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Rapport d'enquête maritime M99L0098

Échouement
du paquebot Norwegian Sky
au large de l'île Rouge,
dans le fleuve Saint-Laurent (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le paquebot Norwegian Sky faisait un voyage entre Québec (Québec) et Halifax (Nouvelle-Écosse). Le voyage comprenait une croisière sur la rivière Saguenay. En revenant à l'embouchure de la rivière Saguenay, on a observé des baleines dans le fleuve Saint-Laurent vers 11 h 30 heure locale. Pour prolonger la période d'observation des baleines dans le fleuve Saint-Laurent, on a fait une manoeuvre d'évitage au navire, mais celui-ci s'est échoué sur les bancs de l'île Rouge avant la fin de la manoeuvre. Le navire a subi des avaries importantes, mais on a jugé que la pollution était mineure. L'accident n'a pas fait de blessés.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Nom "NORWEGIAN SKY"
Numéro officiel 731038
Port d'immatriculation Nassau, Bahamas
Pavillon Bahamas
Type Paquebot
Jauge bruteNote de bas de page 1 77 104
LongueurNote de bas de page 2 258.57 m
Tirant d'eau Av : 8.07 m
Ar : 8.09 m
Cargaison Aucune
Équipage 787 personnes
Passagers 1923 passagers, 2 pilotes, 1 naturaliste
Construit 1999, Bremerhaven, Allemagne
Groupe propulseur 2 moteurs diesel-électriques, d'une puissance de 30 000 kW
Propriétaires Norwegian Cruise Line, Floride, É.-U.

1.1.1 Description du Norwegian Sky

Le Norwegian Sky est un navire à passagers qui compte 12 ponts et dont le déplacement est de 39 000 tonnes. Il est entré en service le 9 août 1999 à Dover, au Royaume-Uni. Il faisait son voyage inaugural en Amérique du Nord.

Le navire peut accueillir 2 400 passagers et un équipage de 750 personnes. Les engins de sauvetage comprennent, mais sans s'y limiter, des canots de sauvetage pouvant accueillir 2 400 personnes et des radeaux de sauvetage pouvant accueillir 1 600 personnes.

Six génératrices diesels-électriques, produisant 50 700 kW, fournissent l'énergie nécessaire à l'hôtel et aux systèmes de propulsion. Deux propulseurs latéraux arrière et trois propulseurs d'étrave permettent au navire de se déplacer latéralement quand sa vitesse vers l'avant n'excède pas 7 noeuds. Quand le navire fait route, deux hélices à pas variable et deux gouvernails partiellement compensés à volet articulé lui donnent une manoeuvrabilité exceptionnelle à une vitesse normale de 20 noeuds.

1.2 Déroulement du voyage

Le 24 septembre 1999, à 0 h 30, heure avancée de l'estNote de bas de page 3, le Norwegian Sky appareille de Québec (Québec) à destination de Halifax (Nouvelle-Écosse) avec à son bord 2 712 personnes, dont 1 923 passagers et deux pilotes de l'Administration de pilotage des Laurentides (APL). D'après les estimations de la Norwegian Cruise Line, il y avait à bord des gens de 50 nationalités différentes et l'âge moyen des passagers était de 63 ans. Le rapport passagers-membres d'équipage était de 2,4 pour 1. Les pilotes ont estimé leur arrivée à la station pilote Les Escoumins vers 13 h.

Le navire descend le fleuve Saint-Laurent jusqu'à l'embouchure de la rivière Saguenay. Le capitaine relève le second capitaine, tandis que le pilote no 2 relève le pilote no 1. À 7 h, au large de Tadoussac (Québec), le navire prend à son bord un naturaliste qui servira de guide pour les passagers pendant la croisière sur la rivière Saguenay et pendant l'observation des baleines, après le retour du navire sur le fleuve Saint-Laurent.

À 8 h 55, le navire atteint la baie Éternité et réduit sa vitesse à environ six noeuds pour faire demi-tour devant le cap Trinité. Après avoir fait un rapport aux Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Les Escoumins dans la baie Éternité, le pilote confirme au capitaine que les passagers auront le temps d'observer les baleines à l'embouchure du fjord. Le voyage de retour vers le Saint-Laurent se déroule sans incident.

À 11 h 7, le pilote signale aux SCTM de Les Escoumins que le navire a atteint le point de passage du traversier Pointe Noire / Tadoussac et que les passagers vont faire de l'observation de baleines avant de continuer la route vers la station de pilotage. Le pilote remarque un groupe de bateaux d'excursion qui se sont regroupés en aval de l'île Rouge et il a l'intention de les rejoindre comme prévu dans le plan de voyage. La visibilité est bonne, le ciel est ensoleillé, les vents sont légers et la mer est calme. Sous la supervision de l'officier de quart (OQ), un élève-officier (cadet) porte le point sur la carte toutes les cinq minutes environ.

En se servant de l'alignement de Pointe Noire, le pilote dirige le navire vers l'aval du chenal de navigation. Vers 11 h 20, près de la bouée S3, on donne l'ordre de suivre une route au 115°G (l'erreur du gyrocompas est négligeable) vers la bouée K55. Le pilote règle le cercle de distance variable du radar à deux milles marins et demande au capitaine de réduire graduellement la vitesse. Le capitaine actionne les manettes de vitesse et surveille la progression du navire par observation visuelle. Près des bancs de l'île Rouge, vers 11 h 33, le pilote remarque que le phare du haut-fond Prince approche du cercle de distance variable et que les baleines sont maintenant regroupées en aval de la bouée K55. Il ordonne alors au timonier de mettre la barre à gauche de 20°, en direction de la station de pilotage de Les Escoumins. Vers 11 h 41, le navire se trouve sur un cap au 030°V environ, en direction de la station de pilotage. Vers 11 h 48, le pilote constate que les baleines sont sur l'arrière du travers bâbord. Il ordonne alors de mettre la barre à gauche de 20° (voir l'annexe A).

Figure 1. Lieu approximatif de l'échouement
Lieu approximatif de l'échouement

Certains passagers n'ayant pas eu la chance d'observer les baleines, le capitaine, le pilote et le chef de croisière ont une discussion à ce sujet sur la passerelle. La décision est alors prise de rester un peu plus longtemps dans le secteur.

Pendant la discussion, le navire a continué d'abattre sur bâbord, si bien qu'à 11 h 54, il se dirige vers la rivière Saguenay, la vitesse fond est négligeable et il étale le courant. Selon le capitaine et le pilote, il reste assez de temps pour éviter et arriver quand même à temps à la station de pilotage. Comme les baleines ont maintenant dépassé la hanche bâbord du navire, le pilote décide de faire une abattée vers bâbord.

À 11 h 56, on augmente le pas des hélices et le navire commence à éviter sur bâbord. Il n'y a aucun trafic commercial susceptible de gêner la manoeuvre du Norwegian Sky dans les parages. Le cadet continue de porter le point sur la carte pendant que le pilote surveille le radar en conservant le même réglage du cercle de distance variable.

À 11 h 58, le navire continue d'éviter sur bâbord et se dirige maintenant vers la bouée K55. À 12 h, on ordonne de mettre la barre à zéro et on réduit le pas des hélices pour le faire passer d'environ la moitié à un tiers. Après avoir porté sur la carte la position du navire à midi, le cadet informe le capitaine que le navire approche du haut-fond à la hauteur de la bouée K55. Quand le capitaine dit craindre que le navire soit trop près du haut-fond, le pilote l'assure qu'il a la situation bien en main.

Le pilote croit que le navire se trouve à environ quatre encablures en aval de la bouée K55 et que le flux porte au 210°V à une vitesse de 2 ou 3 noeuds. À 12 h 2, le capitaine augmente le pas de l'hélice tribord de 31 à 48 %. Le taux de giration vers bâbord augmente graduellement.

À 12 h 3, le pilote demande au capitaine d'augmenter la vitesse et ordonne de mettre la barre à gauche toute. Le capitaine l'avise que le fait de mettre la barre à gauche toute fera éviter l'arrière vers l'extérieur et qu'il vaut mieux faire un virage moins serré. Il en découle un échange concernant la barre et la vitesse mais on garde la barre à gauche toute.

À 12 h 4, le cap étant au 076°G et diminuant, le taux de giration a augmenté à 47,1° par minute. L'arrière du navire talonne le haut-fond. Le navire ralentit et l'arrière s'immobilise sur les bancs de l'île Rouge. À 12 h 6, le navire est échoué et accuse une gîte de 5,2° sur bâbord, sur un cap au 074°G. La position du navire est la suivante : 48°05,8′ N, 069°33,5′ O. Le système de cartes éélectroniques (SCE) montre une vitesse de 0,0 noeud à 12:06.52.

Figure 2. Trajectoire du Norwegian Sky enregistrée par le système de cartes éélectroniques du bord indiquant les points de changement de route avec les heures (UTC) en référence (Section de la carte C 1203 du SHC)
Trajectoire du Norwegian Sky enregistrée par le système de cartes électroniques du bord indiquant les points de changement de route avec les heures (UTC) en référence (Section de la carte C 1203 du SHC)

1.2.1 Événements qui ont suivi l'échouement

L'intervention d'urgence est amorcée avant même que le navire s'immobilise complètement. À 12 h 5, l'OQ du quart 8 à 12 commande la fermeture des portes étanches et des portes pare-éclaboussures.Note de bas de page 4 Le second capitaine et le premier officier, qui ont ressenti l'impact, se précipitent vers la passerelle pour prêter main-forte au capitaine. Sur l'ordre du capitaine, l'OQ du quart 12 à 4 lance à 12 h 7 un message d'urgence, code delta « D », à l'aide du système de communication collective.Note de bas de page 5 À 12 h 8, on donne l'alarme générale à l'aide du sifflet du navire. Puis, à l'aide de l'interphone du bord, le capitaine ordonne aux passagers de se rendre à leurs postes de rassemblement et ordonne à l'équipage de fournir toute l'assistance voulue. Entre-temps, le pilote signale l'échouement aux SCTM.

Le personnel navigant se conforme au plan d'urgence et de crise de la Norwegian Cruise Line. Selon l'information recueillie, on signale que les canots de sauvetage bâbord et tribord sont prêts à l'embarquement à 12 h 19 et à 12 h 28, respectivement. On sonde les citernes et les espaces morts. On détecte des infiltrations d'eau dans trois compartiments. À 12 h 42, le capitaine avise les SCTM de la situation. Les SCTM font savoir qu'un remorqueur a été demandé. On demande au navire de la Garde côtière canadienne (NGCC) Isle Rouge de pousser contre la hanche tribord du navire pour compenser la force du courant de flux.

Après avoir déterminé qu'il était possible de renflouer le navire en toute sécurité grâce à la marée montante, on procède à une nouvelle répartition du lest liquide du navire. Grâce à l'assistance du remorqueur Techno Venture et du NGCC Isle Rouge, le Norwegian Sky est renfloué environ trois heures après l'événement, soit à 15 h 15.

Vers 12 h 40 le 25 septembre, le Norwegian Sky lève l'ancre à destination du port de Québec, pour entrer en cale sèche.

1.3 Opérations de recherche et sauvetage

1.3.1 Opérations du Centre secondaire de sauvetage maritime

Après avoir signalé l'échouement aux SCTM, le Centre secondaire de sauvetage maritime (CSSM) déclenche les opérations de recherche et sauvetage (SAR) à 12 h 8. Le NGCC Isle Rouge est dépêché sur les lieux et fait des sondages de profondeur dans le secteur de l'échouement. Le côté tribord du Norwegian Sky est engravé fermement. À 12 h 37, les deux traversiers affectés à la liaison Pointe Noire / Tadoussac et les trois bateaux pilotes de Les Escoumins sont mis en attente au cas où il faudrait évacuer les passagers. À 12 h 42, le capitaine informe les SCTM de la situation. Les SCTM font savoir qu'on a demandé l'assistance d'un remorqueur.

Au total, deux bâtiments de surface de la Garde côtière canadienne (GCC), trois aéronefs, deux traversiers, un navire commercial, un remorqueur, deux bateaux de servitude et sept bateaux d'excursion sont mis en attente au vue d'une opération de sauvetage.

Une fois le navire renfloué, l'équipage informe le Centre secondaire de sauvetage maritime (CSSM) de Québec que l'évacuation n'est plus nécessaire. À 15 h 41, on libère les embarcations de sauvetage qui étaient en attente. Par la suite, le Norwegian Sky traverse le fleuve et mouille l'ancreau large de l'île aux Basques. Le NGCC Tracy reste en attente près du paquebot pendant qu'on évalue les avaries.

1.3.2 Victimes

Équipage Passagers Tiers Total
Morts - - - -
Disparus - - - -
Blessés graves - - - -
Blessés légers/indemnes 787 1923 2 2712
Total 787 1923 2 2712

1.4 Dommages à l'environnement

Les deux soutes à combustible qui ont été perforées avaient été vidées avant l'échouement. Toutefois, à 16 h 35, soit environ une heure après le renflouement du navire, l'aéronef de surveillance antipollution GC 300 a observé de la pollution. On a déterminé que la quantité de combustible répandue était négligeable.

1.5 Brevets et expérience des membres de l'équipe de passerelle

1.5.1 Personnel navigant

Le fabricant du système de navigation intégré (SNI) du navire avait offert des cours théoriques et des cours de formation sur simulateur à ses clients. À l'instar d'autres croisiéristes, la Norwegian Cruise Line avait envoyé les officiers du Norwegian Sky suivre un cours d'initiation. Il n'existe pas de procédures pour mesurer le degré de compétence des officiers qui se servent du système de navigation automatisé.

Le capitaine était titulaire d'un brevet de capitaine au long cours délivré en 1997 par les Bahamas, et d'un certificat d'officier de pont de première classe (capitaine) délivré en 1971 par la Norvège. Il comptait environ 41 ans de service en mer, et il était capitaine depuis 1972. Il avait pris le commandement du Norwegian Sky le 1er juillet 1999. Dans le cadre du maintien de ses compétences, il avait suivi en 1999 un cours sur le SNI qui comprenait un aperçu sur l'équipement du système de cartes eélectroniques (SCE)Note de bas de page 6.

Le premier officier (l'OQ du quart 8 à 12 qui était resté à son poste après la fin de son quart jusqu'au moment de l'événement) était titulaire d'un certificat d'officier de pont, classe 4, délivré par la Norvège en 1995, et d'un brevet équivalent délivré par les Bahamas en 1997. Il comptait environ huit ans de service en mer et occupait le poste d'OQ depuis 1998. Dans le cadre maintien de ses compétences, il avait suivi en 1999 un cours sur le SNI qui comprenait un aperçu sur l'équipement du SCE.

Le timonier de service était titulaire d'un brevet de navigation à la passerelle délivré par les Philippines en 1998. Il comptait environ trois ans de service en mer, dont quelque temps à bord du paquebot Norway.

Le cadet de service avait fréquenté une académie maritime. Il avait commencé à acquérir de l'expérience en 1998 en travaillant sur des bateaux de pêche et des traversiers.

1.5.2 Pilote de service

Le pilote qui était de service lors de l'accident était titulaire d'un brevet de premier lieutenant de navire à vapeur de cabotage, délivré par le Canada en 1962. Il était aussi titulaire d'un brevet de pilote de classe A, délivré par l'APL en 1975. Il comptait environ 41 ans de service, dont quelque 32 ans à titre de pilote breveté.

Dans le cadre du maintien de ses compétences, il avait reçu de la formation sur la manoeuvre des navires en 1987 et en 1994 en France. Toutefois, il ne possédait pas d'expérience sur la manoeuvre de navires comme le Norwegian Sky. Ce n'est qu'en 1996 que le centre de formation, où le pilote a suivi ses cours, ajoute un modèle réduit de navire équipé d'un gouvernail à volet simulant ainsi des caractéristiques de manoeuvre spéciales comme celles du Norwegian Sky. Aux termes du contrat de services de pilotage conclu entre l'APL et la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent,Note de bas de page 7 les pilotes de classe A doivent acquérir une formation sur la manoeuvre des navires à un centre de formation approuvé par l'APL, et suivre un programme de maintien des compétences.

1.6 Conditions météorologiques, courants et renseignements d'ordre géographique

1.6.1 Conditions météo

La visibilité était bonne, le ciel était partiellement nuageux et des vents du nord-ouest soufflaient à environ 13 noeuds. La température de l'air était de 15°C. Le navire SAR de la GCC (le NGCC Isle Rouge) a enregistré une température de l'eau de 5°C.

1.6.2 Courants

L'information sur les marées au confluent de la rivière Saguenay et du fleuve Saint-Laurent figure dans les Tables des marées et courants du Canada, volume 3. Les différences de marées sont établies en fonction du port de Pointe-au-Père et du port secondaire de l'île Verte. Le 24 septembre 1999, la marée basse était prévue pour 9 h 4 et devait atteindre 0,7 m au-dessus du zéro des cartes. La marée haute était prévue pour 15 h 5 et devait atteindre 3,7 m au-dessus du zéro des cartes. La marée était montante au moment de l'accident.

D'après la publication de Pêches et Océans Canada intitulée Atlas des courants de marée, de deux à trois heures avant la marée haute à Pointe-au-Père, la valeur du courant à la pointe nord des bancs de l'île Rouge indique une vitesse de un noeud et une direction approximative de 180°T. Ces paramètres sont fondés sur des conditions météorologiques moyennes. Toutefois, en faisant une extrapolation pour Tadoussac à partir du niveau d'eau mesuré par le marégraphe de Rimouski-Est, on a obtenu une marée excédant de 0,36 m le niveau prévu. Les chercheurs de l'Institut Maurice-Lamontagne (Centre de recherche en science de la mer) ont indiqué que cette augmentation du niveau de l'eau pouvait avoir entraîné une augmentation de l'intensité de la marée au large des bancs de l'île Rouge.

1.6.3 Renseignements d'ordre géographique

Le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent vise la protection et le développement des ressources marines et couvre la moitié nord de l'estuaire du Saint-Laurent, du quai de Les Escoumins jusqu'à Gros Cap à l'AigleNote de bas de page 8.

Chaque année, de mai à octobre, on observe une grande concentration de cétacés dans les parages, surtout entre Grandes Bergeronnes et Tadoussac. L'observation des baleines n'a pas toujours lieu dans les mêmes zones, étant donné que les baleines se déplacent vers différentes zones d'alimentation du parc. On a identifié trois zones où la concentration des mammifères marins est plus grande : la zone no 1, devant l'île Rouge; la zone no 2, devant Pointe à la Carriole; et la zone no 3, devant Grandes Bergeronnes.

Figure 3. Zones d'alimentation des mammifères marins dans le parc Saguenay-St-Laurent
Zones d'alimentation des mammifères marins dans le parc Saguenay-St-Laurent

Afin d'harmoniser les activités d'observation des mammifères marins en vertu de la réglementation existante, les ministères et l'industrie ont élaboré un code d'éthique qui régit tous les aéronefs et les embarcations commerciaux et de plaisance. Le code limite la distance à laquelle on peut s'approcher des mammifères marins.

Les bancs de l'île Rouge forment un haut-fond étendu au milieu du fleuve Saint-Laurent. Cet obstacle divise le fleuve en deux chenaux : nord et sud. L'île Rouge, dont l'élévation est de 5,2 m, constitue le point le plus élevé du haut-fond du même nom. Sur cette île basse et sablonneuse se trouvent un phare, deux tours et quelques bâtiments. La disposition approximative des hauts-fonds ouest et nord-ouest de l'île Rouge suit respectivement les lignes de position 190°−010° et 240°−060°. On n'avait signalé aucun déplacement des aides à la navigation dans le secteur de l'île Rouge. Les bouées K55 et K51 indiquent respectivement les extrémités nord-ouest et nord-est des bancs de l'île Rouge. Les feux d'alignement de Pointe Noire guident les navires qui suivent le chenal à l'embouchure de la rivière Saguenay.

1.7 Renseignements concernant le navire

1.7.1 Certification

L'armement en équipage, les certificats et l'équipement du Norwegian Sky étaient conformes à la réglementation existante. L'effectif des officiers norvégiens et du personnel international de service excédait la capacité de 750 personnes, mais le nombre total de personnes à bord n'excédait pas la capacité globale du navire, soit 3 150 personnes.

1.7.2 Avaries

Pendant l'échouement, on a découvert une voie d'eau dans le coqueron arrière et dans deux soutes à combustible dans le double fond situées au milieu du navire. On a signalé que l'hélice tribord ne fonctionnait pas. Une fois le navire renfloué, une inspection sous-marine a révélé des avaries au gouvernail tribord et au bordé de fond du côté tribord. En conséquence, les inspecteurs de la société de classification et de Transports Canada ont déterminé que le navire ne pourrait pas poursuivre son voyage avant d'être réparé.

Figure 4. Vue en coupe au droit du gouvernail
Vue en coupe au droit du gouvernail

En cale sèche dans le port de Québec, on a constaté que le gouvernail tribord, les deux hélices, le propulseur latéral arrière no 1 et le bordé extérieur ainsi que les structures internes adjacentes avaient subi des avaries considérables. Le moyeu de l'hélice tribord avait été cisaillé en deux parties, et un espace mort dans la section de l'étrave à bulbe avait aussi été perforé.

On a remplacé les pièces endommagées, et on a découpé et remplacé les tôles de bordé extérieur qui avaient été enfoncées de plus de 10 mm de profondeur, de façon à remettre le navire dans son état d'origine. En conséquence, le certificat de classe est demeuré valide sans restrictions.

1.7.3 Gouvernails équipés d'un volet articulé

Contrairement au système de commande de gouvernail et de propulsion d'un navire classique, qui est muni d'un seul gouvernail et d'une seule hélice, le Norwegian Sky est équipé de gouvernails et d'hélices doubles. Pour accroître davantage la manoeuvrabilité du navire, les gouvernails suspendus et partiellement compensés sont du type Becker, et ils comportent un volet vertical articulé dans leur partie arrière. Quand on tourne la barre, le gouvernail peut être réglé jusqu'à 35° (en mer) ou 45° (dans le port). Pendant que le gouvernail pivote, le volet s'articule automatiquement dans la même direction, ce qui augmente l'angle maximal du gouvernail.

1.7.4 Manoeuvre du navire

Quand les pilotes sont montés à bord, ils ont reçu un extrait du manuel des procédures de passerelle, intitulé Deck Procedures Manual, qui renferme des détails sur le navire et ses équipements de propulsion, une liste de contrôle de l'équipement de navigation, des données sur le tirant d'eau au départ et sur les marées. Le manuel ne contenait pas de renseignements sur les procédures de gouverne pour les manoeuvres à bonne allure dans les eaux dites resserrées.

La courbe de giration d'un navire comporte quatre composantes numériques : avance (90°), transfert (90°), diamètre tactique (180°) et diamètre de giration (360°)Note de bas de page 9. Ces paramètres peuvent constituer des mesures à partir desquelles on élabore des critères et des normes applicables à différents navires, mais ils donnent peu d'information sur l'espace dont un navire a besoin pour manoeuvrer. La trajectoire balayée (swept path) est la donnée la plus utile dont les lamaneurs se servent pour estimer la marge de manoeuvre dans une voie navigable qui les sépare des autres navires et des obstacles. L'avance balayée maximale (maximum swept advance) et le transfert balayé maximal (maximum swept transfer) sont supérieurs à l'avance et au transfert ordinairesNote de bas de page 10.

Figure 5. Diagramme montrant la trajectoire balayée
Diagramme montrant la trajectoire balayée

Une fiche de pilotage se trouvait sur la cloison arrière de la timonerie, derrière les postes de travail centraux du système de passerelle intégré (SPI). La fiche indiquait l'utilisation de la barre toute à 35° et à 45° pour la navigation en mer et pour la manoeuvre dans un port, respectivement, et montrait un diagramme représentant la trajectoire balayée. Toutefois, l'information était limitée au cercle de giration et ne contenait pas de données sur l'avance et le transfert balayés à des angles de barre correspondants.

Se fondant sur l'expérience acquise au cours des essais en mer du Norwegian Sky, le personnel navigant a avisé les pilotes que mettre la barre à 20° équivalait à mettre la barre toute et qu'un écart de 1° ou de 2° était suffisant pour réaliser la plupart des changements de cap. De plus, le capitaine ne recommandait pas de mettre la barre toute.

1.8 Disposition de la passerelle et équipement de navigation

1.8.1 Visibilité à partir de la passerelle

Comme sur la plupart des paquebots de croisière, la timonerie du Norwegian Sky est placée devant les emménagements, mais quelques ponts sous le pont le plus élevé. La passerelle de navigation se trouve sur le dixième pont au-dessus de la flottaison, à une hauteur de 34,7 m. Des fenêtres panoramiques offrent une visibilité exceptionnelle vers l'avant; toutefois, à partir du poste de navigation central, le champ de vision vers l'arrière du travers est limité.

Figure 6. Aménagement de la passerelle
Aménagement de la passerelle

1.8.2 Système de passerelle intégré

Sur la passerelle, de chaque côté du poste central de navigation et de manoeuvre, on trouve un poste de communication et un poste de commande et contrôle du navire. De chaque côté, en allant vers l'extérieur de ces pupitres, on trouve une table à cartes et, plus loin de nouveau vers l'extérieur, les ailerons de passerelle.

La norme ISO 8468 traite de la conception et de l'aménagement de la passerelle des navires. Un SPI permet au capitaine et au pilote de surveiller un écran radar et un écran SCE à partir du pupitre central de navigation.

Figure 7. Représentation schématique
Représentation schématique

Le capitaine et le pilote occupaient respectivement les postes tribord et bâbord du pupitre central du SPI. La plupart du temps, le capitaine était assis et le pilote restait debout. L'OQ et le cadet se servaient de la table à cartes intérieure pour porter le point sur la carte. Les postes de travail sont conçus comme un poste du SPI.

1.8.3 Système de navigation intégré

L'affichage au pupitre central comprend un écran radar et un écran du SCE à chacun des deux postes de travail. Entre ces quatre écrans se trouve un écran d'information sur la conduite, qui indique une représentation schématique de l'information importante relative à la manoeuvre et à la navigation. Les commandes de la machine principale se trouvent sur le comptoir central entre les deux postes de travail.

Le système de navigation intégré (SNI) permet de réaliser toute une gamme de procédures concernant la planification de la navigation, la gouverne et l'évitement des abordages, et affiche aussi la position du navire par rapport à une représentation géographique.

Photo 1. Poste de travail central
Poste de travail central

Le SNI NACOS du navire comprenaitNote de bas de page 11:

  • trois appareils radar dotés de dispositifs d'aide de pointage radar automatique,
  • un bloc-commande pour le pilote de vitesse et le lochNote de bas de page 12,
  • un pilote automatique,
  • deux gyrocompas,
  • un sondeur et un traceur,
  • un radiogoniomètre,
  • un Loran C,
  • un Système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMDSM), comprenant un équipement de communication, INMARSAT B et C,
  • un SCE relié à un système de positionnement global différentiel (DGPS) Note de bas de page 13,
  • des écrans reliés au SNI, au pupitre de navigation, aux ailerons de passerelle et à la salle des opérations située sur l'arrière de la timonerie.

On a estimé que l'erreur du gyrocompas était négligeable. Aucune panne d'équipement n'a été signalée.

Une salle de commande et une salle radio se trouvent sur l'arrière de la timonerie. Dans la salle de commande, on trouve notamment un calculateur automatique de stabilité relié à des capteurs de niveau liquide des compartiments et des citernes, différents systèmes d'alarme et un système vidéo intégré.

1.8.4 Système de cartes électroniques

Le SCE du navire consistait en une station de planification et de consultation nautique basée sur un SVCEINote de bas de page 14. Ce système permet au navigateur de définir et de choisir un certain nombre de zones d'inclusion et d'exclusion dans lesquelles l'ordinateur effectue la poursuite automatique de cibles désignés sur la carte vectorielle tout en définissant les limites du chenal, de façon à atténuer la charge de travail de l'opérateur. On peut sélectionner des alarmes vidéo ou audio importantes qui montrent si le navire s'éloigne des paramètres prédéterminés. Ces alarmes sont facilement reconnaissables, même si le navigateur se trouve à une certaine distance de l'écran. De plus, il est possible pour les navigateurs de surimposer l'image-radar sur celle de l'écran du système de cartes éélectroniques.

Figure 8. Affichage du SCE
Affichage du SCE

1.8.5 Radars

En plus d'afficher les fonctions radar courantes, l'écran de chaque poste de travail était relié au système intégré d'affichage radar. Les pilotes ont trouvé qu'il était difficile de détecter certaines bouées à l'aide du radar. On a jugé que l'erreur du cercle de distance variable était négligeable.

1.9 Gestion des ressources à la passerelle

La gestion des ressources à la passerelle (GRP) vise essentiellement à favoriser une utilisation efficace de l'ensemble des ressources humaines et matérielles disponibles pour que les opérations se déroulent en toute sécurité. La GRP traite des questions relatives à la vigilance et à l'attitude des personnes dans le cadre de la gestion des tâches opérationnelles et de la gestion du stress et des risques. L'optimisation de la gestion de ces éléments influe directement sur les facteurs essentiels à la réussite de toute opération.

1.9.1 Gestion de l'équipe de passerelle

Lors de l'événement, deux équipes interdépendantes travaillaient sur la passerelle. Le timonier travaillait en collaboration étroite avec le pilote qui assurait la conduite du navire sous la supervision du capitaine. L'OQ et le cadet s'occupaient de déterminer la position du navire en portant le point sur la carte et ils fournissaient des renseignements à jour au capitaine. Le premier officier, qui était celui qui savait le mieux comment se servir du SCE à bord, n'était pas de service au moment de l'événement. À 11 h 56, après avoir accepté de prolonger la période d'observation des baleines, l'équipe de passerelle n'a pas modifié sa méthode de recherche et de partage de l'information sur la navigation.

Les pilotes ont pris le quart à tour de rôle pendant qu'ils étaient à bord. Le pilote no 1 a assuré la conduite du navire du moment de l'appareillage, à 0 h 30, jusqu'à 6 h 55, et le pilote no 2 a été de service de 6 h 55 jusqu'au moment de l'événement. Le pilote no 1 était revenu sur la passerelle au moment de l'échouement, mais il n'assistait pas le pilote no 2 qui était de service. Quand ils sont affectés à bord de paquebots de croisière, les pilotes assurent la conduite du navire à tour de rôle. Il n'y a aucune procédure ou exigence contractuelle qui oblige les deux pilotes à être en service actif pendant l'observation des baleines. Dans cette région, on exige que deux pilotes assurent simultanément la conduite du navire seulement dans le cas des navires-citernes de 40 000 tonnes métriques de port en lourd et plus.

1.9.2 Gestion de l'équipement de navigation

Chaque membre de l'équipe de passerelle avait accès à un poste de travail du SPI, et donc au SNI. Seul le personnel navigant utilisait le système radar intégré; le pilote se servait d'un écran radar indépendant du système intégré utilisé par l'équipage.

L'OQ et le cadet ont continué de se conformer à la pratique en vigueur à bord en matière de navigation, qui consistait à porter le point sur la carte fréquemment pour déterminer la position du navire. La dernière position a été portée sur la carte à 12 h. Le radar en présentation « Nord en haut » était la principale source d'information du pilote. Quand le phare de Haut-fond Prince servait de repère radar, le cercle de distance variable réglé à 2 milles marins indiquait la distance de sécurité au large des bancs lesquels sont à 2,1 m de Haut-fond Prince. Ni le personnel navigant ni le pilote n'ont recouru à la technique de navigation par repères parallèles utilisant l'alidade électronique pour apprécier les mouvements et la position du navire.

Tous les membres de l'équipe de passerelle pouvaient se servir du système de cartes éélectroniques, mais ils ne faisaient que jeter un coup d'oeil aux écrans. Le système était muni des cartes de navigation électronique les plus récentes, publiées par le distributeur, CMAP, en 1999. Les pilotes ont superposé temporairement l'affichage radar à celui du SCE, mais comme ils ont relevé des différences dans les lignes du littoral, ils sont revenus à la représentation radar « Nord en haut ». Même si des normes sur le SVCEI ont été élaborées, la présence de cet équipement à bord n'était pas et n'est toujours pas obligatoire. Des normes de formation sur l'utilisation de l'équipement ont également été élaborées, mais la formation n'est pas obligatoire et ne requiert aucune certification.

Le récepteur DGPS était réglé pour fonctionner en mode GPS, car le personnel navigant trouvait que le positionnement était suffisamment précis. L'instrument à bord avait été programmé pour choisir le mode GPS, par défaut , à moins d'être programmé spécifiquement pour fonctionner en mode DGPS. Le personnel navigant ne savait pas que le mode DGPS offrait une grande précision dans le secteur.

1.10 Communications

1.10.1 Discussions

Tout au long du voyage, il y a eu des discussions entre le pilote no 1 et le second capitaine et entre le pilote no 2 et le capitaine au sujet de la navigation du navire. Le personnel supérieur échangeait avec les deux pilotes l'expérience qu'il avait acquise pendant les essais en mer en ce qui a trait aux caractéristiques de manoeuvre du navire. Toutefois, il n'y a eu aucune communication entre le pilote et l'OQ et le cadet.

1.10.2 Communication sur les décisions prises

Au cours du voyage, le personnel navigant a dû prendre des mesures à propos de plusieurs opérations. À plusieurs reprises, il lui a fallu échanger de l'information avec les pilotes à bord qui connaissaient le secteur. Voici quelques-unes des décisions importantes qui ont été prises avant l'échouement:

1.11 Observation des baleines

Dans la circonscription relevant de l'APL entre Québec et Les Escoumins, les pilotes de classe A sont chargés de conduire une centaine de navires par année, mais ils sont rarement affectés à la conduite des grands navires à passagers. En 1999, 17 navires à passagers ont fait 55 transits entre le port de Québec et la station de pilotage de Les Escoumins. Dans cette zone de pilotage, on exige qu'il y ait au moins deux pilotes brevetés à bord des navires à passagers mesurant plus de 100 m de longueur. Par conséquent, en moyenne, un pilote de classe A est affecté à deux navires de ce type chaque année.

Les navires à passagers qui naviguent sur le fleuve Saint-Laurent s'adonnent fréquemment à l'observation des baleines. En 1999, le naturaliste à bord s'est acquitté de 16 affectations dont 14 au cours desquelles on a fait de l'observation de baleines. Il s'agit d'une activité très populaire qui dure normalement environ une heure. Selon l'information recueillie, il est plutôt rare qu'un navire exécute une manoeuvre d'évitage pour prolonger l'activité. Cette activité est pratiquée depuis les 20 dernières années et elle a gagné en popularité du fait de l'accroissement de l'industrie des paquebots au cours des 10 dernières années. Depuis 1980, l'industrie internationale des paquebots de croisière sur le fleuve Saint-Laurent a connu une croissance annuelle de 4,7 %Note de bas de page 15.

Les pilotes avaient discuté avec l'équipage de l'horaire du voyage. Comme le personnel navigant l'avait demandé, ils avaient planifié d'entreprendre l'observation des baleines avant de repartir vers la station de pilotage, mais le plan ne prévoyait pas l'exécution d'une manoeuvre d'évitage. L'observation des baleines et les manoeuvres qu'elle suppose sont laissées à la discrétion du capitaine.

L'activité principale de la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent consiste à fournir un service de pilotage et à assurer l'administration des recettes. L'APL assure le fonctionnement sécuritaire du pilotage dans la zone qui relève de sa responsabilité, veille au maintien des compétences et se charge de l'exécution des fonctions de pilotage. Ni l'APL ni la corporation des pilotes n'avaient discuté spécifiquement de la question de l'observation des baleines avant cet événement. Ainsi, les pilotes n'avaient pas préalablement identifié ni établi de repères visuels ou de repères radar en vue de telles manoeuvres.

1.12 Affectation de deux pilotes

En décembre 1991, l'APL a rendu publique sa proposition d'imposer l'affectation de deux pilotes à bord des navires à passagers dans les circonscriptions no 1 et no 2 de la région dont elle a la responsabilité. Les armateurs canadiens ayant présenté des objections à la proposition, l'APL et l'Association des armateurs canadiens (AAC) ont établi un protocole d'entente en septembre 1992 en vertu duquel la question de l'affectation de deux pilotes serait examinée par des représentants nommés. En 1992, l'APL et l'AAC ont conclu que l'affectation de deux pilotes à bord des navires à passagers devrait être adoptée, de sorte qu'en 1993, l'APL a mis en place les exigences nécessaires.

Pour la zone no 2, l'article 35 du Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides précise que deux pilotes doivent être affectés aux navires suivants :

  • les navires susceptibles de faire route pendant plus de 11 heures consécutives dans la zone;
  • les navires de plus de 74 999 tonnes de port en lourd;.
  • les navires-citernes de 40 000 tonnes métriques de port en lourd ou plus;
  • les navires à passagers de plus de 100 mètres de longueur; et
  • les navires qui naviguent durant la période de navigation d'hiver.

Pendant les affectations prolongées (plus de 11 heures consécutives), chaque pilote travaille pendant une durée convenue d'un commun accord, après quoi il est relevé par l'autre pilote. À bord des navires à fort déplacement, des navires-citernes et des navires à passagers, les pilotes travaillent à tour de rôle pendant la plus grande partie du voyage, et ils travaillent en équipe dans les secteurs où les risques sont plus grands. Toutefois, il n'y a pas de directives écrites ou de procédures de travail qui précisent les moments ou les endroits où les deux pilotes devraient travailler en équipe. Bien que les affectations à bord de navires à passagers durent rarement plus de 11 heures consécutives, les pilotes de ces navires travaillent à tour de rôle et n'ont pas l'habitude de travailler en équipe dans les secteurs où les risques sont plus grands.

En août 1998, le ministre des Transports a demandé à l'Office des transports du Canada (OTC) de procéder à un examen exhaustif des questions de pilotage afin d'accroître la sécurité, l'efficience et la viabilité du système de pilotage canadien. Suite à l'examen, l'OTC a publié 21 recommandations en septembre 1999. D'après le comité d'examen, rien n'indique que, lors de l'examen de 1992, les conclusions relatives à l'affectation de deux pilotes à bord des navires à passagers aient été fondées sur une analyse des risques.

2.0 Analyse

L'industrie maritime se préoccupe continuellement des difficultés liées à l'efficacité des équipes de passerelle dans les zones de pilotage. L'Organisation maritime internationale (OMI) a présenté des mesures, portant notamment sur la formation relative à la GRP et sur la mise en oeuvre de la GRP, qui donneront lieu à l'instauration de normes de formation plus sévères et à une amélioration de la sécurité. Les événements auxquels sont mêlés des navires naviguant dans des zones de pilotage continuent d'attirer l'attention du BST. L'analyse du présent événement et ses causes va porter sur la dynamique de groupe, sur les questions liées à la navigation, sur les progrès technologiques et sur le pilotage.

2.1 Dynamique de groupe

Le Norwegian Sky possède un équipement de navigation de pointe. Dès le début du voyage, il y a eu un échange continu d'information entre les membres du personnel navigant et entre le personnel supérieur et les pilotes. La centralisation des fonctions de passerelle grâce au SPI du bord favorisait un tel échange d'information.

Les excellents rapports qui se sont établis entre le personnel navigant et les pilotes pendant que le navire descendait le fleuve révèlent qu'une bonne atmosphère de travail régnait à bord. Quand les pilotes ont reçu leurs instructions avant le voyage, le personnel supérieur les a informés qu'il souhaitait faire de l'observation de baleines, activité qui est laissée à la discrétion du capitaine. Tous ont convenu que cette activité était réalisable, car cette activité est ajoutée régulièrement au programme à bord des paquebots de croisière qui empruntent le fleuve Saint-Laurent. L'angle de barre limité pour la manoeuvre devant Cap Trinité constitue un bon exemple des bons rapports sur la passerelle. Étant donné les caractéristiques du gouvernail, le capitaine a conseillé au pilote d'utiliser un petit angle de barre pour faire demi-tour avant de redescendre la rivière Saguenay. Le pilote a accepté la recommandation d'emblée.

L'échange d'information a continué de se faire ouvertement quand le chef de croisière a demandé qu'on prolonge la période d'observation des baleines. La décision d'exécuter la manoeuvre a été prise conjointement par le capitaine et le pilote, en se basant sur le fait qu'on pouvait satisfaire les souhaits des passagers sans pour autant prendre du retard sur l'horaire du navire. À ce moment, l'information a été partagée entre les principaux responsables de la prise de décisions, mais elle a porté seulement sur l'horaire du navire. Un élément essentiel à la prise de cette décision - à savoir si l'évolution pouvait se faire en toute sécurité - n'a pas été considéré à ce moment.

Pendant la manoeuvre d'évitage, le pilote donnait les ordres de barre au timonier et, à moins d'instructions spécifiques du pilote au sujet de la vitesse du navire, c'était le capitaine qui contrôlait les manettes du régime et du pas. Il semble que le capitaine et le pilote se soient entendus implicitement au sujet de leurs actions respectives. Toutefois, contrairement à la façon normale de procéder sur la passerelle, les changements de régime des machines que le capitaine a exécutés n'ont pas été transmis à l'équipe de passerelle. La communication sur la passerelle n'était donc pas complète : on ne partageait pas toute l'information susceptible d'influer sur la navigation.

Quand le cadet a fait savoir au capitaine que le navire approchait des bancs situés au large de l'île Rouge, les membres de l'équipe se sont inquiétés. Le capitaine a fait part de ses préoccupations au pilote qui a alors assuré au capitaine qu'il avait la situation bien en main. Toutefois, l'échange d'information était élémentaire et on n'a pas recouru aux méthodes de règlement des différends.

L'attention du pilote se portait principalement sur la navigation au radar. Dans le feu de l'action, le pilote ne se rappelle pas avoir eu un échange détaillé avec le capitaine. Or, le pilote a probablement acquiescé l'interrogation du capitaine sans toutefois lui donner l'importance désirée et a fait la sourde oreille aux renseignements sur les caractéristiques de manoeuvre qu'on lui transmettait.

Après avoir évalué la situation, le pilote a décidé de terminer la manoeuvre d'évitage. Même s'il ne pouvait pas confirmer la position exacte du navire par rapport aux bancs, le pilote a insisté pour garder la barre à gauche toute. Quand le pilote a choisi de ne pas tenir compte de l'avis du capitaine, qui était celui qui connaissait le mieux les caractéristiques de manoeuvrabilité du navire, le capitaine n'a pas annulé l'ordre du pilote disant de mettre la barre à gauche toute.

La bonne dynamique de groupe qui existait pendant le voyage vers l'aval s'est peu à peu dégradée après que le navire s'est écarté de la route prévue. La cohésion de l'équipe a diminué en fonction de la situation qui se détériorait rapidement.

Les compétences techniques des membres de l'équipe de passerelle auraient pu se compléter avec efficience. Le pilote possédait des connaissances locales qu'il avait acquises tout au long de sa carrière sur le fleuve. Le personnel navigant possédait une bonne compréhension des caractéristiques de manoeuvre du navire qu'il avait acquise au cours des essais en mer et il avait suivi le cours d'initiation au SNI portant sur le fonctionnement et l'utilisation de l'équipement de navigation.

Le travail avec le SNI dans l'environnement du SPI étant de plus en plus généralisé, il faut posséder une formation et une expérience suffisantes pour pouvoir tirer le meilleur parti de cette nouvelle technologie. Il faut du temps pour en venir à se servir efficacement d'une telle technologie à bord des navires. Jusqu'à ce qu'on ait mis en place un processus de formation adéquat, il sera difficile d'obtenir la pleine participation de tous les membres de l'équipe.

Dans la plupart des pays maritimes, les pilotes sont légalement des conseillers techniques chargés de donner leur avis au personnel du navire, mais en général, le personnel du navire considère que les pilotes assument totalement le contrôle du navire. Il s'ensuit qu'il peut s'établir sur la passerelle une hiérarchie voulant que le pilote soit perçu comme ayant plus d'autorité que le capitaine, alors qu'en fait c'est le capitaine qui commande le navire. Historiquement, les pilotes n'ont jamais partagé l'information sur la navigation ou sur la manoeuvre avec le personnel navigant, et n'ont pas non plus l'habitude de recevoir des conseils des membres de l'effectif du navire. Ces éléments ont tendance à nuire à la cohésion de l'équipe, ce qui va à l'encontre des principes de GRP. Par conséquent, quand le pilote a insisté pour garder la barre toute, le personnel navigant (qui était habitué à exécuter les ordres du pilote) a obtempéré d'emblée à l'ordre du pilote.

On intègre sur les navires de plus en plus les principes de GRP. La formation porte principalement sur la promotion du travail d'équipe de passerelle et sur la communication au sein de l'équipe. Pendant les opérations normales, l'équipe de passerelle qui applique les principes de GRP est dynamique : les officiers de navigation et les pilotes se partagent le travail et mettent en place les automatismes régulateurs. Toutefois, les officiers de navigation et les pilotes reçoivent habituellement leur formation séparément. Il s'ensuit que l'équipe de passerelle ne fonctionne pas toujours aussi bien en présence d'un pilote, et un pilote peut avoir du mal à s'intégrer à l'équipe de passerelle. Il arrive que ce manque d'intégration ne se manifeste que dans des moments de grande tension, par exemple lors d'une situation d'urgence.

La capacité de cette équipe de travailler ensemble n'a pas été mise à l'épreuve jusqu'au moment où le cadet a signalé au capitaine que le navire approchait rapidement du haut-fond - en l'occurrence le début de ce qui allait devenir une situation d'urgence. Quand la situation s'est détériorée, l'équipe a suivi les instructions du pilote, ce qui brisé la cohésion de l'équipe et a fait en sorte que l'équipe a suivi les instructions d'une seule personne. Reconnaissant cette lacune au niveau de la formation, certaines écoles maritimes retiennent les services d'un pilote pour améliorer les simulations de sorte qu'elles correspondent davantage à la réalité, et pour mettre en évidence la dynamique ou les interactions qui caractérisent les relations entre le pilote et le personnel navigant.

2.2 Opérations de navigation

2.2.1 Facteurs qui ont influé sur la prise de décision

Il arrive fréquemment que l'on prolonge les périodes d'observation des baleines à bord des navires à passagers. Toutefois, ces changements supposent souvent une certaine improvisation de la part de l'équipe de passerelle. Or, toute improvisation augmente les risques.

Vers 11 h 53, quand on a demandé de prolonger l'activité d'observation des baleines, le temps était dégagé. Le fleuve Saint-Laurent est très large à l'embouchure de la rivière Saguenay donnant une fausse perspective de grande espace de manoeuvre. La côte nord était visible à une distance de 5 milles marins environ, et l'île Rouge et le phare du haut-fond Prince étaient à plus de 2 milles marins au large. Ces distances, combinées aux caractéristiques de manoeuvre exceptionnelles du navire, ont pu donner un sentiment de sécurité à l'équipe de passerelle et peuvent expliquer le fait que la manoeuvre a fait l'objet d'une planification minimale. Même si la zone de hauts-fonds séparant le navire et l'île Rouge n'était pas loin (environ 6 encablures), quand on a pris la décision de prolonger la période d'observation des baleines, il y avait suffisamment d'espace pour exécuter la manoeuvre d'évitage en toute sécurité.

À 11 h 53, alors qu'il se trouvait au nord des bancs de l'île Rouge, le Norwegian Sky avançait à peine quand il s'est retrouvé en travers d'un courant de flux portant au sud. À une vitesse de dérive de deux noeuds, le courant aurait poussé le navire à terre au bout de quelque 18 minutes. Comme le navire amorçait une abattée dans la direction du courant, l'effet du courant s'en est trouvé amplifié. Dans de telles situations où les risques sont plus grands, l'équipe de navigation doit utiliser tous les moyens à sa disposition pour suivre de près la progression du navire.

2.2.2 Limitations des pratiques de navigation employées

Initialement, le pilote a observé la cible radar du phare du haut-fond Prince sur le rebord intérieur du cercle de distance de deux milles marins. Ce repère permettait de tenir le navire à l'écart de l'extrémité ouest des bancs de l'île Rouge, à la bouée K55. Cette méthode n'était exacte que dans une seule dimension puisqu'elle ne donnait pas de renseignements sur la dérive du navire dans l'axe nord-sud. Le système de cartes éélectroniques indiquait que le navire dérivait effectivement vers le sud au-delà de la limite de deux milles marins et, éventuellement, vers le sud-est et le haut-fond. L'OQ et le cadet, qui portaient sur la carte la position du navire indiquée par le radar, ont placé la dernière position, relevée à midi, à environ 3,8 encablures au large de l'extrémité nord-ouest des bancs de l'île Rouge. Bien qu'il donne des renseignements précieux en temps normal, le fait de porter le point sur la carte ne fournit que des renseignements sur les positions antérieures du navire. Comme le cap du navire n'a pas été constant tout au long de la manoeuvre, cette technique ne permettait pas de faire une projection exacte de la position du navire après 12 h.

Le capitaine a utilisé l'observation visuelle comme principale source d'information. Comme les balises de Pointe Noire n'étaient pas visibles à midi à partir du poste de travail central, les bouées K51 et K55 sont devenues les aides à la navigation les plus remarquables sur l'avant du travers. À mesure que la ligne imaginaire entre les deux bouées se rapprochait, il est devenu plus difficile de visualiser la limite d'approche du haut-fond, et donc de déterminer sa position. À ce moment, le pilote a estimé que le navire était à 4 encablures en aval de la bouée K55. Cependant, le navire était à seulement 2,5 encablures de la bouée, environ. En d'autres mots, le pilote avait sous-estimé l'espace de manoeuvre dont il avait besoin pour compléter la manoeuvre d'évitage envisagée en utilisant le gouvernail seulement. En s'écartant de la route normale, les pilotes n'utilisaient plus les caps normalement suivis pour naviguer. Bien qu'ils avaient une connaissance approfondie de la topographie maritime du fleuve Saint-Laurent, ils ne disposaient plus du même nombre de repères pré-établis dont ils avaient absolument besoin pour s'orienter et maintenir un niveau de sécurité équivalent à celui requis à l'intérieur de la route normale.

2.2.3 Changements technologiques

L'industrie maritime connaît le même essor en matière d'automatisation que les autres industries du secteur des transports. La nouvelle technologie influe non seulement sur l'équipement de la passerelle et son aménagement, mais aussi sur le fonctionnement à bord. Pour que la navigation se fasse en toute sécurité, il faut savoir gérer efficacement la quantité et la diversité de l'information dont on dispose sur la passerelle. Si elle est conçue adéquatement et si elle est utilisée par un personnel ayant reçu une formation appropriée, l'automatisation peut accroître l'efficience et la sécurité des opérationsNote de bas de page 16.

2.2.4 Techniques radar

Même si le fait de porter le point sur la carte est une façon adéquate de suivre la progression du navire pour avoir une bonne idée de la situation quand on navigue dans les eaux côtières, ce système n'offre pas d'information en temps réel sur la position du navire quand on navigue dans des eaux resserrées. Peu importe la fréquence ou la vitesse à laquelle on porte le point sur la carte, l'information recueillie ne saurait porter que sur des positions antérieures. Cette méthode permet uniquement d'estimer la progression du navire, surtout si le navire change continuellement de cap.

L'équipe de passerelle aurait pu recourir à différentes techniques pour avoir une meilleure appréciation des mouvements du navire, notamment le mouvement vrai et la technique de navigation par repères parallèles. Ces techniques permettent de connaître en temps réel la position du navire par rapport aux dangers indiqués sur l'écran radar, et elles auraient pu être utilisées comme outil complémentaire à la méthode classique de porter le point sur la carte. Par exemple, l'utilisation d'alidades éélectroniques auraient pu indiquer les distances de sécurité par rapport aux bancs de l'île Rouge. Dans des eaux resserrées, où la nature dynamique de la navigation exige des interventions rapides et efficaces, le recours à des techniques radar perfectionnées aide le navigateur à se tenir au fait de la situation.

2.2.5 Utilisation efficace des ressources

Le Norwegian Sky avait progressé efficacement et en toute sécurité en direction de la station de pilotage tandis que les pilotes appliquaient le plan de traversée qu'ils avaient appris et perfectionné tout au long de leur carrière. La cohésion de l'équipe s'est détériorée rapidement à mesure que la situation est devenue de plus en plus urgente, après que le navire s'est écarté du plan.

Quand le capitaine a dit au pilote qu'il craignait que le navire s'approche du haut-fond, il a pris pour acquis que tout allait bien. De plus, quand le pilote a ordonné de mettre la barre à gauche toute et d'augmenter le régime des moteurs, le capitaine a prévenu le pilote que le fait de mettre la barre à gauche toute ferait éviter l'arrière du navire encore plus loin en direction du haut-fond. Toutefois, le pilote a insisté pour garder la barre toute. À ce moment, on n'a pensé qu'à utiliser le gouvernail et on n'a pas envisagé d'autres options, p. ex. mettre la machine principale tribord en marche arrière et/ou utiliser les propulseurs, pour tirer le navire de ce mauvais pas. Le SCE et le radar n'ayant pas été utilisés au mieux, les membres de l'équipe qui devaient prendre les décisions ont été privés des renseignements en temps réel dont ils avaient besoin pour prendre une décision éclairée alors que la situation d'urgence évoluait rapidement.

En somme, l'équipe de passerelle ne s'est pas servie de tous les moyens qu'elle avait à sa disposition pour déterminer avec exactitude la position du navire, et/ou elle n'a pas utilisé l'information dont elle disposait pour évaluer avec précision la situation qui se développait d'où le succès de la manoeuvre. La manoeuvre de dernière minute a été improvisée. On ne s'est pas tenu aux pratiques établies en matière de quart à la passerelle, consistant à surveiller et à contre-vérifier la progression du navire, si bien qu'on n'avait plus une bonne orientation spatiale lors des dernières étapes de la manoeuvre.

2.2.6 Manque d'expérience quant à l'emploi du SNI

Pour satisfaire aux exigences liées au fonctionnement de l'équipement moderne de navigation, on a introduit le SPI et le SNI dans l'industrie maritime afin de disposer respectivement d'un accès centralisé aux sources d'information sur la navigation et d'une interface entre les appareils de navigation. La nouvelle technologie se perfectionne rapidement mais elle ne s'est pas étendue à l'ensemble de l'industrie. Il s'ensuit que les équipes de passerelle qui ont une expérience limitée de l'utilisation des systèmes en question n'en font pas un usage optimal.

Du fait que le personnel navigant avait suivi une formation sur le SNI, il utilisait le système radar en réseau pour partager l'information. Le capitaine pouvait observer du poste de travail central les positions qui étaient portées sur la carte au poste de travail de communication. Le SNI permet à un membre de l'équipe de travailler indépendamment du reste de l'équipe. Du fait que les postes de travail étaient équipés de deux écrans, on pouvait en utiliser un pour afficher l'image radar et l'autre pour représenter le recouvrement. Cette utilisation aurait permis au pilote et au capitaine d'observer les deux affichages.

Grâce à l'interface entre les différents appareils de navigation, il était possible de comparer l'information donnée par le radar avec les données du SVCEI. Cependant, le fournisseur de carte a produit une carte électronique de navigation (CEN) à partir de données non-officielles et différentes des données officielles du SHC. Par conséquent, l'affichage radar ne pouvait pas correspondre précisément à l'affichage du littoral donné par le SVCEI. Quoi qu'il en soit, grâce à la superposition des images, le pilote et le capitaine auraient été en mesure de mieux distinguer la position du navire par rapport aux données géographiques et d'être mieux informés de la situation. Lors de cet événement, on n'a utilisé que le radar et on n'a pas exploité au mieux le système radar intégré.

Le degré de surveillance des affichages du SVCEI et l'utilisation du SNI révèlent une gestion insuffisante de l'équipement. Il faudra établir des procédures ou des conventions qui permettront de faire une surveillance efficace de tous les appareils automatisés de navigation. À terme, la mise en réseau des équipements de navigation facilitera le travail des membres de l'équipe de passerelle, y compris des pilotes, surtout quand tous les membres de l'équipe auront acquis des connaissances et une expérience suffisantes pour utiliser le système en réseau.

2.3 Efficacité de la formation sur le SNI

Les comités de travail de l'OMI ont mis en évidence les relations étroites qui existent entre le SNI et le SPI et ont insisté sur la nécessité de faire un examen exhaustif de cette relation dans le cadre de l'élaboration éventuelle de nouvelles normes de performance.

L'équipage et le pilote avaient suivi la formation en GRP. De plus, le pilote a suivi un cours de navigation électronique simulée (NES), niveau II et le capitaine, une formation équivalente. Dans le cas qui nous occupe, ni le pilote ni le capitaine n'ont utilisé au mieux la technique de navigation par repères parallèles - une technique à laquelle on recourt habituellement pour suivre la progression d'un navire dans des eaux resserrées. Pendant l'enquête, les normes de formation sur le SVCEI étaient en cours d'élaboration. La formation que le personnel navigant du navire avait reçue était un aperçu du SVCEI. De plus, un seul des officiers brevetés à bord (le premier officier, qui n'était pas sur la passerelle) semblait avoir acquis une compétence suffisante du SCE.

L'aménagement de la passerelle et la mise en réseau du système de navigation favorisaient l'application des principes de GRP. Le SPI préconise une collaboration étroite et la promotion de travail en équipe. Le SPI permet aussi d'améliorer l'efficience et la coordination entre les membres de l'équipe de passerelle, y compris le pilote. Toutefois, tant que tous les membres de l'équipe n'auront pas acquis une connaissance et une expérience pertinentes suffisantes, il sera impossible d'exploiter au mieux un système en réseau. La formation GRP est maintenant offerte aux équipages et aux pilotes, mais il est essentiel que les nouvelles technologies fassent partie intégrante de cette formation, peu importe qu'elle s'adresse aux pilotes ou aux officiers de navigation des navires.

2.4 Manoeuvrabilité du navire

Ces dernières années, on a construit plusieurs paquebots de croisière, dont le Norwegian Sky, qui ont une grande manoeuvrabilité. Lors du virage devant Cap Trinité avec de petits angles de barre, le pilote a pu juger des caractéristiques de manoeuvre exceptionnelles du navire. Même si l'on estime que le Norwegian Sky est un navire très manoeuvrable, il balaie quand même une trajectoire considérable lors d'un virage. Plus la vitesse est élevée ou plus l'angle de barre est grand, plus la trajectoire balayée est grande. Cette qualité manoeuvrière inhabituelle pour un navire de ce genre est en partie attribuable au nombre de gouvernails et à la conception spéciale du gouvernail et de son volet articulé. Par mesure de précaution, le personnel navigant prévenait verbalement les pilotes d'éviter les angles de barre excessifs.

À un angle de barre de 35°, la poussée de l'hélice est déviée latéralement et crée une poussée par le travers similaire à celle d'un propulseur. Cet élément peut s'avérer fort utile quand le navire manoeuvre dans un port, mais il peut aussi être dangereux une fois que le navire a quitté son mouillage et qu'il descend une rivière. Quand il navigue dans des eaux resserrées, il n'y a pas de dispositif de protection pour prévenir l'application d'un angle de barre excessif ni d'alarme sonore pour prévenir le navigateur que l'angle de barre est excessif; il n'existe pas non plus de mesures de prévention secondaires (p. ex. un panneau d'avertissement ou une note dans le manuel sur les procédures sur le pont (Deck Procedures Manual) ou sur la fiche de pilotage).

2.5 Questions liées au pilotage

2.5.1 Manoeuvre du navire

Le pilote a indiqué que le navire avait la vitesse angulaire de giration la plus rapide qu'il ait jamais vue. Cette vitesse a pu influencer le pilote et l'amener à utiliser davantage le gouvernail pour faire éviter le navire et à négliger l'effet de balayage/poussée. Cela expliquerait pourquoi le pilote a insisté pour qu'on mette la barre à gauche toute.

Le pilote avait suivi à deux reprises des cours destinés aux pilotes expérimentés dans un centre de formation sur la manoeuvre des navires, mais les cours reproduisant les conditions de navigation qu'il avait suivis ne comprenaient pas des simulations avec des modèles réduits de navires équipés d'un gouvernail à volet. La formation amène les gens à se familiariser avec les procédures, elle permet de réduire le temps nécessaire à l'analyse des situations d'urgence et d'améliorer la coordination des mesures d'évitement qui s'avèrent nécessaires.

Même si le pilote s'était fait expliquer les caractéristiques de manoeuvre du navire, son expérience à bord du Norwegian Sky se limitait à la durée de sa présence à bord. Sur les navires classiques, on met la barre toute pour obtenir un effet giratoire maximal. Du fait que le pilote n'avait pas l'habitude de manoeuvrer des navires équipés de gouvernails à volet, il se peut que l'effet de balayage/poussée créé par la barre au maximum n'ait pas été le principal élément dont le pilote a tenu compte. Pressé de réaliser la manoeuvre d'urgence, le pilote a choisi d'ordonner de mettre la barre toute.

En 1996, le centre de formation dont les pilotes de la corporation se servent a ajouté un modèle réduit de navire équipé d'un gouvernail à volet pour simuler des navires tels le Norwegian Sky. Étant donné que la sécurité de la manoeuvre en situation d'urgence dépend de l'habileté du pilote à réagir aux événements, il est essentiel que les cours reproduisant les conditions de navigation qui sont dispensés aux pilotes soient le plus réaliste possible, notamment en ce qui a trait à l'environnement visuel et aux caractéristiques de manoeuvre des navires sur lesquels ils suivent une formation. Pour atténuer cette lacune au niveau de la formation, certaines administrations de pilotage prévoient une formation pratique dans un environnement non menaçant, afin d'aider les pilotes à mieux apprécier les caractéristiques de manoeuvre spéciales des navires qu'ils sont appelés à manoeuvrer.

2.5.2 Service actif en double et sécurité

Les statistiques révèlent que les pilotes sont rarement appelés à conduire de grands navires à passagers. Il est d'autant plus rare qu'on décide de prolonger une activité d'observation des baleines. Comme l'observation des baleines ne se fait pas toujours dans la même zone du parc marin et ne se déroule pas toujours dans les mêmes conditions, il est impossible de préparer un plan de route détaillé dans lequel on prévoit faire exécuter une manoeuvre d'évitage à ces grands navires à un endroit prédéterminé. Toute manoeuvre d'évitage dans des eaux resserrées comme celles du parc marin doit donc être planifiée avec peu de préavis et exécutée avec précision.

Le pilote doit tenir compte de plusieurs éléments s'il veut réduire les risques au minimum quand il est nécessaire d'exécuter une manoeuvre spéciale près d'une zone de haut-fond. L'application d'un plan détaillé et prédéterminé n'étant pas réalisable, les règles de sécurité nécessaires à une bonne navigation voudraient que le plan de traversée du pilote dans le secteur comprenne une liste des éléments à prendre en compte pour exécuter la manoeuvre. Cette liste faciliterait la prise de décisions et aiderait à mettre au point des plans spécifiques avec peu de préavis.

Les navires qui font l'objet des activités d'observation de baleines dans des eaux resserrées courent de plus grands risques d'événement que les navires engagés dans des opérations normales. La pratique voulant que deux pilotes se partagent la charge de travail et mettent en commun leurs connaissances en eaux resserrées peut atténuer les risques grâce à une reconnaissance précoce du danger. Dans le cas qui nous occupe, on n'a pas tenu compte correctement de tous les éléments avant d'exécuter le virage supplémentaire. Le partage de la charge de travail avec le deuxième pilote aurait permis à l'équipe de passerelle de faire une évaluation plus juste des risques et de rester au fait de la situation. Le deuxième pilote aurait pu fournir des renseignements à l'équipe de passerelle et qui auraient donné aux membres de l'équipe l'occasion d'envisager d'autres mesures appropriées à la situation : d'abord avant d'amorcer la manoeuvre d'évitage et par la suite, pendant l'évolution de la manoeuvre. Une telle approche correspond à la philosophie de l'approche d'équipe visant à supprimer les problèmes de point de panne unique (single-point failure). En cas d'urgence, la mise en commun des connaissances des membres de l'équipe peut aider à tirer le navire d'une situation dangereuse. Toutefois, les deux pilotes ont travaillé à tour de rôle, de sorte qu'un seul pilote était de service alors que le navire exécutait des manoeuvres à proximité des bancs. Cela a privé le navire des bénéfices que procurent la présence de deux pilotes de service à bord.

À l'heure actuelle, il n'existe pas de directives pour aider les pilotes à déterminer les moments auxquels deux pilotes devraient être de service. Cela permet aux pilotes d'utiliser des critères variés qui ne tiennent pas nécessairement compte de tous les éléments essentiels à l'évaluation .des risques, comme en témoigne le présent événement. Les directives permettent :

Sur le plan opérationnel, un tel système permettra essentiellement :

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. La manoeuvre d'évitage entreprise pour prolonger la période d'observation des baleines a été improvisée et ne faisait pas partie du plan de route du navire. Ce changement dans le plan n'a pas été planifié ni géré efficacement.
  2. L'équipe de passerelle n'a pas fait un usage optimal de l'équipement de navigation dont elle disposait pour déterminer la limite d'approche des bancs, afin d'éviter l'échouement.
  3. Le pilote n'a pas accepté les conseils du capitaine qui connaissait les caractéristiques de manoeuvre du navire, et l'arrière du navire s'est déplacé rapidement vers les bancs (balayage/poussée).
  4. Le capitaine n'a pas annulé l'ordre du pilote demandant de mettre la barre à gauche toute.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Comme les cours de formation officiels sur les systèmes de passerelle intégrés ne sont pas obligatoires, il arrive que les équipes de passerelle ne fassent pas un usage optimal du système.
  2. Comme la formation sur la gestion des ressources à la passerelle (GRP) varie d'un établissement à l'autre partout dans le monde, et comme les pilotes et les officiers des navires reçoivent souvent leur formation séparément, la dynamique ou l'interaction entre les pilotes et les officiers des navires peut se dégrader en cas d'urgence.
  3. En raison de la communication insuffisante entre les membres de l'équipe de passerelle, des décisions liées à la navigation ont été prises alors qu'elles étaient fondées sur des informations insuffisantes ou incomplètes, ce qui a accru le risque d'accidents.
  4. L'installation d'un système de visualisation de cartes éélectroniques et d'information n'est pas obligatoire à bord des navires. Ainsi, l'accessibilité et la qualité de la formation n'est pas uniforme, ce qui réduit l'efficacité de son utilisation et prive l'équipe à la passerelle d'un outil permettant de conserver l'orientation spaciale.
  5. Il n'y avait pas de mécanisme (matériel ou autre) ni d'alarme sonore ni de mesure secondaire (p. ex. une affiche d'avertissement) pour empêcher de mettre la barre toute ou pour prévenir l'équipage des conséquences de cette action.
  6. La pratique actuelle voulant qu'un seul pilote soit de service à bord du navire dans des situations où le travail d'équipe s'impose, alors qu'il y a deux pilotes à bord, prive le navire des bénéfices sur le plan de la sécurité que procure l'approche d'équipe visant à supprimer les problèmes de point de panne unique (single-point failure).
  7. Le centre de formation dont les pilotes de la Corporation des pilotes du bas Saint-Laurent se servent ne comprenait pas, au moment où le pilote a suivi ses cours, de modèles réduits de navire correspondant à des caractéristiques de manoeuvre non traditionnelles semblables à celles qui sont rendues possibles par les gouvernails à volet articulé du Norwegian Sky.
  8. Le pilote n'avait pas reçu de formation pratique sur des navires de ce genre, dans des conditions non menaçantes, formation qui lui aurait permis de mieux apprécier les caractéristiques de manoeuvre spéciales du bâtiment.

3.3 Autres faits établis

  1. Il a fallu 21 minutes aux 787 membres d'équipage pour rassembler les 1 923 passagers et préparer 16 canots de sauvetage.
  2. L'intervention rapide et efficace à la situation d'urgence peut être attribuée en partie à la formation et à la culture de sécurité qui a été instaurée par la Norwegian Cruise Line.
  3. Les mesures d'urgence prévues pour cette opération de recherche et sauvetage d'envergure étaient bien organisées.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Révision des problèmes reliés au pilotage

En 1999, le Comité de révision de l'Office des transports du Canada (OTC) a formulé un nombre de recommandations sur les problèmes de pilotage demeurés en suspens, qu'il a présenté au ministre des Transports. En ce qui a trait au double pilotage, le Comité de révision a recommandé que l'Administration de pilotage des Laurentides (APL) réalise une évaluation en fonction des risques pour le milieu de 2001. De plus, le Comité a demandé que l'APL fasse part de ses résultats sur l'évaluation en fonction des risques au ministre des Transports afin qu'il puisse apporter les changements nécessaires à la réglementation.

La Corporation des pilotes du bas Saint-Laurent a fait suivre son rapport/étude sur le double pilotage à l'APL, afin que celui-ci serve de document de référence à l'analyse en fonction des risques.

Transports Canada a récemment engagé des sommes supplémentaires afin de poursuivre l'analyse en fonction des risques tel que recommandé par l'OTC.

4.1.2 Garde côtière canadienne

Au sein de la Garde côtière canadienne (GCC), la Division Sauvetage, sécurité et intervention environnementale de la Direction des programmes maritimes a mis sur pied un programme de sensibilisation du public qui s'adresse à toutes les municipalités riveraines de la région des Laurentides. Le programme vise à faire savoir aux autorités locales que les services de recherche et sauvetage devront compter sur leur appui immédiat si un navire à passagers se trouvait désemparé ou devait faire descendre ses passagers.

La GCC a révisé son plan d'urgence:

4.1.3 Norwegian Cruise Line

La Norwegian Cruise Line a élaboré et mis en application un ensemble exhaustif de consignes à la passerelle dans le cadre de son Système de gestion environnementale et de gestion pour la sécurité. Les consignes, qui sont colligées dans le Manuel des normes relatives à la navigation, portent sur les opérations nautiques à bord et contiennent des indications, des directives et des recommandations à l'intention de l'équipe à la passerelle.

Voici une brève description des points touchant la sécurité qui sont traités dans le rapport et que la compagnie s'est employée à régler après l'événement :

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A— Trajectoire du Norwegian Sky

Annexe B— Photos

Photo 2. Le Norwegian Sky
Le Norwegian Sky
Photo 3. Le Norwegian Sky échoué. Notez le courant qui pousse le navire contre les bancs de l'île Rouge.
Le Norwegian Sky échoué. Notez le courant qui pousse le navire contre les bancs de l'île Rouge
Photo 4. Le Norwegian Sky échoué. Le garde côte Isle Rouge lui prête main-forte.
orwegian Sky échoué. Le garde côte Isle Rouge lui prête main-forte

Les photos qui figurent sur cette page sont reproduites avec la permission du ministère des Pêches et des Océans.

Annexe C— Sigles et abréviations

AAC
Association des armateurs canadiens
alarme
annonce sonore ou visuelle destinée à signaler une situation anormale qui exige une intervention
APL
Administration de pilotage des Laurentides
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
champ visuel
partie de l=espace dans laquelle les objets sont vus par un oeil dans une position donnée
CEN
Carte électronique de navigation
CSSM
Centre secondaire de sauvetage maritime
DGPS
Système de positionnement global en mode différentiel
G
gyrocompas (degrés)
équipe de passerelle
le personnel navigant et le pilote en poste sur la passerelle
GCC
Garde côtière canadienne
GPS
système de positionnement global
INMARSAT
Système de communication par satellites maritimes internationaux
ISO
Organisation internationale de normalisation
kW
kilowatts
LORAN
Système hyperbolique d=aide à la navigation à grande distance
m
mètre
NGCC
Navire de la Garde côtière canadienne
OMI
Organisation maritime internationale
OQ
officier de quart
personnel navigant
personnel du navire qui est en poste sur la passerelle (à l=exception du pilote)
personnel supérieur
capitaine et second capitaine
poste de travail
combinaison des appareils nécessaires à l=exécution de certaines tâches (y compris le pupitre, ses dispositifs, ses équipements et le mobilier)
SAR
recherche et sauvetage
SCTM
Services de communications et de trafic maritimes
SCE
Système de cartes électroniques
SNI
système de navigation intégré (système d=instrument en réseau qui contribue à la sécurité de la navigation grâce à l=évaluation des données transmises par différents capteurs indépendants; le système combine les données et transmet l=information de façon à signaler en temps voulu les dangers potentiels ainsi que la dégradation de l=intégrité de cette information)
SPI
système de passerelle intégré (combinaison de systèmes interconnectés qui donnent un accès centralisé aux informations transmises par les capteurs, ou qui permet de commander le navire à partir des postes de travail)
SVCEI
Système de visualisation de cartes électroniques et d'information (une fois le SCE homologué)
VHF
très haute fréquence
°
degré
°G
degré du gyrocompas
°V
degré vrai
minute