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Rapport d'enquête maritime M93M0006

Mort d'un membre d'équipage
Navire de pêche «CAPE BRIER»
Banc Burgeo, côte sud de Terre-Neuve



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Pendant l'après-midi du 13 octobre 1993, le «CAPE BRIER» pêchait au large de la côte sud de Terre-Neuve. Alors que le navire roulait dans une mer de travers, un membre de l'équipage a été heurté par un panneau de chalut qui s'était désarrimé et a subi des blessures mortelles. À ce moment, le membre de l'équipage surveillait la halage du chalut à bord du «CAPE BRIER», dans des conditions atteignant presque celles d'un coup de vent.

Le Bureau a déterminé que le panneau de chalut à bord du «CAPE BRIER» s'est désarrimé parce qu'il n'avait pas été assujetti adéquatement pour rester en place malgré les mouvements du navire sur la mer.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

«CAPE BRIER»
Numéro officiel - 392729
Port d'immatriculation - Halifax (Nouvelle-Écosse)
Pavillon - Canadien
Type - Chalutier à pêche arrière en acier
Jauge brute - 992 tonneaux1
Longueur 42,02 m
(entre
perpendiculaires)
Largeur - 11,80 m
Tirant d'eau Av.2 : 4,26 m
Ar. : 4,57 m
Construction - 1981, Halifax (Nouvelle-Écosse)
Groupe propulseur - Un moteur diesel, huit cylindres, développant 3 000 BHP (2 207 kW), entraînant une hélice à pas variable
Propriétaires - National Sea Products Ltd. Halifax (Nouvelle-Écosse)
Équipage 15 membres d'équipage et un observateur de P&O

1.2 Renseignements sur le navire

Le «CAPE BRIER» est un chalutier à pêche arrière classique, au milieu duquel se trouvent les espaces servant au traitement...

1 Les unités de mesure dans le présent rapport sont conformes aux normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) ou, à défaut de telles normes, elles sont exprimées selon le système international (SI) d'unités.

2 Voir l'annexe F pour la signification des sigles et abréviations, et les définitions.

3 Toutes les heures sont exprimées en HAA (temps universel coordonné (UTC) moins trois heures), sauf indication contraire.

...du poisson et les cales à poisson. La passerelle de navigation et les emménagements de l'équipage sont situés à l'avant tandis que la salle des machines est à l'arrière.

1.3 Déroulement du voyage

Le «CAPE BRIER» a appareillé de Lunenburg (Nouvelle-Écosse) vers 10 h 303, le 11 octobre 1993, pour aller pêcher le sébaste au large de la côte sud de Terre-Neuve.

Pendant l'après-midi du 13 octobre, alors que la pluie réduisait la visibilité et que des grands vents frais soulevaient des vagues de 2 à 3 m, le «CAPE BRIER» rentrait son chalut, après un trait effectué à une position située à quelque 10 milles à l'ouest du banc Burgeo (Terre-Neuve). Le navire avait un roulis pouvant atteindre 30° lorsque le chalut a été hissé sur la rampe arrière. Vers 13 h 40, cinq membres de l'équipage, trois à bâbord et deux à tribord, surveillaient l'opération à côté de la rampe, contre le pavois. Le second capitaine manoeuvrait le treuil de chalut à partir du poste de commande situé à l'arrière de la passerelle, tandis que tous ceux qui participaient au halage du chalut avaient une vue bien dégagée sur la rampe arrière et se tenaient à l'écart des funes du chalut. Pendant un mouvement de roulis sur bâbord, la chaîne qui retenait un panneau de chalut de rechange s'est brisée, et le panneau, en l'occurrence un panneau de chalut pélagique qui avait été arrimé à la verticale contre le pavois de la muraille tribord, est tombé vers l'intérieur, sur un des deux membres de l'équipage qui étaient postés à côté de la rampe arrière, et l'a écrasé contre le pavois près de la rampe. Lorsque le navire a roulé de l'autre côté, le panneau de chalut s'est déplacé, et un autre membre de l'équipage en a profité pour dégager la victime. On a interrompu le halage du chalut et on s'est porté immédiatement au secours du blessé. Malgré les efforts de l'équipage, on a constaté la mort de la victime après une consultation radio avec un médecin de Halifax (Nouvelle-Écosse).

1.4 Victimes

Le membre de l'équipage heurté par le panneau de chalut a subi des blessures mortelles.

1.5 Antécédents et qualifications du personnel

Le capitaine du «CAPE BRIER» comptait 19 ans d'expérience à bord de bateaux de pêche. Il était capitaine depuis 16 ans, et commandait le «CAPE BRIER» depuis 1989. Le second comptait 15 ans de temps de mer, et il était second à bord du «CAPE BRIER» depuis 5 ans. La victime travaillait à bord de bateaux de pêche depuis 14 ans, et depuis 4½ ans à bord du «CAPE BRIER».

Le capitaine était titulaire d'un brevet de capitaine de pêche de classe I, et le second possédait un brevet de capitaine de pêche de classe II. Le membre d'équipage qui a perdu la vie ne possédait aucune qualification maritime formelle, et n'était d'ailleurs pas tenu d'en posséder en vertu des règlements.

1.6 Certificats du navire

Un certificat d'inspection des navires à vapeur (SIC 31) avait été délivré au «CAPE BRIER» et était valide jusqu'au 11 juin 1994 pour le cabotage de classe I.

1.7 Renseignements sur les conditions météorologiques

Le Centre de météorologie et d'océanographie de Halifax a fourni les données météorologiques suivantes pour le secteur dans lequel le «CAPE BRIER» naviguait :

Entre 9 h et 15 h HAA, le vent d'est a tourné au sud-est à une vitesse de 25 à 35 noeuds, et soufflait à 45 noeuds par endroits. La visibilité était de deux à cinq milles marins sous la pluie. Il y avait une mer de 3 à 3,5 m, ce qui était conforme aux prévisions météorologiques.

À 13 h, le «CAPE BRIER» a enregistré des vents du sud-est de force 7 (de 28 à 33 noeuds), une visibilité d'un mille marin sous la pluie, et des lames de 2 m.

1.8 Arrimage des panneaux de chalut

Lorsque les panneaux de chalut pélagique sont utilisés, ils sont lancés à partir de potences de chalut placées sur la hanche du navire. Le «CAPE BRIER» était muni, dans les pavois de la muraille, dans la hanche de chaque côté, de logements où les panneaux de chalut pouvaient être arrimés lorsqu'ils ne servaient pas. Toutefois, en raison de changements dans l'industrie de la pêche, les propriétaires ont dû utiliser des panneaux de chalut pélagique plus grands. Ces grands panneaux (mesurant quelque 8 m2 de surface et pesant 1 100 kg) n'entraient pas dans les logements aménagés dans les pavois, et ceux-ci servaient à l'arrimage de panneaux de chalut de fond de rechange. Le choix de l'emplacement pour arrimer les panneaux de chalut pélagique était laissé au capitaine, à bord de chaque navire. À bord du «CAPE BRIER», les panneaux étaient arrimés contre les pavois de la muraille, c'est-à-dire vers l'intérieur par rapport aux logements prévus à l'origine.

1.9 Assujettissement des panneaux de chalut

Les panneaux de chalut pélagique étaient apparemment appuyés contre le pavois de muraille dans une position quasi verticale, un côté reposant sur le pont. Le mode d'arrimage est illustré à l'annexe A. Les panneaux étaient assujettis au moyen d'une chaîne qui allait du bout du bras central du panneau, en passant par dessus le rebord supérieur du panneau, et redescendait jusqu'à la chaîne qui retenait le panneau de chalut de fond de rechange dans le logement pratiqué dans le pavois. Aucun ridoir ou autre dispositif de serrage n'était incorporé à la chaîne de fixation, et il n'y avait pas non plus de cales pour bloquer le bas du panneau qui reposait sur le pont. Des éraflures ont été relevées sur le pont à cet endroit. Des manilles d'assemblage assujettissaient tous les raccords faits à l'aide de chaînes. Au cours de l'enquête, la chaîne de fixation et la manille d'assemblage utilisées pour la fixation au pavois ont été récupérées, mais toutes les pièces de la manille d'assemblage utilisée pour la fixation au panneau de chalut avaient disparu.

1.10 Manilles d'assemblage

Les manilles d'assemblage sont utilisées couramment à bord des bateaux de pêche, car elles sont un moyen rapide et efficace pour relier deux chaînes entre elles ou pour relier une chaîne à des points d'ancrage ou à d'autres pièces telles que des crocs. Une manille d'assemblage ressemble à un maillon de chaîne à étai et se compose de deux pièces forgées semi-circulaires et symétriques, reliées par une goupille d'alliage, laquelle est retenue en place par un étai. Pour assembler la manille, on enfonce la goupille dans l'étai une fois toutes les pièces en place. Les pièces de la manille restent en place en raison de l'ajustement serré de la goupille à l'intérieur de l'étai. Il incombe à l'utilisateur de remplacer une manille d'assemblage lorsque l'ajustement se relâche. D'après les éléments de preuve recueillis, il ne serait pas inhabituel de remplacer au moins une douzaine de manilles d'assemblage au cours d'une sortie de pêche typique.

1.11 Analyse en laboratoire

Deux manilles d'assemblage de 16 mm (5/8 de pouce) et des échantillons de chaîne, provenant du dispositif d'arrimage du panneau de chalut pélagique, ont été envoyés pour analyse au Laboratoire technique du BST. Les deux manilles d'assemblage du dispositif d'arrimage et une manille d'assemblage neuve de même taille ont été soumises à des essais de rupture. Le rapport du Laboratoire technique du BST sur les essais en question montre que, même si l'étai d'une des manilles révélait un état avancé de dégradation et que la goupille à l'intérieur de l'étai avait un diamètre considérablement réduit, la rupture des trois manilles est survenue à une valeur d'effort supérieure à la charge de rupture minimale spécifiée par le fabricant, soit 32 800 kg (72 300 livres). Les échantillons de chaîne montraient aussi des signes de corrosion. Toutefois, malgré une corrosion atteignant une profondeur de 1 mm, l'intérieur de la chaîne était sain.

2.0 Analyse

2.1 Dispositif d'arrimage

Comme on n'utilisait pas de ridoirs ou d'autres dispositifs de serrage ou de calage, et comme il n'y avait rien pour bloquer le panneau au point de contact avec le pont, il ne devait pas être possible d'immobiliser complètement le panneau de chalut. On pourrait considérer que les éraflures relevées sur le pont sont dues aux mouvements du panneau de chalut pendant qu'il était en position arrimée. Le roulis du «CAPE BRIER» pendant qu'il faisait route en mer a dû soumettre le dispositif d'arrimage à des efforts d'arrachement et à des chocs répétés.

On n'avait pas modifié les logements aménagés dans les pavois de la muraille pour qu'ils conviennent aux panneaux de chalut de plus grande taille, mais il aurait tout de même été possible d'immobiliser convenablement les panneaux sans apporter des changements majeurs à la structure. L'addition d'un minimum d'éléments de fixation, tels que des pitons à oeil et des cornières sur le pont et les pavois, aurait permis d'arrimer solidement les panneaux de chalut à l'emplacement choisi.

2.2 Rupture du dispositif d'assujettissement

En raison des nombreuses variables en cause, il n'a pas été possible de déterminer l'effort auquel le dispositif d'assujettissement a été soumis. Les manilles mises à l'essai ont résisté à des contraintes supérieures à la charge de rupture minimale spécifiée par le fabricant pour ces manilles d'assemblage; or, cette charge de rupture était environ 30 fois plus grande que le poids du panneau de chalut. Aucune des pièces de la manille qui reliait le dispositif d'assujettissement au panneau n'a été récupérée, ce qui donne à penser que la goupille d'alliage a été cisaillée ou qu'elle est sortie de son logement. Le rapport du Laboratoire technique du BST suggère que le dispositif d'assujettissement a probablement cédé lorsque la goupille a glissé hors de la manille manquante, dont l'étai aurait été endommagé par la corrosion.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis

  1. Par suite de l'introduction de panneaux de chalut pélagique plus grands, il a fallu trouver d'autres endroits pour arrimer les panneaux en question à bord du navire.
  2. Rien n'a été prévu pour faciliter l'assujettissement des panneaux de chalut aux endroits choisis.
  3. Le dispositif d'assujettissement employé ne faisait appel ni à des ridoirs ni à des dispositifs de calage.
  4. Comme les panneaux n'étaient pas arrimés solidement, les chaînes servant à les assujettir ont été soumises à des chocs cycliques pendant que le navire faisait route en mer.
  5. Pour s'assurer de l'intégrité du dispositif d'assujettissement, l'équipage devait contrôler l'état des composantes.
  6. Après l'événement à l'étude, il a été impossible de retrouver une des manilles d'assemblage du dispositif d'assujettissement du panneau qui s'est désarrimé.
  7. Les opérations normales du navire obligeaient les membres de l'équipage à travailler près des panneaux de chalut arrimés.
  8. Malgré l'intervention rapide des membres de l'équipage, il a été impossible de réanimer la victime.

3.2 Causes

Le panneau de chalut à bord du «CAPE BRIER» s'est désarrimé parce qu'il n'avait pas été assujetti adéquatement pour rester en place malgré les mouvements du navire sur la mer.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Modifications apportées par les propriétaires

À la suite de l'événement à l'étude, les propriétaires du navire ont installé à bord de deux navires de classe similaire des logements destinés à assujettir convenablement les grands panneaux de chalut pélagique. Comme la flotille dispose de seulement deux paires de grands panneaux de chalut pélagique, ces panneaux seront affectés en permanence aux navires modifiés. Au total, quatre navires de la même classe ont été modifiés et équipés de logements destinés à assujettir convenablement les panneaux de chalut de fond.

4.1.2 Arrimage des panneaux de chalut agrandis

Les dossiers du BST ne font état d'aucun événement du même genre. Toutefois, étant donné les conditions dangereuses qui pourraient se présenter à bord d'autres bateaux qui utilisent des panneaux de chalut plus grands que ceux pour lesquels les logements sont conçus, le BST a jugé bon d'aviser la Garde côtière canadienne des circonstances de cet événement.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.

Annexes

Annexe A - Arrimage des panneaux

Annexe B - Manille d'assemblage

Annexe C - Liste des rapports de laboratoire pertinents

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

On peut obtenir ce rapport en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Annexe D - Croquis du secteur de l'événement

Annexe E - Photographies

«CAPE BRIER»
CAPE BRIER
Vue d'ensemble du pont de chalutage.
CAPE BRIER
Vue de l'endroit où l'accident s'est produit.
Vue de l'endroit où l'accident s'est produit.

Annexe F - Sigles et abréviations

Ar.
arrière
Av.
avant
BHP
puissance au frein
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
caler
assujettir à l'aide de chocs
E
est
fune
corde ou filin d'acier
HAA
heure avancée de l'Atlantique
kg
kilogramme(s)
kW
kilowatt(s)
m
mètre(s)
manille
Semblable à un maillon de chaîne à étai, dispositif rapide pour relier des-d'assemblage chaînes entre elles ou pour relier une chaîne à d'autres pièces.
mm
millimètre(s)
OMI
Organisation maritime internationale
P&
O Pêches et océans
panneaux de chalut
Une paire de lourds panneaux rectangulaires placés de part et d'autre de la gueule du chalut afin de la garder ouverte pendant le chalutage.
pavois
Partie surélevée formant parapet au sommet des murailles d'un navire ou d'une grosse embarcation et dépassant le niveau du pont.
SE
sud-est
SI
système international (d'unités)
SIC
certificat d'inspection des navires à vapeur
UTC
temps universel coordonné
°
degré(s)