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Rapport d'enquête sur la sécurité du transport maritime M17C0053

Abaissement d'une barrière de retenue et de
fermeture de portes d'écluse sur un navire par inadvertance

Vraquier Federal Kumano
Beauharnois (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du voyage

Le 11 mai 2017, le Federal Kumano, un vraquier immatriculé aux îles Marshall (numéro OMI [Organisation maritime internationale] 9244257), est parti de Duluth (Minnesota, É.-U.), avec un chargement de 23 100 tonnes de blé (figure 1). Le navire devait passer par les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent pour se rendre en Algérie.

Figure 1. Le Federal Kumano (Source: Jacques Trempe)
Photo of the Federal Kumano (Source: Jacques Trempe)

Vers 8 hNote de bas de page 1 le 17 mai, le navire sortait de l'écluse inférieure de Beauharnois dans la Voie maritime du Saint-Laurent sous la conduite d'un piloteNote de bas de page 2 (figure 2). Cette écluse est l'une des 13 que comprend la section canadienne des installations de la Voie maritime du Saint-Laurent, qui sont administrées par la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL)Note de bas de page 3. L'éclusier se trouve dans un poste de contrôle à distance situé à Saint-Lambert (Québec).

Figure 2. Lieu de l'événement, à l'écluse inférieure de Beauharnois (Source : Service hydrographique du Canada et Google Earth, avec annotations du BST)
Lieu de l'événement, à l'écluse inférieure de Beauharnois (Source : Service hydrographique du Canada et Google Earth, avec annotations du BST)

Pendant que le Federal Kumano franchissait l'écluse inférieure de Beauharnois, un autre navire se trouvait dans l'écluse supérieure de Beauharnois. Les commandes de l'écluse supérieure de Beauharnois étaient actionnées par un éclusier qui se trouvait sur place à Beauharnois. Les procédures de la CGVMSL stipulent que les éclusiers doivent surveiller constamment un navire qui entre dans l'écluse, s'y trouve et en sort, et qu'un éclusier doit s'occuper de 1 navire à la fois dans 1 écluse.

Vers 8 h 01, alors que le Federal Kumano sortait de l'écluse à une vitesse approximative de 0,5 nœud, l'éclusier responsable de l'écluse inférieure de Beauharnois a demandé à être remplacé pour pouvoir prendre sa pause. À cette époque, la CGVMSL n'avait pas de procédure officielle en place pour le transfert de responsabilité lors des pauses au cours d'un quart. L'éclusier a informé l'éclusier de relèveNote de bas de page 4 que le navire sortait de l'écluse inférieure de Beauharnois et qu'un autre navire se trouvait dans l'écluse supérieure de Beauharnois. Il est ensuite parti en pauseNote de bas de page 5. L'éclusier de relève était 1 des 2 éclusiers en service à ce moment qui avaient toutes les qualifications nécessaires. Il y avait un fort achalandage, soit environ 12 navires en transit dans le secteur.

L'éclusier de relève a pris en main l'éclusage et, peu après, il a reçu un appel téléphonique de l'éclusier sur place à l'écluse supérieure de Beauharnois, lui disant qu'il venait de laisser couler l'eau dans le bassin. Craignant que le niveau du bassin monte trop, l'éclusier de relève voulait fermer les portes inférieures de l'écluse aussitôt que possible après la sortie du Federal Kumano pour éviter que l'eau passe par-dessus le barrage du bassin. Se concentrant sur la régulation des niveaux d'eau, vers 8 h 05, l'éclusier de relève a fermé les portes inférieures de l'écluse et la barrière de retenue. À ce moment, le Federal Kumano était toujours en train de manœuvrer pour sortir de l'écluse inférieure de Beauharnois.

En se fermant, la barrière de retenue a heurté les câbles de flèche de la grue de bord nº 1 du navire. Au même moment, les portes de l'écluse se sont aussi fermées et sont entrées en contact avec les flancs du navireNote de bas de page 6. À ce moment, des membres d'équipage du Federal Kumano se trouvaient sur le pont près de la grue de bord nº 1, mais aucune blessure n'a été signalée.

Le pilote a arrêté le navire et informé l'éclusier de relève de la situation par radiotéléphone à très haute fréquence. À 8 h 11, l'éclusier de relève a rouvert la barrière de retenue et les portes de l'écluse. Après que le navire eut été ramené au bon endroit dans l'écluse, une inspection préliminaire a été menée. Après cette inspection, le navire a poursuivi son chemin vers l'est jusqu'à la section 50 du port de Montréal, où il a subi une inspection plus détaillée. Après l'incident, l'inspection de l'écluse a révélé que la barrière de retenue avait subi des dommages mineurs.

Centre de contrôle des opérations à distance et postes de travail

En mars 2017, la CGVMSL a centralisé le contrôle de l'éclusage à son nouveau centre de contrôle des opérations à Saint-Lambert (Québec). Le 20 mars, les éclusiers qui contrôlaient auparavant les écluses sur place ont commencé à le faire à distance à partir du centre de contrôle des opérations. Pour mettre en œuvre le contrôle à distance, il a fallu modifier simultanément plusieurs aspects des opérations (notamment les niveaux de dotation, les dispositifs d'affichage et les protocoles de communication).

La disposition des images des caméras au poste de travail du centre de contrôle des opérations à distance ressemble à celle des postes de travail aux écluses. Chaque poste de travail permet de voir les images de plusieurs caméras de télévision en circuit fermé et est muni d'applications pour permettre aux éclusiers de voir tout l'équipement (figure 3). Ces postes de commande comprennent des moniteurs montrant des transmissions vidéo de l'écluse ou de la structure du canal, des caméras du périmètre de sécurité, du système de contrôle de la circulation, du système d'identification automatique, de la circulation des navires et du système d'amarrage mains libres.

Figure 3. Poste de travail d'éclusier
Poste de travail d'éclusier

Dans le cadre du programme d'automatisation et d'expansion des infrastructures, notamment en ce qui concerne les fonctions du centre de contrôle des opérations à distance, la CGVMSL a dressé un plan de transition, qui comprenait une évaluation des risques opérationnels par une entreprise externe en 2016. Cette évaluation des risques opérationnels recommandait diverses solutions techniques pour atténuer les risques pour la circulation – des navires et autres – et ainsi renforcer la protection en cas d'erreur opérationnelle.

Par exemple, dans l'évaluation des risques, on recommandait des détecteurs de mouvement périmétriques, des détecteurs de navires et des faisceaux de détecteur parallèles aux barrières de retenue ainsi que des alarmes sur la console. Elle recommandait également une supervision renforcée pour cerner les situations de surcharge de travail, auquel cas le superviseur pourrait réduire le nombre de tâches confiées à un éclusier en affectant un éclusier supplémentaire à ce poste. Dans l'évaluation des risques opérationnels, on avait émis plusieurs recommandations en matière de formation, y compris sur la communication d'équipe et la conscience situationnelle. Certaines de ces recommandations étaient désignées comme obligatoires et ont été classées par ordre de priorité.

Au moment de l'événement à l'étude, la CGVMSL avait mis en œuvre toutes les recommandations obligatoires en tenant compte de l'ordre de priorité établi dans l'évaluation des risques. Certaines des recommandations non obligatoires n'avaient pas été appliquées. La CGVMSL réévaluait périodiquement divers risques, mais n'avait pas systématiquement réévalué les recommandations pour déterminer l'efficacité des mesures prises.

L'enquête du BST sur cet événement a permis de faire ressortir des préoccupations semblables à celles mentionnées dans l'évaluation des risques opérationnels, notamment en ce qui concerne la formation, la charge de travail, la supervision et les transferts de responsabilité.

Formation

Le contrôle à distance exige plus de compétences et d'habileté de la part des éclusiers que le contrôle sur place. Les éclusiers sont mieux préparés s'ils reçoivent une formation dans des conditions similaires, comme une formation basée sur des mises en situation, pour prendre rapidement connaissance d'une situation, l'évaluer et décider de la marche à suivre appropriée.

Le programme de formation des éclusiers de la CGVMSL, d'une durée de 2 ans, porte sur le contrôle des opérations et la radio maritime. Au moment de l'événement à l'étude, l'éclusier de relève possédait toutes les qualifications nécessaires, y compris 120 heures de formation sur le contrôle à distance des écluses de Beauharnois. Il comptait près de 30 ans d'expérience en tant que maître-éclusier et avait travaillé à l'écluse de Côte-Sainte-Catherine auparavant. Au moment de l'événement, le nouveau centre de contrôle des opérations à distance était en service depuis 2 mois, et l'éclusier de relève contrôlait les écluses de Beauharnois à distance depuis 5 semaines. En mars 2017, les éclusiers avaient participé à une séance de formation spéciale de 1 jour sur le contrôle à distance mettant l'accent sur le travail avec les caméras.

Charge de travail

Les éclusiers travaillent dans un environnement complexe où ils doivent surveiller de multiples sources et types d'information et en établir l'ordre de priorité. Cependant, la capacité d'attention et de traitement de l'information de l'être humain est limitée. La charge de travail dépend du nombre de tâches à accomplir dans une période donnée. Si le nombre de tâches à accomplir augmente ou si le temps disponible pour le faire diminue, la charge de travail augmente. De lourdes charges de travail peuvent nuire à la capacité d'un éclusier de percevoir et d'évaluer les indices dans son environnement, et peuvent mener à un rétrécissement de son attention. Les personnes dont la charge de travail est lourde peuvent être débordées ou surchargées et en venir à concentrer leur attention sur certaines tâches au détriment des autres.

Procédure de transfert de responsabilité pour les pauses

En l'absence d'une procédure structurée de transfert de responsabilité, la probabilité qu'une information vitale soit oubliée ou mal comprise augmente. Il incombe aux deux éclusiers en service lors d'un transfert de responsabilité de communiquer efficacement la situation courante. Le risque pour la conscience situationnelle d'un éclusierNote de bas de page 7 est particulièrement élevé lors du transfert de responsabilité. La dégradation de la conscience situationnelle peut amener rapidement à faire des hypothèses inexactes, à prendre des décisions inadéquates et à commettre des erreurs. Au moment de l'événement à l'étude, la CGVMSL n'avait pas de procédure officielle en place pour le transfert de responsabilité lors des pauses au cours d'un quart.

Messages de sécurité

L'événement à l'étude illustre l'importance :

Mesures de sécurité prises

La Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL) a pris les mesures de sécurité suivantes :

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .