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Rapport d'enquête maritime M92W1022

Abordage
entre le traversier «QUEEN OF ALBERNI»
et le vraquier «SHINWA MARU»
détroit de Georgia (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 12 mars 1992, le traversier canadien «QUEEN OF ALBERNI», sous la conduite du capitaine, a appareillé de Tsawwassen (Colombie-Britannique) à destination de Nanaïmo (Colombie- Britannique), et le vraquier japonais «SHINWA MARU», sous la conduite d'un pilote côtier de Colombie-Britannique, a appareillé du terminal de Roberts Bank (terminaux Westshore) à destination de la station de pilotage de Victoria (Colombie-Britannique). Les navires se sont abordés à environ un mille marin au sud-ouest du terminal de traversiers de Tsawwassen, en plein jour, alors que le temps était calme et que la visibilité était réduite dans le brouillard.

Le Bureau a déterminé que le «QUEEN OF ALBERNI» et le «SHINWA MARU» se sont abordés dans un épais brouillard parce que ni l'un ni l'autre des deux navires n'a utilisé tous les moyens dont il disposait pour évaluer les risques et éviter l'abordage alors qu'une situation très rapprochée devenait imminente.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique des navires

« QUEEN OF ALBERNI » « SHINWA MARU »
Numéro officiel 370066 130164
Port d'immatriculation Victoria (C.-B.)Note de bas de page 1 Tokyo, Japon
Pavillon Canadien Japonais
Type Traversier pour passagers et véhicules Vraquier
Jauge brut 5 872 tonneauxNote de bas de page 2 87 183 tonneaux
Longueur 139,35 m 290,0 m
Largeur 27,13 m 45,0 m
Tirant d'eau max. 5,03 m 16,06 m
(au moment de l'événement - -
Construction 1976, Vancouver Shipyards Co. Ltd. Vancouver (C.-B.) 1987, Mitsui Eng. and SB Co. Chiba Ichihara, Japon
Groupe propulseur Deux diesels maK, 4SA de 12 cylindres entraînant deux hélices (11 860 BHP) Un diesel B7W, 2SA de 5 cylindres entraînant une hélice (17 700 BHP)
Propriétaires British Columbia Ferry Corporation Victoria (C.-B.) Shinwa K.K. Ltd. Tokyo, Japon

1.1.1 Renseignements sur les navires

«QUEEN OF ALBERNI»

Le «QUEEN OF ALBERNI» est un traversier amphidrome. Une passerelle de navigation et une timonerie se trouvent à environ 42 m de chaque extrémité. On considère que l'«avant» est l'extrémité d'où...

...l'on manoeuvre le navire. Les machines de propulsion principales consistent en deux diesels d'une puissance totale de 11 860 BHP, qui entraînent à chaque extrémité une hélice à pas variable tournant à droite. Les machines principales et les arbres tournent toujours dans le même sens, et on oriente les pales d'hélice pour choisir la marche avant ou la marche arrière. Le navire est équipé d'un gouvernail à chaque extrémité.

Pour la navigation normale entre les ports, le navire est exploité dans le mode 1, c'est-à-dire que toute la puissance est transmise à l'hélice arrière et les commandes de la passerelle sont assurées à l'aide d'une poignée en T, ce qui permet au navire d'atteindre les vitesses suivantes :

Puissance. Tours-min Vitesse
25 p. 100 153 13,5 kn
50 p. 100 166 18,0 kn
75 p. 100 173 20,5 kn
100 p. 100 197 22,8 kn

Pendant la manoeuvre, le navire est exploité dans le mode 2. En mode 2, l'hélice avant est commandée au moyen d'une poignée en L et l'hélice arrière est commandée séparément à l'aide de la poignée en T. Lorsqu'on utilise la poignée en L dans le mode 2, le réglage de l'hélice en marche avant a pour effet de casser l'erre du navire, et le réglage en marche arrière aide à la propulsion du navire vers l'avant.

«SHINWA MARU»

Le «SHINWA MARU» est un navire entièrement automatisé muni d'une étrave à bulbe. Les emménagements, la passerelle et la salle des machines sont situés derrière les neuf écoutilles de chargement. La passerelle de navigation se trouve à 247 m de l'avant et à 43 m de l'arrière. Du poste de direction de la manoeuvre, rien ne gêne la visibilité vers l'avant. La commande des machines se fait au moyen d'un transmetteur électrique, lequel relaie les commandes à un second pupitre, également situé dans la timonerie, d'où un mécanicien dirige le fonctionnement de la machine principale. Le navire a une vitesse commerciale nominale d'environ 14 noeuds (kn).

1.2 Description de l'événement

«QUEEN OF ALBERNI»

Après avoir fait monter des passagers et des véhicules, le «QUEEN OF ALBERNI» a appareillé du quai no 5 de Tsawwassen à 8 h 1Note de bas de page 3 le 12 mars 1992Note de bas de page 4, alors que la visibilité était presque nulle en raison du brouillard. Deux radars étaient en marche, et le navire était en pilotage manuel. Le navire faisait entendre les signaux de brume appropriés, et une vigie...

...était postée à l'avant, sur le pont supérieur. Le navire a appareillé du quai no 5 en suivant un cap à peu près parallèle à l'axe principal du quai, soit au 223° vrai (V). Après que le navire eut passé le dernier duc d'Albe du mur ouest, on a changé le cap au 240° gyro (G), plutôt que de suivre le cap normal au 275° (V), pour permettre à deux navires, dont la présence avait été remarquée au radar dans la voie de circulation nord, de passer devant le traversier. Aucune erreur du gyrocompas n'a été signalée.

À 8 h 5, on a avisé la salle des machines que le navire était «en route libre», mais que les machines resteraient en position «Attention machines», en raison de la visibilité réduite. À 8 h 6, on est passé au mode 1 pour la commande des machines. Apparemment, pendant la courte période qui a précédé l'abordage, le navire aurait atteint une vitesse d'environ 8 kn, ce qui équivaut à un réglage de l'hélice à pales orientables à la position «4» sur le transmetteur d'ordres. La vitesse indiquée par le loch Doppler installé dans la timonerie n'a pas été observée. Après avoir communiqué par radio avec le «SHINWA MARU» et sans avoir identifié ce dernier avec certitude sur l'écran radar panoramique (PPI), le navire a poursuivi sa traversée. Avant l'abordage, l'hélice à pales orientables a été réglée à la position «0», puis à la position «en arrière toute», mais il était trop tard. L'abordage s'est produit à 8 h 8. L'étrave du «QUEEN OF ALBERNI» a heurté le côté bâbord du «SHINWA MARU» environ 25 m derrière la perpendiculaire avant, et environ 3 m au-dessus de la flottaison. L'angle d'impact a été d'environ 70°.

«SHINWA MARU»

Le 12 mars 1992, le «SHINWA MARU» était amarré bâbord à quai au terminal Westshore No 1, à Roberts Bank (C.-B.), cap au 108° (V), où il a terminé de charger 147 743 tonnes de charbon un peu avant 7 h. Avec un pilote côtier de Colombie-Britannique à bord, et avec l'aide de cinq remorqueurs et d'une embarcation d'amarrage, le navire a commencé à «dédoubler les amarres» à 7 h 15 et s'est éloigné du quai à 7 h 40. Lorsque le navire eut appareillé suivant un cap au 150° (V), quatre des remorqueurs se sont éloignés et le navire avançait de lui-même. En raison de la visibilité réduite, trois membres de l'équipage ont été postés comme vigie à l'avant et le signal de brume automatique a été mis en service.

Le dernier remorqueur relié à son avant droit, le «SHINWA MARU» augmentait le régime moteur (tours à la minute) et changait de cap sur tribord en vue de s'engager dans la voie de circulation en direction sud.

À 8 h, alors que le cap du navire était environ au 170° (V) et que sa vitesse était d'environ 3 kn, le dernier remorqueur s'est éloigné. Peu après, à 8 h 1, on a entendu le «QUEEN OF ALBERNI» qui signalait aux Services du trafic maritime (STM) son départ du terminal de traversiers de Tsawwassen. À 8 h 6, le navire a établi la communication avec le «QUEEN OF ALBERNI» par radiotéléphone très haute fréquence (VHF), pour prendre les dispositions nécessaires en vue d'une rencontre en toute sécurité, mais à 8 h 8, les navires se sont abordés. Le «SHINWA MARU» filait environ 4,5 kn.

1.2.1 Événements qui ont suivi l'abordage

Immédiatement après l'abordage, les deux navires ont procédé à une évaluation des avaries qu'ils avaient subies. Ils sont restés en contact radio et, après s'être assurés que ni l'un ni l'autre des navires n'avait besoin de secours immédiats, chacun est rentré au port; le «QUEEN OF ALBERNI» est rentré au terminal de Tsawwassen et le «SHINWA MARU» s'est rendu à un mouillage sûr dans la baie English. Après l'abordage, on a utilisé l'installation de sonorisation du traversier pour informer les passagers, et les soins d'urgence ont été prodigués aux personnes blessées. Entre-temps, des véhicules d'urgence ont été appelés. Dès que le traversier a accosté, le personnel des services d'urgence s'est occupé des passagers et membres d'équipage blessés. À bord du traversier, personne n'était désigné pour guider les équipes d'intervention d'urgence et diriger leurs efforts, de sorte que l'évacuation des passagers blessés a été quelque peu retardée.

1.3 Victimes

«QUEEN OF ALBERNI»

Équipage Passagers Autres Total
Tués - - - -
Disparus - - - -
Blessés graves - 2 - 2
Blessés légers/indemnes 25 233 - 258
Total 25 235 - 260

Aucun des 11 membres de l'équipage du «SHINWA MARU» n'a été blessé.

1.4 Avaries et dommages

La structure du traversier a subi des avaries au bordé de carène, au tablier du pont principal, au pont supérieur et aux portes coulissantes, à l'extrémité no 1. Dans la cafétéria du navire, des armoires métalliques et des comptoirs d'alimentation, qui étaient fixés au pont, ont été arrachés de leurs fixations et ont été déplacés.

Les tôles en porte-à-faux du pont principal du «QUEEN OF ALBERNI» se sont enfoncées dans le bordé de carène du côté bâbord, au droit de la cale à cargaison no 1 et du ballast supérieur no 1 du «SHINWA MARU». Les tôles ont été très enfoncées et ont été déchirées dans les compartiments touchés. Plusieurs couples, les membrures connexes et des manches à air ont aussi été endommagés.

1.5 Certificats des navires

Les deux navires avaient les certificats, l'armement en personnel et l'équipement qu'ils étaient tenus d'avoir en vertu des règlements en vigueur.

1.5.1 Brevets et antécédents du personnel

Les capitaines et les officiers des deux navires possédaient des brevets valides relatifs à leurs postes et aux voyages qu'effectuaient les navires.

Le pilote du «SHINWA MARU» possédait un brevet canadien de capitaine de navire de 350 tonneaux, délivré en 1977, et une licence de pilote côtier de Colombie-Britannique. Il avait suivi le cours de manoeuvre des navires à Port Revel, en France, en 1986. Le pilote comptait environ six ans d'expérience de pilotage sur la côte de Colombie-Britannique. Avant qu'il devienne pilote, il avait acquis de l'expérience en mer en occupant différents postes à bord de remorqueurs côtiers de Colombie-Britannique.

«QUEEN OF ALBERNI»

Le capitaine était entré au service de la British Columbia Ferry Corporation (BCFC) en 1965. Il avait navigué en occupant différents postes et avait gravi les échelons. Depuis 1982, il agissait à titre de second capitaine/capitaine de relève à bord de grands navires. Il naviguait à bord de ce navire et sur l'itinéraire Nanaïmo-Tsawwassen depuis 1991.

L'officier de quart comptait une vingtaine d'années de service en mer à bord des navires de la BCFC. Depuis 1986, il agissait à titre d'officier de quart à bord de divers traversiers et sur différents itinéraires.

«SHINWA MARU»

Le capitaine comptait environ 27 ans de service en mer à bord de divers cargos, dont environ 11 ans à titre de capitaine, et notamment huit mois à bord de ce navire.

L'officier de quart comptait une vingtaine d'années de service en mer à bord de divers cargos à titre d'officier de pont ou d'officier radio, et sept mois à bord du «SHINWA MARU» à titre d'officier de pont et d'officier radio.

1.6 Renseignements sur les conditions météorologiques et sur la marée

1.6.1 Prévisions

Les prévisions maritimes émises à 4 h 45 HNP le 12 mars 1992, par le Centre météorologique du Pacifique d'Environnement Canada pour le détroit de Georgia, étaient les suivantes :

Vents légers. Visibilité presque nulle dans une vaste zone de brume. Projection - vents du sud-est de légers à modérés.

1.6.2 Conditions météorologiques signalées par les navires

Les deux navires ont signalé un vent léger du nord-ouest, une mer ondoyante et une visibilité réduite dans le brouillard. Le «SHINWA MARU» a signalé que la visibilité était d'environ 90 m (½ encablure), et le «QUEEN OF ALBERNI» a signalé qu'elle était nulle.

1.6.3 Marée et courants

L'abordage s'est produit environ 1 heure et 17 minutes avant l'heure de la marée haute à Tsawwassen. L'amplitude des marées était de 0,2 m. Rien n'indique que les courants aient joué un rôle dans cet événement.

1.7 Équipement de navigation

«QUEEN OF ALBERNI»

Le navire était équipé de deux radars Sperry dans chaque timonerie. Un radar classique se trouvait du côté bâbord et, du côté tribord, se trouvait un radar à balayage à observation de jour (RASCAR), muni d'un système anti-abordage (aussi appelé Aide au pointage radar automatique (APRA)), relié à un écran de 340 mm de diamètre. Les deux radars étaient opérationnels et fonctionnaient, mais seul le RASCAR était utilisé. D'après ses fabricants, le RASCAR est un système radar transistorisé et informatisé qui recourt à une technologie numérique de pointe pour atténuer les retours de mer et éliminer les fausses cibles.

Une inscription faite dans le carnet de la timonerie, une trentaine de minutes avant l'abordage, indique qu'il n'y avait aucune défectuosité des machines et de l'équipement de navigation et de sécurité. Toutefois, après l'abordage, le capitaine a signalé que la persistance de retours de mer avait fait en sorte que l'écho du «SHINWA MARU» n'a pas été détecté. Après l'abordage, on a vérifié le radar et on a constaté qu'il fonctionnait de façon satisfaisante.

«SHINWA MARU»

L'équipement de navigation du navire comprenait deux appareils radars. Apparemment, tout l'équipement de navigation était en bon état de fonctionnement. Le «SHINWA MARU» a suivi la progression du «QUEEN OF ALBERNI» sur son écran radar avant l'abordage.

1.8 Communications radio

1.8.1 Services du trafic maritime (STM) ou station radio côtière

À 7 h 3, le «SHINWA MARU» a fait part aux STM de Vancouver de son intention d'appareiller dans 15 minutes; les STM ont alors informé le vraquier qu'aucun autre navire n'avait demandé d'autorisation de départ. À 7 h 56, les STM ont été informés que le «SHINWA MARU» avait quitté le quai et faisait route en direction de la voie de circulation. Les STM ont avisé le navire du trafic dans le secteur, mais n'ont fait aucune mention du «QUEEN OF ALBERNI».

À 8 h 1, le «QUEEN OF ALBERNI» a signalé aux STM qu'il appareillait tout juste du terminal de Tsawwassen. Les STM l'ont avisé de la présence d'autres navires dans le secteur, y compris celle du «SHINWA MARU» qui faisait route en direction sud après avoir appareillé du terminal de Roberts Bank; celle du «SURUGA MARU» qui attendait de prendre la place du navire précédent; et de trois navires en direction nord, qui s'approchaient de la route du traversier. On a accusé réception du message et on n'a demandé aucun détail quant à la position des navires.

1.8.2 Communications entre les navires

Le «SHINWA MARU» a établi le premier contact radio à 8 h 6; les navires se sont abordés environ deux minutes plus tard. Voici la teneur des communications entre les deux naviresNote de bas de page 5 :

Heure Station Texte

8 h 6 min 22 sSM ... Vous pouvez me voir ...?

8 h 6 min 27 sQA ... Nous savons que vous êtes là ... voulez-vous que nous ralentissions, ou pouvons-nous croiser votre route sur votre avant?»

8 h 6 min 32 sSM Je ne file que 5 noeuds environ, mais je suis en train d'augmenter la puissance; donc allez-y, c'est comme vous voulez.

8 h 6 min 39 sQA D'accord, nous allons ralentir ...

8 h 6 min 46 sSM Eh bien, vous pouvez passer devant moi si vous le voulez, mais je suis en train de prendre de la vitesse. Il faudra pas mal de temps avant que j'atteigne ma vitesse, mais, comme je l'ai dit, je le fais accélérer.

8 h 7 min 15 sQA Nous vous garderons à l'oeil et resterons à l'écart de vous.

8 h 7 min 40 sSM On dirait que vous venez droit sur nous ...

8 h 7 min 58 sQA Nous nous arrêtons, «SHINWA MARU».

8 h 8 min 37 sSM ... Vous venez de nous rentrer dedans.

1.8.3 Vocabulaire maritime

Pendant les communications, ni l'un ni l'autre des navires n'a utilisé une terminologie conforme au Vocabulaire normalisé de la navigation maritime.

La résolution no A.474(XII) de l'OMI, adoptée le 19 novembre 1981, intitulée Utilisation correcte en mer des voies de transmission en ondes métriques, préconise l'utilisation du Vocabulaire normalisé de la navigation maritime en vue d'éliminer les malentendus dans les communications, ce qui est d'une importance capitale pour la sécurité durant l'exploitation. Les termes relatifs à la manoeuvre qu'on trouve dans le vocabulaire font en sorte que chaque navire soit entièrement au fait des intentions de l'autre, et éliminent l'indécision. Le document insiste sur la nécessité de répéter toute partie du message qui est considérée suffisamment importante pour justifier une précaution supplémentaire, par exemple : «Ne croisez pas notre route sur notre avant, je répète, ne croisez pas sur notre avant.» En outre, ce document rappelle que lorsqu'un message contient un conseil ou des directives, la station qui accuse réception du message doit en répéter l'essentiel (voir l'annexe A).

1.9 Services du trafic maritime

Le «SHINWA MARU» et le «QUEEN OF ALBERNI» participaient tous deux au système des STM. Tous les navires dans les parages des terminaux de Tsawwassen-Roberts Bank étaient surveillés par radar au Centre de trafic maritime (CTM). Leurs positions, déterminées par le dispositif de poursuite du radar du CTM et consignées par l'unité centrale de traitement, étaient connues du régulateur du trafic maritime (RTM).

Le dispositif de poursuite du radar du CTM consigne les positions des cibles marquées à des intervalles de temps prédéterminés. La pratique acceptée dans les CTM consiste à «mettre en attente» les marques dans une zone où il n'y a pas de trafic, lorsqu'un navire est à quai. Ce n'est que lorsque le RTM relie la marque à la cible correspondante que le dispositif de poursuite commence à enregistrer les coordonnées mises à jour.

La marque «N92Q» attribuée au «QUEEN OF ALBERNI» a été reliée à la cible à 8 h 3 min 9 s, et la marque «K32K» a été accolée au «SHINWA MARU» à 8 h 5 min 45 s. La progression des cibles était consignée par l'enregistreur automatique de l'ordinateur, à des intervalles d'environ deux minutes et demie.

Enregistrements du CTM

Toutes les données de temps et de position qui ont été enregistrées automatiquement au CTM sont exactes à une seconde près (heure/latitude/ longitude).

Les données consignées par le dispositif de poursuite du CTM indiquent que les deux cibles ont convergé à 8 h 8 min 28 s, par 48°59′44″N, 123°09′34″W, soit à 1,1 mille marin (M) du phare placé à l'entrée du quai no 5 de Tsawwassen, sur un cap au 237,5° (V) par rapport à ce phare.

1.10 Routes reconstituées des navires

Les deux navires venaient tout juste de quitter les limites du port. Il n'y avait qu'un minimum de renseignements quant aux positions pointées sur la carte no 3463 du Service hydrographique du Canada (SHC) et dans les registres de passerelle.

Le BST a reconstitué les routes suivies par le «SURUGA MARU», le «SHINWA MARU» et le «QUEEN OF ALBERNI», à partir des renseignements obtenus des navires ou du CTM (voir l'annexe B). L'examen des routes a indiqué ce qui suit :

1.11 Personnel à la passerelle et conduite de la navigation

«QUEEN OF ALBERNI»

Environ quatre minutes avant d'appareiller, le capitaine avait détecté quatre ou cinq cibles sur l'APRA, dont l'un a ultérieurement été identifié comme étant le «SURUGA MARU». Il avait également observé la présence de deux secteurs distincts de «retours de mer». Il a attribué ces retours, à tour de rôle, à une perturbation causée par le sillage de remorqueurs qui aidaient un gros navire, à un banc de harengs dont des oiseaux se nourrissaient et, par la suite, à un écho multiple ou parasite. Il a essayé d'éliminer les retours, mais en vain.

Au moment du départ du «QUEEN OF ALBERNI», le capitaine, qui assurait la conduite du navire, et le timonier à la barre se trouvaient sur la passerelle. Alors que le navire s'éloignait du quai, l'officier de quart est arrivé dans la timonerie, et le capitaine lui a demandé de localiser le «SHINWA MARU» au radar. L'officier de quart s'est servi du même appareil APRA que le capitaine et, mis à part la tentative d'interprétation de l'image et d'acquisition d'une zone masquée par des «retours», aucun autre réglage n'a été fait. Environ deux minutes plus tard, l'officier de quart a quitté le radar pour s'occuper des communications radio, tandis que le capitaine surveillait le radar. Une très grosse cible, qui était située un peu au-delà de la zone de retours, qui n'avait pas de vecteur ou de cap appréciable, et qui a été par la suite identifiée comme étant le «SURUGA MARU», a été observée à l'écran de l'APRA et a été confondue avec le «SHINWA MARU».

«SHINWA MARU»

Avant le départ, le capitaine et le pilote ont discuté de l'appareillage et de la traversée entre Roberts Bank et la station de pilotage de Victoria. Le capitaine suivait la progression du navire à l'aide d'un des deux radars, et l'officier de quart s'assurait avant tout que les ordres du pilote étaient exécutés. On n'a pas surveillé de près ou mis en doute les dispositions relatives à la rencontre du «SHINWA MARU» et du «QUEEN OF ALBERNI».

1.11.1 Règlement sur les abordages

Comme l'indique le Règlement international pour prévenir les abordages en mer (Règlement sur les abordages), la sécurité et la conduite des navires par visibilité réduite devraient être assurées de sorte que :

  1. une «veille appropriée» soit assurée par «tous les moyens disponibles», de façon à permettre une pleine appréciation du risque d'abordage;
  2. lorsqu'il s'agit de déterminer le risque d'abordage, on utilise «tous les moyens disponibles», et en cas de doute, on considère qu'il y a risque d'abordage;
  3. si le navire est muni d'un équipement radar opérationnel, on doit «l'utiliser de façon appropriée», y compris le traçage «radar ou ... toute autre observation ssystématique équivalente des objets détectés», et on doit éviter de «tirer des conclusions» à partir de «renseignements insuffisants»;
  4. on fait entendre les signaux de brume prescrits, et les navires doivent naviguer à une «vitesse de sécurité», compte tenu des circonstances et de la visibilité. Si un navire «détecte au radar seulement la présence d'un autre navire», il doit déterminer si une «situation très rapprochée» est en train de se créer ou s'il y a un risque d'abordage, ou les deux. Le cas échéant, il faut prendre «largement à temps des mesures pour éviter cette situation», et naviguer avec la plus grande prudence jusqu'à ce que le risque d'abordage soit écarté;
  5. pour déterminer ce qui constitue une «vitesse de sécurité», il faut tenir compte notamment de la visibilité, du trafic et des limitations de l'équipement radar.

En outre, la résolution no A.285(VIII) de l'OMI, intitulée Recommandation sur les principes fondamentaux et les directives sur l'exploitation du navire à observer lors du quart à la passerelle , stipule que :

  1. Nonobstant les tâches et obligations qui incombent au pilote, sa présence à bord «ne décharge pas» le capitaine ou l'officier chargé du quart de «celles qui leur incombent sur le plan de la sécurité du navire»,
  2. l'officier de quart doit faire un «usage le plus efficace possible» de tout l'équipement de navigation dont il/elle dispose.

Dans le cas à l'étude, il y avait au total huit navires qui naviguaient dans le secteur, alors qu'il y avait du brouillard et que la visibilité était presque nulle. Des vigies étaient postées à l'avant du «QUEEN OF ALBERNI» et du «SHINWA MARU». Au cours des deux minutes et demie qui ont précédé l'abordage, la vitesse moyenne calculée des navires a été de 15,65 kn pour le «QUEEN OF ALBERNI» et de 4,45 kn pour le «SHINWA MARU». Une communication par radiotéléphone VHF a été établie entre les navires pour prendre des dispositions pour la rencontre, mais les échanges dénotaient de l'indécision, et on n'a eu que peu de temps pour évaluer efficacement la situation. On a trop insisté sur le recours au radiotéléphone aux dépens d'un meilleur usage des autres moyens dont on disposait pour éviter l'abordage.

Le «QUEEN OF ALBERNI» savait que deux grands navires se trouvaient dans les parages du terminal Westshore et qu'ils étaient tous deux par son travers avant. On n'a identifié qu'un seul écho radar sur l'écran du PPI comme étant celui d'un navire, mais on ne s'est pas interrogé sur l'absence apparente d'un second écho dans le secteur. On a plutôt pris le «SURUGA MARU» pour le «SHINWA MARU», et le «QUEEN OF ALBERNI» a poursuivi sa traversée. Ce n'est qu'au moment où le «SHINWA MARU» a signalé au «QUEEN OF ALBERNI» que le traversier se dirigeait droit sur lui, que le «QUEEN OF ALBERNI» a tenté des manoeuvres de dernière minute. Ces mesures, consistant à régler à zéro le pas de l'hélice à pales orientables, puis à mettre les machines en marche arrière, ont étéprises trop tard pour qu'on puisse éviter l'abordage. Le «SHINWA MARU» n'a pris aucune mesure de son côté.

Chacun des deux navires faisait entendre les signaux de brume prescrits. La passerelle du «SHINWA MARU» n'a pas été informée du signal de brume entendu par les vigies postées à l'avant.

Les témoignages ne concordent pas en ce qui a trait aux signaux de brume entendus à bord du «QUEEN OF ALBERNI». La vigie a soutenu avoir entendu un signal de brume venant du navire situé à tribord, signal dont il a avisé la passerelle. Les communications entre la vigie et la timonerie se faisaient à l'aide d'un poste radio portatif et d'une installation téléphonique. Le personnel à la passerelle a soutenu n'avoir ni reçu le message de la vigie, ni entendu un signal de brume. La vigie a déclaré qu'après l'abordage, l'officier de quart avait indiqué que tous les messages en provenance de l'avant du navire avaient été reçus clairement.

Au moins trois passagers du traversier, qui étaient assis dans le salon du pont supérieur, lequel donne sur l'avant du navire, ont déclaré avoir vu la vigie à l'avant du navire parler dans sa radio en pointant vers tribord et partir en courant vers l'arrière, environ une minute avant l'abordage. Un passager a déclaré avoir entendu un signal de brume autre que celui du «QUEEN OF ALBERNI».

1.12 Horaire du traversier

Au moment de l'événement, les heures publiées de départ du «QUEEN OF ALBERNI» étaient les suivantes :

Départ de Nanaïmo Départ de Tsawwassen
5 h 30 8 h
10 h 30 13 h
15 h 30 18 h
20 h 30 23 h

Les ports sont à quelque 38 M l'un de l'autre et la vitesse commerciale du navire est de 20 kn. Ainsi, le temps nécessaire pour la traversée de 1 heure et 54 minutes ne tient pas compte des conditions météorologiques et du courant. Il reste donc au traversier environ 36 minutes pour les procédures d'accostage et d'appareillage ainsi que pour le déchargement et l'embarquement des véhicules et des passagers.

Une grande part des témoignages recueillis au cours des audiences tenues, en 1992, par la Commission d'enquête Nemetz par suite d'un accident mortel impliquant un traversier de la BCFC ont porté sur l'incidence des horaires des départs sur la sécurité. Une des recommandations contenues dans le rapport de la Commission, la recommandation 13, suggérait qu'un groupe d'étude mixte examine les horaires des traversiers et leur incidence sur la sécurité. Le rapport du groupe d'étude, paru en mai 1993, souligne, entre autres, que le groupe en est arrivé à la conclusion que l'horaire serré des traversiers ne laisse essentiellement aucune marge de manoeuvre, ce qui a pour effet d'obliger le personnel à rattraper les retards sans avoir de temps mort pour ce faire. Les données recueillies par le groupe d'étude indiquent qu'il est possible de rattraper un certain retard, mais sûrement pas tous les retards qui surviennent, étant donné le peu de temps dont les navires disposent. Le groupe était d'avis que le respect des horaires est l'indice de rendement le plus en vue au sein de la BCFC et que la sécurité risque tout particulièrement d'être compromise lorsque la prise de décision se fait dans un climat où le respect des horaires prédomine. Le rapport avance aussi, qu'à moins que des changements ne surviennent, la nécessité de respecter les horaires demeurera une préoccupation quotidienne. Le rapport souligne que des employés ont affirmé avoir reçu des «messages» très forts de «là- haut» selon lesquels il fallait d'abord et avant tout respecter les horaires. Le groupe d'étude a soumis son rapport au Conseil d'administration de la British Columbia Ferry Corporation.

2.0 Analyse

2.1 Rendement du radar

Un réglage incorrect de l'appareil radar pouvait produire de forts échos multiples ou parasites, étant donné la proximité des deux terminaux, ou encore des échos parasites relativement faibles dus aux mauvaises conditions météorologiques ou à la faune aquatique. Un réglage approprié des commandes du radar peut aider l'opérateur radar à atténuer grandement ces effets sur l'écran du PPI, de sorte qu'il est en mesure de détecter des cibles plus rapprochées. Quoi qu'il en soit, les échos attribuables à la faune aquatique ne peuvent pas dissimuler le fort écho radar d'un grand navire d'acier qui offre une cible par le travers, tel que le «SHINWA MARU». Toutefois, il pouvait être difficile de différencier ces échos à cause des échos multiples attribuables aux terminaux.

2.1.1 Identification erronée du

«SHINWA MARU»

Une des cibles que le capitaine du «QUEEN OF ALBERNI» avait remarquées à l'écran de l'APRA, environ quatre minutes avant le départ du navire, était celle du «SURUGA MARU», mais l'écho du «SHINWA MARU» n'avait apparemment pas été détecté. Donc, l'affichage à l'écran de l'APRA à ce moment aurait dû inclure des renseignements sur le cap et la vitesse du «SURUGA MARU» ou aurait au moins dû indiquer un vecteur de mouvement. De plus, le capitaine a indiqué que le «SHINWA MARU» était masqué par des retours de mer et qu'il était impossible de l'identifier. Il a néanmoins attribué les retours de mer au sillage de remorqueurs en train d'aider un grand navire. Cela laisse supposer que le capitaine avait tout d'abord considéré que les retours étaient associés au «SHINWA MARU». Il n'en demeure pas moins que l'écho du «SURUGA MARU» aurait apparemment été pris pour celui du «SHINWA MARU», et que le «QUEEN OF ALBERNI» a été manoeuvré en conséquence.

2.2 Conduite de la navigation

Deux radars étaient en marche et étaient à la disposition de l'équipe à la passerelle du «QUEEN OF ALBERNI», mais le capitaine et l'officier de quart ne se sont servis que d'un seul radar. On ignore pourquoi le personnel à la passerelle n'a pas réussi à éliminer les retours de mer à l'écran du PPI. Le second radar n'a pas été utilisé. Comme les renseignements affichés sur le PPI du «QUEEN OF ALBERNI» n'avaient pas été comparés aux données reçues par radiotéléphone VHF, on ne disposait pas de données essentielles concernant un autre bâtiment qui se trouvait dans les parages et qui pouvait menacer la sécurité du navire. Le «QUEEN OF ALBERNI» n'a demandé ni aux STM ni au «SHINWA MARU» de lui communiquer des renseignements précis qui lui auraient permis d'identifier avec certitude le navire apparaissant à l'écran du PPI, de façon à évaluer le risque d'abordage. Une personne s'occupait du radar et une autre du VHF, et leurs efforts n'ont pas été coordonnés.

2.3 Évaluation de la situation par le «QUEEN OF ALBERNI»

Le «QUEEN OF ALBERNI» a maintenu un cap au 240° (G), apparemment afin de permettre à deux cibles radars qui se trouvaient dans la voie de circulation nord, à trois ou quatre milles, de passer devant lui, mais aucune mesure efficace n'a été prise pour rester à l'écart du «SHINWA MARU», qui n'était qu'à un mille à peine. Cela donne à penser qu'on ne s'inquiétait pas de cibles rapprochées qui auraient exigé qu'on réagisse rapidement et en temps voulu. Au départ du terminal de Tsawwassen, l'équipe à la passerelle du «QUEEN OF ALBERNI» savait que le «SHINWA MARU» était dans le secteur et a été informée par les STM du fait que le «SURUGA MARU» se trouvait devant les terminaux Westshore.

Les terminaux Westshore et le terminal de Tsawwassen se trouvent à 1,1 M l'un de l'autre et, par conséquent, la distance entre le «QUEEN OF ALBERNI» et les deux navires aurait été de plus de 1 M et aurait diminué rapidement à mesure que les navires prenaient de la vitesse.

Le «QUEEN OF ALBERNI» ne s'est pas arrêté et n'a pas non plus ralenti sensiblement l'allure, que ce soit pour évaluer la situation ou pour éviter la situation très rapprochée qui existait déjà avec le «SHINWA MARU». On a plutôt fait passer les machines du mode 2 au mode 1.

D'après l'évaluation de la situation faite par le «QUEEN OF ALBERNI», le mouvement du «SURUGA MARU» ne représentait pas une menace immédiate. Donc, aucune mesure d'évitement n'a été jugée nécessaire et le «QUEEN OF ALBERNI» s'est engagé par mégarde sur une route qui croisait celle du «SHINWA MARU», dont l'écho n'avait pas été identifié adéquatement. Toutefois, lorsqu'on s'est rendu compte qu'aucun navire en direction sud n'était identifié à l'écran du PPI et que le «SHINWA MARU» devait effectivement être parmi les retours de mer, le «QUEEN OF ALBERNI» a réglé à zéro le pas de l'hélice à pales orientables, puis a mis les machines en marche arrière.

2.3.1 «SHINWA MARU» - Indécision et ambigüité

Le «SHINWA MARU», en l'occurrence un vraquier chargé à pleine capacité et dont la capacité de manoeuvre était réduite en raison de son tonnage, prenait de la vitesse et ne pouvait ni tourner ni s'arrêter à temps pour réduire sensiblement le risque d'abordage avec le «QUEEN OF ALBERNI». Le «SHINWA MARU» n'a pas demandé fermement au «QUEEN OF ALBERNI» de passer derrière lui, alors que les deux navires se trouvaient dans une situation très rapprochée.

2.3.2 Évaluation de la situation par le BST

Les routes reconstituées montrent qu'à 8 h 6, le «SHINWA MARU» était par environ 20° sur l'avant tribord du «QUEEN OF ALBERNI», à une distance de 0,73 M. Au même moment, le «SURUGA MARU» se trouvait par environ 40° sur l'avant tribord, à environ 1,25 M. Comme le «QUEEN OF ALBERNI» et le «SHINWA MARU» prenaient de la vitesse, et que le «SURUGA MARU» filait environ 3 kn, le «QUEEN OF ALBERNI» n'aurait pas pu relever un changement appréciable dans les vecteurs affichés à l'écran radar, dans une période d'une minute. De plus, l'examen des routes a indiqué que :

Il est donc plausible que la méconnaissance des positions relatives des autres navires, combinée aux données transmises pendant la communication radio récente, ait suscité des doutes à bord du «QUEEN OF ALBERNI» alors qu'un risque d'abordage devenait imminent. Si le «QUEEN OF ALBERNI» avait suivi la route habituelle après avoir appareillé de Tsawwassen, il aurait pu suivre un cap et adopter une vitesse qui lui auraient permis de passer derrière le «SHINWA MARU» et au sud du «SURUGA MARU», lequel faisait route en direction nord et manoeuvrait pour se rendre à quai.

Comme le «QUEEN OF ALBERNI» était à l'écoute de la radio VHF, il savait, avant son départ, que le «SHINWA MARU» et le «SURUGA MARU» se trouvaient dans le secteur. Il n'a pas identifié avec certitude les deux navires au radar, ni déterminé leurs caps et leurs vitesses, et n'a pas pris de dispositions pour une rencontre en toute sécurité avant de quitter le quai.

2.4 Utilisation de termes imprécis dans les communications

Environ deux minutes avant l'abordage, le «QUEEN OF ALBERNI» a signalé son intention de ralentir et de laisser passer le «SHINWA MARU» devant lui. À ce moment, le pilote du «SHINWA MARU» a dit au «QUEEN OF ALBERNI» qu'il pouvait passer devant lui s'il le désirait. Donc, la décision du «QUEEN OF ALBERNI» de passer devant l'autre navire est probablement attribuable, du moins en partie, à l'emploi de termes imprécis qui dénotaient de l'indécision, et a été prise à partir de renseignements incomplets.

2.5 Écart dans les vitesses

Dans les faits, la vitesse du «SHINWA MARU», signalée par ce dernier, concordait avec les résultats des calculs effectués à partir du traçage radar, ce qui confirme la fiabilité des positions consignées par le CTM.

Une fois éloigné du quai, le «QUEEN OF ALBERNI» commençait habituellement à prendre de la vitesse. Ceci concorde avec le changement des machines du mode 2 au mode 1. En l'absence de renseignements consignés sur les ordres exécutés par les machines, il est impossible de vérifier avec exactitude les heures et les réglages correspondants de l'hélice à pales orientables, à partir du moment de l'appareillage. Le capitaine a estimé que le «QUEEN OF ALBERNI» avait atteint une vitesse maximale de 8 kn environ, mais la reconstitution de la route suivie par le traversier a montré que, dans les deux minutes et demie qui ont précédé l'abordage, la vitesse moyenne du navire avait été de 15,65 kn, et ce bien qu'on ait réglé les commandes des machines à zéro de 45 à 60 secondes avant l'abordage et qu'on ait par la suite mis les machines en marche arrière. Il convient de souligner que la vitesse moyenne du navire entre le moment du départ, à 8 h 1, et celui de l'abordage, à 8 h 8, a été de 9,94 kn. Ce calcul ne tient pas compte du temps d'accélération et du temps écoulé entre le moment où l'on a réglé à zéro le pas de l'hélice à pales orientables et celui de l'abordage. Le «SHINWA MARU» n'a pas été identifié avec certitude sur l'écran du PPI à bord du traversier, et l'abordage s'est produit malgré le fait qu'on ait mis les machines en marche arrière.

2.5.1 Vigie

Bien que les trois vigies postées à l'avant du «SHINWA MARU» aient entendu le signal de brume du «QUEEN OF ALBERNI» qui approchait, personne n'en a fait part à la passerelle. On ignore pourquoi le personnel à la passerelle du «QUEEN OF ALBERNI» n'a pas entendu le signal sonore du «SHINWA MARU» qui approchait et pourquoi il n'a pas non plus accusé réception du message de la vigie postée à l'avant, qui a dit avoir entendu un signal de brume.

2.5.2 Utilisation du radiotéléphone très haute fréquence pour éviter un abordage

Les équipes à la passerelle des deux navires n'ont pas fait preuve de prudence et n'ont pas fait un usage plus poussé ou plus efficace des autres moyens dont elles disposaient pour déterminer le risque d'abordage. Elles se sont plutôt fiées principalement aux renseignements obtenus par radiotéléphone VHF et ont cru de part et d'autre qu'elles s'étaient entendues mutuellement. Il convient de souligner qu'il y a eu des cas où le recours au radiotéléphone VHF par un des deux navires ou les deux pour éviter des abordages s'est avéré dangereux. Par contre, le radiotéléphone VHF permet d'accroître la sécurité, s'il est utilisé à bon escient, concurremment avec les autres aides à la navigation et en conformité avec le Règlement sur les abordages. Donc, lorsqu'on utilise le radiotéléphone VHF afin d'éviter un abordage, il faut bien s'assurer que :

2.6 Perception et prise de décision

Comme les traversiers transportent un grand nombre de passagers et de véhicules et qu'ils sont exploités selon des horaires très serrés, le personnel peut se sentir obligé de respecter absolument les horaires, et les capitaines doivent constamment s'employer à éviter les retards, dans la mesure du possible. Une fois que le traversier a pris du retard, il peut difficilement se rattraper afin de respecter son horaire de la journée. On ignore si les conséquences possibles d'un retard sur l'horaire du traversier ont pesé sur la prise de décision du capitaine. Dans le cas à l'étude, le fait que le pilote du «SHINWA MARU» a fait savoir au capitaine du «QUEEN OF ALBERNI» que ce dernier pouvait passer devant lui s'il le désirait a pu amener le capitaine du «QUEEN OF ALBERNI» à sous-estimer quelque peu la menace qu'il percevait en raison de la situation très rapprochée. Comme les deux navires étaient à moins d'un mille l'un de l'autre, l'abordage était imminent lorsqu'on s'est rendu compte du danger.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis

  1. Le «QUEEN OF ALBERNI» a appareillé du quai par visibilité réduite, après que le «SHINWA MARU» eut appareillé d'un terminal adjacent.
  2. Le «QUEEN OF ALBERNI» a choisi un cap qui passait plus au sud que son cap habituel.
  3. Le cap choisi par le «QUEEN OF ALBERNI» a accentué la situation très rapprochée avec le «SHINWA MARU».
  4. Le «QUEEN OF ALBERNI» n'a pas identifié avec certitude le «SHINWA MARU» au radar et a pris l'écho du «SURUGA MARU» pour celui du «SHINWA MARU».
  5. Le «QUEEN OF ALBERNI», qui naviguait à une vitesse moyenne de plus de 15 kn avant l'abordage, n'a demandé ni aux Services du trafic maritime (STM) ni au «SHINWA MARU» de lui communiquer des renseignements précis sur la position de ce dernier, renseignements qui lui auraient permis de l'identifier avec certitude à l'écran radar panoramique (PPI).
  6. L'absence apparente d'un second écho à l'écran du PPI du «QUEEN OF ALBERNI» n'a pas suscité d'interrogations.
  7. Les renseignements affichés sur l'écran radar du «QUEEN OF ALBERNI» n'ont pas été comparés à ceux qu'on avait obtenus par radiotéléphone très haute fréquence (VHF).
  8. On n'a pas utilisé les termes précis relatifs à la manoeuvre préconisés dans le Vocabulaire normalisé de la navigation maritime, et aucun des deux navires n'a pris de dispositions précises pour la rencontre.
  9. L'emploi de termes imprécis et la mauvaise identification du «SHINWA MARU» ont amené l'équipe à la passerelle du «QUEEN OF ALBERNI» à sous-estimer quelque peu la menace que représentait le risque d'abordage.
  10. La capacité de manoeuvre du «SHINWA MARU» était réduite en raison de son tonnage, et le pilote n'a pas demandé fermement au «QUEEN OF ALBERNI» de passer derrière.
  11. Les deux navires se sont fiés exclusivement aux dispositions prises par radiotéléphone VHF pour la rencontre, contrairement à la marche à suivre définie dans le Règlement sur les abordages.
  12. Les deux navires n'ont pratiquement pas changé de cap pendant qu'ils s'approchaient l'un de l'autre.
  13. Ni le capitaine, ni l'officier de quart du «SHINWA MARU» n'a pris de mesure pour faire face à la situation.
  14. L'évacuation des passagers blessés a été quelque peu retardée parce que personne à bord du traversier n'était chargé de coordonner les efforts des équipes d'intervention d'urgence.

3.2 Causes

Le «QUEEN OF ALBERNI» et le «SHINWA MARU» se sont abordés dans un épais brouillard parce que ni l'un ni l'autre des deux navires n'a utilisé tous les moyens dont il disposait pour évaluer les risques et éviter l'abordage alors qu'une situation très rapprochée devenait imminente.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Planification des interventions d'urgence

À la suite de cet accident, le BST a fait parvenir à la Garde côtière canadienne (GCC) un Avis de sécurité maritime portant sur la nécessité de mettre en place un «plan d'intervention d'urgence» qui soit coordonné avec ceux des équipes d'urgence de l'extérieur, pour ce qui est de l'organisation des opérations et de l'évacuation des passagers blessés à bord de traversiers.

En avril 1992, la British Columbia Ferry Corporation (BCFC) a procédé à un examen de ses méthodes d'exploitation en vue d'améliorer la sécurité des passagers et des équipages. De concert avec la GCC, la BCFC a examiné la capacité d'intervention de ses équipages en situation d'urgence. On a aussi examiné les programmes de formation existants et on en a elaboré de nouveaux, de façon que tous les employés soient prêts à intervenir dans les situations d'urgence.

En outre, dans un rapport sur un événement distinct mettant en cause le traversier «WOODSIDE I» et le remorqueur «TUSSLE» (rapport no M90M4053 du BST), le Bureau a relevé des lacunes similaires sur le plan de la sécurité dans les mesures d'intervention d'urgence, et a recommandé au ministère des Transports d'exiger que les officiers et membres d'équipage de tous les traversiers et navires à passagers inspectés par le gouvernement fédéral reçoivent une formation en bonne et due forme concernant les techniques de maîtrise des foules et les procédures d'urgence connexes (M93-07, émise en mars 1993). Dans sa réponse, Transports Canada a signalé que les officiers et les membres d'équipage brevetés des navires forment un noyau de personnes qui ont reçu une formation en bonne et due forme et qui devraient être en mesure de voir à ce que l'abandon se fasse en toute sécurité, surtout compte tenu du fait que le capitaine a la responsabilité de veiller à la formation de tout l'équipage. La réponse ne mentionnait aucunement qu'on envisageait d'exiger que tous les membres d'équipage reçoivent une formation en bonne et due forme concernant les techniques de maîtrise des foules et les procédures d'urgence connexes.

4.1.2 Examen des méthodes d'exploitation - Formation radar

L'examen des méthodes d'exploitation mentionné précédemment a aussi mis en évidence la nécessité de donner aux membres des équipes à la passerelle une formation en navigation électronique simulée (NES) et sur l'utilisation de l'APRA (Aide au pointage radar automatique), pour les aider à utiliser le radar dans des conditions de mauvaise visibilité. Le Bureau croit savoir que tous les officiers de pont de la BCFC qui n'ont pas déjà suivi les cours de NES/APRA reçoivent maintenant une formation dans les écoles de marine. De plus, la BCFC a mis au point un cours de recyclage de deux jours sur l'utilisation du radar et de l'APRA à l'intention des capitaines de ses traversiers.

4.1.3 Utilisation du Vocabulaire normalisé de la navigation maritime

Des enquêtes menées sur plusieurs événements de même nature ont révélé que l'emploi d'un vocabulaire maritime imprécis ou inapproprié dans les communications radio entre les navires avait donné lieu à des situations dangereuses. Par conséquent, le Bureau a recommandé au ministère des Transports de faire mieux connaître le Vocabulaire normalisé de la navigation maritime (TP-4330) et d'inciter à l'utiliser pour les communications dans les eaux canadiennes (M93-05, émise en juin 1993).

En mars 1994, on a publié un Bulletin de la sécurité des navires (no 5/94) qui portait sur le besoin de communications efficaces entre les navires. Le bulletin invitait les exploitants de navires et le personnel navigant à se conformer en tous points à la publication de la GCC intitulée Vocabulaire normalisé de la navigation maritime, TP-4330. Le bulletin signalait également qu'en vertu de la version révisée du Règlement sur les cartes et publications, les navires canadiens devront avoir la publication en question à leur bord.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Gerald E. Bennett, Zita Brunet, l'hon. Wilfred R. DuPont et Hugh MacNeil.

Annexes

Annexe A - Extraits du Vocabulaire normalisé de la navigation maritime

Annexe B - Croquis montrant les routes reconstituées des navires

Annexe C - Photographies

SHINWA MARU
SHINWA MARU
Avaries au bordé de carène du côté bâbord au droit de la cale à cargaison n 1 et du ballast supérieur n 1.
Avaries au bordé de carène du côté bâbord au droit de la cale à cargaison n 1 et du ballast supérieur n 1.
QUEEN OF ALBERNI
QUEEN OF ALBERNI
Avaries au tablier du pont principal et au pont supérieur.
Avaries au tablier du pont principal et au pont supérieur.

Annexe D - Sigles et abréviations

APRA
Aide au pointage radar automatique
BCFC
British Columbia Ferry Corporation
BHP
puissance au frein
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
C.-B.
Colombie-Britannique
CTM
Centre du trafic maritime
G
gyro (degrés)
GCC
Garde côtière canadienne
HNP
heure normale du Pacifique
kn
noeud(s) : mille(s) marin(s) à l'heure
m
mètre(s)
M
mille(s) marin(s)
mm
millimètre(s)
N
nord
NE
navigation électronique simulée
OMI
Organisation maritime internationale
PPI
écran radar panoramique
RASCAR
radar à balayage à observation de jour
RTM
régulateur du trafic maritime
SHC
Service hydrographique du Canada
SI
système international (d'unités)
STM
Services du trafic maritime
tours-min.
tour(s) à la minute
UTC
temps universel coordonné
V
vrai (degrés)
VHF
très haute fréquence
W
ouest
°
degré(s)
minute(s)
seconde(s)