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Rapport d'enquête maritime M98L0139

Incendie à bord
du navire de marchandises diverses Southgate
Grande-Anse (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 26 octobre 1998, en début d'après-midi, un incendie se déclare dans une cale du Southgate. Le navire est amarré à quai à Grande-Anse (Québec), et les débardeurs effectuent un chargement de panneaux de fibre à densité moyenne, empaquetés en ballots. Au cours des manoeuvres de chargement, l'alarme générale retentit alors que l'incendie se propage rapidement entre les ballots. L'équipage lutte contre l'incendie puis finalement ferme les écoutilles. On injecte du gaz carbonique dans la cale. Le lendemain, on ouvre la cale et le feu se ranime; on ne réussit pas à maîtriser l'incendie avec de la mousse et de l'eau. On referme la cale puis on injecte du gaz carbonique. Le 3 novembre, après la réouverture de la cale, on constate que le feu est éteint. L'événement n'a pas fait de pollution et on signale qu'une seule personne a été incommodée par la fumée.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom « Southgate »
Numéro officiel 729543
Port d'immatriculation Nassau
Pavillon Bahamas
Type Navire de marchandises diverses
Jauge bruteNote de bas de page 1 12 174 tonneaux
Longueur 158.87 m
Tirant d'eau 6.40 m
Construction 1985, à Varna, en Bulgarie
Groupe propulseur Un moteur diesel B&W de 8 090 kW
Cargaison 1 362 m3 de panneaux de fibre à densité moyenne
Équipage 23 personnes
Propriétaires Spencer Navigation, Limassol, Chypre

Le Southgate est un transporteur de marchandises diverses ayant un port en lourd de 16 954 tonnes métriques. La passerelle, les emménagements et la salle des machines se trouvent derrière les cinq cales à cargaison. Ces cales sont desservies par sept grues de pont servant à la manutention de la cargaison. Hormis la cale no 1, l'accès aux quatre autres cales se fait par deux écoutilles sur le pont principal et l'entrepont. Des moteurs électriques actionnent les panneaux des écoutilles de l'entrepont à partir d'un interrupteur situé sur le pont principal. Il n'y a pas de cofferdam entre la cale no 5 et la salle des machines. Il n'y avait aucune marchandise dans la cale no 4. Les ballasts sous la cale no 5 servaient de soutes à combustible au moment de l'incendie. Dans un des roufs, sur le pont principal, le navire est muni d'une installation fixe d'extinction au gaz carbonique (CO2) comprenant 69 bouteilles. Le navire a également une réserve supplémentaire de cinq bouteilles.

Photo 1. Aménagement général du Southgate
Aménagement général du Southgate

Déroulement des événements

Après avoir déchargé une cargaison de rouleaux d'acier à Sheet Harbour (Nouvelle-Écosse), l'équipage du Southgate balaie les cales et draine les puisards.

Le 21 octobre 1998 à 23 h 20, heure normale de l'Est (HNE)Note de bas de page 2, le navire arrive au terminal de Grande-Anse de Port Saguenay, à Ville de La Baie (Québec) afin de prendre une cargaison partielle à destination de Limassol, Chypre et Kalamaki, en Grèce. Le capitaine n'a reçu qu'un message lui indiquant le volume de la cargaison à charger durant le voyage, et aucun plan d'arrimage officiel concernant le chargement n'a été établi.

Le 22 octobre, le surintendant des débardeurs explique au second capitaine la méthode d'arrimage qui sera adoptée, mais on ne fait pas de plan d'arrimage. À 8 h, on débute le chargement de panneaux de fibre à densité moyenne (MDF)Note de bas de page 3 simultanément dans les cales no 3 et no 5 en utilisant les grues du navire. À la fin de la journée, vers 17 h, les débardeurs terminent l'arrimage d'une deuxième travée de ballots le long de la cloison arrière de la cale no 5.

Le 23 octobre, en raison de la pluie, les opérations de chargement sont interrompues, et ce pendant toute la fin de semaine.

Le 26 octobre, le chargement reprend dans la cale no 3 avec une équipe de débardeurs. Vers 8 h 45, le chargement de la cale est terminé. Deux charpentiers restent dans la cale pour compléter l'installation du fardage. Le reste de l'équipe se déplace vers la cale no 5. Dans la matinée, on complète le chargement autour du carré de l'écoutille bâbord, puis quelques ballots sont arrimés au centre du carré. Vers 13 h 30, les débardeurs arriment une troisième travée de ballots le long de la cloison arrière à tribord. Vers 13 h 35, les charpentiers terminent l'installation du fardage dans la cale no 3 et se dirigent vers la cale no 5. Vers 14 h, les membres de l'équipage se retirent pour la pause-café.

Vers 14 h 3, le surintendant des débardeurs descend dans la cale no 5 pour faire son inspection et perçoit une odeur de brûlé. En apercevant de la fumée blanchâtre, il crie « Au feu ». Le second capitaine qui a rejoint l'officier de quart sur le pont principal perçoit également une odeur de brûlé et ordonne à l'officier d'informer le capitaine. La fumée blanchâtre se transforme en fumée noire. Le carton et la toile de polyéthylène qui recouvrent les ballots sont en flammes et donnent l'apparence d'un feu de surface. À 14 h 4, le capitaine sonne l'alarme générale depuis la timonerie. Le surintendant appelle par radiotéléphone le gérant et les employés sur le quai et leur demande des extincteurs.

L'équipage déploie le matériel de lutte contre l'incendie. Le capitaine descend sur le pont principal avec un extincteur pendant que l'officier de quart va chercher des extincteurs dans les emménagements. L'équipage connecte deux manches à incendie, un à bâbord et l'autre à tribord. Les débardeurs déchargent des extincteurs sur les flammes, mais ils ne réussissent pas à maîtriser l'incendie. Le feu se propage horizontalement à bâbord puis vers l'avant du navire. Le capitaine s'inquiète de la présence des soutes d'huile diesel et de lubrification adjacentes à la cloison arrière de la cale. Vers 14 h 10, quand les flammes s'étendent à plus de 4 m de diamètre, le capitaine ordonne aux débardeurs et aux membres de l'équipage d'évacuer la cale.

Les membres de l'équipage luttent contre les flammes avec deux manches à incendie avec ajutage à jet plein. À 14 h 12, le chef mécanicien rapporte que la peinture sur la cloison avant de la salle des machines s'écaille et que la tôle rougit. Le personnel de la salle des machines arrose la cloison avec un manche à incendie pour la refroidir. Vers 14 h 15, les membres de l'équipage ferment les écoutilles et, à 14 h 17, on injecte du CO2 dans la cale no 5. On arrose les écoutilles pour faire baisser la température dans la cale et, vers 14 h 30, le chef mécanicien rapporte que la cloison avant de la salle des machines semble se refroidir.

Vers 14 h 40, le chef du service des incendies de la municipalité de Ville de La Baie arrive sur les lieux et demande alors au capitaine la permission de monter à bord. À 15 h 30, on arrête d'arroser les écoutilles sur le pont et la cloison avant dans la salle des machines. Vers 16 h, on constate que la température des écoutilles est revenue à la normale. L'équipage et l'équipe du service d'incendie terrestre assurent une veille continue du site de l'incendie. Vers 20 h, cinq autres bouteilles de CO2 sont déchargées dans la cale. Ensuite, le service d'incendie terrestre quitte le navire.

Le 27 octobre, vers 8 h, deux membres de l'équipage descendent dans la cale pour inspecter les lieux. Ils n'observent aucun foyer d'incendie à travers la fumée et, vers 9 h, on ouvre les écoutilles. On observe alors de la fumée puis des flammes qui s'échappent de nouveau du carré de l'écoutille tribord. Le service des incendies pulvérise de la mousse sur la cargaison, mais les pompiers épuisent leur réserve de mousse. On arrose les ballots avec de l'eau, mais quand le capitaine constate qu'on ne maîtrise toujours pas l'incendie, il ordonne de fermer de nouveau les écoutilles. L'équipage surveille étroitement l'atmosphère et la température dans la cale avec des sondes.

Le 28 octobre, un camion transborde du CO2 dans la cale.

Le 2 novembre, les bouteilles de CO2 remplies sont chargées à bord du navire.

Le 3 novembre, on ouvre de nouveau la cale no 5 en présence de l'équipage et de pompiers du service des incendies de la municipalité de Ville de La Baie et du service incendie de la base militaire des Forces canadiennes de Alouette (Québec). Environnement Canada effectue des prélèvements de l'atmosphère qui ne révèlent aucune formation de gaz d'acides cyanhydrique et formaldéhyde. Par suite de l'émission d'un Certificat d'accessibilité par un chimiste indépendant, l'équipage et les pompiers descendent dans la cale où ils constatent que le feu est éteint.

Photo 2. Cale No.5
Cale No.5

Le 8 novembre, le Southgate appareille de Grande-Anse à destination de Montréal (Québec) avec l'eau contaminée et la cargaison de MDF avariée, lesquelles sont respectivement déchargées à Montréal et à Kalamaki.

Victimes

Le surintendant des débardeurs a été incommodé par la fumée, mais il s'est rendu de lui-même sur le pont principal où il a perdu momentanément connaissance. Une ambulance l'a transporté à un hôpital local où il a reçu son congé le lendemain.

Fiches signalétiques du MDF

Le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses au Canada ne reconnaît pas le MDF comme une matière dangereuse et il n'exige pas que le MDF soit étiqueté d'une manière spéciale. Le MDF est un produit non réglementé.

Le produit MDF est identifié par des fiches signalétiques pour usage industriel qui indiquent que le MDF est un produit normalement stable, inflammable en présence de flammes nues, d'étincelles et de chaleur et qu'il peut se polymériser à des températures élevées croissantes. Les produits de décomposition peuvent comprendre du CO, du CO2, de l'aldéhydes (y compris du formaldéhyde), et du cyanure d'hydrogène. Le MDF n'engendre pas de risques de feu ou d'explosion mais le coupage, le sablage et l'usinage peuvent produire des poussières de bois qui peuvent présenter un risque d'explosion si la concentration de poussière entre en contact avec une source d'ignition. Les fiches signalétiques indiquent que les mesures pour combattre un composé de bois sont bien connues, qu'il faut arroser avec de l'eau, du CO2 et du sable et qu'il faut utiliser un extincteur de classe A.

Arrimage du MDF

Pour protéger le MDF contre les intempéries, on fermait les écoutilles du pont principal chaque nuit et les jours de pluie. Selon l'information recueillie, l'équipage n'a pas actionné les panneaux d'écoutilles d'entrepont pendant l'escale au port. Cependant, on n'a pas pu confirmer si l'installation électrique des écoutilles d'entrepont était demeurée sous tension.

Il n'existe pas de réglementation régissant l'inspection d'un navire avant le chargement de marchandises diverses, toutefois, le 22 octobre 1998 vers 7 h 20, le surintendant des débardeurs a visité les cales du navire et a constaté qu'elles étaient dans un état satisfaisant pour recevoir une cargaison de MDF. Des débardeurs opéraient les grues du navire. Il y avait dans chaque cale, un chef d'équipe, un opérateur de chariot élévateur, des préposés aux élingues et des charpentiers pour le fardage. Depuis le pont principal, l'officier de quart surveillait le chargement. Sur l'entrepont, un matelot qualifié signalait aux débardeurs les ballots avariés qui avaient besoin de réparations sommaires, et il prenait note des travaux effectués.

Les panneaux de MDF avaient été empaquetés en ballot par le fabricant. Chaque ballot avait un volume approximatif de 2,5 m3 et était enveloppé d'une toile de polyéthylène sous un carton ondulé sur cinq surfaces. Les panneaux reposaient sur des entretoises en MDF. Des courroies métalliques retenaient les panneaux, l'emballage et les entretoises.

Dans chaque cale, les ballots étaient arrimés sur le plafond de ballast le long de la cloison avant, puis sur les côtés, et finalement le long de la cloison arrière. Le surintendant surveillait les débardeurs sur le quai et à bord du navire. L'installation de ventilation du navire n'était pas utilisée.

Point d'ignition

Voici la température du point d'ignition de quelques matériaux selon la publication The Art and Science of Fire InvestigationNote de bas de page 4:

Matériau Point d'ignition (en degrés Celsius)
Panneau de fibre 218 - 246°C
Polyéthylène 349°C

Selon la source de référence susmentionnée, une cigarette qui a été aspirée (qu'on a fumée) brûle à une température de 427°C.

Inspection des cales chargées en MDF après l'incendie

Il n'a pas été possible d'assurer la continuité du site de la cale no 3, mais une inspection sommaire a révélé la présence, entre autres, de 12 mégots de cigarette, de deux papiers de cigarette et d'un paquet de cigarettes vide.

En plus de la présence de gaz toxiques (qui étaient des produits de combustion) limitant l'accès à la cale no 5, les ouvertures de la cale ont été contrôlées avec des sceaux, permettant ainsi d'assurer la continuité du site. L'inspection de la cale no 5 a révélé la présence, entre autres, de cinq mégots de cigarette; trois se trouvaient sur l'entrepont (deux d'entre eux sur des ballots).

Des fils électriques pendaient au-dessous de l'entrepont tribord arrière au droit du foyer de l'incendie. Trois foyers d'incendie ont été observés dans la cale. Le premier foyer d'incendie était situé dans la deuxième travée de la cloison arrière, entre la deuxième et la troisième rangée de la muraille tribord et sous le deuxième plan de ballots du haut. Ce premier foyer d'incendie avait consumé les ballots inférieur et supérieur et présentait une carbonisation sous forme de sillon. Un deuxième foyer d'incendie était situé dans la deuxième travée de la cloison arrière, au centre de la cale au deuxième plan du plafond de ballast. Un troisième foyer d'incendie était situé dans la troisième travée, à la cinquième rangée tribord sous l'entrepont et au deuxième plan du haut. La carbonisation était importante entre les ballots dans le coin arrière bâbord du carré de l'écoutille de l'entrepont tribord.

À part les dommages causés par le feu et la fumée, la cale était d'une propreté satisfaisante pour la cargaison chargée, et le matériel électrique présentait une usure normale pour l'âge du navire.

Les interventions

Lors de la première intervention, les décisions ont été prises par l'équipage, car l'équipe du service d'incendie terrestre n'est arrivée sur les lieux qu'après la fermeture des écoutilles. L'équipage et les débardeurs ont d'abord utilisé des extincteurs puis des lances à incendie munis d'ajutage de type à plein jet. En vertu de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer de 1974, le Southgate n'était pas tenu d'être équipé de lances avec ajutage de type combiné approuvé (jet diffusé / jet plein) avec dispositif d'arrêt, car il a été construit avant le ler juillet 1986. L'équipage n'a pas pu circonscrire les flammes, et les écoutilles ont été fermées. On a alors injecté du CO2 dans la cale.

La deuxième intervention a eu lieu le lendemain au terme de discussions entre l'équipage et le service des incendies de Ville de La Baie. Les pompiers ont dû prendre connaissance de l'équipement du navire en cas d'incendie, de l'installation fixe d'extinction au CO2 et de la capacité des pompes à incendie du navire. L'équipage et les pompiers ont d'abord utilisé de la mousse, mais faute d'approvisionnement, ils ont utilisé les lances à incendie du navire qui, cette fois, étaient munis d'ajutage de type à jet diffusé. Cependant, comme on n'arrivait pas à maîtriser l'incendie, on a fermé les écoutilles. L'installation fixe d'extinction au CO2 a été activée, utilisant cinq autres bouteilles de CO2 qui n'étaient pas entreposées dans la maison de mât sur le pont principal.

Le service des incendies de Ville de La Baie a fait appel au service incendie des Forces canadiennes de la base militaire de Alouette (Québec) en raison de leur expertise à bord des navires de la marine nationale. Avant d'entreprendre la troisième intervention, les intervenants ont attendu que les bouteilles de CO2 à bord du navire aient été rechargées. Avant de pénétrer dans la cale pour inspecter sommairement la cargaison lors de la troisième intervention, l'air vicié a été expulsé de la cale par ventilation forcée en utilisant un nouveau système portatif. Les pompiers des deux services d'incendie et l'équipage étaient prêts à intervenir, mais ils n'ont pas eu à lutter contre le feu, l'incendie était éteint.

Service d'aqueduc

Selon l'information recueillie, le système d'aqueduc de la ville avait de la difficulté à maintenir un débit d'eau constant sur une longue période pour desservir les installations portuaires de l'endroit.

Le 27 octobre, par mesure de précaution, l'autorité portuaire a demandé au service des incendies de Ville de La Baie d'effectuer un essai pour déterminer si l'alimentation en eau et la pression du réseau d'aqueduc municipal répondait aux exigences des pompiers.

L'essai, qui a été fait le 30 octobre, a révélé que quand la pression était basse, les équipes d'urgence devaient brancher une pompe supplémentaire pour assurer le débit, et une pompe additionnelle a été acheminée sur place pour la troisième intervention.

L'utilisation de la pompe additionnelle a permis de régler le problème.

Plan d'urgence

C'est le directeur du port des installations de Port Saguenay qui doit contacter les principaux intervenants et qui doit diriger les opérations d'urgence.

Dans le cas à l'étude, le directeur du port, le directeur du service de protection publique de Ville de La Baie et le capitaine du Southgate étaient les personnes-ressources responsables de mener à bien les opérations de lutte contre l'incendie à bord du navire. Les membres du groupe d'intervention ne savaient pas qui était la personne responsable. Le plan d'urgence de Port Saguenay, qui avait été émis le 2 octobre, énonce les tâches du commandant sur place et des organismes-ressources, mais il ne stipule pas qui est l'autorité suprême à bord du navire en cas d'incendie.

Interdiction de fumer

Les membres de l'équipage avaient le droit de fumer dans leur cabine et dans un carré désigné comme fumoir; toutefois, il était interdit de fumer ailleurs sur le navire. Les débardeurs avaient le droit de fumer dans leur cafétéria mais, sous peine d'amende, ils n'avaient pas le droit de fumer dans les endroits désignés comme le quai, l'entrepôt et sur les navires. L'armateur et l'entreprise d'arrimage avaient émis des consignes et avaient affiché des plaques concernant l'interdiction de fumer.

Selon l'information recueillie, quelques débardeurs et quelques membres de l'équipage fumaient dans des endroits où c'était interdit, mais cela n'avait pas été porté à l'attention du personnel de surveillance.

Statistiques

Le BST a fait appel à six sociétés de classification qui inspectent la majorité de la flotte mondiale pour prendre connaissance des cas d'incendie liés au MDF. Une seule société de classification a signalé un cas d'incendie de panneaux de fibre (200 tonnes). La cause de l'incendie n'était pas la combustion spontanée.

La compagnie d'assurances assurant le fabricant de MDF depuis avril 1994 a signalé que l'événement qui fait l'objet du présent rapport est le premier à être signalé. Au début du processus de fabrication du MDF, il arrive parfois que la poussière de bois prenne feu avant d'être mélangée à l'urée-formaldéhyde.

Lutte contre l'incendie dans les ports du Canada

Dans les ports du Canada, c'est généralement à l'administration portuaire qu'incombe la responsabilité de fournir un plan d'intervention d'urgence, y compris des ressources de lutte contre l'incendie, aux navires qui se trouvent dans le port. Ces plans d'urgence font souvent appel à l'assistance des services d'incendie municipaux, lesquels, dans bien des cas, n'ont pas de personnel formé pour la lutte contre l'incendie à bord des navires.

À la suite de l'incendie survenu à bord du vraquier Ambassador dans le port de Belledune (Nouveau-Brunswick) (rapport no M94M0057 du BST), le Bureau a recommandé que « le ministère des Transports entreprenne une vérification spéciale des installations de lutte contre l'incendie dans les ports et les havres du Canada sous sa juridiction afin de s'assurer qu'elles permettent de maîtriser les incendies à bord des navires peu importe la période de l'année ». À cette fin, l'Association canadienne des chefs de pompiers (ACCP), avec l'aide de Transports Canada, a distribué un court questionnaire pour évaluer les moyens de lutte contre l'incendie des services municipaux responsables de la lutte contre l'incendie dans les ports du Canada.

En juillet 1998, l'ACCP n'a reçu qu'un certain nombre de réponses à son questionnaire et a trouvé que les réponses étaient de piètre qualité et relativement sans valeur. La plupart des services d'incendie municipaux à qui le questionnaire a été envoyé ne sont pas membres de l'ACCP et ne se sont pas sentis obligés de répondre. Par contre, l'ACCP a trouvé que le questionnaire fournissait assez d'informations pour soulever des inquiétudes sur le fait qu'il se peut que les services d'incendie des municipalités dotées de ports publics ne soient pas en mesure de fournir les services nécessaires pour lutter contre un incendie à bord d'un navire. L'ACCP a fait savoir qu'elle était intéressée à travailler de concert avec Transports Canada pour faire des recherches plus poussées dans ce domaine.

À la suite de son enquête sur l'explosion et l'incendie à bord du pétrolier Petrolab qui ont occasionné la destruction du quai de l'État à St. Barbe (Terre-Neuve) le 19 juillet 1997 (rapport no M97N0099 du BST), le Bureau a fait connaître ses préoccupations à la Direction de la sécurité maritime de Transports Canada et à l'ACCP par le biais de l'avis de sécurité maritime no 03/98. L'avis demandait d'accélérer la vérification de sécurité et l'examen des risques et des mesures d'urgence dans les ports et dans les havres du Canada où il y a des terminaux pétroliers, et là où il y a des installations qui seraient vulnérables aux dommages catastrophiques s'il y avait un incendie à bord d'un navire à quai.

À ce jour, les politiques et les programmes de Transports Canada visant à favoriser la formation des pompiers des villes portuaires n'ont pas donné les résultats escomptés.

Analyse

Produits toxiques résultant de la combustion

Le MDF est jugé inoffensif à transporter et il n'est pas considéré comme une matière dangereuse. Le fabricant n'est pas obligé de fournir au transporteur une fiche signalétique.

Toutefois, tout comme d'autres matières non dangereuses, ce combustible solide libère des gaz toxiques lorsqu'il brûle. Pour inspecter la cargaison avant d'entreprendre la deuxième intervention, les intervenants ont pris la précaution de porter des appareils respiratoires autonomes. Les intervenants ne savaient pas que le MDF libère du cyanure d'hydrogène quand il brûle. Après la deuxième intervention, les intervenants ont décidé d'utiliser des détecteurs pour surveiller la cale à cargaison.

Le Code de matières dangereuses de l'OMI ne répertorie pas, et n'a pas pour objet de répertorier, les produits jugés inoffensifs à transporter qui, comme la plupart des matériaux, libèrent des gaz toxiques lorsqu'ils brûlent.

Extinction de l'incendie

L'odeur de brûlé a été le premier signe qu'il y avait un incendie dans la cargaison. La première intervention a été rapide parce qu'autant les débardeurs que les membres de l'équipage ont avisé les personnes-ressources. On a agit conformément aux bons usages maritimes en sonnant l'alarme générale avant de commencer à lutter contre l'incendie qui, à première vue, semblait un feu peu important.

Comme le signale la fiche signalétique du produit MDF, on recommande d'éteindre les feux alimentés par le bois, le carton et le plastique en abaissant la température du foyer d'incendie avec de l'eau. On peut aussi utiliser de la mousse et de la poudre chimique, lesquelles agissent comme agents d'étouffement.Note de bas de page 5

Ne connaissant pas l'ampleur de l'incendie, on a jugé bon d'utiliser d'abord des extincteurs. Même si ces derniers étaient chargés de poudre chimique pour différentes classes de feu, il n'en demeure pas moins que la poudre chimique agit comme agent d'étouffement sur les combustibles solides. Le foyer de l'incendie était situé entre deux plans de ballots; l'accès au foyer d'incendie n'était donc pas direct. Il a sans doute été impossible de répandre de la poudre chimique sur toute la surface du foyer d'incendie pour étouffer les flammes. Le carton et le polyéthylène sont des produits inflammables qui sont sujets à l'oxydation rapide s'ils sont exposés à l'air libre et à la chaleur dans les espaces entre les ballots. Les extincteurs portatifs n'ont pas une grande capacité de décharge et ils ne sont pas venus à bout de l'oxydation. Les flammes se sont par la suite propagées entre les ballots.

On a utilisé des lances avec ajutage à plein jet, mais seulement approximativement 10 % de l'eau absorbe la chaleur de l'incendie. Pour que cette méthode soit efficace et réduise la chaleur, le plein jet d'eau doit être dirigé directement sur la source des flammes. L'accès aux foyers d'incendie était toujours limité, et l'incendie a probablement pris de l'ampleur au point qu'il est devenu impossible de couvrir les flammes avec deux lances munis d'ajutage à plein jet. Un ajutage à jet diffusé aurait pulvérisé l'eau en brouillard, ce qui aurait eu pour effet de diminuer suffisamment la quantité d'oxygène disponible pour que la combustion ne puisse se maintenir.

Quand les membres de l'équipage ont constaté qu'ils n'arrivaient pas à maîtriser l'incendie, ils ont décidé d'isoler la cargaison en fermant les écoutilles et les manches à air et d'injecter du CO2. Le CO2 est l'agent d'extinction le plus sûr et le plus efficace contre les feux de cale. Comparativement, l'eau est moins efficace, car elle peut déstabiliser le navire et endommager la cargaison. Le CO2 agit comme agent d'étouffement et de dilution de l'oxygène. Étant donné que son action est lente, l'utilisateur doit faire preuve de patience. Or, on a rouvert la cale le lendemain matin. L'action physique et chimique du CO2 sur la cargaison et l'air ambiant n'a duré que 19 heures environ. Ce laps de temps s'est avéré insuffisant pour refroidir et étouffer les brasiers. En exposant la cargaison à l'air libre, les foyers d'incendie ont été exposés à une quantité suffisante d'air pour attiser le feu.

Puisque l'espace entre les ballots était difficile d'accès, lors de la deuxième intervention, la mousse était un choix judicieux comme agent d'extinction parce qu'elle peut être dispersée dans ces espaces libres et recouvrir toute la cargaison. En couvrant le combustible, la mousse l'isole de l'oxygène. En l'occurrence, il est possible que les pompiers n'aient pas recouvert entièrement tous les foyers d'incendie quand ils ont épuisé la réserve de mousse puisque l'incendie n'a pas été maîtrisé à ce moment-là. Par la suite, les intervenants ont utilisé des lances munis d'ajutage à jet diffusé. Cependant, l'eau a dispersé la mousse. Les intervenants ne pouvant toujours pas contrôler l'incendie, la cale a de nouveau été fermée. L'action lente mais efficace du CO2 pendant plus de cinq jours a eu raison des brasiers.

Origine de l'incendie

Photo 3. Cale No.5
Cale No.5

Tous s'entendent pour dire que les premières flammes orange ont été aperçues au droit du carré de l'écoutille tribord dans la deuxième travée de la cloison arrière entre le deuxième et le troisième plan du haut. On retrouve un foyer d'incendie à cet endroit. Le deuxième foyer se situe sous le premier foyer mais près du plafond de ballast. Le deuxième foyer d'incendie près du plafond de ballast et le troisième foyer d'incendie dans la troisième travée seraient le résultat de brasiers secondaires. La fumée blanchâtre était probablement d'un gris pâle, et la fumée noire qui a suivi était probablement brune foncée. On associe la couleur de ces fumées et de ces flammes à du bois qui brûle.

Parfois l'eau et l'air peuvent engendrer une interaction chimique avec le MDF; toutefois l'emballage en toile de polyéthylène imperméabilisait le MDF contre les intempéries, et il n'y avait pas eu de chargement les jours de pluie. La combustion peut résulter de l'interaction chimique de deux ou plusieurs substances. La fibre de bois à densité moyenne, le carton et la toile de polyéthylène sont des produits qui ne sont pas du tout susceptibles de réagir violemment entre eux. Selon l'information recueillie, les cargaisons des voyages antérieurs du navire n'ont pas laissé de dépôts d'hydrocarbures et le plafond de ballast avait été balayé de façon satisfaisante. Il est peu probable qu'une réaction chimique ait pu déclencher une combustion. Si tel avait été le cas, les flammes auraient été découvertes parmi les premiers plans au fond de la cale.

Le matériel électrique à bord du navire est affecté par l'air salin qui le corrode et les vibrations du navire qui l'endommagent. En contact avec la coque d'acier, le câblage électrique peut occasionner des courts-circuits, surchauffer ou former des arcs électriques qui peuvent mettre le feu aux matériaux inflammables se trouvant à proximité. Le fait de ne pas actionner les moteurs des panneaux d'écoutilles d'entrepont a réduit la possibilité de formation d'arcs électriques au-dessus des ballots. Une étincelle aurait pu enflammer un gaz, mais il n'y a pas eu d'explosion. De plus, étant donné que le premier foyer d'incendie a été décelé sous le deuxième plan de ballots du haut, la possibilité qu'une étincelle se soit faufilée entre ces ballots est d'autant plus faible. L'état du câblage électrique après l'incendie est plutôt le résultat de matériel endommagé par le feu.

Pour qu'un combustible solide s'enflamme, il doit passer à l'état gazeux. Dans un incendie, cette transformation se produit habituellement sous l'effet de la chaleur initiale. L'incendie n'est pas le résultat d'un mauvais arrimage. Il n'y a pas eu de ripage des ballots, lequel aurait occasionné de la friction produisant ainsi une source de chaleur. Si une source de chaleur dans la salle des machines avait chauffé la cloison arrière de la cale, la transmission de chaleur par rayonnement aurait provoqué un incendie au droit de la première travée adjacente à cette cloison. Or, aucun foyer d'incendie n'a été découvert dans cette travée.

Certains matériaux qui ne sont pas sujets à la combustion spontanée peuvent s'enflammer d'eux-mêmes dans certaines conditions. Le bois fait partie de ces matériaux, mais la cargaison à l'étude était un produit de bois. Le MDF est un matériau très dense et il avait été fabriqué sous forme de panneau. Les matériaux massifs prennent des heures, voire des jours à brûler. Or, le jour de l'incendie, l'équipage et les débardeurs sont restés près de la cargaison toute la journée, et l'odeur de brûlé et la fumée ont été détectées rapidement. Le début de la combustion n'est pas passé inaperçu. Les facteurs, entre autres, qui favorisent la combustion spontanée, sont une faible aération et une température de l'air ambiant élevée comme dans un espace clos. Or, la cale était bien aérée parce qu'elle était grande ouverte, et l'air ambiant était celui d'un climat tempéré d'automne canadien. Les statistiques ne font état d'aucun cas de combustion spontanée. Les éléments et les conditions qui prévalaient ne favorisaient pas la combustion spontanée.

Une inspection des cales no 3 et no 5 a révélé la présence de plusieurs articles de fumeur même s'il y avait des consignes en vigueur qui interdisaient aux gens de fumer et même si les contrevenants étaient passibles de sanctions. Ce constat est le signe que des personnes fumaient dans les cales.

Les indices portent à croire qu'un article de fumeur, probablement un mégot, a été jeté au droit du premier foyer d'incendie alors qu'on s'apprêtait à arrimer la troisième travée. Ceci se serait produit après le déjeuner vers 13 h 30. Étant donné que le point d'ignition d'un mégot est supérieur à celui du carton, du polyéthylène et des panneaux de fibre, le mégot aurait brûlé dans la demi-heure avant la découverte du feu, puis il aurait mis le feu au carton ondulé, à la toile de polyéthylène et finalement au MDF. Un mégot de quelque 20 mm de long aurait brûlé pendant 4 ou 5 minutes, soit assez longtemps pour transmettre de la chaleur au carton ondulé et à la toile de polyéthylène. L'espace entre les ballots était propice à la combustion, les matériaux étaient tous combustibles, il y avait suffisamment d'air, et l'endroit était à l'abri du vent.

Rôle du personnel de surveillance

Le MDF est un produit non réglementé et n'est pas considéré comme une marchandise dangereuse. Il n'exige donc aucune précaution de manutention spéciale. Or, l'équipage s'est concentré sur la stabilité et l'arrimage, comme pour toutes marchandises diverses, mais les membres de l'équipage et les débardeurs n'ont pas porté une attention particulière aux risques d'incendie.

Chacun a un rôle à jouer dans la prévention des accidents. Les surveillants ont la responsabilité de faire respecter la politique en matière de sécurité incendie. Ainsi, l'importance de sensibiliser les débardeurs et les membres d'équipage aux risques d'incendie liés à la cigarette peut certainement améliorer la sécurité sur les lieux de travail, surtout quand il s'agit d'espaces clos.

Autorité suprême à bord

Le capitaine d'un navire étranger est la personne qui détient l'autorité à bord, mais il doit se conformer à la législation canadienne. Un navire de commerce étranger n'est pas considéré comme un terrain souverain et, par conséquent, un représentant du gouvernement du Canada peut monter à bord du navire pour y exercer ses fonctions ministérielles. Pour ne pas retarder la prise de décisions, les plans d'urgence devraient indiquer le domaine de responsabilité des principaux intervenants au sein d'une structure de commandement unifié.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Selon toute vraisemblance, un mégot de cigarette a été jeté entre les ballots de MDF là où des flammes orange ont été aperçues; l'enquête a établi que le foyer d'incendie principal se trouvait à cet endroit.
  2. Le feu a probablement pris naissance entre deux ballots de MDF à cause d'un mégot de cigarette allumée qui a transféré la chaleur par conduction au carton ondulé et à la toile de polyéthylène recouvrant le MDF.
  3. Les deux autres foyers d'incendie décelés seraient le résultat de brasiers secondaires.
  4. Lors de la première intervention de lutte contre l'incendie, les membres de l'équipage ont utilisé des extincteurs qui n'avaient pas une grande capacité de décharge et ils n'ont pas réussi à étouffer les flammes qui se propageaient à travers les ballots.
  5. Lors de la première intervention, les lances avec ajutage à plein jet se sont avérés inefficaces parce que le jet d'eau ne pouvait pas être dirigé directement sur les flammes pour réduire la chaleur.
  6. On a fermé la cale et on y a injecté du gaz carbonique (CO2), mais on a rouvert la cale avant que le CO2 ait eu le temps d'étouffer les flammes.
  7. Les membres de l'équipage et des pompiers professionnels ont pulvérisé de la mousse et de l'eau sur les flammes dans l'espoir d'éteindre l'incendie, mais leurs efforts ont été infructueux, et la cale a été fermée.
  8. On a de nouveau injecté du CO2 dans la cale, et son action lente mais efficace pendant cinq jours a eu raison des brasiers.

Faits établis quant aux risques

  1. Il était interdit de fumer sur les lieux de travail mais ce règlement n'était pas vraiment appliqué.
  2. Le MDF est un produit jugé inoffensif à transporter. Il n'est pas répertorié comme une matière dangereuse dans le Code de matières dangereuses de l'OMI ni dans le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses au Canada.
  3. Le fabricant n'était pas obligé de fournir au transporteur une fiche signalétique, et l'équipage et les pompiers n'ont pris connaissance de la fiche signalétique du MDF qu'après la deuxième intervention.
  4. À ce jour, les politiques et les programmes de Transports Canada visant à favoriser la formation des pompiers des villes portuaires n'ont pas donné les résultats escomptés.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Par suite de cet accident, Port Saguenay a acheté une pompe à incendie portative pour combler le débit insuffisant du réseau d'aqueduc de Ville de La Baie.

En février 1999, la Ville de La Baie a actualisé son plan municipal de mesures d'urgence en se basant sur la publication de Protection civile Canada. En cas d'intervention à bord d'un navire, le plan précise qu'une équipe de coordination composée du capitaine, du représentant de l'organisme touché et du responsable du service des incendies établira un plan concerté d'intervention. Le plan mentionne que, légalement au Canada, lors d'un événement maritime, les actions concertées de ces trois intervenants font force d'autorité à bord d'un navire.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .