impact et ont été contaminés par le carburéacteur.

Tous les occupants portaient les ceintures sous-abdominales et les ceintures-baudriers disponibles. Aucun d’eux ne portait de casque d’hélicoptère, et la réglementation ne l’exigeait pas. Un passager de l’hélicoptère a communiqué avec les services médicaux d’urgence, qui sont arrivés sur les lieux environ 1 heure après l’accident. Les 4 occupants ont été transportés à l’hôpital pour y être soignés.

La radiobalise de repérage d’urgence de 406 MHz (Artex ME406HM) s’est activée au moment de l’impact.

Renseignements sur le pilote

Le pilote était titulaire d’une licence de pilote professionnel – hélicoptère valide, qui comportait des annotations pour plusieurs types d’hélicoptères, dont le Bell 206. Il avait environ 2949 heures de vol au total à son actif.

Le pilote était employé par Delta depuis avril 2021. Son temps total passé sur le Bell 206 au début de son contrat était de 81,8 heures. Au moment de l’événement à l’étude, il avait accumulé 113,2 heures de vol sur type.

L’enquête a déterminé que le pilote détenait la licence appropriée pour le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Le pilote a reçu une formation de sensibilisation sur la perte d’efficacité du rotor de queue en avril 2021. Selon un examen de l’horaire de travail et de repos du pilote, la fatigue n’était probablement pas un facteur dans cet événement.

Renseignements sur l’aéronef

Le Bell 206B JetRanger II est un hélicoptère monomoteur à rotor principal unique bipale et semi-rigide. L’hélicoptère ne présentait aucune anomalie connue avant le vol à l’étude.

La dernière inspection aux 100 heures a été effectuée sur l’hélicoptère le 24 octobre 2021 à 27 525,8 heures de vol cellule totales. Les doubles commandes du côté gauche ont été retirées de l’hélicoptère le 16 janvier 2022 avant le vol de convoyage vers CEQ3, où l’hélicoptère devait être basé durant les vols de relevés fauniques. La dernière activité de maintenance accomplie a été la tâche de graissage aux 25 heures du rotor principal et du rotor de queue, qui s’est terminée le 23 janvier 2022, avant le vol à l’étude.

L’hélicoptère était exploité dans les limites de masse et de centrage.

L’hélicoptère n’était pas muni d’un enregistreur de données de vol ni d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage, et la réglementation ne l’exigeait pas; toutefois, l’enquête a permis de récupérer les données de la trajectoire de vol qui avaient été enregistrées par un dispositif GPS (système de positionnement mondial) portatif utilisé par l’un des passagers.

Renseignements météorologiques

CEQ3 ne dispose d’aucune station d’observation météorologique. Le site d’observation météorologique le plus près est l’aéroport international d’Edmonton (CYEG) (Alberta), situé à environ 32 NM au nord-ouest de CEQ3. Le message d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR) émis à 10 h signalait ce qui suit :

Les vents en altitude suivants à une altitude de 6000 pieds ASL entre 10 h et 14 h ont été signalés :

Les données recueillies au cours de l’enquête ont indiqué que, même si les vents qui soufflaient au moment de l’accident ont été signalés comme étant relativement stables au niveau du sol, le vol avait été agité. La prévision de zone graphique valide au moment de l’événement indiquait des zones locales de turbulence mécanique modérée et forte avec cisaillement du vent à basse altitude, et un courant-jet à basse altitude se déplaçant vers le sud-est à 50 nœuds à proximité du lieu de l’accident. Ces données ont été confirmées par les données sur le vent fournies par le ballon-sonde atmosphérique. En utilisant les renseignements météorologiques disponibles ainsi que les données GPS, l’enquête a déterminé que l’hélicoptère avait probablement été soumis à des vents provenant d’environ 300°V (287°M) à 25 nœuds pendant la phase de croisière du vol.

Renseignements sur l’épave et sur l’impact

Figure 2. Lieu de l’accident (Source : BST)
Lieu de l’accident (Source : BST)

L’examen de l’hélicoptère sur les lieux de l’accident a révélé que les pales du rotor de queue étaient considérablement endommagées et que l’arbre d’entraînement du rotor de queue en acier situé sous le moteur, entre la boîte de réduction du moteur et l’ensemble ventilateur du refroidisseur d’huile, avait été cisaillé sous l’effet d’une surcharge en torsion. Les enquêteurs du BST ont confirmé la continuité de l’arbre d’entraînement à l’avant et à l’arrière de l’arbre d’entraînement rompu. La continuité des commandes de vol a également été confirmée pour les 4 axes. Il n’y avait aucun signe de problème mécanique préexistant lié à l’hélicoptère avant l’impact avec le relief.

Utilisation d’un aéronef à basse altitude

Des opérations à basse altitude sont requises dans le cadre de certaines activités aériennes, comme le transport de charges externes, les relevés fauniques et les inspections de pipelines ou de lignes de transport d’électricité.

Le Manuel d’information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC) contient l’avertissement suivant, en caractères gras, concernant le vol à basse altitude :

Attention! — Voler intentionnellement à basse altitude est dangereux. Transports Canada avise les pilotes que voler à basse altitude, surtout pour éviter du mauvais temps, est une activité dangereuseNote de bas de page 2.

Figure 3. Diagramme hauteur/vitesse montrant les paramètres d’exploitation de l’hélicoptère au moment de l’événement (Source : Bell Textron Inc., Bell Model 206B Rotorcraft Flight Manual, avec annotations du BST)
Diagramme hauteur/vitesse montrant les paramètres d’exploitation de l’hélicoptère au moment de l’événement (Source : Bell Textron Inc., Bell Model 206B Rotorcraft Flight Manual, avec annotations du BST)

Si une situation d’urgence en vol exige un atterrissage immédiat, l’atterrissage doit avoir lieu quel que soit l’état de la surface en dessous de la trajectoire de vol. Le vol à basse altitude limite les options d’atterrissage immédiat, et il pourrait être difficile de réussir un tel atterrissage.

Le manuel de vol du giravion Bell 206BNote de bas de page 3 comprend un diagramme hauteur/vitesse (figure 3), qui présente des renseignements et des conseils aux pilotes sur l’utilisation sécuritaire de l’hélicoptère. Le diagramme hauteur/vitesse définit les conditions dans lesquelles un atterrissage sécuritaire peut être effectué après une panne de moteur en vol (urgence). Une note figurant sur le diagramme encourage les pilotes à éviter l’exploitation dans la zone ombragée.

Mouvement de lacet intempestif

Vues d’en haut, les pales du rotor principal du Bell 206B tournent en sens antihoraire. Cette rotation fait que l’hélicoptère subit une réaction de couple en sens opposé, qui se manifeste par un mouvement de lacet vers la droite (figure 4).

Pour contrer ce mouvement, l’hélicoptère est muni d’un rotor de queue qui produit une poussée latérale. Pour compenser le couple créé par le rotor principal pendant de nombreux régimes de vol normaux, le pilote exerce une pression sur les pédales du palonnier pour augmenter ou réduire la poussée du rotor de queue, au besoin.

Figure 4. Effet de couple (Source : Transports Canada, TP 9982, Manuel de pilotage des hélicoptères, deuxième édition [juin 2006], figure 3-3)
Effet de couple (Source : Transports Canada, TP 9982, Manuel de pilotage des hélicoptères, deuxième édition [juin 2006], figure 3-3)

Toutefois, lorsque ce mouvement de lacet n’est pas prévu, il est appelé lacet intempestif, ou perte d’efficacité du rotor de queue, qu’on définit comme suit [traduction] :

La perte d’efficacité du rotor de queue est une caractéristique de vol aérodynamique critique se manifestant à faible vitesse et pouvant provoquer un mouvement de lacet rapide et intempestif qui ne se neutralise pas de lui-même et qui, s’il n’est pas corrigé, peut entraîner la perte de la maîtrise en direction de l’aéronefNote de bas de page 4.

Tout hélicoptère monorotor évoluant à faible vitesse peut subir une perte d’efficacité du rotor de queue. Ce phénomène n’est pas attribuable à un bris d’équipement ni à une maintenance déficiente; il est plutôt causé par un rotor de queue qui ne fournit pas une poussée suffisante pour maintenir la maîtrise en direction.

Quatre régions azimutales de vent relatifNote de bas de page 5 peuvent créer un environnement propice à la perte d’efficacité du rotor de queue (figure 5) :

Figure 5. Angles d’interférence tourbillonnaire du disque du rotor principal et de l’état d’anneau tourbillonnaire du rotor de queue par rapport à la direction et à la vitesse du vent relatif (Source : BST, d’après les figures de l’Advisory Circular 90-95 : Unanticipated Right Yaw in Helicopters [1995] de la Federal Aviation Administration)
Angles d’interférence tourbillonnaire du disque du rotor principal et de l’état d’anneau tourbillonnaire du rotor de queue par rapport à la direction et à la vitesse du vent relatif (Source : BST, d’après les figures de l’Advisory Circular 90-95 : Unanticipated Right Yaw in Helicopters [1995] de la Federal Aviation Administration)

Dans la section sur la perte d’efficacité du rotor de queue du Helicopter Flying Handbook de la Federal Aviation Administration des États-Unis, on met l’accent sur l’importance de reconnaître les facteurs et les conditions qui peuvent mener à une perte d’efficacité du rotor de queue, et d’être préparé à redresser l’appareil. La section comprend la déclaration suivante [traduction] :

Malheureusement, de nombreux pilotes ont mis au ralenti un moteur qui fonctionnait bien pour exécuter une autorotation conduisant à un accident alors que le disque du rotor de queue était en parfait état de fonctionnement et que l'hélicoptère était en parfait état de navigabilité parce qu’ils avaient mal compris ou mal perçu les limites de l’hélicoptère et la situation aérodynamiqueNote de bas de page 7.

Un mouvement de lacet intempestif peut constituer une menace importante en vol à faible vitesse dans des régimes à haute puissance, et lorsqu’un hélicoptère est utilisé dans des régions azimutales de vent critiques. Lors de l’événement à l’étude, la masse de l’hélicoptère était inférieure d’environ 280 livres à sa masse brute maximale, et il était en vol stationnaire hors de l’effet de sol (à 80 pieds AGL). Les vents étaient en rafales et turbulents, et ils soufflaient de la gauche de l’hélicoptère au moment de la fin du virage. Étant donné que la trajectoire finale de l’hélicoptère était de 343°V (330°M) et que le vent rencontré provenait probablement de la direction générale de 300°V (287°M), le vent relatif était environ 45° à gauche du nez de l’hélicoptère (315° sur la figure 5) et était un peu plus faible que les 25 nœuds enregistrés à l’altitude de croisière. Par conséquent, l’hélicoptère fonctionnait dans un régime à haute puissance, dans les régions azimutales de vent critiques de l’interférence tourbillonnaire du disque du rotor principal et de l’état d’anneau tourbillonnaire du rotor de queue.

En 1984, Bell Textron Inc. a publié une lettre d’informationNote de bas de page 8 à l’intention de tous les propriétaires et exploitants d’aéronefs de la série Bell 206. La lettre traitait du sujet des caractéristiques de vol à faible vitesse qui peuvent entraîner une perte d’efficacité du rotor de queue. Cette lettre a été publiée à la suite d’essais en vol importants effectués sur les hélicoptères de la série OH-58 de l’armée américaine. L’OH-58 est la désignation militaire de la série d’hélicoptères civils Bell 206. La lettre englobait les conditions environnementales (vent) qui peuvent précipiter ou entraîner une perte d’efficacité du rotor de queue, de même que la technique de redressement recommandée si un mouvement de lacet intempestif vers la droite devait se produire.

Transports Canada a réimprimé les renseignements de la lettre d’information de Bell Textron Inc. dans le numéro 4/85 de Sécurité aérienne — VortexNote de bas de page 9, afin de réitérer les conditions qui peuvent conduire à un mouvement de lacet intempestif vers la droite. De plus, dans le numéro 1/2002 de Sécurité aérienne — Vortex, Transports Canada a publié un article portant sur les conditions pouvant entraîner une perte d’efficacité du rotor de queue. Cet article a été republié dans le numéro 4/2017 de Sécurité aérienne — Nouvelles de Transports Canada.

Les rapports d’enquête du BST suivants présentent des renseignements supplémentaires sur la perte d’efficacité du rotor de queue : A20A0027, A16P0069 et A13W0070. Ces rapports sont disponibles sur le site Web du BSTNote de bas de page 10.

Messages de sécurité

On souhaite rappeler aux pilotes que le fait de piloter un aéronef à basse altitude laisse peu de marge d’erreur et réduit le temps et l’altitude disponibles pour gérer efficacement tout état imprévu de l’aéronef.

Certaines opérations d’hélicoptère, comme les vols de relevés fauniques à faible vitesse, se prêtent davantage au risque d’une perte d’efficacité du rotor de queue que d’autres opérations. En plus de comprendre les caractéristiques d’une perte d’efficacité du rotor de queue pour leur type d’hélicoptère en particulier, les pilotes doivent porter une attention particulière à la vitesse anémométrique, à la hauteur et au vent relatif pour s’assurer que soit les conditions de perte d’efficacité du rotor de queue sont évitées, soit le pilote les reconnaît et réagit immédiatement.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .