Language selection

Rapport d'enquête maritime M94L0019

Naufrage
du remorqueur «J MANIC»
sur le fleuve Saint-Laurent au
large du cap du Cormoran (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

à 17 h HAE le 29 juin 1994, le remorqueur «J MANIC», avec le chaland «BASSE CÔTE» à sa remorque, a appareillé de Sept-Îles (Québec), à destination du lac Monger sur la Basse Côte Nord du Saint-Laurent.

À 22 h 35, le capitaine a remarqué que l'avant semblait être anormalement haut sur l'eau. Une inspection du pont arrière a révélé que la partie arrière du pont principal était submergée au droit du compartiment de l'appareil à gouverner. On a ouvert l'écoutillon du magasin et on a constaté que le compartiment était envahi jusqu'au niveau de l'hiloire. L'installation de pompage n'a pas suffi à la tâche, de sorte qu'à 22 h 57, on a lancé un message d'urgence par radiotéléphone. L'équipage a été rassemblé sur le pont des embarcations et tous les membres de l'équipage sont montés à bord de l'embarcation de sauvetage. Le navire s'était enfoncé jusqu'au niveau du pont des embarcations lorsque l'équipage de huit personnes s'est éloigné à la rame à bord de l'embarcation. Les vents étaient légers et il y avait une mer d'un mètre. Vers 23 h 24, le remorqueur, toujours relié au chaland «BASSE CÔTE», qui lui n'était pas endommagé, a coulé par 200 mètres de profondeur.

à 1 h 23 le 30 juin, le «WESTERN BRIDGE» a signalé qu'il avait recueilli les naufragés. à 3 h 27, ces derniers ont été transférés à bord du «LOUISBOURG», navire du ministère des Pêches et Océans, qui est arrivé à Sept-Îles à 7 h. L'accident n'a fait aucune victime. à 7 h 15, le remorqueur «POINTE SEPT ÎLES» s'est amarré bord à bord avec le chaland «BASSE CÔTE», à la position 50°04,5′N par 065°32,8′W. L'équipage a attaché le câble de remorque d'urgence du chaland au remorqueur et, à 9 h 40, le «POINTE SEPT ÎLES» est reparti en direction de Sept-Îles. à 15 h 30, le «BASSE CÔTE» a été amarré à la section no 1 du quai de la Iron Ore Company à Sept-Îles.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom
Port d'immatriculation Québec (Québec)
Pavillon Canadien
Numéro officiel 193754
Genre Remorqueur
Jauge brute 118,26 tonneaux
Longueur 23,4 m
Tirant d'eau Avant : 2,31 m
Arrière : 3,51 m
Propulsion Moteur GM Atlas V12, développant 671 kW
Équipage 8
Propriétaires Navcomar inc.
Thetford Mines (Québec)

Le 27 juin 1994, le remorqueur et le chaland arrivent à Sept-Îles, où l'on doit compléter le chargement de machinerie de construction. Avant l'appareillage, on remplit toutes les citernes à combustible et à eau douce à pleine capacité. Pour le stockage d'eau douce, on utilise la citerne permanente d'eau douce située sous les emménagements de l'équipage, devant la salle des machines, et le ballast situé entre la cambuse et le magasin. Le ballast de 31 822 litres est conçu pour être vide dans des conditions de service à pleine charge.

Comme le remorqueur ne transporte pas de passagers, qu'il jauge moins de 150 tonneaux de jauge brute et que sa longueur enregistrée est inférieure à 24 m, il n'est pas tenu de se conformer aux normes relatives aux lignes de charge et, par conséquent, n'avait pas de franc-bord «assigné» au moment du naufrage. Les données sur la stabilité incluent seulement les conditions de service de déplacement en charge de 206 litres avec un armement complet, des provisions, les citernes pleines de combustible, les réservoirs d'eau potable remplis et le ballast vide.

Comme on a rempli le ballast alors que toutes les citernes à combustible ainsi que la citerne permanente d'eau douce étaient remplies à pleine capacité, le poids en lourd total et le tirant d'eau moyen au moment du départ étaient supérieurs à ceux indiqués dans les données de stabilité du navire.

En outre, comme le navire n'avait fait l'objet d'aucune modification majeure depuis son lancement en 1955, il était exploité comme un navire existant, et il n'était donc pas tenu de se conformer aux exigences de stabilité à l'état intact et à l'état d'avarie qui sont imposées aux navires neufs en vertu du Règlement sur la construction des coques. Le fait que le ballast ait été plein alors que le navire était exploité à pleine charge équivalait à avoir un compartiment étanche envahi par l'eau à l'arrière de la salle des machines. Toutefois, les calculs faits d'après les détails relatifs au chargement au moment de l'appareillage révèlent que le navire satisfaisait aux critères minimaux exigés par le règlement actuel en matière de stabilité à l'état d'avarie, en cas d'envahissement d'un seul compartiment.

Le capitaine inspecte la remorque et le chaland toutes les demi-heures. Lorsque le chef mécanicien vient faire une pause à la timonerie à 22 hNote de bas de page 1, le navire ne semble pas être dans une mauvaise situation, mais à 22 h 35 le navire est fortement enfoncé de l'arrière et il commence à gîter sur bâbord.

On ignore toujours la source de la voie d'eau ainsi que la cause de l'envahissement du magasin. Sans compter le volume de l'hiloire de l'écoutille et de l'écoutillon, le magasin a un volume d'environ 27,46 m³, soit quelque 27 467 litres. On met en marche la pompe d'assèchement, dont le débit de décharge est de 159 litres à la minute. Après quoi, on décide de vider le ballast. On arrête de pomper dans le magasin, puis on remet la pompe d'assèchement en marche pour vider le ballast. La pompe d'incendie, qui a un débit de décharge de 250 litres à la minute, n'est pas utilisée. On ouvre les robinets de la cuisine, des cabines et des douches pour accélérer l'évacuation de l'eau contenue dans le ballast. Le débit de décharge des deux pompes combinées aurait été de 409 litres à la minute, soit 24 540 litres à l'heure.

Une fois le magasin envahi, il devient le second compartiment envahi à l'arrière de la salle des machines. Les calculs montrent que l'envahissement de ces deux compartiments représente une situation beaucoup plus grave que ce qui est autorisé par les règlements en vigueur.

Lorsque le navire avait été désarmé pour l'hiver 1994, on avait inspecté l'arbre porte-hélice et remplacé la garniture du presse-étoupe intérieur du tube d'étambot, dans la cloison arrière du magasin. L'autre presse-étoupe de l'arbre porte-hélice, situé dans la cloison avant du magasin et adjacent à la salle des machines, était conçu pour fonctionner au sec. Lorsque le navire a été armé au printemps, le magasin a été nettoyé et repeint, et le compartiment est demeuré sec jusqu'à ce que le navire appareille de Sept-Îles. Le 20 mai 1994, Transports Canada a effectué une inspection intermédiaire du navire à Matane (Québec).

La route au 097 (G & V) que le navire a suivie de l'île La Petite Boule jusqu'à Cap-de-Rabast, sur l'île d'Anticosti, longe le haut-fond de Moisie. Bien que, d'après les témoignages, le navire n'ait pas touché le fond ou heurté un objet, on a détecté, en début de soirée, une vibration qui semblait provenir de l'arrière; on ne s'en est toutefois pas inquiété. La position du navire a été relevée toutes les demi-heures à l'aide du radar et du système de positionnement mondial (GPS).

Un exercice d'embarcation et d'incendie avait eu lieu lors de l'inspection annuelle à Matane. Toutefois, les radiobalises de localisation des sinistres (RLS) de classe II n'ont pas été utilisées à cette occasion. à l'aide de l'interphone, le capitaine a rassemblé l'équipage sur le pont des embarcations. On a signalé que les membres de l'équipage n'avaient pas tous compris le message.

Le mécanicien surnuméraire a aussi reçu l'ordre d'informer les membres de l'équipage dans les emménagements, situés dans le gaillard d'avant. Le sifflet manuel n'a pas été utilisé. Tous ont revêtu leurs combinaisons d'immersion, sauf le capitaine qui a enfilé un vêtement de flottaison individuel (VFI) dans l'embarcation de sauvetage. Les combinaisons munies de moufles intégrées ont gêné le lancement des engins de sauvetage.

Analyse

En l'absence de plus amples renseignements concernant la stabilité et le franc-bord du navire, on recommande aux opérateurs de garder le ballast vide en condition de déplacement en charge et de ne pas excéder ce chargement sans consulter l'architecte-concepteur. Comme le remorqueur était conçu pour servir dans les ports, la capacité de sa citerne d'eau douce était limitée. Pour augmenter la réserve d'eau potable du bord pendant les longs voyages, l'équipage du moment et ceux qui l'avaient précédé avaient étendu une mince couche de ciment à l'intérieur du ballast qu'ils remplissaient d'eau douce.

Des photographies prises peu avant le début du dernier voyage du navire montrent que celui-ci satisfaisait au critère relatif à l'envahissement d'un seul compartiment étanche, qui est imposé dans la réglementation actuelle. Cette réglementation précise qu'aucune partie du pont principal ne doit être submergée lorsqu'un seul compartiment étanche à l'arrière de la salle des machines est envahi, et exige que le navire puisse maintenir une flottabilité et une stabilité transversale positives.

On croyait que la tuyauterie qui sert pour l'évacuation à la mer de la pompe d'assèchement et de la pompe d'incendie était trop petite pour qu'on puisse faire fonctionner les deux pompes en même temps. On a perdu un temps précieux lorsqu'on a arrêté la pompe d'assèchement pour modifier la position des vannes en vue de pomper l'eau du ballast. Les éléments de preuve recueillis indiquent que l'envahissement du magasin s'est produit entre 22 h et 22 h 35, soit en l'espace d'une demi-heure environ. Comme le magasin contenait quelque 27 776 litres d'eau, le rythme d'envahissement a dû être supérieur à 54 552 litres à l'heure. Or, un tel débit dépasse la capacité hydraulique de l'installation de pompage.

Une colonne d'eau maximale de plus de 2,13 m s'est accumulée dans le magasin lorsque celui-ci a été envahi, et le presse-étoupe de l'arbre principal, contre la cloison, n'a pas empêché l'envahissement progressif de la salle des machines.

à bord des petits navires, on a tendance à appeler individuellement chaque membre de l'équipage lorsqu'une situation d'urgence se présente. Il faut alors répéter le message d'urgence, ce qui fait perdre un temps précieux. Si on donne plutôt le signal approprié à l'aide du sifflet du navire, il est moins difficile de rassembler tout l'équipage, et tous les membres de l'équipage disposent ainsi du même temps pour se rendre aux engins de sauvetage.

La RLS de classe I avait été armée correctement et elle a bien fonctionné lorsqu'elle est remontée à la surface. Par contre, les RLS de classe II n'ont pas été emportées à bord de l'embarcation de sauvetage comme on aurait dû le faire par mesure de précaution.

Deux des combinaisons d'immersion, faites par le même fabricant, ont été particulièrement appréciées du fait que les bottes s'ajustaient bien et que les moufles étaient séparées des manches. Il a donc été possible de manipuler à main nue les engins de sauvetage, ce qui a facilité le lancement de l'embarcation de sauvetage.

Faits établis

  1. Le ballast était censé rester vide dans des conditions de service à pleine charge, mais il était rempli d'eau potable.
  2. Le remorqueur avait fait l'objet d'une inspection intermédiaire de Transports Canada au début de la saison de navigation.
  3. Au moment de l'appareillage, le poids en lourd total et le tirant d'eau moyen étaient supérieurs à ceux indiqués dans les données de stabilité pour le navire chargé à plein.
  4. Le magasin a été le premier compartiment à être envahi.
  5. On ignore toujours la source de la voie d'eau ainsi que la cause de l'envahissement du magasin.
  6. L'installation de pompage du bord n'a pas été utilisée à son maximum.
  7. Le débit de l'envahissement était supérieur à la capacité de pompage du navire.
  8. Les RLS de classe II n'ont pas été utilisées.

Causes et facteurs contributifs

Le «J MANIC» a fait naufrage à cause d'une voie d'eau qui a graduellement réduit la stabilité longitudinale et la réserve de flottabilité du navire. Le franc-bord et la réserve de flottabilité ont été réduits lorsqu'on a rempli le ballast d'eau douce. On ignore toujours la source de la voie d'eau ainsi que la cause de l'envahissement du magasin.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Maurice Harquail.