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Rapport d'enquête maritime M97L0076

Renversement
du bateau-pilote « NAVIMAR V »
dans le port de Québec (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Afin de remplacer le pilote qui était de service à bord du « NAVIOS MINERVA » depuis Les Escoumins (Québec), le bateau-pilote « NAVIMAR V » s'approche du vraquier au large de la station de pilotage de Québec (Québec) un peu avant 1 h. Deux pilotes du secteur Québec / Trois-Rivières montent dans l'échelle de coupée, mais avant qu'ils atteignent le pont du navire, le bateau-pilote s'enfourne et refait surface à l'envers.

Le capitaine du bateau-pilote se retrouve coincé dans un compartiment et le matelot est projeté à l'eau. Le navire de la Garde côtière canadienne « STERNE » est dépêché sur les lieux et repêche le matelot, qui a grimpé sur la coque retournée, et le capitaine, qui a nagé vers la surface. Le « STERNE » ramène les naufragés à la base de la Garde côtière canadienne où une ambulance les attend pour les transporter à l'hôpital. Les deux membres d'équipage souffrent d'hypothermie et de choc nerveux, mais ils reçoivent leur congé de l'hôpital quelques heures plus tard. Le « NAVIMAR V » dérive sur le fleuve Saint-Laurent jusqu'au large de l'embouchure de la rivière Saint-Charles, où il coule par une trentaine de mètres de fond. La pollution créée par le bateau-pilote est jugée mineure.

Le Bureau a déterminé que le bateau-pilote « NAVIMAR V » s'est renversé parce qu'en s'approchant du « NAVIOS MINERVA », il a rattrapé une vague créée par le navire, il a basculé sur la crête de cette vague puis il a accéléré vers le creux de la vague suivante avant de s'enfourner. L'étrave submergée a ralenti le bateau-pilote mais, sous son élan, le bâtiment a continué de basculer jusqu'à ce qu'il se renverse. La décision d'utiliser l'échelle de coupée au lieu de l'échelle de pilote dont le navire était muni a joué un rôle dans l'accident.

This report is also available in English .

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Name « NAVIMAR V »
Numéro officiel 320195
Port d'immatriculation Québec, (Québec)
Pavillon Canada
Type Bateau-pilote
Jauge bruteNote de bas de page 1 12 tonneaux
Longueur 9,9 m
Tirant d'eau Av.: 0,64 m
Ar.: 1,04 m
Cargaison Aucune
Équipage 2 personnes
Passagers 2 pilotes
Construction 1963, North Vancouver, (C.B.)Note de bas de page 2
Groupe propulseur 2 moteurs diesel produisant 313 kW
Propriétaires Les Croisières Navimar Inc.

1.1.1 Renseignements sur le « NAVIMAR V »

Le bateau-pilote, qui est construit entièrement en aluminium, a une coque à bouchains vifs et un déflecteur d'eau de part et d'autre de la proue. On retrouve sous le pont arrière deux compartiments, chacun accessible par une écoutille. À l'arrière, on retrouve des soutes à combustible et un appareil à gouverner qui actionne deux gouvernails; au milieu, il y a deux machines qui entraînent les deux hélices. Sur le pont de transbordement arrière, il y a deux rambardes installées longitudinalement et espacées d'environ 70 cm, qui permettent aux pilotes de tenir la main courante lors des manoeuvres de transbordement. La superstructure s'étend du milieu du bâtiment jusqu'au compartiment de la chaîne d'ancre. Une porte à deux battants vitrés et une descente à l'arrière du compartiment à passagers donnent accès au pont arrière.

1.1.2 Renseignements sur le « NAVIOS MINERVA »

Le « NAVIOS MINERVA » est un vraquier panaméen d'une longueur de 225 m et d'un port en lourd de 68 775 tonnes métriques, qui a été construit au Japon en 1997. La passerelle, les emménagements et la salle des machines se trouvent derrière les sept cales à cargaison. De chaque côté des emménagements, on retrouve une échelle de coupée qui appelle vers l'avant. Le navire est aussi équipé d'une installation pour le transbordement des pilotes de chaque côté du navire à la hauteur des écoutilles nos 5 et 6.

1.2 Déroulement du voyage

Le 6 août 1997, le « NAVIOS MINERVA », avec à son bord 22 membres d'équipage et 50 968 tonnes métriques d'alumine en provenance de Cape Town en Afrique du Sud, remonte le fleuve Saint-Laurent en direction du port de Trois-Rivières (Québec).

À 14 h 14, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 3, à la hauteur du point d'appel 4A, le régulateur du centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Les Escoumins demande au « NAVIOS MINERVA » de préparer l'échelle de coupée tribord pour l'embarquement du pilote. À 15 h 8 au point d'appel 5A, le régulateur du centre des SCTM demande au « NAVIOS MINERVA » de s'approcher à un demi-mille marin de la station de pilotage de Les Escoumins et il rappelle au personnel navigant d'utiliser l'échelle de coupée tribord. À 15 h 34, un pilote du secteur Les Escoumins / Québec monte à bord du navire par l'échelle de coupée, et le navire continue sa route jusqu'au port de Québec sans incident.

À 23 h 55 au large de Sainte-Pétronille (Québec), le pilote appelle le centre des SCTM de Québec, et le navire s'approche de la station de pilotage de Québec. Le 7 août 1997 à 0 h 5, l'allure de la machine principale est réduite à « en avant toute de manoeuvre », puis deux minutes plus tard à « en avant demie ». Entre-temps dans le bassin Louise, deux pilotes de relève du secteur Québec / Trois-Rivières montent à bord du « NAVIMAR V » et prennent place dans le compartiment à passagers. Le bateau-pilote appareille de la station de pilotage, s'engage sur le fleuve Saint-Laurent, longe les quais jusqu'à l'embouchure de la rivière Saint-Charles, puis fait demi-tour vers le large pour rejoindre le « NAVIOS MINERVA ».

Au large du bassin Louise, le bateau-pilote rattrape le vraquier sur son côté tribord. En utilisant les deux machines et à l'aide d'un projecteur, le capitaine manoeuvre le bateau-pilote afin de s'approcher du navire à une quinzaine de mètres à l'avant de l'échelle de coupée. Le loch Doppler du « NAVIOS MINERVA » indique une vitesse sur le fond de huit noeuds. Le capitaine du bateau-pilote appuie l'épaule bâbord de son bâtiment contre la muraille du vraquier. Le matelot du bateau-pilote demande à l'équipage du vraquier de descendre l'échelle de coupée. En réduisant le régime de la machine bâbord, le capitaine du « NAVIMAR V » laisse le navire rattraper son bâtiment jusqu'à ce que l'échelle de coupée surplombe le pont arrière du bateau-pilote. Il observe que les rambardes au centre du pont arrière font obstruction et il ordonne au matelot de faire arrêter la descente de l'échelle de coupée. Le capitaine éloigne l'arrière du bateau-pilote de la muraille du vraquier, puis l'échelle de coupée est descendue à environ 30 cm du pont arrière. Les deux pilotes de relève montent aussitôt dans l'échelle de coupée.

Dans les instants qui suivent, l'arrière du bateau-pilote se soulève soudainement, le bâtiment prend une légère gîte sur tribord, et l'étrave pénètre dans le creux d'une vague. Sur le pont arrière, le matelot remarque que la plate-forme inférieure de l'échelle de coupée se rapproche lentement de la superstructure du bateau-pilote. Le capitaine ordonne aussitôt au matelot de faire relever l'échelle de coupée, ce que l'équipage du vraquier fait immédiatement. Quand il se retourne vers l'avant, le capitaine remarque que l'étrave s'est enfoncée profondément dans la mer. Le niveau de l'eau atteint maintenant la partie supérieure des fenêtres avant de la timonerie. Il place les manettes des deux machines au point mort et il essaie de sortir des emménagements, mais la porte arrière se trouve maintenant au-dessus de lui. Quand la plate-forme inférieure de l'échelle de coupée heurte la manche de ventilation bâbord, le matelot passe par-dessus bord. Le bateau-pilote continue son mouvement de tangage vers l'avant puis, vers 0 h 10, refait surface à l'envers.

Dans l'eau, le capitaine est désorienté dans le noir sous la coque complètement retournée. Il voit de la lumière qu'il croit provenir de la surface et nage dans cette direction, mais il se retrouve dans le compartiment moteur. Pendant ce temps, le matelot, qui porte un vêtement de flottaison, remonte à la surface près de la coque. Un des deux pilotes de relève s'empresse de se rendre à la passerelle du vraquier pour informer l'équipe à la passerelle de la situation. À 0 h 12, il signale l'accident au centre des SCTM de Québec. Le régime de la machine principale du vraquier est réduit à « en avant doucement », et à 0 h 13, la machine est stoppée. Le centre des SCTM transmet l'information au centre secondaire de recherche et sauvetage (SAR) de Québec, et à 0 h 14, le NGCC « STERNE » est dépêché sur les lieux de l'accident au large du poste no 25. Le centre des SCTM joint également la compagnie de remorquage de l'endroit, qui mobilise le remorqueur « DONALD P. ». Entre-temps, le matelot grimpe sur la coque retournée et communique verbalement avec le capitaine coincé dans le compartiment moteur.

Vers 0 h 23, à l'aide de projecteurs, l'équipage du « STERNE » localise la coque du « NAVIMAR V » et repêche le matelot. À l'arrivée du « DONALD P. » sur les lieux vers 0 h 30, on prépare un bossoir pour essayer de remettre le bateau-pilote à l'endroit. À deux reprises, le capitaine essaie de nager vers la surface, mais il est désorienté dans le noir et se retrouve de nouveau dans le compartiment moteur. Vers 0 h 42, on observe de l'air sortir des ouvertures du bateau-pilote, qui commence à tourner sur lui-même. Le capitaine profite de l'occasion pour regagner la surface où il est repêché par l'équipage du « STERNE ». L'unité SAR retourne à la base de la Garde côtière canadienne (GCC) où une ambulance attend les naufragés. Les deux membres de l'équipage souffrent d'hypothermie et de choc nerveux, mais ils reçoivent leur congé de l'hôpital quelques heures plus tard. À 0 h 50, le « DONALD P. », qui est demeuré sur les lieux, signale au centre des SCTM de Québec que le bateau-pilote coule au large de l'embouchure de la rivière Saint-Charles par 30 m de fond. Il a été renfloué le 16 septembre 1997.

1.3 Victimes

Équipage Passagers Tiers Total
Morts - - - -
Disparus - - - -
Blessés graves 1 - - 1
Blessés légers / Indemnes 1 2 - 3
Total 2 2 - 4

1.4 Avaries et dommages

1.4.1 Avaries au bateau-pilote

Les vitres de la superstructure ont été fracassées et l'eau a détruit les instruments et les installations électriques et éélectroniques ainsi que l'isolation. Entre autres, les mèches des gouvernails ont été gauchies, une section du déflecteur d'eau s'est détachée de la coque, et il y avait des marques d'abrasion sur la manche de ventilation bâbord. Néanmoins, il a été possible de lancer les deux machines après le renflouement.

1.4.2 Avaries au navire

Seule la plate-forme inférieure de l'échelle de coupée tribord du « NAVIOS MINERVA » a été gauchie après avoir percuté la manche de ventilation bâbord du « NAVIMAR V ».

1.4.3 Dommages à l'environnement

Selon l'information recueillie, le bateau-pilote a répandu très peu d'hydrocarbures. Le carburant diesel est resté dans les soutes à combustible.

1.5 Certificats et brevets

1.5.1 Certificats du bateau-pilote et du navire

Le « NAVIMAR V » et le « NAVIOS MINERVA » possédaient l'armement en personnel, les certificats et l'équipement qu'ils étaient tenus d'avoir en vertu de la réglementation en vigueur.

1.5.2 Brevets du personnel

Le capitaine du « NAVIMAR V » est titulaire du brevet nécessaire pour commander un bateau effectuant un service de pilotage en eaux secondaires de classe II.

Le capitaine et les officiers de quart du « NAVIOS MINERVA » sont titulaires des brevets nécessaires pour la catégorie de navire sur lequel ils naviguent ainsi que pour le type de voyage effectué.

1.5.3 Brevet du pilote

Le pilote à bord du « NAVIOS MINERVA » est titulaire d'un brevet de pilote valide pour la jauge du navire dont il assurait la conduite ainsi que pour le secteur du fleuve Saint-Laurent où il travaillait.

1.6 Antécédents du personnel

1.6.1 Le capitaine du bateau-pilote

Le capitaine du bateau-pilote comptait 46 années d'expérience de la navigation et exerçait ses fonctions de capitaine du « NAVIMAR V » depuis 1989. Depuis ce temps, il avait effectué plus de 4 000 affectations de transbordement de pilotes. La veille de l'accident, il s'était couché vers 19 h, et il s'était levé vers 7 h le 7 août 1997. Il avait pris une consommation alcoolique au milieu de la journée, puis vers 18 h 15, il s'était présenté à la station de pilotage.

1.6.2 Le capitaine du navire

Le capitaine naviguait depuis 18 ans et exerçait ses fonctions de commandant du « NAVIOS MINERVA » depuis le 30 mars 1997.

1.6.3 Le pilote du navire

Le pilote possédait 43 années d'expérience de la navigation et exerçait ses fonctions de pilote depuis 1966. Comme le « NAVIOS MINERVA » était un navire neuf, c'était la première fois que le pilote en assurait la conduite.

1.7 Renseignements sur les conditions météorologiques et les courants

1.7.1 Prévisions météorologiques

Dans le port de Québec le 7 août 1997, le temps était clair, le vent faible et la mer peu agitée.

1.7.2 Prévisions de marée

Comme l'accident est survenu vers 0 h 10 le 7 août 1997, soit environ 2 heures et 40 minutes après la prévision de marée haute, les deux bâtiments étaient en présence d'un courant de jusant au moment du transbordement.

1.7.3 Prévisions de courants

Selon la publication de Pêches et Océans Canada intitulée Atlas des courants de marée, de deux à trois heures après la pleine mer à Québec, le vecteur courant au large du bassin Louise a une intensité de trois ou quatre noeuds et une direction d'environ 060 °V. Ces paramètres sont basés sur des conditions climatiques moyennes.

1.8 Navigation

1.8.1 Instruments de navigation

Les instruments de navigation des deux navires étaient en bon état de fonctionnement.

1.8.2 Pilotage

Grâce aux bonnes conditions de visibilité, la conduite à bord du navire et du bateau-pilote se faisait par observation visuelle pour effectuer l'approche entre les deux bâtiments et le transbordement des pilotes.

1.9 Communications

1.9.1 Communications entre le navire et le centre des SCTM

Le 6 août 1997 à 14 h 14, le « NAVIOS MINERVA » a appelé au point d'appel au large de Pointe-à-Michel (Québec). Le centre des SCTM de Les Escoumins a alors demandé à l'équipage de préparer l'échelle de coupée tribord pour recevoir le pilote. À 15 h 8, le personnel navigant a appelé au point d'appel suivant au large de la Pointe-au-Boisvert (Québec) et le régulateur du centre des SCTM a demandé confirmation que l'échelle de coupée tribord avait été préparée et a demandé au navire de s'approcher de la station de pilotage de Les Escoumins à cinq encablures de la côte.

Le vraquier a par la suite continué à remonter le fleuve Saint-Laurent jusqu'au port de Québec sans problème de communication. Après l'accident à 0 h 12 min 12 s, un des pilotes de relève du secteur Québec / Trois-Rivières a signalé l'accident au centre des SCTM de Québec alors que le « NAVIOS MINERVA » faisait route à vitesse réduite dans le port de Québec.

1.9.2 Communications entre le navire et le bateau-pilote

Une réécoute de l'enregistrement radio très haute fréquence (VHF) à partir de 0 h 0 min 1 s le 7 août 1997 a permis de confirmer qu'il n'y avait eu aucune communication radio entre le « NAVIMAR V » et le « NAVIOS MINERVA ». Étant donné que ni le capitaine du bateau-pilote, ni le pilote à bord du vraquier ne prévoyaient de difficulté lors de la manoeuvre de transbordement, ils n'ont pas cru bon d'établir le contact par radiotéléphone pour déterminer le moment d'effectuer l'approche et le transbordement des pilotes, et aucun règlement ne les obligeait à le faire.

1.9.3 Communications entre le pilote et le personnel navigant

Il n'y a pas eu de mauvaise interprétation des ordres de barre et d'allure en manoeuvre à bord du « NAVIOS MINERVA ».

1.10 Le bateau-pilote « NAVIMAR V »

1.10.1 Refonte

Le bateau-pilote avait été acheté en 1988 pour assurer un service de pilotage dans le port de Québec. Auparavant, ce bâtiment servait de bateau de service dans les environs de Vancouver. Durant l'hiver 1993, on a raccourci sa superstructure pour agrandir le pont arrière du bâtiment et convertir l'échappement des machines principales en une installation humide. En 1996, une autre refonte a été effectuée pour améliorer la stabilité transversale et corriger l'assiette négative. La coque a alors été élargie de 3,05 m à 3,76 m, et la machine d'origine a été remplacée par deux unités de 210 HP installées plus bas et vers l'arrière. Les soutes à combustible ont été déplacées vers l'arrière. On a également augmenté le volume de la proue et ajouté un déflecteur d'eau.

Un incident s'était produit au printemps 1997. Ce jour-là, un fort vent du secteur est avait donné lieu à une mer agitée au large de Sainte-Pétronille. Alors qu'il s'approchait d'un navire montant pour effectuer un transbordement de pilote, l'étrave du bateau-pilote avait soudainement pénétré dans la mer. Le capitaine avait alors réduit l'allure des machines et l'avant du bateau-pilote avait refait surface. Une seconde approche avait alors été effectuée sans incident. Par suite de cet incident, le propriétaire avait fait ajouter environ 800 kg de lest en béton à l'arrière du bateau près de l'appareil à gouverner. Selon l'information recueillie, l'ajout du lest a permis d'améliorer le comportement dynamique longitudinal peu satisfaisant du bâtiment, mais n'a pas permis d'éliminer complètement le problème. L'ajout de lest solide n'a pas été signalé à Transports Canada tel qu'exigé.

1.10.2 Critères de sélection pour les bateaux-pilotes

Tous les cinq ans, l'Administration de pilotage des Laurentides (APL) fait un appel d'offres pour les services de bateaux-pilotes dans les ports de Québec et de Trois-Rivières. Les soumissionnaires doivent se conformer aux spécifications de l'APL. Les critères de sélection portent notamment sur les matériaux de construction, la longueur et la largeur de la coque, le type de propulsion et la vitesse, le groupe électrogène, les instruments de navigation et le nombre de personnes que le bateau peut transporter. Les exigences de l'APL se basent sur les Normes concernant les bateaux-pilotes, TP 10531, publiées en 1989 par Transports Canada, normes qui ne traitent que superficiellement de l'ergonomie du poste de pilotage et de l'emplacement et du nombre de ponts d'embarquement et de débarquement. Les critères concernant le champ de vision au poste de barre et les exigences au niveau de la stabilité sont sommaires.

1.10.3 Exigences réglementaires en matière d'inspection

La plupart des bateaux-pilotes sont aussi des navires à passagers qui ne transportent que peu de passagers et dont la jauge est faible, ce qui signifie que les exigences réglementaires qui s'appliquent à ces bâtiments, pour ce qui est notamment de la jauge et du type de voyage qu'ils peuvent effectuer, sont les exigences qui s'appliquent aux navires à passagers qui ne transportent pas plus de 12 passagers et ne sont pas des exigences pour le service de pilotage proprement dit. Ces petits bâtiments ont tendance à déjauger à pleine vitesse, mais les exigences réglementaires stipulées à la STAB. 6 des Normes de stabilité, de compartimentage et de lignes de charge, TP 7301, ne portent sur aucune des caractéristiques qui pourraient avoir une incidence sur le comportement dynamique longitudinal.

Le « NAVIMAR V » n'était pas tenu d'avoir un cahier de stabilité. Transports Canada a exigé des données sur la stabilité statique après la refonte de 1996 et a dispensé le navire de faire l'objet d'un essai de stabilité aux fins de certification. Le bâtiment étant considéré comme un bateau-pilote et un navire à passagers, le certificat d'inspection dont il faisait l'objet le limitait à faire des voyages en eaux secondaires de classe II comme bateau-pilote.

1.10.4 L'équipage

Ce bateau-pilote est exploité 24 heures sur 24 par quatre équipages comprenant chacun un capitaine et un matelot. Ces équipages effectuent quelque 3 500 transbordements par année.

1.10.5 Visibilité au poste de barre

Le pont arrière sert de pont d'embarquement et de débarquement et la timonerie se trouve à l'avant de la superstructure. Au moment de l'événement, le capitaine était au poste de barre et son champ de vision vers l'arrière était partiellement obstrué par le compartiment à passagers. Dans les instants qui ont précédé l'accident, l'attention du capitaine était concentrée sur le transbordement des deux pilotes vers le vraquier et, selon l'équipage, rien ne laissait présager l'accident.

1.11 Le navire « NAVIOS MINERVA »

1.11.1 L'échelle de coupée

Chacune des hanches du navire a une échelle de coupée d'une longueur de 12,1 m fixée à une plate-forme sur pivot à peu près à mi-chemin entre le tableau arrière et l'avant des emménagements. À cet endroit, la muraille du navire est arrondie. L'échelle de coupée de chaque côté du navire appelle vers l'avant et la plate-forme inférieure de l'échelle ne repose pas contre la muraille mais fait saillie de plus d'un mètre du bordé.

1.11.2 L'échelle de pilote

Conformément à la réglementation internationale, le navire est également muni d'une installation conçue pour le transbordement des pilotes de chaque côté du navire près des écoutilles nos 5 et 6. En raison du franc-bord élevé que le navire peut avoir à l'état lège, l'installation comprend un ensemble échelle de coupée et échelle de pilote. Cet ensemble d'échelles permet au pilote de monter dans une échelle de cordage jusqu'à trois à neuf mètres au-dessus du bateau-pilote avant de changer d'échelle pour gravir les marches de la seconde échelle.

1.11.3 Visibilité à partir de la passerelle

Tout bateau-pilote manoeuvrant le long de la muraille ne peut pas être vu par une personne à partir de la fenêtre centrale de la passerelle; toutefois, on a une bonne vue du bateau-pilote si on se place sur l'aileron.

1.11.4 Allure en manoeuvre

Les ordres de la passerelle sont transmis à la salle des machines à l'aide du transmetteur d'ordres. Lorsque le navire est chargé, les allures en manoeuvre correspondent aux vitesses suivantes :

Allure en manoeuvre Vitesse
En avant toute (manoeuvre) 10,2 noeuds
En avant demie 7,1 noeuds
En avant doucement 6,3 noeuds
En avant très lentement 5,4 noeuds

Selon le chargement transporté, le personnel navigant estime que l'allure à « en avant toute » (mer) est d'environ 12,5 noeuds.

1.11.5 Enregistreur de données de la machine principale

Une vérification de la minuterie de l'enregistreur de données de la machine principale a révélé que le temps enregistré était l'heure locale exacte et que le fuseau horaire était celui en vigueur. Les données enregistrées révèlent que les changements d'allure suivants ont eu lieu :

Allure Date Heure
En avant toute (mer) 6 août 1997 23:02,5
En avant toute (manoeuvre) 7 août 1997 00:05,0
En avant demie 7 août 1997 00:07,5
En avant doucement 7 août 1997 00:12,0
Stop 7 août 1997 00:13,0

1.12 Service de pilotage

1.12.1 Utilisation de l'échelle de pilote

Le Règlement sur les échelles de pilote et dispositifs de hissage de pilotes à bord des navires pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada ne s'appliquait pas au « NAVIOS MINERVA » battant pavillon panaméen parce que le règlement canadien ne s'applique qu'aux navires canadiens. L'administration responsable du navire, le Panama, est signataire de la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS). Or, la règle 17, chapitre 5, de la Convention SOLAS exige qu'on utilise l'échelle de pilote pour le service de pilotage. L'Association internationale des pilotes maritimes préconise elle aussi l'utilisation de l'échelle de pilote. L'édition annuelle des Avis aux navigateurs, un document publié par Pêches et Océans Canada et qui est tenu d'être à bord de tous les navires dans les eaux sous juridiction canadienne abonde également dans ce sens. Ce document renferme un avis aux navigateurs étrangers qui demande de se conformer aux exigences de la Convention SOLAS.

Le « NAVIOS MINERVA » avait un tirant d'eau de 10,85 m et un franc-bord d'environ 7,45 m. Puisque le vraquier avait un franc-bord inférieur à 9 m, les pilotes pouvaient facilement se servir de l'échelle de pilote pour monter à bord au lieu d'avoir recours à l'échelle de coupée.

1.12.2 Utilisation de l'échelle de coupée

Dans les zones de pilotage obligatoire du fleuve Saint-Laurent, la plupart des pilotes utilisent l'échelle de coupée pour monter à bord des navires. Cette pratique de transbordement des pilotes remonte à plusieurs décennies alors que la plupart des navires avaient des emménagements au milieu du pont principal. C'est pourquoi les pilotes avaient demandé que le centre des SCTM informe les équipages étrangers de cette pratique particulière lorsque ceux-ci appellent aux deux points d'appel en aval de la station de pilotage de Les Escoumins.

Dans le cas à l'étude, on ne s'est pas servi de l'ensemble d'échelles conçu pour le transbordement des pilotes qui se trouve au milieu du navire parce que le centre des SCTM avait demandé à l'équipage du vraquier de préparer l'échelle de coupée tribord. Par ailleurs, le personnel navigant n'a pas informé le centre des SCTM que le navire était également muni d'une installation d'embarquement et de débarquement des pilotes au milieu du navire.

1.12.3 Vitesse des bâtiments durant le transbordement

Les mouvements du « NAVIMAR V » et du « NAVIOS MINERVA » dans le port de Québec ont été captés par radar et enregistrés par un traceur vidéo du centre des SCTM de Québec. On a donc pu établir la vitesse approximative des deux bâtiments pendant les manoeuvres d'approche et de transbordement des deux pilotes. Entre 0 h 6 min 8 s et 0 h 10 min 56 s, le « NAVIOS MINERVA » s'est déplacé de quelque 0,64 mille marin, ce qui donne une vitesse sur le fond de huit noeuds. Le système d'aide au pointage radar automatique (APRA) du traceur vidéo a permis de déterminer la dérive du remorqueur « DONALD P. » le long du « NAVIMAR V » après l'accident; il indique un mouvement dans la direction 031 °V à une vitesse de 1,9 noeud. Ainsi, en présence d'un courant de jusant, le transbordement des pilotes s'est effectué à une vitesse-surface d'environ 9,9 noeuds.

La vitesse et le cap ont un effet plus prononcé sur le comportement d'un petit bâtiment que sur celui d'un gros bâtiment dans une mer comparable. Un petit bâtiment qui fuit devant la mer ne fait pas route à une vitesse uniforme, mais est porté à accélérer et à décélérer sur la crête et le creux des vagues. Si le petit bâtiment perd son synchronisme par rapport aux vagues, sa petite masse et l'inertie peuvent engendrer un changement de vitesse important entre les crêtes, de sorte que l'erre d'un petit bâtiment peut fluctuer beaucoup plus que l'erre d'un gros bâtiment dans des conditions semblables et à une vitesse similaire.

1.12.4 Système de gestion de la sécurité

Même si le propriétaire du bateau-pilote n'était pas tenu de se conformer au Code international de gestion de la sécurité adopté par l'Organisation maritime internationale (OMI), il avait mis en place un système de gestion de la sécurité à bord de ses bateaux-pilotes. Le code de pratique de transbordement des pilotes de la compagnie s'inspire du code préparé par la British Ports Federation.

Le paragraphe 3.1 du code de la compagnie stipule que le capitaine du bateau-pilote doit choisir l'endroit où le transbordement se fera, et dans la mesure du possible, s'entendre avec le pilote du navire à ce sujet. Le chapitre 4 du code énumère les étapes à suivre durant l'approche dont, entre autres, le fait qu'il faut communiquer avec le navire par radiotéléphone VHF pour échanger les renseignements nécessaires pour effectuer le transbordement en toute sécurité. Au Canada, il n'y a aucune norme réglementaire ou code de pratique concernant les dispositions à prendre pour le transbordement des pilotes.

2.0 Analyse

2.1 Le transbordement

Le bateau-pilote s'est approché du vraquier sans s'être entendu avec le pilote qui assurait la conduite du navire. Contrairement au capitaine du bateau-pilote, le pilote à bord du gros navire a une meilleure perspective et est donc mieux placé pour décider du moment opportun pour le transbordement. Le pilote peut contrôler la vitesse et le cap du navire pour tenir compte du trafic dans les parages; le capitaine du bateau-pilote n'est pas en mesure d'en faire autant.

Le transbordement des pilotes s'est fait à une vitesse-surface approximative de 9,9 noeuds, laquelle est supérieure à la coutume. Il n'existe pas de plage de vitesse réglementaire pour les manoeuvres d'approche et de transbordement des pilotes. En l'absence d'une norme à ce sujet, les pilotes et les équipages des bateaux-pilotes doivent s'en remettre au bon usage marin et tenir compte des caractéristiques opérationnelles du bateau-pilote.

2.2 Choix de l'échelle pour le transbordement

Les régulateurs du trafic maritime des SCTM demandent aux équipages des navires étrangers d'utiliser l'échelle de coupée, mais cette pratique n'est pas conforme à la réglementation internationale et canadienne. Depuis plusieurs décennies sur le fleuve Saint-Laurent, la coutume veut que les pilotes utilisent l'échelle de coupée plutôt que l'échelle de pilote, sauf dans des conditions exceptionnelles nécessitant une dérogation à cette pratique.

Il est plus facile de grimper dans une échelle de coupée que dans une échelle de pilote, mais l'échelle de coupée présente des inconvénients, notamment quand elle est située sur la hanche du navire. Depuis les années 70, la plupart des échelles de coupée sont installées au droit des emménagements sur la hanche des navires et elles appellent habituellement vers l'avant. En conséquence, le bateau-pilote ne peut pas s'appuyer parallèlement à la muraille du navire durant le transbordement. Il est alors difficile de maintenir le pont de transbordement du bateau-pilote en position au-dessous de la plate-forme inférieure de l'échelle de coupée. Il est plus périlleux pour le pilote de monter sur la plate-forme inférieure ou d'en descendre lorsqu'elle est éloignée de la muraille du navire et qu'elle oscille pendant le transbordement.

L'échelle de pilote conforme aux normes canadiennes et internationales est normalement déployée verticalement sur la partie parallèle de la muraille du navire, ce qui permet au bateau-pilote de faire une approche stable et en toute sécurité. L'échelle de pilote en cordage présente cependant certains inconvénients. Elle est abrupte à grimper et demande un effort physique plus grand aux pilotes, surtout lorsque le franc-bord est élevé. La forme physique de certains pilotes et/ou le port de vêtements encombrants en hiver sont des facteurs qui peuvent gêner le pilote quand il monte dans l'échelle de pilote ou qu'il en descend. En outre, lorsque l'installation comprend un ensemble échelle de coupée et échelle de pilote, le pilote doit transférer son poids d'une échelle à l'autre. Il arrive parfois que la plate-forme inférieure de l'échelle de coupée ne soit pas bien supportée, ce qui présente un autre danger pour le pilote.

Le « NAVIOS MINERVA » était muni d'une échelle de pilote au milieu du navire, mais l'équipage ne l'a pas déployée parce que le centre des SCTM de Les Escoumins lui avait demandé de préparer l'échelle de coupée. Dans le cas à l'étude, il aurait sans doute été plus prudent de se servir de l'ensemble d'échelles pour effectuer le transbordement des pilotes.

2.3 Exigences réglementaires relatives à la construction et à la stabilité

Le rôle de Transports Canada consiste, sans toutefois s'y limiter, à examiner et à approuver les plans d'exécution, les données sur la stabilité, ainsi que l'inspection subséquente des navires existants ou proposés, en vue d'assurer que les navires respectent les exigences réglementaires applicables. Une telle approbation est fondée sur la pertinence des données de conception présentées. La précision des données présentées incombe au propriétaire et/ou à son architecte naval. En conséquence, l'approbation de l'organisme de réglementation n'est pas liée expressément à l'efficacité opérationnelle ou aux performances du navire une fois terminé.

Le respect des critères de stabilité réglementaires minimums établis permet d'assurer que les petits navires possèdent ce qu'on reconnaît généralement comme des caractéristiques de stabilité transversale acceptables pour une vaste gamme de conditions de chargement en service liées à leur service habituel.

La stabilité à l'état intact qu'assurent les critères réglementaires est telle qu'elle permet habituellement d'assurer que le navire a également des marges de stabilité de réserve pour pouvoir affronter le mauvais temps et ses effets dynamiques sur le navire ou tout autre facteur externe défavorable auquel on peut s'attendre en exploitation normale.

Toutefois, les critères actuels sont surtout axés sur la stabilité transversale et ne porte pas sur la stabilité dynamique longitudinale ni sur le comportement dynamique longitudinal qui pourraient être importants pour les petits navires qui naviguent habituellement à une allure relativement élevée à proximité de navires plus gros.

2.4 Exigences opérationnelles

En vertu des exigences opérationnelles auxquelles le « NAVIMAR V » est assujetti, le bateau-pilote doit pouvoir atteindre une vitesse de coque relativement élevée afin que le transit entre la station de pilotage et le lieu de transbordement avec les gros navires s'effectue rapidement. Le bateau-pilote doit pouvoir atteindre une vitesse de coque relativement élevée. La manoeuvre de transbordement des pilotes exige également que le bateau-pilote puisse rattraper facilement le navire, qu'il soit capable de demeurer stable à une vitesse constante le long du navire et qu'il puisse s'éloigner du navire quand le transbordement est terminé. Ces exigences opérationnelles déterminent la forme de la coque, la masse du bateau et le groupe moteur nécessaires pour effectuer un changement de vitesse à partir d'un enfoncement à la flottaison, en passant par un demi-enfoncement jusqu'à déjauger complètement à une vitesse de pointe.

Lorsqu'un petit bâtiment passe d'une faible vitesse à une vitesse qui lui permet de déjauger complètement, le comportement dynamique longitudinal fait en sorte qu'une assiette positive et une résistance à la vague maximum se produisent avant que la force hydrodynamique qui se développe soit suffisante pour soulever la coque jusqu'au déjaugeage.

En raison de sa longueur, de la forme de sa coque, de son enfoncement et de son groupe moteur, le « NAVIMAR V » atteignait son assiette positive maximum à 10 noeuds environ. Cette vitesse correspond à la vitesse-surface du bateau-pilote au moment de l'accident. Par conséquent, le bateau-pilote se trouvait dans une position délicate alors qu'on le maintenait en poste le long du navire et qu'il naviguait à proximité de la crête d'une vague produite par le vraquier. Tout changement de vitesse entre les deux bâtiments pouvait faire en sorte que le bateau-pilote rattrape la vague puis bascule au passage de la crête et accélère dans le creux de la vague et que son étrave pénètre dans la mer. Par suite de cette résistance soudaine à l'erre avant, le bateau-pilote aurait ralenti et pénétré davantage dans la mer alors que le vraquier produisait toujours un train de vagues à la vitesse de 10 noeuds.

Bien que la tendance soit d'effectuer les transbordements de pilotes à des vitesses plus élevées, le fait d'exécuter les transbordements à des vitesses plus basses permettrait de réduire la hauteur du train de vagues produites par les navires plus gros et permettrait également de réduire considérablement les effets néfastes associés au comportement dynamique négatif des bateaux-pilotes. Ces derniers assureraient donc le service à une vitesse de transition d'enfoncement moindre.

2.5 Conception des bateaux-pilotes

Il est difficile de penser qu'un bateau-pilote puisse être complètement à l'épreuve des chavirements ou ne puisse pas s'enfourner, mais les critères de conception des bateaux-pilotes doivent répondre aux besoins de l'industrie et des administrations de pilotage. En stipulant des normes de conception réglementaires mieux adaptées au service de pilotage, Transports Canada pourrait minimiser les accidents susceptibles de se produire lors de situations périlleuses. Bien que Transports Canada ait des normes pour les bateaux-pilotes, les critères de stabilité de ces normes ne couvrent pas tous les aspects du comportement dynamique des petits bâtiments comme le « NAVIMAR V ». Par ailleurs, dans son Devis pour la fourniture d'un service de transbordement de pilotes dans le port de Québec, l'APL énonce les exigences minimales de construction relatives aux bateaux-pilotes. Le paragraphe 5.10 précise que tout bâtiment doit être équipé selon les Normes concernant les bateaux-pilotes, TP 10531 de Transports Canada, ou pouvoir être exploité d'une façon aussi sûre et efficace que s'il était équipé selon ces normes. L'événement à l'étude montre que ces normes ne répondent pas tout à fait aux exigences opérationnelles actuelles relatives aux bateaux-pilotes. Les bateaux-pilotes plus récents disposent généralement d'une aire d'embarquement plus vaste à l'avant qu'à l'arrière de la timonerie, ce qui permet au capitaine de surveiller plus facilement le transbordement. En outre, la tendance actuelle est d'exploiter les bateaux-pilotes à des vitesses plus élevées lors des transbordements. En conséquence, une attention particulière doit être portée au comportement dynamique longitudinal lors de la conception des bateaux-pilotes afin d'assurer leur exploitation en toute sécurité pendant le changement de vitesse (enfoncement, transition, déjaugeage).

Mises à part les normes stipulées dans le document TP 10531, il existe peu de documentation de référence concernant la conception et l'exploitation des bateaux-pilotes au Canada. Les exigences de Transports Canada et de l'APL concernant les données de stabilité et de gabarit sont minimales. Après examen des dimensions d'un bateau-pilote, Transports Canada peut exempter le propriétaire du bâtiment de l'obligation de fournir des données de stabilité.

On semble avoir utilisé la méthode d'essais et d'erreurs lors des refontes du « NAVIMAR V ». Les refontes effectuées en 1993, en 1996 et au printemps 1997, avant l'accident à l'étude, n'ont pas permis de corriger toutes les lacunes perçues en matière de comportement dynamique. Une autre refonte a été effectuée après le renflouement en 1998 pour corriger de nouveau les caractéristiques nuisibles de l'assiette positive.

Il incombe aux administrations de pilotage qui établissent les paramètres de service et de performance pour les bateaux-pilotes de s'assurer que les bâtiments répondent aux besoins pour les conditions d'exploitation prévues. Avec sa voûte large, ses bouchains carrés et son fond relativement plat, le « NAVIMAR V » était susceptible d'avoir un comportement dynamique nerveux quand il était exploité à une vitesse de demi-enfoncement en rattrapant une vague ou en fuyant devant la mer.

Au niveau du plan d'ensemble, la tendance actuelle en matière de conception est de placer le poste de barre du bateau-pilote au milieu du pont de transbordement. Rien ne permettait de penser que le pont arrière du « NAVIMAR V » n'offrait pas une plate-forme de travail stable et sûre pour les pilotes. Cependant, l'ergonomie du « NAVIMAR V » ne permettait pas de faire facilement une bonne évaluation de la situation, car le capitaine devait surveiller la manoeuvre d'approche devant et le transbordement des pilotes qui se déroulait derrière lui. Autrement dit, il devait à la fois regarder vers l'avant pour appuyer l'étrave contre la muraille du navire afin qu'elle ne pénètre pas dans la mer et regarder vers l'arrière pour maintenir le pont arrière au-dessous de l'échelle de coupée. Le document TP 10531 ne tient pas compte de tous ces facteurs.

2.6 Manoeuvrabilité du bateau-pilote

La prudence et la dextérité dont l'équipage doit faire preuve pour manoeuvrer un bateau-pilote sont des facteurs importants dans l'accident à l'étude. Même le plus chevronné des capitaines peut avoir un moment d'inattention. Une manoeuvre d'urgence exécutée pour corriger le comportement du navire peut être aussi néfaste que la conception inadéquate du bâtiment. Le facteur humain fait également partie du système d'exploitation. Tout indique que l'équipage était frais et dispos et possédait beaucoup d'expérience; cependant, la vitesse relativement élevée à laquelle s'est fait le transbordement et les vagues créées par le « NAVIOS MINERVA » ont eu un effet sur le comportement dynamique du bateau-pilote, qui était en position délicate contre la muraille du navire.

L'allure du vraquier a été réduite à « en avant demie » environ trois minutes avant l'approche, mais ce laps de temps n'a pas été suffisant pour casser l'erre du navire avant le transbordement. Le pilote de service a surestimé la décélération du navire. Le vraquier, qui faisait route à une vitesse-surface d'environ 10 noeuds, générait des vagues probablement supérieures à la coutume. Pendant le transbordement, on a manoeuvré le bateau-pilote sur la crête d'une de ces vagues qui était juste à l'avant de la plate-forme de l'échelle de coupée. Du fait que la vitesse de la vague était inférieure à celle du bateau-pilote, ce dernier a accéléré vers le creux de la vague suivante.

Comme l'échelle de coupée était sur la hanche du navire, elle n'était pas appuyée sur la muraille du navire à sa partie inférieure et l'avant du bateau-pilote a dû être appuyé contre la muraille du navire afin de placer le pont arrière au-dessous de l'échelle de coupée. Quand le bateau-pilote a basculé sur la crête de la vague, puis a accéléré vers le creux de la vague, le pont avant a été submergé, ce qui a entraîné la décélération du bateau-pilote par rapport au vraquier. Ceci a permis à la plate-forme inférieure de l'échelle de coupée de rattraper le bateau-pilote et de heurter la manche de ventilation bâbord. Comme le bateau-pilote continuait de s'enfourner, sa proue a agi comme une ancre flottante, amortissant davantage l'erre du bateau-pilote. Sous son élan, le bateau-pilote a continué de basculer jusqu'à ce qu'il se renverse.

3.0 Faits établis

  1. Le centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Les Escoumins a demandé au « NAVIOS MINERVA » de préparer l'échelle de coupée tribord pour l'embarquement du pilote.
  2. En vertu de la réglementation internationale, le navire était tenu d'utiliser une échelle de pilote pour effectuer le transbordement des pilotes.
  3. Les régulateurs du trafic maritime des SCTM ont été avisés d'informer les équipages étrangers d'utiliser l'échelle de coupée à la suite d'une demande des pilotes, mais ceci est contraire à la réglementation internationale.
  4. Le Règlement sur les échelles de pilote et le hissage des pilotes ne s'applique pas aux navires étrangers.
  5. Le navire est muni d'une installation d'embarquement et de débarquement des pilotes au milieu du navire, mais l'équipage a préparé l'échelle de coupée sur la hanche du navire.
  6. En raison de l'emplacement de l'échelle de coupée sur la hanche du navire, la plate-forme inférieure de l'échelle de coupée fait saillie de plus d'un mètre du bordé.
  7. La même échelle de coupée a été utilisée à la station de pilotage de Québec sans que les pilotes ou le capitaine du bateau-pilote ne s'y objectent.
  8. La plupart des pilotes du Saint-Laurent utilisent l'échelle de coupée pour monter à bord des navires.
  9. Le pilote du vraquier et le capitaine du bateau-pilote n'ont pas communiqué par radiotéléphone pour s'entendre sur le moment et le lieu du transbordement.
  10. Au Canada, il n'existe ni normes ni code de pratique concernant le transbordement des pilotes et les fonctions de pilotage.
  11. Le « NAVIOS MINERVA » faisait route à une vitesse-surface d'environ 10 noeuds lors du transbordement. Cette vitesse est supérieure à la coutume. Le pilote a surestimé la décélération du navire.
  12. En raison des rambardes sur le pont arrière du bateau-pilote, on a dû éloigner le bateau-pilote davantage de la muraille du vraquier.
  13. On a manoeuvré le bateau-pilote sur la crête d'une vague créée par le vraquier.
  14. La vitesse des vagues créées par le navire était inférieure à la vitesse du bateau-pilote.
  15. Pendant qu'on essayait de garder le pont arrière du bateau-pilote au-dessous de l'échelle de coupée tout en maintenant le bateau-pilote à un certain angle par rapport au navire, le bateau-pilote est descendu dans le creux de la vague suivante et s'est enfourné.
  16. L'ajout de lest en béton n'a pas éliminé toutes les lacunes liées au comportement dynamique longitudinal du bateau-pilote.
  17. Il existe peu de documentation de référence concernant la conception et l'exploitation des bateaux-pilotes au Canada. Leur évolution semble être le résultat d'expériences survenues dans le cadre de leur exploitation, et le résultat d'essais et d'erreurs.
  18. La réglementation qui stipule les critères d'évaluation relatifs à la stabilité des bateaux-pilotes ne tient pas compte des caractéristiques de comportement dynamique longitudinal des petits bâtiments pendant le changement de vitesse entre l'enfoncement, la transition et le déjaugeage complet en exploitation normale.
  19. Les critères d'inspection et les exigences réglementaires de Transports Canada ne répondent pas tout à fait aux exigences opérationnelles actuelles relatives aux bateaux-pilotes.

3.1 Causes

Le bateau-pilote « NAVIMAR V » s'est renversé parce qu'en s'approchant du « NAVIOS MINERVA », il a rattrapé une vague créée par le navire, il a basculé sur la crête de cette vague puis il a accéléré vers le creux de la vague suivante avant de s'enfourner. L'étrave submergée a ralenti le bateau-pilote mais, sous son élan, le bâtiment a continué de basculer jusqu'à ce qu'il se renverse. La décision d'utiliser l'échelle de coupée au lieu de l'échelle de pilote dont le navire était muni a joué un rôle dans l'accident.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Avis de sécurité

En mars 1998, l'avis de sécurité maritime no 05/98 a été envoyé à l'Administration de pilotage des Laurentides Canada (APL) pour l'informer des lacunes constatées en ce qui concerne la méthode utilisée pour l'embarquement des pilotes sur le fleuve Saint-Laurent.

4.1.2 Nouveaux critères pour l'attribution des contrats

En vue du renouvellement du contrat pour le service de bateau-pilote dans le port de Québec, l'APL a révisé son devis technique et a procédé à un appel d'offres en utilisant des critères de stabilité plus rigoureux pour les bateaux-pilotes. Les soumissionnaires doivent dorénavant fournir les plans du bâtiment qu'ils se proposent d'utiliser. En plus des critères de vitesse, le bateau-pilote doit satisfaire aux exigences de stabilité du niveau STAB. 6 des Normes de stabilité, de compartimentage et de lignes de charge .

4.1.3 Améliorations techniques apportées au bateau-pilote

Durant l'hiver 1997-1998, le propriétaire du « NAVIMAR V » a procédé à une refonte complète du bateau-pilote. Une section du bateau, de l'étrave jusqu'à la cloison avant du compartiment moteur, a été enlevée puis remplacée par une nouvelle partie. On a changé la quille d'origine pour une nouvelle quille une fois et demie plus longue, ce qui a permis de rallonger l'avant du bateau de 2,7 m. La nouvelle partie comprend deux compartiments étanches plutôt qu'un seul et assure une plus grande portée sur l'avant, soit une poussée verticale ascendante additionnelle sur la partie du navire située en avant du centre de gravité longitudinal. Le pont avant agrandi permet d'effectuer les transbordements de pilotes sur l'avant. Les ponts avant et arrière sont munis de deux rambardes placées au centre qui offrent un point d'appui. La timonerie et le compartiment à passagers ont été complètement réaménagés. Une des deux portes arrière a été remplacée par une fenêtre plus large qui donne une meilleure visibilité horizontale. Le bateau-pilote a été équipé de deux diesels Cummins à turbocompresseurs développant 210 HP chacun. La propulsion à hélices jumelées et une conduite assistée combinées à des gouvernails plus gros offrent une meilleure manoeuvrabilité.

4.1.4 Discussions relatives au transbordement des pilotes

Au terme d'une réunion tenue le 12 juin 1998 à laquelle participaient des représentants de Transports Canada, de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central, de la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent et de l'Administration de pilotage des Laurentides Canada, Transports Canada a publié un rapport ainsi qu'une lettre faisant état des deux recommandations suivantes : a) que le transbordement soit annulé si l'échelle de coupée appelle vers l'avant, à moins qu'une échelle de pilote puisse être utilisée pour gravir le premier 1,5 m; et b) que le capitaine à bord du bateau-pilote refuse que le transbordement ait lieu s'il estime que le transbordement ne peut pas se faire dans des conditions satisfaisantes. Il avait été entendu que Transports Canada publierait un Bulletin de la sécurité des navires si les parties parvenaient à un consensus, mais il n'y a pas eu de consensus.

Le 2 mars 1999, la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent a fait savoir au centre des SCTM de Québec que ses pilotes aimaient mieux les dispositions du Règlement sur les échelles de pilote et le hissage des pilotes que celles de la réglementation internationale et qu'elle voulait que ce règlement soit mis en oeuvre même s'il ne s'applique pas aux navires étrangers.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A - Croquis du secteur de l'événement

Annexe B - Photographies

« NAVIMAR V »
« NAVIMAR V »
« NAVIOS MINERVA »
« NAVIOS MINERVA »
« NAVIOS MINERVA »
« NAVIOS MINERVA »

Annexe C - Sigles et abréviations

APL
Administration de pilotage des Laurentides
APRA
aide au pointage radar automatique
ar.
arrière
ASM
avis de sécurité maritime
av.
avant
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
C.-B.
Colombie-Britannique
cm
centimètre
GCC
Garde côtière canadienne
HP
chevaux-vapeur
kg
kilogramme
kW
kilowatt
m
mètre
NGCC
navire de la Garde côtière canadienne
OMI
Organisation maritime internationale
SAR
recherches et sauvetage
SCTM
Services de communications et de trafic maritimes
SI
système international (d=unités)
SOLAS
Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
V
vrai (°)
VHF
très haute fréquence
°
degré