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Rapport d'enquête ferroviaire R96T0080

Collision / Déraillement
Canadien National
Point milliaire 0,0, subdivision Halton
Toronto (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 6 mars 1996 vers 16 h, heure normale de l'Est, dans le triage MacMillan du Canadien National (CN), une manoeuvre télécommandée qui se déplaçait vers le sud a franchi une liaison dont l'aiguillage était orienté vers une voie adjacente et a heurté un train immobilisé, entraînant le déraillement de sept wagons. La collision n'a pas fait de blessé et n'a pas causé de perte de produit, mais un wagon citerne chargé d'une marchandise dangereuse ainsi qu'un autre qui renfermait un résidu de marchandise dangereuse ont été lourdement endommagés.

Le Bureau a déterminé que les membres de l'équipe de la manoeuvre ont momentanément interrompu la surveillance de leur mouvement et l'ont exploité dans une zone où ils n'avaient pas confirmé la sécurité.

This report is also available in English.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'accident

Le triage MacMillan du CN, situé au point milliaire 0,0 de la subdivision Halton, est une importante installation d'aiguillage et de triage à butte. Plusieurs manoeuvres y sont toujours en cours de classement.

Les deux membres de l'équipe (un contremaître et un aide de triage) de la manoeuvre West Control de 15 h (la manoeuvre) entrent au travail vers 14 h 45Note de bas de page 1 le 6 mars 1996. Le contremaître de triage donne des instructions pour la tâche en se guidant sur un formulaire spécial du CN, qu'il remplit.

Chacun des membres de l'équipe est muni d'une loco-commande de système de télécommande des locomotives de manoeuvre (LCS) qui a été activée et essayée tel que requis. L'équipe reçoit ses instructions de classement du coordonnateur de triage, inspecte ses locomotives et les déplace sur la voie C-06.

La manoeuvre, commandée à distance, commence vers 15 h.

Après plusieurs manoeuvres sur les voies C-06, C-07 et C-10 (au cours desquelles le coordonnateur de triage avertit les membres de l'équipe que le train M-383-31-06 (train 383) se trouve sur la voie de départ Halton), l'équipe entreprend une manoeuvre vers le sud avec 59 wagons à partir de la voie C-06. Le contremaître de triage est placé dans la locomotive de tête à l'extrémité sud du mouvement. L'aide de triage dirige la manoeuvre d'un endroit situé à environ 36 wagons de la tête.

Le train 383, composé de 3 locomotives, de 34 wagons chargés et de 33 wagons vides, est immobilisé sur la voie de départ d'Halton. Il attend le signal l'autorisant à pénétrer dans la subdivision Halton pour se rendre à Sarnia (Ontario).

La manoeuvre est arrêtée sur l'ordre du contremaître de triage pendant que celui-ci descend du train pour orienter l'aiguillage d'une liaison vers la voie adjacente à la voie de départ d'Halton. Le contremaître de triage demande ensuite à l'aide de triage de remettre les wagons en mouvement et il se place sur la chaussée, du côté ouest de la manoeuvre. Cette dernière accélère jusqu'à 8 mi/h dans son mouvement vers le sud. Le contremaître de triage note que les wagons de queue du train 383 se trouvent sur la voie de départ d'Halton, juste au nord du point où la voie décrit une courbe vers l'est. Comme la manoeuvre se déplace vers le sud, le contremaître perd de vue le groupe de traction, qui est caché par les wagons de queue du train 383.

À peu près à ce moment, l'aide de triage descend du train du côté est de la manoeuvre pour être près des aiguilles à déplacer pour circuler vers le nord. L'aide de triage ne peut voir le contremaître de triage et il le croit toujours sur la locomotive de tête, surveillant l'aiguillage. Le contremaître appelle alors par radio l'aide de triage pour savoir si celui-ci peut voir le groupe de traction de sa position. L'aide lui répond que non. Le contremaître prévient donc l'aide de triage que la liaison de la voie de départ d'Halton ne se trouve qu'à 10 ou 12 longueurs de wagon en avant. Le message ne parvient à l'aide de triage que sous forme tronquée et inintelligible. À ce moment-là, soit vers 16 h, le coordonnateur de triage intervient et avertit l'équipe de triage que la liaison devrait être orientée vers leur voie à suivre. L'aide de triage répond qu'il arrête la manoeuvre et exécute une commande d'arrêt. Avant que les freins ne soient serrés, les locomotives franchissent la liaison et heurtent le train 383, entraînant le déraillement de sept wagons.

Lorsque la manoeuvre s'arrête, l'aide de triage, qui n'est pas au courant de la collision, tente de commander la marche arrière, mais il constate que les locomotives ne répondent pas. Le coordonnateur de triage avertit alors l'équipe de triage que la manoeuvre a été mise en cause dans un accident grave. L'équipe de manoeuvre fait immédiatement rapport au bureau du coordonnateur de triage, tel qu'exigé par les instructions de la compagnie.

Quatre des wagons déraillés dévalent un petit talus pour aboutir sur une route asphaltée d'accès du triage. Le wagon DLCX2040, chargé d'oxyde d'éthylène, UN 1041, est très endommagé; il s'immobilise à l'envers et repose sur le dôme. Deux wagons citernes contenant un résidu de produit pétrolier déraillent aussi. L'un de ceux-ci reste sur ses roues tandis que l'autre se renverse sur le côté.

L'oxyde d'éthylène est un gaz comprimé dont les vapeurs sont inflammables à un intervalle de concentrations très étendu et qui, s'il est contaminé, peut se polymériser violemment. Les vapeurs sont plus lourdes que l'air et très toxiques. L'état du wagon-citerne DLCX2040, renversé et endommagé, est inquiétant, et les mesures d'urgence du triage sont immédiatement mises en branle. On prévient le service d'incendie local, et l'agent des marchandises dangereuses du CN établit un périmètre de sécurité. On fait appel à des équipes d'intervention spécialisées en pollution chimique de Sarnia et de Fort Saskatchewan (Alberta) qui suivent le Plan d'aide en cas d'urgence. Un spécialiste en intervention d'urgence de Transports Canada surveille les lieux. Les moteurs des locomotives de manoeuvre, qu'il est impossible d'arrêter par la télécommande, continuent de tourner à proximité du wagon DLCX2040 ainsi que du wagon citerne renversé contenant un résidu. On laisse tourner les moteurs des locomotives pendant l'inspection des lieux pour détecter les fuites de produit. Quand on détermine que les wagons citernes déraillés ne fuient pas, un employé du CN s'approche des locomotives et coupe l'arrivée de carburant aux robinets extérieurs, entraînant l'arrêt des moteurs sans incident.

1.2 Dommages au matériel

Les deux locomotives de manoeuvre et trois wagons du train 383 ont subi des dommages mineurs. Quatre wagons du train 383 ont été lourdement endommagés.

1.3 Autres dommages

La voie a été endommagée sur environ 250 pieds, et un aiguillage de liaison a aussi été abîmé.

1.4 Méthode de contrôle du mouvement des trains

Les manoeuvres circulent de manière indépendante, sous la surveillance générale d'un coordonnateur de triage.

1.5 Conditions météorologiques

Le temps était calme et clair et la température, de moins 5 degrés Celsius.

1.6 Manutention de marchandises dangereuses

L'enlèvement du produit du wagon DLCX2040 a commencé vers 3 h 45 le 8 mars 1996, après que la voie endommagée a été réparée et que les autres wagons ont été remis sur les rails. Une zone d'exclusion d'environ 200 mètres carrés a été établie autour du wagon citerne pendant le transbordement. On s'est servi d'azote sous pression pour refouler l'oxyde d'éthylène dans un autre wagon citerne. Le service d'incendie local était sur place pendant le transbordement, de même que les services ambulanciers et des spécialistes de l'industrie chimique. Le transbordement s'est déroulé sans incident.

1.7 Autres renseignements

1.7.1 Système de télécommande des locomotives de manoeuvre (LCS)

Le LCS est un moyen de commander des locomotives à distance. Dans un triage en palier, le système nécessite deux opérateurs et se compose de trois éléments principaux :

  1. Matériel embarqué de locomotive

    Une locomotive de manoeuvre standard est équipée d'un récepteur radio de LCS lui permettant de capter les commandes radio d'un poste éloigné. Les commandes reçues par la locomotive sont converties en signaux électroniques par un ordinateur de bord.

  2. Loco-commande

    Ce dispositif de télécommande portatif émet des signaux pour les commandes de base de la locomotive. La loco-commande est munie d'un transmetteur électronique qui, lorsqu'il est activé par l'opérateur, émet un signal sonore indiquant l'état de certains dispositifs d'exploitation ou exigences d'exploitation de la locomotive par le biais de la radio portative de l'opérateur.

  3. Station de relais radio

    Un émetteur-récepteur placé dans un endroit stratégique capte et retransmet les messages entre la locomotive et la loco-commande. Cet émetteur-récepteur a une portée de 2,5 milles. Dans certaines conditions (c'est-à-dire à proximité de la locomotive ou en cas de panne de l'émetteur-récepteur), on peut modifier le système pour qu'il puisse fonctionner sans l'émetteur-récepteur, mais la portée est alors considérablement réduite (1 mille).

Le LCS est conçu pour permettre à deux opérateurs, placés à des centaines de mètres l'un de l'autre, de se passer la commande (c'est ce qu'on pourrait appeler l'« échange du signal de commande »). L'utilisation du système nécessite une liaison radio bilatérale efficace ainsi qu'un respect rigoureux des instructions applicables de la compagnie et du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF).

Le LCS comporte plusieurs dispositifs de sécurité intégrés. Par exemple, le système déclenche automatiquement les freins d'urgence dans certaines situations. Si l'opérateur qui porte la loco commande tombe (provoquant l'inclinaison à plus de 45 degrés de la loco-commande), si la liaison radio entre la loco-commande et la locomotive est coupée, ou si la loco-commande n'est pas manipulée (ou que l'opérateur n'appuie pas sur un bouton de réenclenchement) pendant 60 secondes, le LCS commande automatiquement les freins d'urgence.

1.7.2 Instructions et exigences d'exploitation

Le manuel du triage MacMillan précise que les employés qui utilisent le LCS sont responsables de la surveillance de leur mouvement et il stipule que, si l'on ne sait pas si la voie à suivre est libre ou si l'on ne peut voir si elle est libre, il faut placer un employé à l'avant du mouvement pour assurer cette protection. La règle 115 du REF, qui s'applique dans ce cas, prescrit que, lorsqu'un matériel roulant est poussé par une locomotive, un membre de l'équipe doit être placé au sol, de façon à pouvoir observer la voie à utiliser et donner les signaux ou les instructions nécessaires pour diriger le mouvement. Selon cette même règle, lorsqu'il est constaté ou confirmé que la portion de voie à utiliser est libre, un membre de l'équipe n'a pas besoin de se placer de la sorte.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

L'exploitation du train 383 n'a joué aucun rôle dans l'accident. La manoeuvre, exécutée sans surveillance du mouvement, a franchi une liaison et a heurté le côté d'un train immobilisé. Il y avait un risque important de déversement de marchandises dangereuses, avec les risques que cela comporte pour la sécurité du public et l'environnement. Il est évident que la manoeuvre en palier dirigée par LCS, même si elle est exécutée à basse vitesse, comporte des risques.

2.2 Examen des faits

2.2.1 L'accident

La surveillance du mouvement a été interrompue à un moment critique. Si le contremaître de triage était resté sur la locomotive, il aurait vu que la liaison n'était pas orientée vers la voie qu'il voulait suivre, et il aurait eu le temps d'arrêter le mouvement. Il est évident que les deux employés étaient conscients de la nécessité d'assurer une surveillance continue du mouvement et savaient que la liaison présentait un risque. Un employé attentif aurait prévu l'interruption éventuelle de la surveillance du mouvement lorsque la manoeuvre longerait le train 383 et aurait conclu que la prudence commandait d'assumer la conduite du mouvement et de monter dans la locomotive de tête.

2.2.2 Utilisation du système de télécommande des locomotives

Le LCS permet la manoeuvre en palier avec une équipe de deux personnes. Pour que l'opération se déroule en toute sécurité, il faut que l'équipe voie — ou sache — que la voie est libre. L'accident à l'étude montre bien ce qui peut arriver quand on ne suit pas ne serait-ce que momentanément cette exigence. Si le contremaître de triage s'était placé lui-même du côté est du mouvement, à un endroit d'où il pouvait voir que la voie était libre, il n'aurait peut-être pas vu ou remarqué que la liaison était orientée vers la voie de départ d'Halton; selon ce scénario, le résultat aurait probablement été le même. Le meilleur moyen d'éviter cet accident aurait été si le contremaître de triage avait assuré la conduite des locomotives pour franchir l'aiguillage.

Le LCS ne permettait pas d'arrêter les moteurs des locomotives et tant que ceux-ci ont continué de tourner, ils risquaient d'allumer un incendie. S'il y avait eu une fuite dans les wagons citernes de marchandises dangereuses, la présence de locomotives dont le moteur tournait aurait été très dangereuse. En l'occurrence, un employé s'est lui-même exposé pour assurer la sécurité du secteur. Un dispositif d'arrêt à distance améliorerait la sécurité dans de telles situations.

Cet accident montre aussi comment une manoeuvre de triage courante peut rapidement dégénérer en une situation dangereuse. Il convient de noter que, mises à part les procédures de la compagnie et les exigences du REF, il n'existe pas de dispositif de protection qui empêcherait qu'un mouvement dirigé par LCS ne pénètre malencontreusement sur une voie principale.

2.2.3 Intervention concernant les marchandises dangereuses

Les risques associés aux wagons citernes endommagés, et spécialement au wagon DLCX2040, ont été promptement mesurés et une intervention d'urgence appropriée a été déclenchée. Le transbordement de l'oxyde d'éthylène a été fait de la façon la moins risquée possible.

3.0 Conclusions

3.1 Faits établis

  1. L'exploitation du train 383 n'a joué aucun rôle dans l'accident.
  2. La manoeuvre a malencontreusement heurté le train 383 sur le côté.
  3. L'équipe de la manoeuvre a momentanément interrompu la surveillance du mouvement.
  4. Pour qu'une manoeuvre dirigée par LCS soit effectuée en toute sécurité, il faut respecter rigoureusement les instructions de la compagnie et prêter une attention particulière à la méthode d'exploitation.
  5. Le LCS ne permet pas d'arrêter à distance les moteurs des locomotives.
  6. Le risque que présentaient les wagons citernes endommagés transportant des marchandises dangereuses a été promptement mesuré et une intervention d'urgence appropriée a été déclenchée. Le chargement d'oxyde d'éthylène a été transbordé de la façon la moins risquée possible.

3.2 Cause

Les membres de l'équipe de la manoeuvre ont momentanément interrompu la surveillance de leur mouvement et l'ont exploité dans une zone où ils n'avaient pas confirmé la sécurité.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

En octobre 1996, le BST a envoyé un Avis de sécurité ferroviaire à Transports Canada (TC), avec copies adressées au Canadien National, au Chemin de fer Canadien Pacifique et à l'Association des chemins de fer du Canada. Cet avis portait sur des problèmes de sécurité liés à l'utilisation des systèmes de télécommande des locomotives de manoeuvre (LCS). Le BST proposait que TC, de concert avec les compagnies ferroviaires, revoie les méthodes de télécommande des locomotives afin d'assurer une surveillance adéquate des mouvements dirigés par LCS.

En réponse, TC a indiqué qu'il n'existait pas de règles ni de règlements fédéraux régissant la méthode de récupération ou tout autre aspect du LCS. TC a indiqué que les employés d'exploitation doivent se conformer aux règles pertinentes du REF et à tous les autres règlements fédéraux pertinents.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.