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Rapport d'enquête aéronautique A10Q0098

Collision avec le sol en raison d'un problème moteur
du Beechcraft A100 King Air C-FGIN
exploité par Aéropro (2550-4330 Québec Inc.)
à Québec (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 23 juin 2010, le Beechcraft A100 King Air (portant l'immatriculation C-FGIN et le numéro de série B-164) exploité par Aéropro (2550-4330 Québec inc.), sous l'indicatif de vol APO201, effectue un vol selon les règles de vol aux instruments entre Québec (Québec) et Sept-Îles (Québec). À 5 h 57, heure avancée de l'Est, l'équipage entreprend la course au décollage sur la piste 30 de l'aéroport international Jean-Lesage de Québec. Après seulement 68 secondes, le copilote informe le contrôleur de l'aéroport qu'il y a un problème avec le moteur droit et qu'il revient atterrir sur la piste 30. Peu de temps après, le copilote confirme vouloir le déploiement des services de sauvetage et de lutte contre les incendies d'aéronefs de l'aéroport. Il avise la tour que l'aéronef ne monte plus. Quelques secondes plus tard, le bimoteur percute le sol à 1,5 mille marins du bout de la piste 30. L'aéronef poursuit sa course sur 115 pieds puis percute un caveau de pierres. L'aéronef se disloque et s'embrase. Il s'immobilise sur le dos 58 pieds plus loin. Les 2 membres d'équipage et les 5 passagers périssent dans l'accident. La radiobalise d'urgence ELT ne s'est pas déclenchée.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le jour de l’accident, les 2 pilotes arrivent aux bureaux de la compagnie situés à l’aéroport international Jean-Lesage de Québec vers 5 hFootnote 1. Le commandant de bord et le copilote se répartissent les tâches de préparation du vol. Le commandant de bord obtient les informations météorologiques du site Internet de NAV CANADA et effectue le calcul de masse et centrage. À 5 h 38, il dépose un plan de vol auprès du centre d’information de vol de Québec. Le décollage est prévu à 6 h pour effectuer un vol entre Québec, Sept-Îles et Natashquan (Québec). Le copilote effectue la vérification extérieure et ajoute un litre d’huile au moteur droit.

À 5 h 43, 5 passagers montent à bord de l’aéronef. Le commandant de bord occupe le siège gauche et agit à titre de pilote aux commandes (PF). Le copilote occupe le siège droit et n’est pas aux commandes (PNF). À 5 h 45, on démarre les moteurs à l’aide du groupe électrogène de parc. L’aéronef a ensuite été mis en position pour une vérification des systèmes et du point fixe moteur.

À 5 h 54, APO201 circule sur la voie de circulation Charlie vers la piste 30 en vue de décoller. Environ 2 minutes plus tard, le contrôleur instruit APO201 de communiquer avec le service de la circulation aérienne (ATS) sur la fréquence du terminal de Québec après l’envol, puis autorise l’aéronef à décoller. Dans les secondes qui suivent, l’aéronef amorce sa course au décollage, volets rentrés. À 5 h 58, à la hauteur de la voie de circulation Juliette (2900 pieds du seuil de la piste), APO201 est à la vitesse de rotation de 100 nœudsFootnote 2. À la verticale de l’intersection de la piste 06/24, la vitesse sol de l’aéronef est 121 nœuds, soit sa vitesse maximale atteinte lors du vol. Environ 6 secondes plus tard, au-dessus de l’extrémité de la piste 30, la vitesse sol passe à 115 nœuds.

APO201 apparaît sur l’écran du radar de Québec à environ 800 pieds au-delà du bout de la piste et à 160 pieds au-dessus du niveau du sol (agl)Footnote 3 à une vitesse de 110 nœuds (Figure 1). Cinq secondes plus tard, l’aéronef bifurque de quelque 10° à droite; l’aéronef se trouve à 260 pieds agl, l’altitude maximale atteinte durant le vol, et sa vitesse est inchangée. Quelques secondes plus tard, le copilote avise le contrôleur de l’aéroport qu’il éprouve un problème avec le moteur droit et signale son intention de revenir atterrir sur la piste 30. Aussitôt, le contrôleur informe APO201 qu’il a priorité pour l’atterrissage et demande s’il a besoin des services d’urgenceFootnote 4. Sans délai, le copilote annonce que l’aéronef est incapable de monter. C’est la dernière transmission d’APO201.

Neuf secondes plus tard, l’aéronef disparaît de l’écran radar à 160 pieds agl à 100 nœuds. Dix secondes après la dernière communication du vol, APO201 s’écrase dans un champ. L’aéronef poursuit sa course sur 115 pieds puis percute un caveau de pierres. L’aéronef se disloque et s’embrase. Il s’immobilise sur le dos 58 pieds plus loin.

Le lieu de l’impact est à environ 1,5 mille marin (nm) du bout de la piste 30 et légèrement à droite du prolongement de son axe. À 6 h 14, environ 15 minutes après l’écrasement, les véhicules du service d’incendie de la ville de Québec arrivent sur le site de l’accident et commencent à combattre le violent incendie qui y fait rage. À 6 h 30, l’incendie est maîtrisé. Tous les occupants sont restés à l’intérieur. Les 2 pilotes et les 5 passagers périssent dans l’accident.

Figure 1. Trajectoire de l'aéronef
Figure of Trajectoire de l'aéronef

1.2 Victimes

Équipage Passagers Tiers Total
Tués 2 5 - 7
Blessés graves - - - -
Blessés légers/Indemnes - - - -
Total 2 5 - 7

1.3 Dommages à l'aéronef

Une grande partie de l’aéronef a été consumée par les flammes, d’où l’impossibilité d’examiner la totalité de l’aéronef et tous ses composants. Seuls les moteurs, les hélices et quelques parties externes de la queue étaient reconnaissables.

1.4 Autres dommages

Le déversement d’un peu moins de 2600 livres (388 gallons US) de carburant JET-A1 de l’aéronef a amorcé l’incendie après l’impact avec le caveau de pierres. L’incendie a détruit l’aéronef et a brûlé une superficie d’environ 4000 pieds carrés de pelouse et d’arbres. Le sol a été contaminé en grande partie par des matières résiduelles de composants de plastique et de caoutchouc qui ont fondu par suite de leur combustion.

1.5 Renseignements sur le personnel

Commandant de bord Copilote
Licence Pilote de ligne Pilote professionnel
Date d’expiration du certificat de validation 1er septembre 2010 1er avril 2011
Heures de vol totales 3046 2335
Heures de vol sur Beechcraft King Air 1677Footnote 5 455
Heures de vol dans les 90 derniers jours 144 128
Heures de vol sur type dans les 90 derniers jours 118 121
Heures libres avant la prise de service 13 12

1.5.1 Commandant de bord

Le commandant de bord possédait une licence de pilote de ligne valide et les qualifications nécessaires au vol en vertu de la réglementation en vigueur.

Entre août 2004 et février 2006, il travaille comme instructeur de pilotage. En mars 2006, il est embauché par une compagnie sise en Alberta. Ce mois-là, il suit une formation au sol et en vol sur King Air B200 au terme duquel il passe un contrôle de compétence pilote (PPC)Footnote 6. En octobre 2007, il est promu commandant de bord sur Beechcraft A100 après avoir passé un PPC sur l’aéronef. En décembre 2007, il passe commandant de bord sur Beechcraft B200. En décembre 2009, il suit une formation sur la gestion des ressources en équipe (CRM). Il effectue son dernier vol pour la compagnie sise en Alberta, le 20 avril 2010. Il avait la réputation d’être habile aux commandes, de posséder un bon jugement et de suivre soigneusement les procédures d’exploitation normalisées (SOP).

Le commandant de bord a été embauché par Aéropro en mai 2010 comme commandant de bord. Du 3 au 12 mai, il a suivi la formation au sol et en vol conformément au programme de formation énoncé dans le manuel d’exploitation d’Aéropro. La formation au sol a été dispensée par le copiloteFootnote 7 de l’aéronef en cause dans cet accident. Le commandant de bord a effectué 5 heures de vol d’entraînement sur Beechcraft A100 King Air avec un pilote instructeur désigné de la compagnie. Le 13 mai, il a passé un PPC initial de commandant de bord monopilote et multipilote sur Beechcraft A100 King Air. Ce PPC a été administré par un pilote vérificateur agréé désigné (PVA)Footnote 8.

Aéropro devait surveiller le temps de vol, le temps de service de vol et les périodes de repos de tous ses pilotes. À cette fin, les pilotes doivent tenir à jour le registre approprié pour les dossiers de la compagnie. Le registre de la compagnie du temps de vol et du temps de service de vol du commandant de bord n’a pu être retrouvé. D’après son carnet de vol personnel et les carnets de route des aéronefs qu’il a pilotés, l’horaire de travail du commandant de bord respectait les exigences en matière de limites de temps de vol, de limites de service et de périodes de repos.

Avant l’accident, le commandant de bord a effectué 2 vols avec le copilote, soit les 27 mai et 8 juin 2010. Au cours de ces deux jours, ils ont enregistré 16,6 heures de vol, réparties en 9 vols. Il avait effectué 15 vols avec l’aéronef en question les 1er, 21 et 22 juin 2010.

1.5.2 Copilote

Le copilote possédait une licence de pilote professionnel valide et les qualifications nécessaires au vol conformément à la réglementation en vigueur. De 2002 à 2007, il avait travaillé à titre d’instructeur de vol pour divers exploitants. En juillet 2006, il est embauché comme instructeur par le Centre de formation aéronautique de Québec (CFAQ)Footnote 9. En 2007, il devient chef instructeur de vol chez SASAIR. La même année, il dispense les cours théoriques et techniques pour Aéropro et SASAIR.

En septembre 2007, le copilote termine un cours théorique de 24 heures sur le Beechcraft A100 King Air dispensé par le chef pilote d’Aéropro. Du 7 au 16 février 2008, il effectue 4,3 heures de vol d’entrainement sur un Beechcraft A100 King Air de la compagnie avec le chef pilote et un pilote instructeur désigné de la compagnie. La formation portait, entre autres choses, sur les urgences, dont les pannes-moteur au décollage. Le 5 mai 2008, le copilote passe un PPC initial de copilote sur Beechcraft A100 King Air, qu’il renouvelle le 10 juin 2009. Le 19 juin 2010, dans le cadre du renouvellement de son PPCFootnote 10, il effectue 2 vols d’entrainement sur Beechcraft A100 King Air avec le chef pilote de la compagnie. Le copilote n’a reçu aucune formation CRM; rien ne l’exigeait.

La compagnie n’a également pas retrouvé le registre de temps de vol et de temps de service de vol du copilote. Son carnet de vol personnel et les carnets de route des aéronefs qu’il a pilotés ont été utilisés pour établir son horaire de travail. Selon ces documents, le copilote respectait les exigences en matière de limites de temps de vol, de limites de service et de périodes de repos.

1.6 Renseignements sur l'aéronef

Constructeur Beechcraft
Type et modèle A-100 King Air
Année de construction 1974
Numéro de série B-164
Certificat de navigabilité Valide
Nombre d’heures cellule / Nombre de cycles de la cellule 19 665 heures / 16 800 cycles
Moteurs Pratt & Whitney Canada, PT6A-28 (2)
Masse maximale autorisée au décollage 11 500 livres
Types de carburant recommandés Jet-A1, Jet-A, Jet-B
Type de carburant utilisé Jet-A1 (confirmé en laboratoire)

1.6.1 Généralités

Le Beechcraft King Air est un aéronef bimoteur turbopropulseur pressurisé construit par Beechcraft. Plus de 6600 de ces aéronefs ont été produits et ils ont accumulé plus de 10 millions d’heures de vol en exploitation privée, commerciale et militaire à travers le monde. Le C-FGIN était configuré pour transporter 2 membres d’équipage et jusqu’à 9 passagers.

1.6.2 Masse et centrage de l'aéronef

Le carnet de route de l’aéronef, le plan de vol et le rapport de poids et centrage ont été retrouvés dans l’épave. La page du rapport de poids et centrage confirmait la position des 5 passagers à bord, soit 2 occupants à chacune des rangées de sièges 2 et 3 et 1 occupant qui prenait place à la rangée 4. L’aéronef transportait 2600 livres (388 gallons US) de carburant dans les réservoirs principaux et la masse de l’aéronef au décollage était de 11 123 livres avec le positionnement du centre de gravité à 186,9 pouces, ce qui respecte les limites de poids et de centrage.

1.6.3 L'examen des dossiers de maintenance de l'aéronef

1.6.3.1 Généralitéss

Les dossiers de maintenance du C-FGIN indiquent que l’aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées.

Le 16 avril 2010, l’organisme de maintenance agréé (OMA) d’Aéropro a mené une inspection périodique de phase 3Footnote 11 sur le C-FGIN, conformément au programme de maintenance approuvé par Transports Canada (TC). Au moment de l’inspection, l’aéronef cumulait un total de 19 510 heures 45 minutes de vol. Cette inspection de l’aéronef contient environ 380 éléments à vérifier, incluant un essai au sol pour confirmer la performance des moteurs et le bon fonctionnement des différents systèmes. Rien n’indique que des anomalies ont été décelées lors de ces essais. Le jour de l’accident, il restait 32 heures 15 minutes de vol à faire avant la prochaine inspection périodique.

1.6.3.2 Inscription des anomalies

L’examen des carnets de route de l’aéronef et des bons de travail a révélé qu’il était fréquent que des travaux soient effectués sur le C-FGIN sans que les anomalies soient inscrites dans les carnets de route. L’enquête a révélé qu’il arrivait souvent que les anomalies de l’aéronef soient rapportées verbalement au personnel d’entretien par les pilotes ou sur des feuilles séparées sans qu’elles soient inscrites au carnet de route tels que l’exigent le Règlement de l’aviation canadien (RAC)Footnote 12, le Manuel de contrôle de maintenance (MCM)Footnote 13 et les SOP d’Aéropro. Lorsque les pilotes donnaient un rapport verbal des anomalies, le personnel de maintenance les prenait en note sur une feuille séparée et produisait des bons de travail ultérieurement. On n’a pas pu retrouver aucune de ces notes au terme de l’enquête. Les correctifs étaient effectués lorsque les composants devenaient disponibles et subséquemment les inscriptions étaient complétées aux carnets de route de l’aéronef. Les exigences du RAC sur les détails à inscrire concernant les anomalies sont contenues dans la note en référence au MCM : « À la fin d’un vol, toutes les défaillances observées doivent être signalées dans le carnet de route de l’aéronef par un membre d’équipage de conduite ».

La sous-section 2.21 « Bris mécanique » des SOP de la compagnie indiquait ce qui suit :

SOP Sous-section Bris mécanique 2.21.1 Pour minimiser les délais lors d'un bris mécanique, vous devez immédiatement communiquer avec le service d'entretien. 2.21.2 Il est très important que toutes les défectuosités soient inscrites au journal de bord.

1.6.3.3 Pilote automatique hors service

Le 19 février 2009, on indique que le pilote automatique du C-FGIN est hors service sur un bon de travail, mais aucune mention d’anomalie n’est inscrite dans la case de description des anomalies du carnet de route de l’aéronef. Afin de s’assurer qu’il ne soit pas utilisé par les équipages de conduite, le disjoncteur du pilote automatique est tiré et une affiche d’information à l’équipage est placée sur le panneau de contrôle de l’aéronef. L’anomalie a par la suite été transcrite au carnet de route comme élément reporté pour une période de 120 jours, conformément à la liste minimale d’équipements (MEL) d’Aéropro pour le Beechcraft A100 King Air. Selon la MEL, le pilote automatique aurait dû être remis en service le 30 mai 2009. Le jour de l’accident, ce dernier n’était toujours pas réparé, ce qui allait à l’encontre de la MEL d’Aéropro. Le pilote automatique n’était cependant pas nécessaire puisque 2 pilotes faisaient partie de l’équipage de conduite.

1.6.3.4 Travaux sur le moteur gauche

Du 2 au 7 juin 2010, le personnel de maintenance d’Aéropro a effectué des travaux d’entretien périodique sur le moteur gauche (PT6A-28). La roue de turbine compresseur est remplacée à la fin de sa durée de vie utile, la partie chaude du moteur subit une inspection périodique et les buses d’injecteurs sont remplacées en conformité avec le calendrier de maintenance de la compagnie et de l’avionneur de moteurs. À la suite de ces travaux, une vérification de puissanceFootnote 14 des 2 moteurs est effectuée à 1400 pieds-livres de couple, conformément aux procédures du manuel de contrôle de la maintenance (MCM)Footnote 15. Les résultats ne révèlent aucune anomalie de performance des moteurs.

1.6.3.5 Réparation des dégivreurs d'hélice

Le vendredi 18 juin 2010, un apprenti-mécanicien a reçu les instructions d’effectuer une série de tâches pendant la fin de semaine. Il devait remplacer l’unité de dégivrage de l’hélice droite, vérifier le système et remplacer au besoin des harnais électriques qui alimentent les unités de dégivrage des 2 hélices du C-FGIN. Le mécanicien a consigné les travaux effectués le 20 juin 2010, sur un bon de travail selon les procédures de la compagnie. L’apprenti-mécanicien ne pouvait attester les travaux effectués sur l’aéronef. Par conséquent, les casseroles d’hélices et les ouvertures d’accès aux moteurs étaient demeurées enlevées pour l’inspection par un technicien qualifié. Le travail sur le C-FGIN est terminé le 21 juin 2010. Cependant, le carnet de route de l’aéronef ne présente aucune mention des travaux qui ont été effectués avant la remise en service de l’aéronef. Les 21 et 22 juin 2010, le C-FGIN effectue 4 vols sans problème. C’est au retour des vols que l’anomalie, les réparations et la certification de l’aéronef sont inscrites dans les documents de l’aéronef. Selon le MCM, le personnel de maintenance doit s’assurer que les documents sont complétés et que l’aéronef est dûment certifié pour le vol avant d’être remis en service. Ces travaux de maintenance n’ont pas été consignés conformément au MCM de la compagnie.

1.6.3.6 Programme de surveillance des tendances du moteur

Aéropro utilisait un programme de surveillance des tendances du moteur (ECTM) recommandé par le fabricant Pratt & Whitney Canada. La mise en œuvre d’un ECTM permet de connaître la tendance des paramètres moteurs et de prolonger la vie de ses composants. Les pilotes effectuent une lecture des paramètres moteurs lorsqu’ils ont atteint l’altitude de croisière. Cette lecture est effectuée lors du premier vol de la journée et les paramètres sont inscrits au carnet de route de l’aéronef. L’analyse des paramètres du mois précédant l’accident, inscrits au carnet de route de l’aéronef, ne fait état d’aucune détérioration de performance des moteurs. L’intention de ce programme n’est pas de confirmer le réglage de commande du moteur et le programme ne permet pas de confirmer la puissance maximale disponible ou utilisée au décollage.

1.6.4 Manuel de vol du Beechcraft A100 King Air

Le manuel de vol de l’aéronef (AFM) du Beechcraft A100 King Air, approuvé par la FAA, établit les limites et les procédures d’utilisation de l’aéronef qui doivent être respectées.

Selon l’AFM, la puissance moteur autorisée au décollage est limitée par les paramètres suivants : 1628 pieds-livres de couple, 750 °C d’ITTFootnote 16, ou générateurs des gaz N1 à 101.5 %, et ce, pour un temps maximal de 5 minutes. L’AFM du Beechcraft A100 King Air ne publie et n’autorise aucune procédure pour un décollage à puissance réduiteFootnote 17. De plus, l’AFM ne fait l’objet d’aucun ensemble distinct de limitations et de données de performance pour un décollage à une puissance réduite.

La section 4 « Performance » de l’AFM fournit les données requises pour déterminer la puissance moteur (couple) minimale nécessaire aux performances de décollage. L’équipage doit se référer au tableau 4.11 afin de déterminer la puissance de décollage minimale nécessaire selon les conditions en vigueur. Selon la grille « Minimum Take-Off Power at 2200 rpm, and 66 knots indicated airspeed » (IAS), pour le vol en question,la puissance de décollage minimale permettant d’obtenir la performance publiée était 1585 pieds-livres. On peut utiliser une puissance de plus de 1585 pieds-livres de couple jusqu’aux limites établies de couple et d’ITT du moteur.

En cas d’urgence, la puissance maximale continue est la même que la puissance maximale autorisée au décollage établit à 1628 pieds-livres. Elle doit servir en cas d’urgence au gré du pilote.

Certaines limites de vitesse et certaines vitesses d’exploitation sont indiquées par des traits et des plages de couleur sur les anémomètres de l’aéronef. La vitesse minimale de contrôle « Vmc »Footnote 18 est indiquée par un trait rouge à 85 nœuds. La vitesse correspondant à la vitesse ascensionnelle maximale avec un moteur coupé (Vyse) est indiquée par un trait bleu à 120 nœuds.

Étant donné que la vitesse de cabrage (Vr)Footnote 19 varie en fonction du poids de l’aéronef, de sa configuration au décollage et des conditions de piste, elle n’est pas indiquée sur l’anémomètre. L’équipage doit consulter le tableau de performance au décollage pertinent pour déterminer la Vr appropriée. Aéropro a fixé la Vr à 100 nœuds soit un nœud au-dessus de la vitesse d’envol à la masse brute maximale de l’aéronef établi dans l’AFM. La vitesse correspondant à la vitesse ascensionnelle maximale avec 2 moteurs est 119 nœuds.

La vitesse de décrochage Vs varie également en fonction du poids et de la configuration de l’aéronef. Les Vs avec moteur et sans moteur du C-FGIN étaient respectivement de 64 et 88 nœuds. La grille « Stall Speed » ne permet pas de calculer la Vs avec un seul moteur en marche. Selon le constructeur, la Vs monomoteur d’un bimoteur est légèrement inférieure à la Vs sans moteur.

1.6.5 Procédures normales et en cas de situations anormales et d'urgence

1.6.5.1 Généralités

Les procédures d’exploitation de l’aéronef sont publiées dans l’AFM. Puisque le Beechcraft A100 King Air est certifié pour les vols en IFR à un seul pilote, les procédures ont été élaborées par l’avionneur en fonction d’un seul pilote. L’AFM n’indique aucune vérification de mémoire dans les procédures d’urgence.

En vertu du RAC 703.107, Aéropro a élaboré et tenu à jour des SOP pour ses aéronefs exploités à 2 pilotes et qui permettent aux membres d’équipage d’utiliser l’aéronef selon les limites précisées dans l’AFM. Les SOP font état des règles et procédures de la compagnie, des procédures portant sur l’exploitation de ses aéronefs et de l’utilisation des listes de vérification. Transports Canada a examiné les SOP d’Aéropro et a déterminé qu’elles étaient conformes au RAC 703.107. Cependant, le contenu des SOP relatives à l’exploitation de type 703 n’est revu que sommairement et n’est pas soumis à l’approbation de TC. Il en est de même pour les listes de vérification.

Les SOP ont, entre autres, pour objet d’accroître la coordination entre les membres d’équipage. Par conséquent, les SOP répartissent généralement les tâches énumérées dans les procédures normales et d’urgence, en précisant les tâches dont le PF et le PNF sont individuellement responsables.

Aéropro a conçu des listes de vérification pour le Beechcraft A100 King Air, soit une liste de vérification en situation normale (CHKL) et une autre en cas de situations anormales et d’urgence (ECHKL). Les listes de vérification de la compagnie regroupent les éléments des SOP jugés importants pour la sécurité du vol. Les ECHKL sont utilisées à la demande du PF et lues par le PNF. Les procédures anormales ou d’urgence sont généralement exécutées selon le principe de lecture et exécution. Toutefois, certaines situations urgentes requièrent l’exécution immédiate de tâches que les pilotes doivent avoir mémorisées. Malgré l’absence de vérification de mémoire dans les procédures d’urgence décrite dans l’AFM, Aéropro a pris l’initiative d’identifier des vérifications de mémoire dans ses ECHKL. Ces tâches pouvaient être exécutées, soit par le PF ou le PNF et elles sont représentées en rouge dans les listes de vérification et précédées d’un astérisque dans les SOP.

Les SOP d’Aéropro reconnaissent l’importance d’une bonne coordination entre les membres d’équipage. Les SOP précisent que « les mesures de coordination des membres d’équipage pour les situations anormales et d’urgence sont traitées dans le chapitre consacré à ces procédures ». D’ailleurs, chacune des tâches des procédures normales était assignée à un ou l’autre des membres d’équipage, en fonction de ses responsabilités ou de son rôle. Toutefois, l’attribution des tâches pour chacun des pilotes n’est pas énoncée dans la section réservée aux procédures d’urgence du Beechcraft A100 King Air. En outre, les procédures d’urgence des SOP ne font état d’aucune annonce normalisée.

1.6.5.2 Procédures normales

Les procédures normales ont pour objet de vérifier le fonctionnement des systèmes de l’aéronef et d’assurer que la configuration de l’aéronef est conforme à la phase de vol prévue ou en cours.

On a relevé quelques divergences mineures entre l’AFM et la CHKL en ce qui a trait aux vérifications avant le décollage, notamment, l’ordre des tâches avait été modifié. Ces divergences n’ont pas été un facteur contributif lors de l’accident.

Une divergence notable existait entre la vérification du système de mise en drapeau décrite dans l’AFM et celle publiée dans la CHKL et dans les SOP. L’AFM exigeait la vérification du système de mise en drapeau automatique et la vérification du système de mise en drapeau manuel, alors que la CHKL exigeait uniquement la vérification de la mise en drapeau automatique. On peut penser que la CHKL a été conçue sans tenir compte que certains Beechcraft A100 King Air de la compagnie, tel le C-FGIN, n’étaient pas munis d’un système de mise en drapeau automatique.

Le paragraphe 2.16 « Limitations de compagnie » des SOP différait considérablement de l’AFM en ce qui concerne les limites de puissance moteur. Aéropro limitait la puissance moteur comme suit :

À cet égard, la compagnie a publié 2 communiqués, réitérant les limites opérationnelles des moteurs établies dans les SOP. Le premier communiqué émis le 25 mai 2007 par le chef pilote et le directeur d’exploitation soulignait que les paramètres de Pratt & Whitney Canada sont établis sur des temps entre révisions de 3600 heures. Lors des dernières vérifications des parties chaudes et lors de la remise en état de moteurs, les coûts ont été anormalement élevés, car certains moteurs n’étaient pas utilisés selon les directives de l’avionneur. Le communiqué indiquait de se conformer à ces directives sous peine de sanction. Le deuxième communiqué, en date du 21 décembre 2007, émis par le chef pilote rappelait aux pilotes qu’il était obligatoire de se conformer à ces limites afin d’éviter des coûts supplémentaires lors de la remise en état des moteurs. Aucun des 2 communiqués ne mentionnait que les limites imposées par la compagnie ne s’appliquaient pas dans le cas d’une situation d’urgence.

Selon les SOP, l’équipage doit revoir les procédures de décollage normales et anormales, le départ normalisé (SID) s’il y a lieu ou le premier segment de vol et revoir les procédures d’urgence en cas de panne-moteur, lors du premier vol de la journée. À titre d’exemple, les SOP fournissent le tableau suivant :

PNF PF
Décollage standard piste 30
V1 et Vr à 100 nœuds
Toute anomalie avant V1/ Vr? On rejette.
Après V1/ Vr? Décollage poursuivit (sic).
Procédures d’urgence en vol.
Retour d’urgence visuel piste 24.
Le SID ou premier segment?
Cap 295, montée 660′, virage à gauche cap 274, montée 4000′
Des questions?
1.6.5.3 Procédures d'urgence

Dans le cas de cet événement :

En tenant compte des observations ci-dessus, les procédures liées à un problème de moteur ou nécessitant une réduction de la puissance moteur énoncées dans l’AFM, les SOP et l’ECHKL ont été examinées au cours de l’enquête :

On a retenu 2 procédures restantes :

Les paragraphes qui suivent font état en détail de ces 2 procédures.

1.6.5.4 Procédure en cas de panne-moteur après le décollage

La procédure en cas de panne-moteur après le décollage est conçue pour que toutes les tâches critiques soient menées dans le temps, par ordre de priorité. Dans le cas d’une panne-moteur après le décollage, les SOP reproduisent la procédure d’urgence « Engine Failure During Takeoff » publiée dans l’AFM ainsi qu’un schéma représentant le profil de vol de l’aéronef et les tâches à exécuter par l’équipage, sans préciser qui fait quoi. La ECHKL requiert l’exécution immédiate des 9 premiers éléments de la liste qui suit, que les pilotes doivent avoir mémorisée :

Note : Ce document n'est pas disponible en français.

ENGINE FAILURE AFTER LIFT- OFF

  1. Power - MAXIMUM ALLOWABLE
  2. Propeller - FULL INCREASE
  3. Airspeed - MAINTAIN speed at engine failure until obstacles are cleared. Reduce speed only if single engine BEST RATE OF CLIMB SPEED is exceeded.
  4. Landing Gear - UP
  5. Confirm Inoperative Engine
  6. Propeller (inoperative Engine) - FEATHERED
  7. Airspeed - BEST ANGLE OF CLIMB SPEED (after obstacles clearance altitude is reached)
  8. Flaps - UP
  9. Airspeed - BEST RATE OF CLIMB SPEED
  10. Clean – Up (Inoperative Engine):
    1. Condition lever - CUT OFF
    2. Bleed Air Valve - AS REQUIRED
    3. Auto Ignition - OFF
    4. Fuel firewall Valve - CLOSED
    5. Generator - OFF
    6. Fuel Control Heat - OFF
    7. Autofeather Switch - OFF
    8. Propeller Synchrophaser - OFF
  11. Electrical Load - MONITOR

NOTE: If the autofeather is being used, do not retard the failed engine power lever until the autofeather system has completely stopped propeller rotation. To do so will deactivate the autofeather circuit and prevent automatic feathering.

Dans l’hypothèse d’une panne-moteur après le décollage de la piste 30 à Québec, l’exécution des 3 premiers éléments assurait une traction maximale et un profil de vol optimal; les manettes de commande de puissance sont poussées pour afficher la puissance maximale, 1628 pieds-livres, les manettes de commande des hélices sont avancées à fond et l’aéronef accélère à la vitesse du meilleur taux de montée, 120 nœudsFootnote 20. L’exécution des éléments 4 à 9 permettait d’éliminer le plus de traînée possible et d’obtenir le meilleur taux de montée. Étant donné que l’aéronef n’était pas muni d’un système de mise en drapeau automatique, l’hélice du moteur en cause devait être mise en drapeau manuellement en tirant sur la manette de commande des hélices du moteur défectueux. Les 2 derniers éléments n’étant pas critiques, ceux-ci pouvaient être complétés à la discrétion de l’équipage.

Les instructions inscrites sur le schéma du profil de vol en cas de panne-moteur au décollage diffèrent légèrement de la ECHKL en ce qui a trait à l’ordre et au moment de leur exécution, (Figure 2). On y recommande de rentrer les volets et d’effectuer les items de la ECHKL à 400 pieds au-dessus du sol (agl). Toujours selon le schéma, c’est à 1000 pieds agl qu’il faut exécuter les éléments items non critiques et appeler l’ATS.

Note : Cette figure n’est disponible qu’en anglais

Figure 2. Schéma du profil de vol publié dans les SOP
Figure of Schéma du profil de vol publié dans les SOP
1.6.5.5 Système de butée petit pas en vol

Le C-FGIN était équipé d’un système de butée petit pas au sol et en vol. Le système de butée petit pas sol est contrôlé par le contrôleur de l’hélice qui au sol contrôle l’angle de pas minimum à environ 10° et empêche aussi le renversement de pas d’hélice au sol. Le système de butée petit pas en vol contrôle l’angle de pas minimal de chacune des hélices en vol, soit à un angle de pas d’environ 14° et empêche le renversement de poussée de l’hélice en vol. Le système de butée petit pas en vol est activé lorsque le poids de l’aéronef est enlevé du train d’atterrissage au décollage.

La position petit pas de l’hélice est déterminée par le système de butée petit pas en vol, type d’arrêt hydraulique à contrôle électrique. De par sa fonction, le système de butée petit pas en vol reçoit le signal électrique et ouvre une valve du contrôleur d’hélice pour relâcher une pression d’huile à l’hélice et permettre son déplacement vers un grand pas. Si le système de butée de petit pas en vol faisait défaut, un voyant lumineux ambre dans le panneau-annonciateur s’allume pour alerter l’équipage (PROP LOW PITCH).

Le système d’hélice est commandé par un régulateur d’hélice et un régulateur de survitesse qui contrôlent le rpm de l’hélice. Le régulateur d’hélice contrôle toutes les plages du régime de l’hélice. La manette de commande de l’hélice actionne l’hélice par son régulateur. Advenant le mauvais fonctionnement du régulateur d’hélice exigeant une vitesse de plus de 2200 rpm, le régulateur de survitesse s’interpose à 2288 rpm pour ne pas que les rpm dépassent 2288 rpm.

Le système d’avertissement-annonciateur du système de butée de petit pas en vol et le régulateur d’hélice sont protégés par des disjoncteurs.

Une défectuosité du système de butée de petit pas activera le voyant lumineux et entrainera une des conditions suivantes :

  1. l'augmentation de l'angle de la pale de l'hélice (vers la mise en drapeau)
    • augmentation du couple moteur
    • ralentissement de la vitesse de l'hélice
  2. l'angle de la pale se tient autour de 14°
    • fluctuation du couple moteur
    • fluctuation de la vitesse de l'hélice

Ces deux conditions alerteraient l’équipage par un changement du bruit du moteur et de couple indiqué, accompagné du lacet connexe.

Lorsque le disjoncteur du système d’avertissement annonciateur du système de butée de petit pas en vol n’est pas activé, l’équipage ne recevra pas l’avertissement PROP LOW PITCH.

Si l’une ou l’autre des 2 hélices passe au-deça de la butée de petit pas au sol, son voyant d’alarme s’allume pour indiquer que le système a été activé et qu’il corrige la situation. Si une défaillance survient dans le contrôle électrique du système de butée de petit pas en vol lorsqu’une des 2 hélices se déplace inopinément vers la mise en drapeau, les SOP prévoient la procédure suivante :

Note : Ce document n’est pas disponible en français

If either propeller unexpectedly begins feathering in flight:

*Power Lever (affected side) - REDUCE AS REQUIRED (to keep torque within limits).
*« PROP GOV-IDLE STOP » Circuit Breaker (co-pilot’s right subpanel) – PULL. Propeller speed should increase to governor setting.
*Power Lever (affected side) - RETURN TO DESIRED POWER

WARNING: Any malfunction of the Flight Low Pitch Stop system be repaired before the next flight. (sic)

La procédure de panne de butée petit pas est incluse dans la section des procédures d’urgence de l’AFM, dans les SOP et le matériel de formation d’Aéropro, mais n’est pas reproduite sur la ECHKL.

1.6.5.6 Performances

L’AFM renferme, entre autres choses, les données relatives aux performances de décollage et de montée. Les performances données par les fabricants sont obtenues avec des aéronefs qui se conforment à ce qui deviendra la conception type. Les données recueillies sont ensuite rédigées conformément aux normes de certification et présentées à titre de renseignements sur la performance dans l’AFM. Les données sur la performance présentée dans l’AFM est conservatrice et reproduite par un pilote à bord d’un aéronef exploité et entretenu conformément au type de conception.

Au moyen de la grille de performance 4.11 l’AFM intitulée « Minimum Take-Off Power at 2200 rpm at 66 knots », l’équipage doit déterminer si les moteurs de l’aéronef la puissance minimale pour l’altitude-pression et la pression extérieure. Le jour de l’accident, le C-FGIN devait émettre une puissance de 1585 pieds-livres pendant le roulement au décollage à une vitesse indiquée de 66 nœuds afin de respecter la performance au décollage publiée.

L’équipage disposait d’exigences prévues aux SOP de ne pas dépasser 1500 pieds-livres au décollage. Par conséquent, l’équipage n’a pas été en mesure d’atteindre la puissance minimale nécessaire au décollage ce jour-là pas plus qu’il n’a été capable d’évaluer si les moteurs pouvaient livrer la puissance au décollage.

En l’occurrence, l’aéronef n’était pas exploité selon le type de conception, c’est-à-dire le décollage au ralenti. Par conséquent, aucun renseignement concernant les performances au décollage présenté dans l’AFM ne s’appliquait au décollage de l’aéronef en cause.

1.6.5.7 Distance de décollage

La distance de décollage suite à un décollage sur la lancéeFootnote 21 est pratiquement la même que celle d’un décollage effectué en conformité avec les critères de la grille « Take-Off Distance-0% Flaps »publié dans l’AFMFootnote 22. Considérant le poids de l’aéronef au décollage et des conditions qui régnaient à Québec, l’aéronef aurait dû décoller après une course au décollage de 2250 pieds. La course au décollage représente la longueur de roulement entre le point où l’aéronef s’est alignéFootnote 23sur la piste et où il a atteint 100 nœuds soit la vitesse de rotation préconisée par la compagnie.

1.6.5.8 Performance de l'aéronef lors de la course au décollage

Selon les données du radar de surveillance des mouvements de surface (ASDE)Footnote 24, l’aéronef a atteint la vitesse indiquée de 100 nœuds après avoir parcouru une longueur de près de 2800 pieds.

Afin d’évaluer les performances de l’aéronef lors du dernier décollage, le BST a analysé avec les données ASDE, 6 courses au décollage effectuées par le C-FGIN au cours des 23 jours qui ont précédé l’accident. L’examen des données n’a révélé aucune divergence notable entre les courses aux décollages.

1.6.5.9 Taux de montée sur un moteur selon le manuel de vol de l'aéronef

Afin de prévoir l’effet de la température et de l’altitude sur la performance de montée de l’aéronef sur un moteur, le manuel de vol du Beechcraft A100 King Air, Section 4 - FAA Performance, renferme une grille permettant de déterminer le taux de montée maximum. La grille se fonde sur les conditions suivantes :

Selon la grille « Single Engine Climb »Footnote 25, l’aéronef aurait dû être en mesure de monter à une vitesse verticale de 450 pieds par minute sur l’autre moteur avec l’hélice en drapeau.

1.6.5.10 Calculs du taux de montée corrélé avec les observations effectuées sur l'épave

Le taux de montée maximum est la vitesse verticale qui permet un gain d’altitude maximum dans le temps le plus court. Le taux de montée dépend de la différence entre la traction et la traînée totale de l’aéronef. Lorsque la traction totale est supérieure à la traînée totale, l’aéronef peut monter à une vitesse constante ou croissante. Lorsque l’aéronef monte à un angle plus grand que celui qu’autorise l’excès de puissance utilisable, la vitesse diminue. À la demande du BST, le manufacturier de l’aéronef a réalisé des calculs de performance. Le but était d’établir la vitesse verticale de l’aéronef selon différents paramètres de vol, en corrélant les différentes informations suivantes :

Dans le cas d’une panne-moteur sur un bimoteur, l’hélice du moteur en panne génère une traînée importante si elle n’est pas mise en drapeau. Dans une telle situation, la traînée augmente en fonction de la vitesse de l’aéronef. En conséquence, le taux de montée augmente en fonction de la diminution de vitesse de l’aéronef par rapport à la Vyse. Le résultat du calcul du taux de montée dans le cas du moteur droit inopérant et l’hélice à petit pas, est affiché dans le tableau suivant :

Puissance pied-livres moteur gauche Taux de montée en pieds par minute/vitesse IAS
95 nœuds 100 nœuds 105 nœuds 110 nœuds 115 nœuds 120 nœuds
1400 -32,7 -39,3 -61,2 -94,8 -140,2 -197,2
1450 5,8 0,4 -20,5 -53 -97,3 -153,2
1500 43,8 39,6 19,8 -11,6 -54,8 -109,5
1550 81,3 78,4 59,7 29,4 -12,6 -66,2
1628 139 138,1 121,2 92,6 52,5 0,8

Tableau 1. Taux de montée – moteur droit inopérant et l’hélice à petit pas

Le coefficient traction/traînée n’est pas disponible dans le cas d’un moteur/hélice au ralenti et aucun vol d’essai n’a été effectué pour établir la performance du Beechcraft A100 King Air dans une telle configuration. La vitesse verticale de l’aéronef a été estimée à partir de la puissance requise pour une traction nulle.

Le tableau suivant affiche le taux de montée estimée avec le moteur droit en traction nulle, soit au ralenti, l’hélice à petit pas et en utilisant les mêmes paramètres que pour moteur inopérant.

Puissance pieds-livres moteur gauche Taux de montée en pieds par minute/vitesse IAS
95 nœuds 100 nœuds 105 nœuds 110 nœuds 115 nœuds 120 nœuds
1400 188 217,7 235,9 246,2 248,8 243,9
1450 226,6 257,6 276,8 288,2 291,8 288,1
1500 264,7 296,9 317,2 329,7 334,5 331,9
1550 302,4 335,9 357,3 370,9 376,9 375,5
1628 360,3 395,8 419 434,4 442,2 442,7

Tableau 2. Taux de montée – moteur droit à puissance ralentie et l’hélice à petit pas

Les notes de formation du commandant de bord indiquent que la puissance au décollage était ajustée à 1400 pieds-livres. Conséquemment, Hawker Beechcraft Corporation a calculé le taux de montée à 1400 pieds-livres de couple moteur gauche et avec l’hélice droite en drapeau.

Poids de l’aéronef (livres) Taux de montée en pieds par minute
110 nœuds 115 nœuds 120nœuds 125 nœuds
11 000 313 321 323 317
11 500 236 146 250 247

Tableau 3 . Taux de montée – selon le poids de l’aéronef

Selon le calcul de Hawker Beechcraft Corporation, l’aéronef était en mesure de monter à environ 300 pieds par minute si l’hélice était mise en drapeau.

1.7 Renseignements météorologiques

Comme l’aéronef a décollé à 05 h 57, l’ATISFootnote 26 de 5 h était en vigueur au moment du décollage de l’aéroport de Québec. Les conditions météorologiques rapportées étaient les suivantes :

L’ATIS de 6 h a été diffusé à 6 h 07 min. Les conditions météorologiques rapportées étaient les suivantes :

Étant donné que le vent était en-deçà de 15 nœuds, le contrôleur de l’aéroport n’était pas tenu de fournir la vitesse ni la direction du vent au pilote lors de l’autorisation au décollage. Selon les renseignements ATIS, l’aéronef a décollé avec une composante de vent arrière d’environ 4 nœuds. L’AFM de l’aéronef ne stipule aucune limite de vent arrière au décollage. Le vent arrière augmente la distance de décollage et diminue la performance de montée après le décollage. Les conditions météorologiques n’ont pas été considérées un facteur dans l’accident.

1.8 Télécommunications

1.8.1 Communications entre APO201 et le contrôle d'aéroport de Québec

Toutes les communications enregistrées par NAV CANADA entre APO201 et l’ATC de Québec étaient de bonne qualité technique, à savoir que l’équipement d’enregistrement a fonctionné normalement et la qualité sonore était bonne. Rien n’indique que les communications ont été mal comprises ou manquées soit par l’ATC ou par APO201.

Il y a eu 3 communications radiophoniques entre APO201 et la tour de Québec après le décollage (Figure 3). Elles ont eu lieu après la panne-moteur, une à la suite de l’autre. Toutes les communications d’APO201 ont été effectuées par le copilote. Elles comprenaient l’appel de détresse, les renseignements sur la navigation, la mise en disponibilité des services de sauvetage et la lutte contre les incendies d’aéronef (SLIA) de l’aéroport et les difficultés de performance de l’aéronef. Elles ont débuté 39 secondes après que l’aéronef ait atteint sa vitesse de rotation et elles ont duré en tout 19 secondes. L’aéronef s’est écrasé 21 secondes après le premier appel d’APO201 et 10 secondes après la dernière communication du copilote.

Figure 3. Temps accordé aux communications après le décollage
Figure of Temps accordé aux communications après le décollage

Quand le copilote a lancé l’appel de détresse à 5 h 58 min 51 s, le contrôleur de l’aéroport a répondu conformément aux normes et aux pratiques de NAV CANADA. Dans les secondes qui ont suivi, le contrôleur de l’aéroport a informé l’ACC de Montréal, puis il a rappelé en poste le contrôleur en pause. Immédiatement après avoir observé l’explosion qui a suivi l’accident, le contrôleur en question a dirigé le SLIA vers les lieux de l’accident et il a signalé l’écrasement au service 911. Les communications ont été claires, rapides et sans équivoque.

1.8.2 Communications internes

Les communications entre les pilotes n’ont pas été enregistrées faute d’enregistreur de la parole (CVR) dans l’aéronef. En conséquence, l’enquête n’a pu établir la nature des communications entre les membres de l’équipage

1.8.3 Analyse des communications d'APO201

L’analyse spectrale des communications d’APO201 a permis de conclure qu’une tonalité d’alarme intermittente retentissait lors des 2 appels du copilote qui ont suivi le décollage. On a également constaté qu’aucune tonalité d’alarme n’a été enregistrée lors des transmissions précédentes d’APO201. La tonalité de l’alarme enregistrée lors du vol avait un rythme similaire à la tonalité d’alarme du train d’atterrissage.

L’aéronef est muni d’une seule alarme sonore intermittente. Elle a pour objet de prévenir un atterrissage sur le ventre, train rentré. Cette alarme retentit quand soit l’une ou les 2 manettes de commande de puissance sont tirées en deçà d’un certain niveau de puissance moteur et que le train d’atterrissage est rentré.

1.9 Renseignements sur l'aérodrome

L’aéroport de Québec possède 2 pistes : la piste 12/30 qui mesure 5700 pieds de longueur sur 150 pieds de largeur, et la piste 06/24 qui mesure 9000 pieds de longueur sur 150 pieds de largeur. Les pistes se croisent à 4300 pieds du seuil de la piste 30.

L’élévation de l’extrémité de la piste 30 est de 239 pieds asl. Au-delà de son extrémité, le terrain descend légèrement sur 1 nm jusqu’à environ 230 asl puis remonte progressivement en direction du mont Bélair situé à environ 3 nm du bout de la piste. L’inspection de la piste après l’accident n’a révélé aucune anomalie, débris ou objet qui aurait pu être un facteur dans l’accident.

1.10 Enregistreurs

1.10.1 Enregistreur des données de vol

Le C-FGIN n’était pas équipé d’un enregistreur de données de vol (FDR); rien ne l’exigeait.

1.10.2 Enregistreur de la parole dans le poste de pilotage

Le C-FGIN n’était pas équipé d’un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR). Selon le certificat de type, l’aéronef peut être exploité par un seul pilote. Le C-FGIN ne pouvait pas, aux termes de son certificat d’exploitation aérienneFootnote 27, être exploité par un seul pilote puisqu’il n’était pas muni de tout l’équipement exigé en vertu du RACFootnote 28. Le pilote automatique était hors service depuis février 2009.

En 2003, une modification apportée aux exigences du RACFootnote 29 relatives aux CVR indique que, sous réserve de l’article 605.34, il est interdit d’effectuer le décollage d’un aéronef multimoteur à turbomoteur dont la configuration prévoit 6 sièges passagers ou plus et pour lequel le certificat de type de l’aéronef, ou la sous-partie en vertu de laquelle il est utilisé, exige 2 pilotes, à moins qu’il ne soit muni d’un CVR. Le C-FGIN était configuré avec 9 sièges passagers. Selon le registre des aéronefs canadiens, il y a 1635 aéronefs de type multimoteur à turbomoteur pour lesquels les exigences relatives au CVR sont applicables. Le nombre d’aéronefs qui ne sont pas munis d’un CVR n’a pas pu être établi.

Le 24 février 2004, TC fait parvenir à 3 exploitants de taxi aérien au Québec, dont Aéropro, une lettre de mise en application de l’installation de CVR dans leurs aéronefs de type Beechcraft 100. TC leur accordait un délai de 30 jours pour produire un calendrier de mesures correctives et de mise en application de l’installation des CVR.

Ces exploitants ont contesté auprès de la Cour fédérale l’interprétation de TC concernant les exigences d’installer un CVR dans le poste de pilotage lorsque l’aéronef est utilisé en vertu de la sous-partie 3 de la Partie VII et que 2 pilotes sont aux commandes. Le 17 octobre 2005, la Cour d’appel fédérale a donné raison aux exploitants leur permettant d’exploiter leurs aéronefs de type B100 en service commercial de taxi aérien de façon volontaire et facultative avec 2 pilotes sans qu’elles soient tenues d’installer un CVR dans leurs aéronefs. Dans son jugement la Cour d’appel fédérale a déterminé que cette exigence ne s’applique pas aux aéronefs certifiés pour être exploité par un seul pilote et qu’il était erroné de dire que le règlement sur les CVR s’applique à ce type d’exploitation.

Conséquemment, en novembre 2009, TC a élaboré un avis de proposition de modification (APM) au RAC. L’objectif était de clarifier qu’un CVR est requis en tout temps lorsqu’un aéronef de ce type, configuré avec 6 sièges passagers ou plus est exploité avec 2 pilotes. Au milieu de l’année 2011, le RAC n’avait toujours pas été modifié.

Depuis 2009, 2 autres accidentsFootnote 30 impliquant des aéronefs de type similaire, exploités comme taxi aérien qui n’étaient pas munis de CVR, sont survenus. Ces 2 accidents ont occasionné 2 décès et 2 blessés graves. Tout comme pour cette enquête, l’absence de CVR accentue la complexité des enquêtes et prive les enquêteurs de données essentielles pour comprendre comment et pourquoi ces accidents sont survenus.

Dans ce cas-ci, l’absence de CVR n’a pas permis d’établir clairement les activités et les communications entre les 2 pilotes qui se sont produites au cours de l’incident. Par conséquent, il n’a pas été possible de cerner de lacunes potentielles à la sécurité pour les communiquer à l’industrie et ainsi, prévenir de tels incidents à l’avenir.

En 2010, le BST a publié sa Liste de surveillanceFootnote 31qui énumère les problèmes de sécurité qui posent les plus grands risques aux Canadiens et aux Canadiennes et sur lesquels le BST a fait enquête. Parmi les problèmes de sécurité relevés, le BST est d’avis que les données essentielles pour comprendre comment et pourquoi des accidents de transport se produisent sont souvent perdues ou endommagées ou il n’est pas obligatoire de les recueillir.

1.10.3 Guardian Skytrax3

Depuis le 30 avril 2010, le C-FGIN était équipé d’un système de suivi de vol de type Guardian Skytrax 3. Ce système collecte et transmet des données de vol GPSFootnote 32 au serveur de la compagnie Guardian et à l’exploitant aérien. Il permet de suivre le déplacement de chacun des aéronefs en vol et au sol pratiquement en temps réel. Le système installé sur C-FGIN était constitué de 2 éléments, soit une antenne et la boîte de données installées dans le nez de l’aéronef. Le Skytrax 3 peut fournir l’historique de vol, soit la position, l’altitude, la direction et la vitesse enregistrées à la seconde. Le système est dans une boîte robuste en matière plastique. Cependant dans cet accident le système a été détruit par l’incendie et n’a pas été retrouvé pour analyser les données.

1.11 Renseignements sur l'épave et sur l'impact

Le C-FGIN a heurté le sol à environ 1,5 nm du bout de la piste 30 et à 900 pieds à droite de l’axe du prolongement de piste. Le premier impact s’est produit dans une direction d’environ 320 °M, incliné sur la droite. L’extrémité de l’aile droite a laissé un sillon de 5 pieds de longueur dans le sol situé à 173 pieds avant l’épave (Figure 4).

Figure 4. Illustration de la séquence d'impact
Figure of Illustration de la séquence d'impact

Les marques laissées par l’aile gauche dans un arbre (BΔ), montrent que l’aéronef était incliné à droite d’environ 23°. Environ 92 pieds plus loin (C), on observe des marques laissées par l’hélice du moteur gauche. L’espacement entre les 3 premières marques d’hélice est de 0,8 pied et l’analyse de ces marques montre que l’aéronef voyageait à une vitesse de 69,7 nœuds, selon l’hypothèse que le moteur tournait à 2200 rpm à ce moment spécifique. Environ 23 pieds plus loin, l’aile gauche de l’aéronef a frappé un caveau de pierre (D) et a fait rouler le fuselage vers la droite. L’aile droite s’est brisée au contact du sol, le moteur droit (G) s’est séparé de l’aile et le carburant a été pulvérisé. Depuis le point (C) ou l’hélice du moteur gauche a frappé le sol l’aéronef a parcouru à peine plus de 82 pieds avant de s’immobiliser sur le dos (F). L’aéronef a été détruit en grande partie par le feu. L’incendie peut s’être déclaré par les arcs électriques à la suite des ruptures des fuseaux électriques, la chaleur des moteurs et possiblement le frottement des tôles au contact avec le carburant.

1.11.2 Répartition de l'épave

L’ensemble du fuselage est sur le dos. L’élévateur de gauche (E) est séparé de l’empennage et repose à quelque 62 pieds à droite de l’épave (F). L’examen de l’épave ne montre aucune anomalie et les dommages correspondent à l’impact avec le caveau et le sol. Le moteur et l’hélice de droite (G) sont à environ 26 pieds en avant de l’épave dans la trajectoire de l’écrasement.

1.11.3 L'examen de l'épave

L’examen de l’épave a permis de déterminer que le train d’atterrissage était rentré et verrouillé. Les vérins de contrôle des volets sont indicatifs que les volets étaient rentrés. Les vérins du compensateur ont été retrouvés à la position neutre, soit l’équivalent de 0° de la position du compensateur du stabilisateur. Le compensateur d’aileron a été retrouvé à 6° vers le bas et le compensateur de gouverne de direction à 2° à gauche. Le suivi des commandes de vol n’a montré aucune anomalie précédant l’écrasement.

L’aéronef est constitué de 9 sièges passagers, soit 4 sièges à gauche et 5 sièges à droite faisant face vers l’avant. Les boucles de ceintures de sécurité de l’équipage de vol sont débouclées. Cinq boucles de ceinture de sécurité des sièges passagers sont aussi retrouvées débouclées. Deux boucles de ceinture de sécurité de sièges passagers sont retrouvées bouclées alors que 2 boucles de ceinture n’ont pu être retrouvées dans les débris.

Les verrous de la porte d’embarquement principale et de la sortie d’urgence sont en position verrouillée.

1.11.4 L'examen du panneau-annonciateur

Le Beechcraft A100 King Air est équipé d’un panneau-annonciateur qui signale à l’équipage certaines anomalies des moteurs ou des systèmes de l’aéronef. Il est situé dans l’auvent du panneau de bord et est constitué de 24 voyants d’alarme distinctement identifiables et chromocodés. À la suite d’une anomalie, le voyant lumineux dédié au système défectueux s’illumine à son intensité maximale. De plus, dans le cas d’une défaillance nécessitant l’attention immédiate de l’équipage, le voyant principal d’alarme, situé juste à gauche du panneau-annonciateur, clignote sur un fond rouge.

Le panneau-annonciateur et les instruments de bord permettent à l’équipage de déceler le système affecté et de déterminer la gravité de l’anomalie. Les indices tactiles et sensoriels sont également des signes apparents d’un problème.

Le panneau annonciateur du C-FGIN a été partiellement détruit par l’incendie. On a analysé les fractures et les déformations des filaments des ampoules des voyants lumineux du panneau. Les 4 voyants lumineux situés à l’extrémité droite du panneau étaient manquants et les 4 autres qui les précédaient étaient en partie fondus. Plusieurs de ces voyants étaient liés au signalement d’anomalies du moteur droit et de son hélice; l’examen de leurs ampoules n’a permis de tirer aucune information.

L’examen des 16 autres voyantsFootnote 33 a permis d’établir qu’ils étaient tous éteints au moment de l’écrasement.

1.11.5 L'examen des hélices

Les 2 hélices sont fabriquées par Hartzell Propellers Company, modèle HC-B4TN-3AFootnote 34. L’hélice gauche est demeurée attachée au moteur et montre des dommages correspondants à la rotation au moment de l’impact avec le sol. L’examen de l’hélice effectué en atelier n’a révélé aucune anomalie. La preuve recueillie montre que l’hélice était en rotation et développait de la puissance dans la plage de petit pas. Cependant, la puissance exacte n’a pu être déterminée.

L’hélice droite est demeurée attachée au moteur et montre moins de dommages attribuable à la rotation que l’hélice gauche. L’examen de l’hélice, effectué en atelier, ne montre aucune anomalie d’opération. Les renseignements recueillis confirment que l’hélice était en rotation avec l’indication de développer peu de puissance comparativement au moteur gauche et que les pales étaient dans la plage de petit pas lors de l’impact. Cependant, la puissance exacte n’a pu être déterminée.

1.11.6 L'examen des moteurs

Photo 1. Dommages à l'hélice du moteur gauche
Photo of Dommages à l'hélice du moteur gauche
Photo 2. Dommages à l'hélice du moteur droit
Photo of Dommages à l'hélice du moteur droit

L’examen des moteurs PT6A-28 a été effectué chez Pratt & Whitney Canada en présence des enquêteurs du BST, NTSBFootnote 35, de la FAAFootnote 36 ainsi que des représentants d’Aéropro et de Transports Canada.

Le moteur gauche portant le numéro de série 50450 totalisait 18 656 heures et 16 000 cycles depuis sa fabrication. Depuis sa dernière visite en atelier, le moteur cumulait 1498 heures et 1292 cycles. Le moteur avait cumulé 62 heures de vol depuis sa révision effectuée le 6 juin 2010.

L’examen interne du moteur gauche révèle des marques de frottement importantes des composants rotatifs avec les bâtis moteurs dans les différentes zones du moteur. Le pylône d’entrée d’air moteur est fracturé en raison de l’impact et des surcharges en torsion. La preuve indique que le moteur développait de la puissance au moment de l’impact (Photo 1).

Le moteur droit portant le numéro de série 52411 avait totalisé 2037 heures et 2796 cycles d’opération depuis sa fabrication. Depuis sa dernière visite en atelier le moteur avait cumulé 797 heures et 672 cycles. Selon les carnets techniques, le moteur avait été révisé en atelier le 9 juin 2009, après 1240 heures en service.

L’examen interne du moteur droit révèle que les composants turbine et compresseur présentaient des signatures de frottement très légères, indicatives que le moteur développait une puissance située en dessous du régime ralenti moteur ou vraisemblablement peu de puissance au moment de l’impact (Photo 2).

Les accessoiresFootnote 37 des 2 moteurs ont été examinés. Les conduites de carburant et de contrôle étaient sans interruption, les attachements étaient lâches et cette condition est normale lorsque les composants sont exposés à la chaleur extrême d’un incendie. Les pièces en composite et en matière plastique étaient fondues et ne permettaient pas de reconnaître de défaillance possible. Sur les autres composants mécaniques, aucune anomalie n’a été observée.

1.11.7 L'examen du système de contrôle de propulsion

Les contrôles de propulsion se font au moyen de 3 jeux de manettes :

L’examen des manettes du système de contrôle de propulsion dans le poste de pilotage a été effectué et aucune information pertinente pouvant aider à élucider l’accident n’a pu être retirée. Aucune anomalie qui aurait empêché les moteurs de fonctionner normalement n’a été notée.

1.11.8 L'examen du système de butée petit pas en vol

L’examen des composants du système de butée petit pas en vol a été effectué seulement sur le moteur droit puisque les composants du moteur gauche avaient été détruits par l’incendie. Les composants examinés ne montraient aucune défaillance mécanique. Les composants électroniques du système qui sont logés à l’arrière de chacune des nacelles moteur ont été détruits par l’incendie de l’aéronef. Le fonctionnement du système de butée petit pas en vol n’a pu être vérifié en raison de l’état des composants électriques après l’incendie.

L’examen des rapports de difficultés en service (SDR)Footnote 39 concernant le système de butée petit pas en vol, montre que ce système connait surtout des défaillances aux pièces mécaniques comme les manettes, les plaquettes de carbone, les pièces mobiles du mécanisme, et les détecteurs de proximité et de butée petit pas.

Plusieurs exploitants du Beechcraft A100 King Air ont rapporté que ce système demandait un entretien très fréquent. L’entretien associé au système de butée petit pas en vol ont motivé plusieurs d’entre eux à remplacer leurs types d’hélices pour ainsi retirer le système. De plus, plusieurs exploitants et pilotes (incluant Aéropro) ont rapporté avoir effectué des vols alors que le disjoncteur du voyant lumineux du système de butée petit pas en vol était tiré.

Une vérification opérationnelle du système de butée petit pas en vol doit être effectuée avant le premier vol de la journée, tel qu’il est prévu dans l’AFM. L’aéronef ne doit pas effectuer de vol sans que ce système soit opérationnel. L’examen des carnets de vol de l’aéronef n’a révélé aucune anomalie concernant le système de butée petit pas en vol dans la dernière année. Même si l’enquête a révélé qu’il était pratique courante de tirer le disjoncteur du voyant lumineux du système de butée petit pas en vol, rien ne laisse supposer qu’il était tiré au moment du décollage.

Le fait de désactiver le système de butée petit pas en vol en tirant le disjoncteur n’empêche pas le régulateur d’hélice de savoir où est la butée petit pas de type hydraulique à contrôle mécanique et de commander le bon angle des pales, bien qu’un angle de pales de moins de 14° peut être commandé dans les airs.

1.12 Renseignements médicaux

Les occupants ont tous survécu à l’impact initial et présentaient des signes de brûlures importantes. Ils ont tous inhalé des produits de combustion puisque des traces de suie ont été observées dans leurs voies respiratoires. Les dommages au fuselage et l’important incendie qui s’est déclaré immédiatement après l’impact ont empêché les occupants d’évacuer l’aéronef. L’enquête a établi que les capacités des pilotes n’étaient pas réduites par des facteurs physiologiques.

1.13 Questions relatives à la survie des occupants

Une caméra de surveillance située à la porte 24 de l’aéroport de Québec a saisi le décollage de l’APO201 à partir de 1500 pieds du seuil de la piste 30. Toutefois, la piètre qualité des images de l’enregistrement vidéo ne permet pas un examen minutieux de l’aéronef ni de suivre la trajectoire complète du vol. Par contre, à 5 h 59 min 22 s, on peut observer l’explosion qui a suivi l’écrasement de l’aéronef au pied du mont Bélair derrière la ligne de faîte des arbres. Aucun signe d’incendie ou d’éclat anormal n’a été observé avant l’écrasement de l’aéronef.

Le contrôleur de l’aéroport a alerté les services de sauvetage et lutte contre les incendies d’aéronefs (SLIA) de l’aéroport de Québec à 5 h 59, soit 1 seconde après que le copilote ait indiqué leur intention de revenir vers l’aéroport. Les véhicules du service d’incendie de la ville de Québec sont arrivés sur les lieux de l’accident à 6 h 14 et ont commencé à combattre l’incendie. Environ une minute plus tard, le personnel du SLIA s’est joint aux pompiers de Québec. L’incendie a été éteint à 6 h 30.

Tous les occupants de l’aéronef ont été retrouvés dans la cabine après l’extinction du feu. Toutes leurs boucles de ceinture de sécurité étaient ouvertes. Le commandant de bord reposait près de la porte principale à l’arrière gauche de l’aéronef. Le copilote se trouvait près de la porte de sortie d’urgence au-dessus de l’aile droite. L’examen de ces portes a révélé qu’elles étaient verrouillées. Le renversement de la cabine, la fumée et la chaleur extrême de l’incendie ont rendu impossible la survie des occupants. Le déplacement des occupants dans l’aéronef était certainement difficile puisque les sièges étaient suspendus aux dessus de leurs têtes, la cabine s’est remplie rapidement de fumée et la chaleur est devenue insupportable. Aucune évacuation n’a été possible pour les occupants.

L’accident a généré une force d’accélération (g) inférieure aux limites de la résistance humaineFootnote 40 et la cabine était relativement intacte immédiatement après son immobilisation sur le dos. On a toutefois jugé que l’accident n’offrait aucune chance de survie en raison de l’intensité de l’incendie. Le BST a indiqué que lors d’un incendie après un impact, le taux de survie est inférieur avec les aéronefs de plus petite tailleFootnote 41.

1.14 Renseignements sur la formation

1.14.1 Formation des pilotes avec le Beechcraft A100 King Air

Le programme d’entraînement des pilotes d’Aéropro est approuvé par Transports Canada. Après une inspection de validation de programme (IVP) en octobre 2009, l’inspecteur des opérations principal a effectué un contrôle de certaines séances de formation en classe.

1.14.1.1 Formation technique au sol

Le programme de formation technique au sol sur le Beechcraft A100 King Air de la compagnie satisfaisait aux exigences du RAC. Le programme stipulait que les pilotes devaient recevoir entres autres des directives sur les éléments suivants :

Selon les dossiers de la compagnie, les 2 pilotes ont suivi une formation sur tous les sujets requis et ils ont passé avec succès les examens d’évaluation de chacun des modules de la formation. Toutefois, en contrepartie avec le programme de formation, les SOP du Beechcraft A100 King Air n’établissaient ni les tâches spécifiques du pilote aux commandes ni celles du pilote qui n’est pas aux commandes pour les procédures anormales et d’urgence.

1.14.1.2 Formation en vol

La compagnie dispense la formation en vol sur le Beechcraft A100 King Air uniquement sur ses aéronefs. Aéropro ne forme pas ses pilotes sur simulateur de vol et la réglementation ne l’exige pas. Certains exploitants de Beechcraft A100 King Air utilisent un simulateur de vol de Beechcraft B200 King Air en raison des similitudes physiques entre les 2 modèles d’aéronef. En dépit du fait que les systèmes, les moteurs et les performances du Beechcraft B200 King Air sont différents de ceux du Beechcraft A100 King Air, le recours au simulateur est principalement d’optimiser la performance des équipages multi-pilotes en situations anormales et d’urgence. Étant donné que les pilotes travaillent dans un environnement comprenant des listes de vérification et de contrôle pour reconnaître un problème ou une anomalie, une représentation physique fidèle de ces situations favorise la mémorisation des procédures.

La formation en vol chez Aéropro se pratique en général sur un aéronef dont le poids est bien inférieur à la masse maximale autorisée au décollageFootnote 42. Plusieurs situations d’urgence sont simulées; le moteur n’a jamais été coupé pas plus que l’hélice n’a été mise en drapeau. L’exercice s’effectue à une hauteur minimale de 400 pieds agl soit après le décollage ou lors d’une approche. Comme il n’est pas possible de reproduire une panne de butée petit pas en vol, la formation pratique est remplacée par un briefing de l’instructeur. En conformité avec les SOP de la compagnie, les pannes moteur sont simulées et en aucun temps un moteur n’est arrêté en vol ou l’hélice du moteur touché n’est mise en drapeau.

1.14.1.3 Formation du commandant de bord

Le commandant de bord avait suivi une formation complète sur Beechcraft A100 King Air avec un autre transporteur puis avec Aéropro. Bien que ces 2 compagnies exploitent le même modèle d’aéronef, des différences appréciables entre les aéronefs devaient être prises en compte. Notamment, tous les aéronefs de l’autre transporteur étaient équipés d’un système de mise en drapeau automatique alors que le C-FGIN ne l’était pas. Le commandant de bord n’avait effectué aucune formation en vol sur le C-FGIN. Également, les procédures en cas de panne-moteur publiées dans les SOP des 2 compagnies présentaient des différences marquées. Contrairement à l’autre transporteur, Aéropro n’avait pas clairement défini les annonces normalisées et les tâches de chacun des pilotes en cas de situations anormales ou d’urgence.

Lors de la formation au sol avec Aéropro, le commandant de bord avait consigné sur ses notes de cours la procédure suivante :

« Décollage, Departure, Urgence – premier vol du jour. Décollage standard piste 30 – courte piste-, puissance ajusté à 1400 ft.lbs (pied-livres), flaps (volets) 0°, V1/Vr est de 100 kts (nœuds). Décollage selon le SID/Visuel, cap de piste, jusqu'à____ ft (pieds), virage gauche/droite…* [Toute anomalie avant V1/Vr on rejette, après V1/Vr décollage se poursuit, procédures d'urgence en vol. Ça va être max power (puissance maximale), positive rate (taux de montée positif), gear up (train d'atterrissage monté). Je mets ma main sur la manette du bon moteur, tu le confirme et retarde la manette, de la gauche à la droite, ensuite je confirme le firewall valve et ferme, à 400 ftflaps up (volets montés), advise ATC – retour et checklist d'urgence.] *Même briefing que plus tôt. »

La formation en vol du commandant de bord s’est déroulée normalement selon les pratiques courantes et approuvées. Il a obtenu une formation comme commandant de bord monopilote et multipilote. Comme monopilote, il devait exécuter lui-même toutes les procédures et comme commandant de bord multipilote, il devait déléguer les tâches au copilote selon les SOP.

1.15 Renseignements sur l'exploitant et la gestion

1.15.1 Généralités

L’exploitation des aéronefs d’Aéropro était autorisée en vertu des sous-parties 703 ou 704 du RAC. Dans cet événement, l’aéronef en cause était utilisé en vertu de la sous-partie 703Footnote 43.

En 2010, la flotte d’Aéropro était constituée de 16 aéronefs de type Beechcraft King Air 100 et 90, Piper Pa-31, Embraer Emb110 et Metroliner SW2. Aéropro exploitait un service de navette et de taxi aérien dont la base principale était à Québec et la base secondaire à Sept-Îles.

1.15.2 La direction

L’entreprise se composait du personnel-cadre suivant : président et gestionnaire supérieur responsable (GSR); gestionnaire de l’exploitation; directeur de maintenance ; chef pilote de type 703 et le chef pilote de type 704. Aéropro se partageait des ressources avec Sasair, une entreprise connexe.

Transports Canada (TC) a établi le poste de GSR en 2005Footnote 44 pour tout exploitant. Les instructionsFootnote 45 de TC précisent ce qui suit :

Le GSR est l’agent qui préconise le changement culturel au sein d’un organisme, et ledit changement commence au sommet. Ce poste clef est primordial pour le succès de l’initiative que constitue le système de gestion de la sécurité, et il est donc très important d’y nommer d’emblée la personne appropriée. Le règlement exige que le gestionnaire supérieur responsable ait, au nom du titulaire de certificat, le contrôle des ressources financières et humaines nécessaires aux opérations ou aux activités autorisées en vertu du certificat d’exploitation. Même si le concept de « contrôle » n’est pas défini en vertu de la Loi sur l’aéronautique, en cas d’incertitude concernant le gestionnaire supérieur nommé, le simple fait de poser les questions « A-t-il le dernier mot? » et « Peut-on le contredire? » peut aider. En général, si la personne nommée est un employé ou relève d’une personne qui peut la contredire, elle ne se trouve pas au niveau approprié au sein de la société pour être le gestionnaire supérieur responsable.

Parmi les rôles et les responsabilités du personnel de la direction établis dans le manuel d’exploitation de la compagnie, on y retrouve sommairement les points suivants :

En juillet 2005, le GSR avait formellement accepté cette nomination et les responsabilités qui incombent à ce poste. Il est à noter que ce même GSR avait vu sa nomination de gestionnaire de l’exploitation révoquée chez Aéropro par TC en juin 2001 étant donné son inaptitude à mener l’exploitation en toute sécurité.

1.15.3 Les conditions d'emploi des pilotes

La compagnie employait une vingtaine de pilotes dont la majorité en était à leur première année en tant que pilote professionnel. Plusieurs d’entre eux étaient entraînés chez Sasair avant d’être employés par Aéropro. Les pilotes d’Aéropro appartenaient à un syndicat à qui ils pouvaient faire part de leurs inquiétudes quant à la sécurité. Aucune inquiétude à l’égard de la sécurité n’a été soumise au représentant syndical.

La rémunération des pilotes était basée en partie sur le nombre de milles parcourus en vol. L’assignation des vols (heures de vol) avait un impact significatif sur le salaire des pilotes. Au début de l’emploi, un pilote devait signer un bon d’entraînementFootnote 46 à l’entreprise comme garantie. Ce bon est réduit au prorata sur 12 mois. Si un pilote quitte avant d’avoir complété l’année, il doit rembourser une partie du bon d’entraînement. Il s’agit d’un engagement mutuel entre l’entreprise et le pilote. Ces arrangements monétaires ne sont pas uniques à Aéropro, ils se trouvent chez d’autres transporteurs.

Selon l’étude SATOPS Footnote 47la méthode de rémunération en fonction du nombre de milles parcourus ou d’heures de vol a une incidence directe et négative sur la prise de décision des pilotes. Le rapport SATOPS recommandait de trouver un moyen d’exiger aux exploitants aériens qu’ils rémunèrent les pilotes de façon à éliminer les pressions qui découle de ce type de rémunération.

1.15.4 Gestion de sécurité chez Aéropro

Au début de l’année 2010, TC avait indiqué à l’industrie la date de février 2011 pour la mise en application obligatoire de systèmes de gestion de sécurité (SGS) pour l’exploitation de types 703 et 704. En mai 2010, Aéropro avait soumis une ébauche à TC pour la phase 1 de son SGS. TC avait répondu à Aéropro que le ministère examinerait ces documents à une date ultérieure, car la réglementation n’était pas en vigueur, et que les normes n’avaient pas encore été établies. TC avait encouragé Aéropro à continuer de promouvoir la sécurité au sein de l’entreprise. Depuis lors, TC a remis à une date indéfinie la mise en application obligatoire des SGS pour l’exploitation de type 703. Dans le cadre de cette démarche initiale de mise en œuvre des SGS, Aéropro avait produit et affiché à quelques endroits dans l’entreprise une politique de sécurité et avait mené des réunions de sécurité avec la présence de pilotes. Cette politique signée par le président et le GSR indiquait ce qui suit :

Avec ou sans l’obligation d’avoir un SGS, dans le cadre d’exploitation de types 703 et 704, Aéropro était tenue de s’assurer de la conformité aux RAC et de gérer la sécurité aérienne.

Afin de gérer la sécurité, l’étude SATOPSFootnote 48avait identifié les activités suivantes :

Les moyens principaux utilisés par Aéropro pour assurer la gestion sécuritaire des opérations étaient les suivants : la supervision exercée par les gestionnaires, l’apport de chaque employé, les programmes de formation, les procédures de l’entreprise, le manuel d’exploitation, les SOP de l’entreprise, les listes de vérification ainsi que les communiqués de service, de sécurité ou d’exploitation. Ces communiqués étaient affichés dans les salles communes des pilotes. Pour les communiqués de service et de sécurité, les pilotes étaient tenus d’inscrire leurs initiales à l’endroit approprié après en avoir pris connaissance. Aéropro n’a pas été en mesure de fournir des comptes rendus de réunions de sécurité avec son personnel.

Le manuel d’exploitation est un document approuvé par TC qui contient les politiques et les procédures directrices de l’entreprise. Le manuel d’exploitation stipule que tout le personnel d’exploitation doit respecter les procédures telles qu’elles sont énoncées.

Les SOP établissent les procédures spécifiques pour les opérations aériennes de l’entreprise. TC n’approuve pas les SOP et les listes de vérification pour l’exploitation de types 703 et 704. TC vérifie la conformité avec le RAC 703.107. L’AFM propre à chaque aéronef est approuvé et certifié par l’autorité compétente. L’entreprise est responsable de s’assurer que les SOP correspondent aux procédures et limites stipulées dans les AFM des aéronefs qu’elle exploite.

1.16 Programme de Surveillance des opérations par Transports Canada

1.16.1 Généralités

Transports Canada, Aviation civile (TCAC) s’attend à ce que les compagnies exercent un contrôle proactif de la gestion de la sécurité de leur exploitation et qu’elles aient des programmes en place pour assurer le respect continu de toutes les exigences réglementaires. Le programme de surveillance de TCAC a été conçu pour évaluer si une compagnie aérienne a mis en œuvre des systèmes appropriés et efficaces. Ce programme permet d’offrir à TCAC une certaine assurance qu’une compagnie mène ses activités de façon efficace et dans le respect des règlements. Le programme de surveillance de TC permet d’effectuer la surveillance de systèmes spécifiques à des intervalles qui reposent sur des indicateurs de risques. Le programme de surveillance est décrit dans 4 documents : Directive de l’Aviation civile SUR-008 : Politique de surveillance; Instruction visant le personnel (IP) Nº SUR-009 : Norme nationale de planification de la surveillance; Instruction visant le personnel (IP) Nº SUR-001 : Procédures de surveillance Instruction visant le personnel (IP) Nº SUR-002 : Procédures de surveillance accrue. Ces documents, de pair avec le Manuel du programme de sécurité aérienne pour la Direction générale de l’Aviation civile, précisent les politiques et les procédures de TCAC en ce qui a trait à la surveillance des compagnies aériennes. Ce programme vise les principaux systèmes, déterminés à l’aide du certificat de type et sert à établir si la compagnie est tenue ou non d’être dotée d’un SGS.

Selon le Manuel du programme de la sécurité aérienne en vigueur depuis avril 2009, la gestion de la sécurité est fondée sur le fait que les dangers, les risques et les menaces seront toujours présents. Ainsi, une gestion systémique et proactive est requise pour les identifier et les contrôler avant qu’ils n’entraînent des accidents. Le manuel prévoit également qu’une culture de sécurité proactive suppose la collaboration de TCAC et du milieu afin de réduire la probabilité d’accidents et que le programme de surveillance est fondé sur chaque entreprise.

Le programme de surveillance est basé sur une approche systémique de gestion des risques. Transports Canada définit la sécurité comme l’état où les risques sont gérés à des niveaux acceptables. Auparavant, la surveillance consistait en des vérifications réglementaires, effectuées tous les 3 ans, une inspection annuelle entre les 2 vérifications et au besoin des vérifications ou des inspections additionnelles. Ces activités visaient à déterminer la conformité à la réglementation. Le programme actuel de surveillance est principalement effectué par des IVPFootnote 49. Dans la mise en œuvre initiale, les IVP devaient être effectuées à raison d’une par an par compagnie.

Le processus de surveillance actuel se résume aux étapes suivantes : l’examen de la documentation; les enquêteurs mènent des entrevues et font de l’échantillonnage sur le terrain et en dernier lieu un rapport faisant état des lacunes systémiques relevées est produit. Par la suite, on prend une décision à savoir comment traiter les points non conformes. Les options qui s’offrent à TCAC pour traiter des lacunes systémiques relevées sont : permettre à la compagnie de remédier au problème au moyen d’un plan d’action de mesures correctives qui traite de la cause principale du problème; mettre en œuvre des mesures d’application disciplinaires, annuler la certification (Avis de suspension) ou une combinaison de ces options.

Dans les procédures de planification pour une IVP, TC n’est pas tenue d’avertir à l’avance l’entreprise. Toutefois, la pratique veut que l’entreprise soit avisée quelques semaines au préalable. Transports Canada s’attend à ce que la compagnie visée par une inspection sera mieux outillée pour démontrer aux inspecteurs qu’elle a mis en place les systèmes appropriés pour se conformer aux règlements. Au cours de la validation des systèmes d’une compagnie, un échantillonnage aléatoire a lieu. Avec le recours à cette méthode, il devient difficile pour une compagnie de cacher intentionnellement des activités non conformes aux règlements.

Le nombre d’inspecteurs et la durée de l’IVP dépend notamment de la taille de l’entreprise, du mandat de l’IVP et des ressources en inspecteurs dont dispose TC. Dans une IVP, TC mène systématiquement des entrevues avec le personnel clé et se réserve le droit de mener des entrevues avec les employés. Dans la pratique courante, des entrevues avec des pilotes ne sont pas toujours menées. Les entrevues sont importantes pour les inspecteurs notamment pour bien comprendre et déterminer l’efficacité des processus et des procédures du titulaire de certificat. Les noms des personnes questionnées ne doivent pas paraître dans le rapport d’évaluation. Suite à une IVP, une note de 1 à 5 est attribuée. Si cette note est inférieure à 3, ou s’il y a des constatations majeures de non-conformité, une évaluation du risque est normalement menée par TC afin de déterminer les mesures à imposer à l’entreprise afin de contrôler les risques cernés.

Si nécessaire, des activités additionnelles de surveillance ou une surveillance accrueFootnote 50 peuvent être prises par TC. Une surveillance accrue est un « processus de surveillance étroite d’un titulaire de certificat, à la suite de l’évaluation ou de l’IVP, visant à s’assurer que le niveau de conformité réglementaire de celui-ci ne se détériore pas davantage pendant qu’il élabore et met en œuvre des mesures pour corriger ses lacunes systémiques ou se conformer à la réglementation avant la seconde validation des programmes ou une validation subséquente ». Les attentes à la suite d’une surveillance accrue sont que l’entreprise améliore ses systèmes afin de se conformer au RAC et qu’un examen complet des systèmes puisse le confirmer. Quand une surveillance accrue est effectuée suite à une IVP, elle doit mettre l’accent sur les composants qui ont des défaillances importantes. Le plan doit également prévoir la surveillance des systèmes qui n’ont pas été évalués ni validés au cours de l’IVP. Le plan de surveillance accrue doit comprendre une affectation adéquate des ressources.

1.16.2 Surveillance de l'exploitation d'Aéropro par Transports Canada

Dans le cadre de cet événement, les activités de surveillance suivantes ont été examinées :

1.16.2.1 Analyse de sécurité avril 2007

En avril 2007, TC a complété une analyse de sécurité sur l’exploitation d’Aéropro. La collecte des données était basée sur le SCREAQFootnote 51 (de 2001 à 2006), les enquêtes du BST et des discussions avec des inspecteurs de TC. La conclusion du rapport indique qu’à moins d’un changement radical dans la culture de gestion, seul un suivi serré de l’exploitation de cette entreprise peut améliorer sa performance en matière de sécurité. Aéropro a contesté les statistiques et les conclusions du rapport. Subséquemment, TC n’a pas pris d’autre mesure.

1.16.2.2 Inspection de vérification réglementaire mars 2008

La dernière inspection de vérification réglementaire de l’exploitation d’Aéropro a été effectuée par TC du 3 au 14 mars 2008. Dix-sept constatations de non-conformité au RAC avaient été relevées. Les constatations incluaient ce qui suit :

À la suite de cette inspection, l’entreprise a soumis un plan de mesures correctives pour répondre à ces constatations afin de pouvoir poursuivre son exploitation. TC a ultérieurement accepté le plan de mesures correctives déposé par l’entreprise.

1.16.2.3 L'inspection de validation de programme d'octobre 2009

Le premier IVP chez Aéropro a été effectué du 5 au 9 octobre 2009 par une équipe de 4 inspecteurs. L’entreprise avait été avertie de leur visite au début de septembre 2009. Les objectifs étaient de vérifier que la compagnie :

Au début de l’IVP, le gestionnaire de l’exploitation d’Aéropro a avisé l’équipe de TC que le chef pilote d’exploitation de type 704 était absent depuis octobre 2008, soit une période de 12 mois. À partir de ce moment, l’IVP a visé principalement les responsabilités du gestionnaire de l’exploitation. Le 8 octobre 2009, avant que l’IVP ne soit terminée, TC a émis un avis de suspension à Aéropro car l’entreprise ne disposait plus de chef pilote qualifié pour l’exploitation de type 704.

Le rapport d’IVP contenait les constatations suivantes :

Le gestionnaire de l’IVP a indiqué dans son rapport que TC exercerait une surveillance accrue des activités. L’autorité de convocation de l’IVP, soit le gestionnaire du département de l’Aviation commerciale et d’affaires, était l’autorité qui, à sa discrétion, pouvait imposer une surveillance accrue quand la note 3 n’est pas obtenue. Le directeur régional et le superviseur immédiat du gestionnaire devaient donner leur aval pour une surveillance accrue. Le rapport final d’IVP indiquait une note cumulative de 2. Cette note s’expliquait principalement par la constatation que le gestionnaire de l’exploitation ne s’était pas acquitté de ses responsabilités à l’égard du RAC.

1.16.2.4 Gestion du risque octobre 2009

Selon les procédures de TC, en réponse aux résultats de l’IVP, TC a mené une évaluation du risque du 20 au 22 octobre 2009. L’information mise à la disposition de l’équipe de gestion de risque comprenait les résultats de l’IVP et les données obtenues par TC pendant les années antérieures. Le rapport sommaire de l’évaluation du risque indiquait que l’entreprise ne se conformait pas à la réglementation. Les manquements spécifiques reprochés à l’égard du gestionnaire de l’exploitation concernaient le programme de formation, les normes d’exploitation, l’horaire des équipes, la supervision des modifications au manuel d’exploitation, la liaison avec TC et les filets de sécurité à bord des aéronefs. Le suivi recommandé par l’équipe comportait les éléments suivants :

L’équipe avait identifié un risque résiduel si le gestionnaire de l’exploitation révoqué chez Aéropro demeurait au même poste chez Sasair et qu’il se comporte de la même façon. De plus TC avait identifié la possibilité qu’il y ait un transfert des activités d’Aéropro chez Sasair. Une IVP menée chez Sasair 2 mois plus tôt avait révélé que le gestionnaire de l’exploitationFootnote 52 de cette entreprise ne s’acquittait pas lui non plus de ses responsabilités.TC a jugé que les constatations de l’IVP effectuée chez Sasair ne mettaient pas en cause la sécurité des opérations. Conséquemment, le gestionnaire d’exploitation a continué à exercer ses fonctions chez Sasair à partir des locaux d’Aéropro.

Le gestionnaire intérimaire du département de l’aviation commercial et d’affaires, décideur pour cette gestion de risque, a entériné l’option de contrôle recommandée par l’équipe, soit une surveillance spécifique, et 5 des 7 recommandations ci-haut. Il a été jugé qu’un responsable de sécurité n’était pas requis, car ceci était la responsabilité du gestionnaire de l’exploitation. La révocation était uniquement pour Aéropro car les constatations étaient à l’égard du certificat d’exploitation d’Aéropro.

Le rapport final d’IVP indiquait que les manquements d’ordre réglementaire avaient été cernés et que la compagnie ferait l’objet d’une surveillance spécifique liée aux manquements observés, et le certificat d’exploitation et le gestionnaire de l’exploitation feraient l’objet de mesures administratives pour assurer le respect du RAC. Une surveillance spécifique n’était pas prévue comme tel dans les instructions de TC, mais on y indique qu’il est possible d’appliquer d’autres activités de surveillanceFootnote 53. Plusieurs facteurs ont été considérés dans la décision sur le type de surveillance à mettre en place, notamment les aspects qui devaient être surveiller de plus près, les bénéfices escomptés par le remplacement du gestionnaire de l’exploitation, et les ressources disponibles de TC pour appliquer une surveillance accrue. Ce type de surveillance continue d’une durée de 90 jours requiert plus de ressources humaines et financières que les autres types de surveillance.

1.16.2.5 Révocation du gestionnaire de l'exploitation

Le 9 novembre 2009, TC a révoqué l’approbation du gestionnaire de l’exploitation d’Aéropro après avoir déterminé qu’il ne s’était pas acquitté de ses responsabilités en s’assurant que l’ exploitation soient menée conformément aux exigences des articles 703.07 et 704.07 du RACFootnote 54. Le 10 novembre 2009, TC a émis un avis de suspension à Aéropro car l’entreprise ne disposait pas d’un gestionnaire de l’exploitation en vertu du sous-alinéa 703.07(2)b)(i) du RAC.

Le 23 novembre 2009, le directeur régional intérimaire Aviation civile Région de Québec émet au GSR Aéropro une lettre de révocation du gestionnaire de l’exploitation Aéropro. Le GSR est informé que l’entreprise est sous surveillance spécifique et que l’entreprise doit s’engager à fournir à TC, 15 jours à l’avance, les dates de formation future au sol et en vol de ses pilotes, et les dates des épreuves en vol (PPC ou VCP), et ce, jusqu’à la prochaine IVP. Subséquemment TC a participé à la nomination d’un nouveau gestionnaire de l’exploitation Aéropro. TC a mené une entrevue du postulant et a révisé son dossier professionnel. En décembre 2009, TC a approuvé les nominations du nouveau gestionnaire de l’exploitation et du nouveau chef pilote d’exploitation de type 704. Avec un nouveau gestionnaire de l’exploitation, TC anticipait des effets positifs sur la conformité à la réglementation et sur la culture de sécurité de l’entreprise.

1.16.2.6 Activité de surveillance mai 2010

Le 3 mai 2010, dans l’exercice de surveillance spécifique, l’inspecteur principal de TC pour Aéropro a constaté des irrégularités au programme de formation des pilotes. Spécifiquement, TC a constaté que des pilotes n’avaient pas subi de PPC monopilote et avaient agi en tant que commandant de bord lors de vols effectués en équipe sur des aéronefs à turbomoteur dont la configuration prévoit 6 passagers et plus, et ce, sans que l’aéronef ne soit muni d’un CVR. La compagnie devait à nouveau soumettre un plan de mesures correctives pour répondre à cette constatation.

1.16.2.7 Inspection de validation de programme suite à l'accident

Suite à l’accident C-FGIN, et selon les procédures établies, TC a mené une IVP ponctuelle sans préavis, du 24 juin au 23 juillet 2010. Cette IVP avait été convoquée par le directeur régional intérimaire Aviation civile Région de Québec. Le mandat de cette IVP était une inspection de tous les aspects opérations et assurance qualité (maintenance). L’équipe de TC comptait 11 inspecteurs. Durant cette IVP, des entrevues avec des pilotes ont été menées. Le rapport de cette vérification fait état de 20 constatations de non-conformité au RAC et comprenait ce qui suit :

Les entrevues menées par TC dans le cadre de l’IVP à la suite de l’accident ont soulevé des divergences d’opinions concernant la sécurité des opérations. Certains témoignages ont indiqué que les opérations étaient sécuritaires en vertu des procédures normalisées publiées par l’entreprise, alors que d’autres ont indiqué le contraire. Ces informations recueillies lors des entrevues ont été utilisées dans le rapport final de l’IVP. Le rapport indique entre autres ce qui suit :

Suite à l’IVP et compte tenu de l’historique d’Aéropro, TC a analysé des options pour une prise de décision. TC n’a pas retenu l’option d’un changement complet du personnel cadre car cette option avait été expérimentée partiellement sans succès et changer toute la gestion augmenterait le risque. Les 3 options retenues étaient les suivantes :

  1. avis de suspension et surveillance accrue;
  2. annulation du certificat d’exploitation;
  3. suspension immédiate et surveillance accrue.

Selon les critères d’analyse, la pondération des options 2 et 3 étaient similaires, et plus sévères que l’option 1. L’option 3 n’a pas été retenue, car le risque de récidive était déterminé comme élevé compte tenu de la culture et de l’historique de la compagnie.

Le 30 juillet 2010, TC a émis un avis d’annulation du certificat d’exploitation à Aéropro. Dans l’avis d’annulation du certificat d’exploitation, une trentaine de faits sont mentionnés, datant de février 2001 à juillet 2010. Aéropro a déposé une requête préliminaire, dont le fondement reposait sur un manquement à l’équité de la procédure, afin d’arrêter l’avis d’annulation. Le Tribunal d’appel des transports du Canada a rejeté la requête.

L’enquête du BST soulève des différences entre certaines pratiques sur le terrain comparativement aux procédures établies dans le manuel d’exploitation et les SOP. Ces constatations correspondaient à celles établies par TC dans le cadre de leur IVP de juillet 2010.

Certaines anomalies n’étaient pas inscrites au carnet de route de l’aéronef. La pratique systémique consistant à décourager les pilotes de consigner des anomalies dans le carnet de route de l’aéronef avait pour objet de ne pas clouer l’aéronef au sol.

L’enquête du BST a également déterminé ce qui suit :

1.16.3 Entrevues dans le cadre d'inspection de validation de programme

Les instructions d’IVP indiquent que des entrevues peuvent être menées pour comprendre les processus et procédures de l’entreprise afin de déterminer leur efficacité. Les règlements qui régissent le programme de surveillance obligent une personne à parler à un employé de TC dans le cadre d’une inspection. Subséquemment, la déclaration de cette personne pourrait être utilisée et divulguée dans le cadre de procédures administratives ou judiciaires. La réglementation n’offre pas aux employés une protection de confidentialité absolue. Pour l’IVP de juillet 2010, des entrevues de pilotes ont été déterminantes pour établir certaines constatations.

1.16.4 L'organisation de maintenance agréé (OMA) d'Aéropro

L’OMA d’Aéropro est agréée par TC depuis 1990, en vertu du RAC 573.02. L’OMA est approuvée pour effectuer la maintenance des produits aéronautiques et possède des spécialités dans les catégories suivantes : aéronefs, avionique, composants, instruments et structures. L’OMA entretient principalement les flottes d’aéronefs de l’exploitation d’Aéropro et de Sasair. Il est qualifié pour effectuer la maintenance sur 16 types d’aéronef différents dont les Beechcraft 90, Beechcraft 100, Piper -31, Embraer 110 et Merlin III, sur 3 bases situées à Québec, St-Hubert et Sept-Îles. L’OMA d’Aéropro se conforme au RAC par les procédures décrites au MCM qui définit, documente et contrôle tous les aspects de la navigabilité des aéronefs de l’organisation de maintenance et de son personnel.

Le personnel technique est composé d’un directeur de maintenance , d’un chef technicien, d’un responsable de la qualité, d’un commis technique, de responsables de bases, de techniciens d’entretien d’aéronefs et de mécaniciens, pour un total de 13 employés. Le directeur de maintenance est défini selon la réglementation comme la personne responsable de la maintenance (PRM). Le PRM doit rendre des comptes au directeur de l’exploitation de la coordination de toute activité de maintenance et devra s’assurer que ces activités soient menées conformément aux politiques et aux énoncées du MCM. Chaque personne responsable de la qualité et des autres fonctions doit rendre des comptes au PRM. Le PRM d’Aéropro est redevable au président et au GSR d’Aéropro.

L’examen des anomalies dans les carnets de bord et les actions de maintenance effectuées sur l’aéronef en cause supporte l’information qui indique que les pilotes consignaient peu d’anomalies dans les carnets.

1.16.4.1 Surveillance de l'OMA d'Aéropro par Transports Canada

La surveillance de l’OMA d’Aéropro était effectuée par la division maintenance et construction de TC localisé à Québec. Les rapports entre ce groupe d’inspecteurs de l’aviation civile et Aéropro étaient caractérisés par la proximité et la fréquence élevées des visites.

La surveillance de l’OMA d’Aéropro, résulte, en date du 26 août 2008, à un avis de suspension de son certificat. Aéropro avait 30 jours pour effectuer tous les correctifs demandés par TC concernant le programme d’assurance de la qualité, le contrôle de maintenance et de s’assurer que toutes les procédures soient applicables et efficaces. L’OMA devait s’assurer de consigner les mesures correctives et les décisions prises qui découleraient des constatations. Le suivi a été fait à la satisfaction de TC. L’OMA d’Aéropro est demeuré en fonction sans interruptions.

Du 25 au 27 février 2009, Aéropro a fait l’objet d’une IVP de TC particulièrement pour la validation du programme d’assurance de la qualité. L’IVP impliquait une vérification préalable des dossiers et une familiarisation de programme d’assurance de la qualité, tel que le prévoit le MCM de la compagnie. L’inspection sur place comprenait des entrevues avec le personnel clé, l’échantillonnage et l’examen des procédures et des dossiers. De plus, il y avait une vérification des activités de la compagnie afin de déterminer l’efficacité du programme et le degré de conformité au RAC et aux manuels approuvés. Suite à l’inspection, des constatations de validation de programme ont été notées. Aéropro a pris les mesures correctives pour chacune des non-conformités à la satisfaction de TC.

Du 31 mars au 1er avril 2010, TC effectue une IVP spécifique de l’OMA d’Aéropro. L’IVP avait pour objectif de vérifier les composantes du système d’assurance de la qualité. TC a sélectionné le domaine fonctionnel des systèmes et des procédures de l’entreprise en utilisant la liste de contrôle de validation afin de déterminer le degré de conformité au RAC, et aux manuels et documents approuvés de la compagnie. L’inspection de TC n’a soulevé aucune constatation de non-conformité, donc l’entreprise ne nécessitait aucune action supplémentaire sur la composante Assurance qualité.

Le 24 juin 2010, au lendemain de l’accident, TC a mandaté 4 inspecteurs qui ont effectué une IVP spéciale de l’OMA d’Aéropro. Celle-ci ciblait les aspects de contrôle de maintenance et de l’entretien des aéronefs qui ont un impact sur la sécurité. Au terme de l’IVP Transports Canada a conclu de l’OMA d’Aéropro rencontre les exigences réglementaires.

1.17 Programmes de sécurité

1.17.1 Programmes de déclaration volontaire

Toute personne peut volontairement signaler des préoccupations concernant la sécurité, notamment via les programmes volontaires SECURITAS du BST et le Système de signalement des questions de l’aviation civile (SSQAC) de TC.

Le programme SECURITAS, créé en 1985, est un programme de déclaration volontaire accessible à quiconque pour signaler toute situation, procédure ou pratique dangereuse. En outre, la loi qui établit la compétence du BST n’exige pas que l’organisation mette en place un système confidentiel de déclaration volontaire. Le BST reçoit annuellement environ 60 déclarations liées à l’aviation. Le BST peut uniquement protéger la confidentialité de l’auteur de ces déclarations, et celles-ci ne peuvent pas être utilisées contre le déclarant dans aucune procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Au milieu des années 90, à la suite de la baisse du nombre des rapports et sous l’effet des compressions budgétaires, le BST a significativement réduit la promotion du programme SECURITAS. Il s’en est suivi une diminution importante du nombre de déclarations dans le cadre de ce programme.

Le SSQAC, créé en mai 2005, permet à toute personne de signaler les problèmes liés à la sécurité. Ce système ne doit pas être utilisé pour signaler des dangers immédiats ou des infractions. Le SSQAC n’est pas conçu pour traiter de questions qui devraient être soulevées au moyen du SGS d’une compagnie aérienne.

April 2011 Report Intake
Air Carrier/Air Taxi Pilots 2,910
General Aviation Pilots 925
Controllers 716
Cabin 275
Mechanics 162
Dispatcher 56
Military/Other 27
TOTAL 5,071

Tableau 4. Rapport ASRS du mois d'avril 2011
(Ce document est disponible en
anglais seulement).

Le rapport SATOPS avait recommandé que TC mette en place un système confidentiel et non disciplinaire pour encourager le signalement des préoccupations et des infractions. Le rapport citait comme exemple le programme Aviation Safety Reporting System (ASRS) établi par FAA et administré par la National Aeronautics and Space Administration (NASA). Ce programme permet à quiconque de rapporter des incidents, des évènements et des actes potentiellement dangereux, avec impunité et confidentialité, à l’exception d’accidents ou d’activités criminelles. Ces informations sont compilées afin d’identifier l’allocation de ressources pour la prévention d’accident et pour fournir de l’information sur les pratiques dans l’industrie. À titre d’exemple, le programme ASRS administré par la NASA a reçu, en avril 2011, 5071 rapports segmentés dans les sections suivantes (Tableau 4).

Par suite de ces rapports, 20 alertes ont été produites : dont 10 alertes concernaient les aéronefs et leurs équipements, 4 alertes visaient les procédures et les équipements au contrôle du trafic aérien, 4 autres visaient les aéroports et les procédures et 2 alertes concernaient les procédures d’entretien des aéronefs.

En 2001, le CCRACFootnote 55 a mis en place un groupe de travail pour établir des recommandations quant à l’élaboration d’un programme de déclaration volontaire n’entraînant pas de mesures disciplinaires. Son rapport final publié en juin 2002 identifie que le programme devrait englober ce qui suit :

Le groupe de travail avait jugé que la mise en place d’un nouveau programme de déclaration volontaire était le moyen le plus efficace. De plus, on est d’avis qu’un organisme non gouvernemental devrait gérer un tel programme. Le groupe estimait que la revitalisation de SECURITAS n’était pas l’option à retenir.

L’enquête a identifié un seul suivi suite à la publication du rapport de ce groupe de travail. Dans le cadre de la 10e réunion plénière du CCRAC, le 19 mai 2005, la réglementation sur le programme de déclaration volontaire n’entraînant pas de mesures disciplinaires était à l’ordre du jour. Dans la réunion, on note ce qui suit :

Il existe plusieurs raisons et facteurs qui font en sorte que des employés ne signalent pas leurs préoccupations ou des situations dangereuses. L’enquête a déterminé que les facteurs suivants étaient présents chez certains pilotes d’Aéropro :

Certains pilotes auraient déclaré leurs préoccupations à TC. Cependant, l’enquête n’a pas permis de retrouver les documents indiquant que des pilotes avaient fait des signalements volontaires à TC avant l’accident. L’enquête a révélé que le programme SECURITAS n’indique aucun signalement volontaire concernant Aéropro, et que le programme SSQAC en contient un.

1.17.2 Culture de sécurité et la gestion

Il est reconnu que tous les membres d’une organisation et les décisions prises à tous les niveaux de l’entreprise ont une incidence sur la sécurité. L’étude SATOPS établit que la direction est responsable de la sécurité de l’exploitation quotidienne et qu’elle doit s’engager à promouvoir des pratiques d’exploitation sûres. Conséquemment, dans l’étude SATOPS, TC avait identifié le besoin d’évaluer la gestion d’entreprise dans le cadre d’une enquête afin de déterminer si certains facteurs organisationnels avaient contribué ou non à l’accident. La recommandation pertinente du rapport était la suivanteFootnote 56:

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada devrait évaluer les facteurs de gestion qui ont contribué à l’accident qui fait l’objet de l’enquête.

La culture de sécurité d’une entreprise se manifeste par ses structures (procédures et processus), les décisions et les actions (comportements) des gestionnaires et des employés, et les perceptions à l’égard de la sécurité (valeurs et attitudes). Une définition fréquemment citée pour l’expression culture de sécuritéFootnote 57 d’une organisation est la suivante : « Les valeurs que partagent les membres d’une organisation (ce qui est important) et ces attitudes interagissent avec les structures organisationnelles et les systèmes de contrôle pour produire des normes de comportement (la façon dont les choses sont effectuées) » Uttal (1983)Footnote 58.

Une culture de sécurité a une influence sur toutes les parties d’une organisation et se caractérise par des actions proactives afin d’identifier et de contrôler les risques, un engagement du personnel cadre, ainsi que des politiques et procédures claires qui sont mises en pratique. Une absence de culture de sécurité est associée avec des actions réactives plutôt que proactives vis-à-vis les risques et peut mener à des pratiques non conformes ou non sécuritaires. Dans une entreprise, les décisions, les actions et le comportement des gestionnaires et des employés sont des indicateurs quant à la culture de sécurité de cette entreprise. TC décrit une culture de sécurité comme suitFootnote 59 :

Le lien entre la culture et la gestion de sécurité se reflète en partie par les attitudes et les comportements de la direction d’une entreprise. Une gestion systémique de la sécurité facilite une culture de sécurité positive et efficace. Dans une introduction au SGSFootnote 60, TC cite le modèle des 4P pour décrire la gestion de sécurité d’une organisation: philosophie, politiques, procédures et pratiquesFootnote 61. Selon ce modèle, la gestion de la sécurité concerne la direction de l’entreprise qui établit la philosophie en reconnaissant que des risques existent, en établissant les normes de l’organisation et en confirmant que la sécurité est la responsabilité de tous. Les politiques d’une entreprise établissent comment les objectifs de sécurité seront atteints en définissant clairement les responsabilités, en développant les procédures, structures et objectifs pour l’intégration de la sécurité dans tous les aspects de l’opération, et en développant les habilités et les connaissances du personnel. Les procédures sont les directives aux employés et établissent les attentes de la direction. Les pratiques, c’est ce qui se passe vraiment au travail. Les pratiques peuvent invariablement différer des procédures et dans certains cas augmenter les risques à la sécurité.

1.18 L'exploitation de type 703 - Taxi aérien du RAC

Pendant la dernière décennie, il y a eu 7 à 8 fois plus d’accidents pour les services d’exploitation de taxi aérien (703) comparativement aux autres services commerciaux transportant des passagers, soient les services 704 (navettes) et 705 (entreprise de transport aérien), (Tableau 5).

Tableau 5. Nombre total d'accidents et de décès pour la période
de 2001 à 2010 selon le type d'exploitation
Tableau of Nombre total d'accidents et de décès pour la période<br> de 2001 à 2010 selon le type d'exploitation

Ces statistiques du nombre d’accidents indiquent une différence majeure entre l’exploitation de type 703 et les autres types d’exploitation de transport de passagers. Cette situation est reconnue et il y a des études et interventions pour réduire les risquesFootnote 62. Il y a d’importantes différences entre les services, notamment au niveau de la réglementation, l’environnement opérationnel, l’équipement, et certaines caractéristiques de compétences des pilotes.

La réglementation du taxi aérien est moins exigeante. Par exemple, les exigences de formation périodique sont moins élevées, les SOP ne sont pas approuvés par TC, les critères de divulgation d’incidents sont moins contraignants, et ce service est l’un des derniers à devoir mettre en œuvre un SGS.

L’environnement opérationnel du taxi aérien est plus exigeant car les compagnies sont plus petites, les vols sont plus courts. En conséquence, il y a une moyenne plus élevée de décollage et d’atterrissage par heure de vol. La majorité du temps de vol, ils sont exposés à la météo plus sévère en raison de l’altitude des vols. De plus, ils fournissent le transport aérien aux plus petits aéroports et aérodromes en régions éloignées qui ont des services minimaux au niveau de l’aide à la navigation, aux urgences, au service au sol, et à la planification de vol.

Les aéronefs en exploitation taxi aérien sont souvent plus petits et plus âgés. Ils sont certifiés selon des normes de sécurité de l’époque qui sont souvent moins contraignantes. Pour la plupart de ces aéronefs, des simulateurs de vol n’existent pas ou ne sont pas disponibles pour aider la formation des équipages. Ces aéronefs sont souvent moins bien équipés, notamment en ce qui a trait aux aides à la navigation et aux équipements électroniques de sécurité tel le TAWS, GPWS, TCAS, RadAlt, WXR et pilote automatiqueFootnote 63. Plusieurs de ces aéronefs ne sont pas équipés de CVR et FDR. De plus, l’affichage des paramètres de vol et des avertissements de pannes de l’aéronef sont moins sophistiqués et peuvent demander plus d’effort cognitif de la part du pilote pour comprendre l’état de l’aéronef. Cela peut mener à des erreurs pendant les périodes d’une charge de travail élevée.

Typiquement, les pilotes dans le domaine d’exploitation du taxi aérien sont moins expérimentés, moins formés et plus jeunes que dans les autres services. Pour obtenir un poste auprès de ce type d’exploitant aérien, un pilote doit avoir complété un nombre d’heures de vol beaucoup moins élevé que les services navette et les compagnies aériennes. Pour un pilote, un emploi avec ce type d’exploitant est généralement une étape initiale afin d’accumuler un nombre d’heures de vol suffisantes pour obtenir un poste dans l’exploitation de type 704 ou 705. Ainsi, il est possible que certains pilotes ne soient pas engagés à l’amélioration de ce type d’exploitation. Cette situation est aussi un dilemme pour ces compagnies parce qu’ils investissent dans la formation de pilotes qui quittent pour un autre exploitant peu de temps après. Il est à noter que le taux de roulement des pilotes est relativement élevé dans le taxi aérien.

L’enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

On peut obtenir ces rapports en s’adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Analyse

2.1 Introduction

La météo n’a joué aucun rôle dans l’accident. Quelque 39 secondes après le décollage, l’équipage a rapporté un problème avec le moteur droit. L’aéronef a cessé de monter puis a perdu de la vitesse et de l’altitude avant de s’écraser 29 secondes plus tard.

La destruction de l’aéronef à l’impact et au cours de l’incendie qui a suivi, l’absence d’un enregistreur de données en vol (FDR) et d’un enregistreur de la parole (CVR) sont des facteurs qui ont empêché de déterminer les circonstances précises de l’accident. Néanmoins, la preuve recueillie permet de déduire ce qui s’est produit.

L’analyse portera sur le problème rapporté, la gestion de l’urgence, la formation de l’équipage, la gestion et la culture de la compagnie, la surveillance de la compagnie par TC et sur le manque de données CVR.

2.2 L'état de l'aéronef avant le décollage

Les anomalies techniques n’étaient pas systématiquement consignées dans le carnet de route des aéronefs et n’étaient souvent inscrites dans le carnet de route qu’au moment de la réparation. Aussi, en raison d’occasionnels mauvais fonctionnements du système d’avertissement de panne butée petit pas, on demandait aux pilotes de déclencher le disjoncteur du voyant d’avertissement lumineux pour le « LOW PITCH STOP » avant le décollage plutôt que de subir les inconvénients opérationnelsFootnote 64 en cas d’une fausse indication. En conséquence, il n’a pas été possible de confirmer hors de tout doute l’état de navigabilité du C-FGIN avant le vol.

APO201 étant le premier vol de la journée, les pilotes devaient vérifier tous les systèmes de l’aéronef à l’aide des listes de vérification avant décollage. Il est raisonnable de penser que ces vérifications ont été effectuées au cours des 11 minutes qui se sont écoulées entre l’embarquement et la demande de circuler vers la piste. Puisque l’équipage n’a rapporté aucune anomalie par radio au préposé des vols de la compagnie, on peut croire que les pilotes n’ont perçu aucun problème important.

C’est également lors de ce laps de temps que le commandant de bord aurait revu les procédures en cas d’une situation anormale lors du décollage. Selon les notes de cours du commandant de bord, le briefing avant décollage se serait résumé à énumérer les tâches de chacun des pilotes en cas de panne-moteur. Cependant, faute de données concrètes et en absence de directives en ce sens publiées dans les SOP, on n’a pu établir la teneur de l’exposé.

Par la suite, l’aéronef s’est immobilisé quelques secondes au point d’attente de voie de circulation avant d’entrer sur la piste et d’effectuer un décollage sur sa lancée.

2.3 Course au décollage

L’analyse des performances de plusieurs courses au décollage du C-FGIN avec les données radar ASDE a démontré que la mise en puissance des moteurs et l’accélération de l’aéronef ont été réalisées de façon normale jusqu’à la rotation. La performance de l’aéronef était sensiblement la même que lors des autres courses au décollage examinées. Nonobstant, les performances de l’aéronef pendant le décollage ont été inférieures à celles prévues dans l’AFM. L’aéronef a parcouru environ 500 pieds supplémentairesFootnote 65 pour atteindre la vitesse de vol requise pour l’arraché. Si l’équipage avait perçu une défaillance avant la rotation, le décollage aurait pu être interrompu sans décoller de la piste.

Si l’on s’appuie sur l’analyse des performances de plusieurs courses au décollage de juin 2010 et des notes de cours du commandant de bord, l’équipage aurait initialement ajusté la puissance des moteurs à 1400 pieds-livres, possiblement en raison de l’effet de la prise de vitesseFootnote 66. Par la suite, l’équipage aurait réglé la puissance à 1500 pieds-livres, tel que l’indiquent les SOP et non à la puissance continue maximale au décollage, telle qu’elle est décrite dans l’AFM. Vraisemblablement, l’équipage s’est conformé à la directive d’Aéropro concernant les limites de puissance pour le décollage. Cette directive, contraire aux AFM, énonçait que les paramètres de la compagnie devaient être respectés en tout temps, sauf en cas d’urgence. La directive prévoyait des sanctions si elle n’était pas suivie par les pilotes.

2.4 La montée

Il n’a pas été possible de déterminer le profil du vol dans le plan vertical du décollage jusqu’à la première cible radar à 160 pieds agl. Par la suite, le radar de surveillance de Québec a suivi le vol par intervalle de 5 secondes pratiquement jusqu’au site de l’accident. Comme l’affichage radar se lit par palier de 100 pieds et par tranche de 10 nœuds, la trajectoire et la vitesse exactes de l’aéronef n’ont pu être recrééesFootnote 67. Toutefois, la précision circonscrite des données radar permet une évaluation acceptable quoique sommaire des performances de l’aéronef.

Si la puissance continue maximale au décollage avait été utilisée, on aurait pu atteindre une performance de montée supérieure. Pendant les 8 premières secondes de la montée, l’aéronef a accéléré à environ 120 nœuds. L’aéronef a poursuivi sa montée jusqu’à environ 260 pieds agl et a, par la suite, perdu environ 10 nœuds de vitesse au moment où un mouvement de lacet vers la droite a été observé, ce qui suggère une perte de traction du moteur droit.

Suite au décollage à puissance réduite, les performances de l’aéronef lors de la montée initiale étaient inférieures à celles établies lors de sa certification en cas de panne-moteur au décollage. En conséquence, l’équipage a eu moins de temps pour gérer la situation d’urgence.

2.5 Le problème rapporté en vol

2.5.1 Généralités

Le copilote a rapporté un problème avec le moteur droit 39 secondes après le décollage sans toutefois préciser la nature du problème. On sait également qu’une manette de commande de puissance a été tirée puisque le klaxon train d’atterrissage retentissait à ce moment. On a cerné 2 situations anormales qui nécessitent une réduction de puissance :

La possibilité d’un feu moteur a été exclue puisqu’aucun indice en ce sens n’a été observé en vol, lors de l’examen de l’épave et à la suite des expertises sur les moteurs.

2.5.2 Panne du système de butée petit pas en vol

2.5.2.1 Panne du système de butée petit pas en vol

Selon la liste de vérification, et le déroulement séquentiel des évènements, il est probable que l’équipage a effectué la vérification fonctionnelle du système dans le cadre de la vérification du point fixe moteur avant le vol. Cependant, en général, une panne du système de butée petit pas en vol survient à l’arraché et entraîne un changement du pas des pales de l’hélice qui passe de sa position initiale à un plus grand pas, puis en drapeau. L’augmentation du pas provoque d’abord un décuplement de traction du côté concerné. En raison de l’augmentation de la force exercée par la traction, ce type de panne n’a pas d’incidence soudaine et négative sur la performance de l’aéronef.

La réaction initiale de l’équipage face à une panne butée petit pas en vol est tributaire de l’information dont il dispose. Si l’aéronef avait subi une panne butée petit pas en vol au décollage côté droit, en puissance décollage, la panne serait initialement indiquée par un mouvement en lacet vers la gauche, puis la panne se serait traduite dans le poste de pilotage par l’illumination du voyant d’alarme « R PROP LOW PITCH » ainsi que d’une augmentation progressive du couple moteur droit suivi d’une diminution du régime de l’hélice visée. Les changements dans le pas de l’hélice seraient accompagnés par une modification du son produit par l’hélice. Dans cette condition, l’hélice se serait déplacée vers la mise en drapeau ou aurait oscillé autour du petit pas en vol. Le mouvement en lacet inverse qui pourrait s’ensuivre ne serait que momentané, et serait rapidement remplacé par le mouvement en lacet lié à une perte de poussée ou une pale à angle plat du côté droit. Le voyant lumineux d’alarme « R PROP LOW PITCH » aurait clairement établi la source du problème ainsi que le côté affecté guidant l’équipage vers l’exécution de la procédure d’urgence appropriée.

L’exécution de mémoire des 3 premiers éléments de la procédure d’urgence est généralement intuitive. Dans les plus brefs délais, l’équipage tirera sur la manette de commande de puissance du côté visé afin de maintenir le couple moteur dans les limites prescrites puisqu’un dépassement des limites peut entraîner la défaillance du moteur. Par la suite, il désactivera le système butée petit pas en tirant le disjoncteur « PROP GOV-IDLE STOP ». L’angle des pales de l’hélice serait dès lors contrôlé uniquement par le régulateur d’hélice. Le régulateur d’hélice ramènera l’angle de pas de l’hélice afin de maintenir la vitesse souhaitée de l’hélice. Finalement, l’équipage ajustera la manette de commande de puissance à la puissance désirée. Cependant, la preuve recueillie n’indique pas que les contrôles du moteur et de l’hélice avaient été ramenés à la valeur de puissance appropriée.

2.5.2.2 Disjoncteur voyant d'alarme « R PROP LOW PITCH »

Étant donné qu’il était pratique courante chez Aéropro de tirer le disjoncteur du voyant d’alarme du système de petit pas en vol avant le décollage, et que la compagnie n’avait pas de formation pratique sur ce type de panne, les conséquences d’une telle possibilité ont été analysées.

Suite à une panne du système de petit pas en vol droit et en absence d’une indication lumineuse, le lacet initial vers la gauche aurait pu être interprété par l’équipage comme une perte de puissance du moteur gauche. Par contre, l’augmentation du couple moteur droit aurait aussi pu signifier une défaillance du régulateur d’hélice ou un bris mécanique de l’hélice. Dans une telle situation, il est raisonnable de penser que le pilote aurait instinctivement tiré sur la manette de commande de puissance pour contrôler le couple moteur visé.

On peut conclure que sans voyant d’avertissement, l’identification de la panne et la mise en œuvre de la procédure d’urgence appropriée auraient été pour le moins retardées. Pour ces raisons, la désactivation du voyant d’alarme du système de petit pas en vol ou de tout autre système d’avertissement va à l’encontre de la réglementation et pose un risque important à la sécurité du vol.

2.5.2.3 Probabilité d'une panne butée petit pas en vol après le décollage

Les composants du système retrouvés sur le site de l’accident n’ont révélé aucune anomalie préexistante au vol. Tous les bris de l’hélice droite et de son mécanisme sont le résultat de l’écrasement. Le câblage et certains composants électriques du système de butée petit pas en vol ont été consumés par le feu. En conséquence, il n’a pas été possible de déterminer l’état du système.

Dans l’hypothèse d’une panne du système de butée petit pas en vol droit après le décollage, on aurait pu s’attendre à ce que l’aéronef se soit incliné et qu’il ait indiqué une augmentation ou une fluctuation du couple moteur vers la gauche tout en conservant son accélération et son taux de montée. Or, selon les données radar, l’aéronef a plutôt bifurqué vers la droite, puis a cessé sa montée à quelque 260 pieds agl alors que sa vitesse s’est stabilisée à 110 nœuds avant de décroitre. Le mode petit pas dans lequel les pales ont été trouvées ne peut être obtenu qu’en tirant sur la manette de commande pour réduire la puissance moteur ou entraîner une perte de puissance du moteur.

Si l’équipage avait perçu une panne du système de butée petit pas en vol et effectué en partie la procédure de panne butée petit pas, l’équipage aurait diminué la puissance du moteur visé et aurait tiré le disjoncteur « PROP GOV-IDLE STOP » et remis la puissance sur le moteur. Si la butée petit pas de l’hélice avait fait défaut au décollage, on aurait retrouvé l’hélice droite en position grand pas. La preuve recueillie indique que la puissance moteur a été réduite et que le disjoncteur « PROP GOV-IDLE STOP » n’avait pas été tiré pour reprendre le contrôle de l’hélice.

Chacun de ces éléments ne permet pas d’écarter une panne du système de petit pas en vol. Cependant, son ensemble suggère qu’il est peu probable que l’équipage ait initié une procédure d’urgence de panne butée petit pas en vol sans la terminer.

2.5.3 Panne/perte de puissance moteur

2.5.3.1 Panne de moteur

Tous les dommages constatés aux 2 moteurs et leurs hélices sont des conséquences de l’impact et de l’incendie déclaré au sol. En conséquence, on n’a pu établir d’anomalie préexistante à l’impact. En conclusion, l’examen des moteurs et de leurs composants n’a révélé aucun signe de dysfonctionnement ou de défaillance survenu en vol.

2.5.3.2 Moteur et hélice gauches

Les dommages que présentait le moteur gauche correspondaient à un impact au sol avec un régime moyen à élevé. Les marques laissées sur le sol par l’hélice gauche suggèrent qu’elle tournait à environ 2200 rpm. Finalement, l’examen des ampoules des voyants d’alarme rattachées aux composants du moteur gauche étaient éteintes. Ces observations suggèrent que le moteur gauche fonctionnait normalement lors du vol et que l’équipage a tiré sur la manette de commande de puissance du moteur droit juste avant de rapporter le problème moteur. Cependant, l’enquête n’a pu déterminer si le moteur gauche pouvait produire la puissance maximale de 1628 pieds-livres. Les vérifications de performance effectuées sur les moteurs lors des inspections périodiques et le suivi des tendances de performance des moteurs documentés par les pilotes quotidiennement n’ont révélé aucune anomalie. Il est à noter que la puissance au décollage de 1628 pieds-livres ne pouvait qu’être vérifiée que par les équipages lors de décollages. La procédure visant à ne pas excéder la puissance de 1500 pieds-livres limitait la possibilité pour l’équipage de déceler si les moteurs développaient ou non une pleine puissance au décollage. Les pratiques relatives à la maintenance et les pratiques opérationnelles ne permettaient pas de déterminer si les moteurs pouvaient produire la traction maximale de 1628 pieds-livres requise au décollage et lors des procédures d’urgence.

2.5.3.3 Moteur et hélice droits

Les examens effectués sur le moteur droit ont démontré qu'il tournait à très bas régime ou en rotation libre au moment de l'impact. Les dommages à l'hélice droite et les marques au sol causées par cette hélice indiquent une puissance de traction presque nulle. Le lacet vers la droite sur la trajectoire de vol indique moins de puissance de ce moteur. L'équipage a perçu et communiqué avoir un problème avec le moteur droit. La tonalité entendue sur les communications radio indique que la manette de commande de puissance d'un moteur a été tirée. Ces constatations correspondent à une réduction de puissance du moteur droit par l'équipage afin de gérer un problème moteur. L'équipage a alors dû composer avec une perte de puissance du moteur droit, quelques 28 secondes après avoir atteint la vitesse de rotation. L'équipage volait parfois à bord d‘aéronefs munis de système de mise en drapeau automatique. Les indices relevés sur l'hélice droite confirment que l'hélice droite n'était pas en position drapeau, mais qu'elle était plutôt dans la plage de fonctionnement petit pas.

Compte tenu de ces considérations, il est raisonnable de conclure que le moteur droit a subi une défaillance en vol qui a engendré une perte de poussée substantielle.

2.6 Performance de l'aéronef avec un seul moteur

Outre la tendance en lacet et le mouvement de roulis vers la droite, le problème du moteur droit s’est traduit dans le poste de pilotage par une diminution rapide des indications de performance de ce moteur et probablement d’une alarme visuelle générateur et de pression carburant. Selon la procédure recommandée, la montée initiale sur un moteur doit s’effectuer à puissance maximale continue, train rentré, volets rentrés, hélice en drapeau et en maintenant la Vyse.

À ce moment du vol, l’aéronef était vraisemblablement configuré pour la montée; les volets devaient être rentrés puisqu’aucune condition environnementale ou opérationnelle ne nécessitait un décollage avec volets sortis et le train a dû être escamoté dès que l’aéronef a affiché une vitesse ascensionnelle positive. Sur ce point, les volets et le train étaient rentrés au moment de l’accident.

Il n’a pas été possible d’établir de façon précise la puissance que développait le moteur gauche au moment du problème du moteur droit. Puisque l’aéronef n’avait pas encore atteint 400 pieds aglFootnote 68, la puissance du moteur gauche devait être la même qu’au décollage. Les éléments de l’enquête, notamment l’analyse de la performance de l’aéronef lors de course au sol, les directives de la compagnie concernant la puissance au décollage et les notes de cours du commandant de bord suggèrent que l’équipage a effectué un décollage à puissance réduite. En conséquence, il est raisonnable de penser que les 2 moteurs affichaient 1500 pieds-livres lorsque le problème est survenu.

Étant donné que le moteur gauche n’était pas réglé à la puissance décollage indiquée dans l’AFM, l’équipage devait augmenter la puissance à 1628 pieds-livres de coupleFootnote 69. Selon le calcul de Hawker Beechcraft Corporation, à 1628 pieds-livres de couple et l’hélice droite en position petit pas, l’aéronef était en mesure de monter à environ 100 pieds par minute. Or, l’aéronef a cessé son ascension et l’altitude s’est stabilisée quelque peu, à 260 pieds agl, avant de perdre de la vitesse et de l’altitude. D’après les quelques données radar recueillies, la trajectoire de l’aéronef pourrait suggérer que la puissance du moteur gauche est restée la même qu’au décollage et que conséquemment, l’aéronef a poursuivi le vol à puissance réduite. Si tel est le cas, soit l’équipage n’a pas augmenté la puissance, soit que le réglage de la manette de commande de puissance ne permettait pas d’atteindre 1628 pieds-livres de couple. L’enquête n’a pas pu déterminer si l’état du réglage des manettes permettait d’obtenir la pleine puissance moteur.

L’hypothèse que l’équipage n’a pas réglé la puissance au maximum ne s’appuie pas sur des données exactes, mais sur un taux de montée optimum calculé par Hawker Beechcraft Corporation et des données radar qui comportent une certaine marge d’erreur. En tenant compte de ce qui précède et du faible écart entre le taux de montée à 1500 pieds-livres et 1628 pieds-livres de couple, il n’a pas été possible d’infirmer ou de confirmer que le vol s’est poursuivi à puissance réduite suite au problème de moteur rapporté.

L’étape additionnelle d’appliquer la pleine puissance apporte un délai pendant une période très critique. Il existe même une possibilité qu’un équipage puisse oublier d’effectuer cette action, particulièrement quand ceci est contraire à leur expérience. Le BST avait déterminé qu’une telle procédure avait causé un accident au décollage en 2007Footnote 70. Le BST avait émis un avis de sécuritéFootnote 71 suggérant que TC prenne des mesures pour garantir que les exploitants soient au courant de la nécessité d’utiliser des documents de référence approuvés sur les opérations en vol, et qu’il s’assure que les équipages utilisent les documents de référence adéquats en matière d’opérations en vol. Subséquemment, TC a publié l’avis de sécurité dans la revue Sécurité Aérienne – Nouvelles Numéro 2/2008.

2.7 Gestion de l'urgence par l'équipage

2.7.1 Généralités

Il est important de souligner que les pannes ou les problèmes de moteur au décollage sont une des situations d’urgence les plus complexes à gérer sur un bimoteur léger. Lorsqu’une panne ou un problème de moteur survient immédiatement après le décollage, un équipage n’a pas le temps de consulter la procédure appropriée avant de prendre les mesures correctives. Lors de leur formation, les pilotes apprennent les actions critiques à prendre dans une telle situation, soit d’appliquer pleine puissance, s’assurer que le train d’atterrissage est monté, identifier correctement le moteur en panne et mettre en drapeau l’hélice du moteur panne.

Dans le cas présent, l’aéronef évoluait près du sol, et tentait d’effectuer une montée lorsque les pilotes ont été confrontés à une perte importante de traction. Les pilotes devaient connaître la procédure d’urgence de mémoire puis l’exécuter. Puisque le problème de moteur est survenu relativement près du sol, l’équipage disposait de peu de temps pour identifier le problème et agir de façon coordonnée. Comme il se doit, les étapes de la procédure panne-moteur étaient clairement énumérées et séquencées dans l’AFM, dans la ECHKL et dans les SOP d’Aéropro.

2.7.2 Actions de l'équipage après le problème du moteur

Lors de l’urgence, les pilotes devaient entreprendre les actions prioritaires sans se laisser distraire. Suite au problème moteur, le pilote aux commandes (PF) devait avant tout conserver la maîtrise de l’aéronef et le piloter tandis que le pilote qui n’était pas aux commandes (PNF) devait, à la demande du PF, effectuer les tâches énoncées dans la procédure d’urgence puis informer l’ATC de la situation. Faute d’un CVR, on ne peut que formuler des suppositions quant aux actions de l’équipage.

Compte tenu de la configuration de l’aéronef, de sa vitesse et de l’altitude à laquelle le problème est survenu, l’équipage devait exécuter dans l’ordre les 3 tâches critiques suivantes :

  1. augmenter le régime moteur à la puissance maximum permise;
  2. confirmer l’identification du moteur affecté;
  3. mettre en drapeau l’hélice du moteur visé, au besoin.

Dès l’identification du problème, le PNF aurait dû régler la puissance au maximum après que le PF a annoncé « Maximum Power ». Cependant, comme nous l’avons discuté précédemment, il est possible que l’on n’ait pas réglé la puissance au maximum permis. On peut formuler 3 hypothèses pour expliquer l’omission de pousser à fond sur les manettes de commande de puissance :

La confirmation du problème du moteur droit par l’équipage est corroborée par la mise en position ralentie de la manette des gaz du moteur et le signalement du problème à l’ATC.

2.7.2.1 Configuration de l'hélice droite

La mise en drapeau de l’hélice droite, la dernière tâche critique à accomplir, n’a pas été exécutée. Contrairement aux autres aéronefs pilotés antérieurement par le commandant de bord, le C-FGIN n’était pas muni d’un système de mise en drapeau automatique. Néanmoins, la procédure d’urgence était la même indépendamment de la présence ou non de cette automatisation. Cependant, il est possible que l’équipage ait omis la mise en drapeau compte tenu de l’automatisation de cette fonction sur d’autres aéronefs. Les seuls indicateurs pour l’équipage qu’une mise en drapeau a été complétée sont la réduction de vitesse hélice et la position de la manette de commande des hélices sur la console entre les 2 pilotes. L’absence d’une répartition précise des tâches a créé une condition propice à l’omission de tâches critiques.

Le copilote a communiqué avec le contrôleur de l’aéroport 11 secondes après le moment présumé du problème. On constate également qu’il a consacré 19 des 29 dernières secondes du vol à communiquer avec l’ATC au lieu de concentrer ses efforts sur les tâches vitales. L’interruption de la procédure d’urgence laisse penser qu’on a accordé une plus grande priorité à informer l’ATC du retour de l’aéronef suite au problème du moteur droit. Les communications radio ont détourné l’attention du copilote de ses tâches à un point crucial de la procédure d’urgence. De tous les éléments de la procédure panne-moteur, la mise en drapeau était la tâche la plus déterminante sur le déroulement éventuel du vol. Elle était vitale à la poursuite du vol puisqu’elle était le meilleur recours à une performance de montée. L’hélice en position petit pas générait une trainée importante qui, en plus, augmentait avec la vitesse de l’aéronef. Ainsi, si le pilote a tenté d’accélérer à la Vyse, l’écart entre la traction et la trainée excessive a été réduit et les performances taux de montée et vitesse se sont détériorées. L’hélice du moteur droit n’a pas été mise en drapeau. En conséquence le taux de montée a été compromis par une traînée excessive.

2.7.2.2 Communications avec l'ATC

Il est probable que l’appel du PNF au contrôleur de l’aéroport ait été conditionné par le stress de la situation et l’application des règles de la circulation aérienne en situation normale. En temps normal, un pilote évoluant dans un espace aérien contrôlé doit informer l’ATC avant de déroger d’une instruction afin d’obtenir une nouvelle autorisation. Par contre, dans une situation d’urgence, un pilote doit prendre toutes les mesures jugées nécessaires avant de communiquer avec l’ATC. Cependant, il est très rare qu’un pilote soit confronté à une telle éventualité. D’ailleurs, aucun renseignement ne suggère que le copilote l’ait été auparavant. De plus, comme l’entrainement en vol des pilotes s’est déroulé dans des conditions normales, ils avaient l’habitude de communiquer avec l’ATC avant d’effectuer un changement de trajectoire même lors des simulations de panne-moteur.

À quelques exceptions près, les appels d’urgence sont émis sous l’autorité du commandant de bord. Comme le commandant de bord est responsable de l’exploitation et de la sécurité du vol, il est peu probable que le copilote ait décidé, de son propre chef, de revenir atterrir sur la piste 30. On peut donc penser que le copilote a communiqué avec l’ATC après que le commandant de bord a annoncé son intention de revenir à l’aéroport. Le copilote a communiqué avec l’ATC soit :

Quoiqu’il en soit, la priorité accordée aux échanges avec l’ATC s’est faite au détriment de la gestion de la panne. L’équipage devait avant tout effectuer les tâches que dictait la situation. D’ailleurs, l’ATC s’attend à ce que les pilotes accomplissent les tâches nécessaires avant d’être informé de la situation. Toutefois, l’ATC compte être informé le plus tôt possible de tout changement de direction ou d’altitude en vue de minimiser la possibilité de conflit avec d’autres aéronefs.

La dernière communication du copilote, 13 secondes avant l’impact, indique que les pilotes étaient conscients que l’aéronef ne montait pas. De toute évidence, ni l’un ni l’autre des pilotes n’a diagnostiqué le problème de configuration, soit l’hélice droite qui n’était pas en drapeau. Il est fort probable que le commandant de bord était en surcharge de travail en raison de ses tâches. Il devait maîtriser un aéronef à puissance réduite et fortement déséquilibrée par la traînée de l’hélice droite, dont la dégradation des performances aérodynamiques ne permettait pas de franchir le terrain ascendant droit devant. Dans de telles circonstances, on peut penser que toute son attention portait principalement sur la maîtrise de l’aéronef et que cette lourde charge de travail l’a empêché de détecter la non-mise en drapeau de l’hélice droite.

2.7.3 SOP d'Aéropro concernant les situations d'urgence

Puisque le Beechcraft A100 King Air peut être exploité par un seul pilote, l’AFM, la CHKL et l’ECHKL spécifient seulement la chronologie des tâches à accomplir d’une procédure. La répartition des tâches entre 2 pilotes ne s’y trouve pas et n’est pas tenue de l’être. Toutefois, lorsqu’un aéronef est exploité avec 2 pilotes, chacun d’eux devraient connaître les tâches dont il est responsable et l’ordre dans lequel elles devraient être accomplies. Ainsi, s’assurer d’effectuer en temps opportun toutes les actions prescrites. En général, les mesures de coordination des membres de l’équipage devraient être traitées dans les SOP. En tenant compte de ses politiques et des particularités de son exploitation, l’exploitant devrait définir les tâches de chacun des pilotes d’une équipe multipilote. Or, pour le Beechcraft A100 King Air, Aéropro avait précisé et ensuite publié dans ses SOP les actions de chacun des pilotes uniquement pour les procédures à suivre en situations normales. La répartition des tâches entre les membres de l’équipe n’avait pas été formulée pour les procédures à suivre en cas de situation d’urgence. En conséquence, lorsque le problème est survenu, les 2 pilotes ne pouvaient pas s’appuyer sur une routine établie pour exécuter les tâches requises de façon coordonnée. L’absence de directives écrites précisant les tâches respectives de chacun des pilotes a pu occasionner des erreurs d’exécution, des omissions et une confusion dans le poste de pilotage.

2.7.4 Formation de l'équipage en cas de panne-moteur

Selon les renseignements obtenus, ni l’un ni l’autre des pilotes n’avait été confronté à une panne-moteur dans conditions réelles. L’exécution de la procédure panne de moteur au décollage faisait appel à des compétences rarement mises en pratique, même lors de leurs formations périodiques. Comme les pilotes n’avaient pas été entraînés sur un simulateur bimoteur dans le cadre de leur formation, ils n’ont pas eu à travailler en équipage dans des conditions d’urgence.

Ce n’est que lors de leur entrainement en vol que les 2 pilotes ont pu s’exercer à effectuer la procédure de panne-moteur. Cependant, pour des raisons de sécurité évidentes, les exercices panne-moteur consistaient à simuler la panne à une hauteur minimum de 400 pieds agl. Puisque le moteur n’était pas fermé et que l’hélice n’était pas mise en drapeau, les pilotes n’ont jamais eu à exécuter la procédure complète d’une panne-moteur à l’envol. De plus, les performances d’un Beechcraft A100 King Air relativement léger lors d’une panne-moteur simulée sont nettement supérieures à celles d’un Beechcraft A100 King Air chargé qui a subi une panne-moteur à faible hauteur. En conséquence, les pilotes n’ont jamais été exposés aux performances auxquelles ils ont été confrontés au moment du problème de moteur.

Également, le manque de directives formelles sur le partage des tâches ne permettait pas à Aéropro de former ses pilotes en tant que membres d’un équipage multipilote pouvant répondre de façon coordonnée à une situation d’urgence. Le PF avait pratiqué les pannes-moteurs et réussi son PPC en condition monopilote et multipilote, ce qui incluait un exercice de panne-moteur sur un vol en approche en exploitation à un seul pilote. Il est peu probable qu’une partie des quelques heures de formation en vol consacrées à la coordination de l’équipage ait pu donner aux pilotes l’occasion de consolider les notions essentielles à la gestion efficace des ressources en équipe.

L’équipage devait prendre des décisions et des actions rapides sans toutefois pouvoir s’appuyer sur une expérience antérieure en situation réelle ou en simulateur. Étant donné que l’expérience des pilotes était limitée aux simulations pendant l’entraînement, il est probable qu’ils n’étaient pas préparés à passer, en une fraction de seconde, d’une situation de vol de routine à une situation d’urgence nécessitant une disponibilité, une coordination et une concentration extrême. Bien que l’équipage ait la formation requise selon la réglementation, il n’était pas préparé à gérer l’urgence avec coordination et efficacité.

2.7.5 Coordination de l'équipage

On a dû recourir au peu de données radar disponibles, à l’analyse des enregistrements ATS, à l’examen des indices au sol, et à l’examen de l’épave pour évaluer la coordination entre les 2 pilotes. De plus, en l’absence de données CVR, on n’a pas pu établir les communications entre les 2 pilotes ni leur compréhension de la situation. À partir des faits établis, l’enquête peut seulement inférer quelle a été la coordination entre les 2 pilotes.

Les pilotes ont été confrontés à une situation d’urgence grave, mais connue. L’équipage avait très peu de temps pour comprendre la situation et effectuer les tâches nécessaires.

Étant donné que l’aéronef peut être piloté en monopilote, toutes les procédures ont été conçues pour être exécutées par un seul pilote. Si son exploitation à 2 pilotes réduit la charge de travail de chacun, elle exige une gestion efficace des ressources. Une gestion efficace des ressources en équipe requiert que les pilotes conviennent d’un plan commun et une compréhension partagée de la situation. En plus, il nécessite le leadership, la communication, et la coordination des tâches. En situation d’urgence où il manque de temps et que la charge de travail est élevée, ces notions deviennent plus critiques au bon déroulement du vol.

La non-mise en drapeau de l’hélice droite, la continuation du vol avec performances dégradées et la priorité accordée aux communications avec l’ATC, indiquent que l’équipage n’avait pas totalement saisi la situation et qu’il existait un problème de répartition efficace des tâches.

2.7.6 Impact avec le sol

Les faits établis indiquent que l’équipage n’a pas tenté d’exécuter un atterrissage d’urgence. La dernière communication radio, 10 secondes avant l’impact, indique que l’équipage avait toujours l’intention de retourner à l’aéroport. Si l’équipage avait modifié son plan suite à cet échange radio, il n’y avait que très peu de temps pour choisir un site d’atterrissage et de configurer l’aéronef. Dans les dernières secondes de vol, l’équipage ne pouvait qu’effectuer des manœuvres limitées pour éviter des obstacles. La légère déviation 5 secondes avant l’impact a probablement été effectuée pour éviter des arbres. L’équipage ne pouvait savoir qu’il dirigeait l’aéronef vers un caveau. Les positions rentrées des volets et du train d’atterrissage, ainsi que l’asymétrie de puissance moteur indiquent que l’équipage ne planifiait pas un atterrissage. Les volets sortis auraient aidé à diminuer la vitesse à l’impact.

Pour une urgence impliquant une anomalie d’un moteur, les équipages d’aéronefs multi-moteurs sont formés à mener un atterrissage à l’aéroport le plus près (Figure 2 qui provient des SOP) plutôt que d’atterrir sur une surface opportune. Les aéronefs sont conçus pour voler avec un moteur en moins. Aucune procédure ne prépare les pilotes à effectuer un atterrissage forcé sur un terrain non aménagé. L’intention de l’équipage de revenir à l’aéroport était conforme à cette formation. Il y a une tendance naturelle à continuer avec un plan plutôt que de considérer des solutions de rechanges malgré l’évolution de la situationFootnote 72. Ceci a probablement influencé l’équipage à maintenir l’intention de continuer le vol et de revenir à l’aéroport. Dans cette situation tendue, l’équipage disposait de très peu de temps pour reconnaître le besoin de réviser leur plan et de considérer un autre plan pour lequel ils n’avaient pas été formés, et de mettre en œuvre ce nouveau plan. Un atterrissage dans un champ implique invariablement des risques de blessures, des dommages à l’aéronef et des conséquences significatives aux opérations. Confronté à un choix entre un résultat négatif certain et le risque inconnu, il y a une propension à opter pour ce dernierFootnote 73. En l’absence de CVR, il est impossible de déterminer avec certitude les intentions exactes de l’équipage. Cependant, compte tenu des faits établis, on peut conclure que l’équipage tentait de retourner à l’aéroport et l’aéronef s’est écrasé. L’impact avec le caveau a aggravé les dommages à l’aéronef.

2.8 Questions relatives à la survie des occupants

L’écrasement est survenu peu de temps après le décollage, alors que les réservoirs contenaient environ 388 gallons de carburant. L’emplacement des membres de l’équipage ainsi que le fait que toutes les ceintures des passagers étaient détachées révèlent que tous les occupants ont survécu à l’impact. De plus, ceci suggère que l’équipage a tenté d’initier l’évacuation de l’aéronef. La position renversée et les dommages à l’aéronef ne permettaient pas une évacuation avant que les occupants ne succombent en raison de la fumée et de l’incendie rapide et intense.

2.9 L'historique de maintenance de C-FGIN

Les documents suggéraient que le C-FGIN était entretenu en conformité avec la réglementation. Cependant, les anomalies de l’aéronef n’étaient pas toujours consignées dans le carnet de route de l’aéronef. De plus, les travaux effectués sur le C-FGIN le 20 juin n’ont été inscrits dans le carnet de route que le 22 juin, soit après 4 vols. Compte tenu de ces faits établis, il a été impossible de déterminer avec exactitude l’état de navigabilité de l’aéronef avant le vol. Un manque de rigueur dans la documentation des travaux de maintenance, en plus d’être un manquement à la réglementation, ne permet pas d’établir la condition exacte de l’aéronef.

2.10 Culture de sécurité chez Aéropro

À la base, une culture de sécurité requiert un engagement concret et réel de la direction et un environnement de travail qui encourage les prises de décisions et les comportements prudents malgré les impacts sur le plan économique. Une culture de sécurité doit être juste, mais ne doit pas tolérer les infractions volontaires. De plus, une culture de sécurité encourage tous les membres d’une entreprise à faire part de leurs préoccupations en matière de sécurité. Plusieurs pratiques, certaines liées à des considérations sur le plan économique, introduisaient des risques importants à la sécurité. Étant donné que TC était sur le point d’exiger la mise en place d’un SGS pour l’exploitation de type 703, Aéropro a initié l’implantation d’un SGS. Toutefois, les structures et mécanismes d’un SGS n’étaient pas en place au moment de l’accident. L’entreprise exploitait dans une approche réactive plutôt que proactive, comme le prévoit un SGS.

Certaines de ces pratiques organisationnelles, connues par la direction de l’entreprise étaient contraires aux directives écrites de la compagnie. La nature organisationnelle et systémique de ces pratiques indique qu’elles provenaient de la direction. Ces dérogations institutionnelles pour éviter les exigences sécuritaires portent à croire que la direction n’était pas pleinement engagée dans la promotion de la sécurité. Dans leur ensemble, les pratiques suivantes définissent une faible culture de sécurité de l’entreprise :

La pratique de ne pas inscrire toutes les anomalies dans le carnet de route de l’aéronef était établie pour ne pas clouer au sol un aéronef pour une anomalie déterminée comme non essentielle afin de mener un vol. L’état technique de l’aéronef n’était pas établi en un seul endroit car certaines anomalies étaient identifiées dans un système parallèle. Dans un tel cas, les équipes ne pouvaient connaître, en tout temps, l’état réel de l’aéronef. Par conséquent, les équipes étaient privées d’information pouvant être critique advenant une urgence.

Une entreprise a l’autorité de décider de son système d’allocation de vol. Néanmoins, la rémunération par heures de vol a déjà été identifiée comme problématique pour la sécurité étant donné le potentiel d’incidence directe et négative sur la prise de décision des pilotes. De plus, avec un engagement monétaire d’un bon de formation, cela peut placer des pilotes dans une situation difficile : se conformer aux pratiques ou être pénalisé; ou quitter l’entreprise en remboursant la balance du bon de formation. La majorité des pilotes qui travaillent pour des exploitants de taxi aérien sont généralement moins expérimentés et plus susceptibles aux pressions opérationnelles et organisationnelles. La pratique organisationnelle d’un banc de punition pour limiter le nombre d’heures de vol et la perception qu’en font des pilotes peut influencer de manière indue le processus décisionnel et le comportement des pilotes. Des conditions d’emploi, telle que la rémunération par heures de vol, peuvent influencer les décisions des pilotes, et créent ainsi un risque à la sécurité.

2.11 Surveillance de l'exploitaton d'Aéropro par Transports Canada

Dans l’ensemble, le système de surveillance de TC est basé sur des inspections périodiques qui sont habituellement annoncées à l’avance. Les manquements constatés au cours de ces inspections sont communiqués à l’entreprise qui doit alors soumettre un plan de mesures correctives qui doit être ensuite être accepté par TC. Quand ce processus est complété, la surveillance a lieu lors de la prochaine inspection. Cette surveillance peut donc être décrite comme étant périodique et ponctuelle plutôt que continue.

Le gestionnaire de l’IVP en octobre 2009 a identifié, selon son interprétation des instructions d’inspection, qu’une surveillance accrue devrait être appliquée. Cependant, il appartenait à l’autorité de convocation de décider quel type de surveillance serait appliquée. Le décideur a opté pour une surveillance spécifique. Bien que le terme surveillance spécifique ne soit pas inclus dans les instructions d’IVP, ce type de surveillance peut être considéré comme une option de surveillance additionnelle selon les instructions de TC. Une surveillance accrue aurait occasionné un plus grand besoin en ressources comparé à une surveillance spécifique, et ce, à un moment ou les inspecteurs de TC avaient un calendrier d’inspections chargé durant la première année d’IVP. Une surveillance accrue aurait résulté en une surveillance de tous les systèmes d’Aéropro, en plus de cibler les défaillances notées par l’IVP, et par conséquent aurait augmenté la probabilité de déceler les anomalies avant la tenue de l’IVP après l’accident.

La surveillance spécifique ciblait le programme de formation, car des constatations antérieures établissaient que cet aspect comportait des lacunes. Avec la nomination d’un nouveau gestionnaire de l’exploitation, TC anticipait une amélioration significative quant à la gestion sécuritaire des opérations. La décision de TC d’établir une surveillance spécifique plutôt qu’accrue suite à l’IVP d’octobre 2009 était conforme aux normes établies dans le cadre du nouveau programme de surveillance.

L’absence prolongée d’un chef pilote est une infraction significative à la réglementation étant donné les responsabilités qui incombent à ce poste. D’autres constatations de non-conformité notées dans l’IVP d’octobre 2009 relevaient du gestionnaire de l’exploitation. En conséquence, la gestion du risque avait ciblé le travail de ce gestionnaire. Révoquer la nomination d’un gestionnaire d’exploitation est mesure administrative relativement exceptionnelle. Imposer une surveillance additionnelle est une mesure concrète qui exige que l’entreprise corrige les éléments de non-conformité afin de conserver son certificat d’exploitation pour poursuivre ses opérations. Suite à l’IVP d’octobre 2009, TC a pris des mesures significatives afin de s’assurer qu’Aéropro se conforme au RAC et que l’entreprise gère plus efficacement les risques liés à la sécurité de l’exploitation aérienne.

Un accident majeur constitue un élément déclencheur pour une IVP spéciale (hors-calendrier). Conséquemment, TC a convoqué et mené une IVP suite à l’accident survenu le 23 juin 2010. Cette inspection incluait tous les aspects compte tenu de l’ampleur de l’accident et des antécédents d’Aéropro. Dans la gestion du risque après l’IVP de juin et juillet 2010, TC a considéré tous les éléments du dossier d’Aéropro, en plus des constatations de l’IVP. Les constatations d’infraction relevaient de la direction de l’entreprise. Avec les mêmes responsables en place, TC a jugé que le risque de récidive était inacceptable.TC a annulé le certificat d’exploitation aérienne d’Aéropro suite aux constatations établies lors de cette IVP hors-calendrier et avec l’agrégation des constations antérieures à partir de 2001.

Il y avait une différence majeure entre les constations des IVP menées à 9 mois d’intervalle. Ces IVP ont été convoquées pour des raisons et des mandats différents. Une IVP est une inspection ciblée d’un ou de plusieurs aspects d’une entreprise. L’IVP d’octobre 2009 était une activité périodique ou l’accent avait été mis sur les responsabilités du gestionnaire de l’exploitation suite aux constatations faites au début de l’inspection. L’IVP de juin et juillet 2010 était une activité hors-calendrier, d’une durée de 4 semaines avec un mandat de plus grande ampleur car cette inspection faisait suite à un accident majeur, et que l’entreprise était déjà sous surveillance additionnelle. Pour cette IVP, TC avait une équipe beaucoup plus nombreuse et des entrevues de pilotes ont été utilisées comme outil d’inspection. L’écart entre les constatations entre les 2 IVP, avant et après l’accident, s’explique par le non-préavis, un plus grand nombre d’inspecteurs, de plus longue durée et d’un mandat plus étendu ainsi que des entrevues de pilotes.

Bien qu’il n’est pas obligé de le faire, Transports Canada (TC) avertit souvent quelques semaines à l’avance qu’une IVP sera menée. Ceci permet d’assurer la disponibilité du personnel de l’entreprise et s’inscrit dans l’esprit de collaboration mutuelle entre TC et les exploitants aériens. Ce principe est une pierre angulaire d’un système axé sur la gestion des risques visant la responsabilisation de la direction des entreprises. Une inspection de TC peut avoir des conséquences majeures, voire même l’annulation d’un certificat d’exploitation. Ceci influence invariablement les entreprises dans la préparation de leur inspection et, conséquemment, ces entreprises prendront des mesures concrètes si une inspection est annoncée à l’avance. Le nouveau cadre d’inspection met l’accent sur la gestion des risques et des processus avec moins de vérification et d’inspection axées sur les opérations et en vol.

Plusieurs lacunes ont été constatées selon l’IVP après l’accident et qui existaient avant l’accident mais elles n’avaient pas été relevées par TC dans le cadre de leur programme de surveillance incluant la surveillance spécifique. Suite à l’IVP après l’accident, TC disposait de plus d’information dans ses prises de décision quant à l’annulation du certificat d’exploitation. TC anticipait des effets positifs, notamment la conformité aux règlements, et le remplacement du gestionnaire de l’exploitation compte tenu des responsabilités qui incombent à ce poste. La culture de sécurité ne dépend pas seulement d’un gestionnaire, mais elle repose sur la volonté de la collectivité au sein de l’entreprise et débute par un engagement soutenu par le GSR et autres gestionnaires. Les mesures importantes prises par TC n’ont pas eu les effets escomptés pour assurer une conformité aux règlements et, ainsi, des pratiques non sécuritaires ont persisté.

Les SOP et les listes de vérification pour exploitants de type 703 ne sont pas approuvés par TC. Les entreprises sont responsables de se conformer aux manuels de vol des manufacturiers approuvés par le régulateur. Dans le cadre d’inspections, TC peut réviser ces documents. Ces révisions ne sont pas menées en détail. Les inspections de TC n’ont pas décelé qu’Aéropro ne se conformait pas à la procédure de puissance au décollage, comme ceci avait été le cas pour l’évènement A07C0119.

2.12 Programme de déclaration volontaire non disciplinaire et confidentiel

À ce jour, la recommandation du rapport SATOPS pour la mise en place d’un système confidentiel et non disciplinaire n’a pas été pleinement entérinée. Les systèmes en place, tels SECURITAS et SSQAC, répondent en partie aux critères du système visé. Notamment, ces systèmes n’offrent pas une confidentialité absolue et sont pratiquement inconnus dans l’industrie de l’aviation. Cette situation explique en partie pourquoi des pilotes ou autres employés qui voudraient rapporter des actions ou des conditions dangereuses ne le font pas. L’absence d’un système efficace de déclaration volontaire, non disciplinaire et confidentiel entraine des risques non identifiés dans le système de transport.

2.13 L'absence de données CVR pour l'enquête

L’intention de la réglementation est que des aéronefs de transport commerciaux de 6 sièges et plus, et exploités par 2 pilotes, soient munis de CVR. Les données CVR sont critiques advenant un évènement aéronautique. En novembre 2009, pour renforcer la réglementation, TC a produit l’avis de proposition de modification (APM) au RAC 605.33 qui rendrait obligatoire l’installation de CVR pour les aéronefs exploités à 2 pilotes dans des conditions similaires au C-FGIN. En conséquence de l’attente à la modification au RAC, 3 aéronefs Beechcraft King Air récemment impliqués dans des évènementsFootnote 74 étaient sans CVR. Les enquêtes ont été privées des données critiques pour expliquer ces accidents qui ont fait 9 morts et 2 blessés graves.

En raison des dommages importants causés par l’embrasement de l’aéronef, l’examen des composants du C-FGIN a révélé peu d’indices permettant de déterminer la nature du problème moteur rapporté et l’information dont l’équipage disposait. À défaut du CVR, les seuls enregistrements disponibles étaient les enregistrements de l’ATS et les enregistrements radar en plus des caméras de sécurité de l’aéroport et d’Aéropro, qui ont été extrêmement utiles. Toutefois, étant donné que ces enregistrements n’ont pas été conçus à des fins d’enquête, la qualité, la précision et la quantité de leurs données étaient limitées. De même, il convient de constater que si l’accident s’était produit à la suite d’un décollage à un aérodrome non contrôlé, ou à l’extérieur d’une couverture radar, ces enregistrements n’auraient pas été disponibles. L’installation d’un CVR par les exploitants de taxi aérien qui vont souvent aux endroits éloignés est donc indispensable en cas d’accident.

Le CVR ne se limite pas à enregistrer les paroles des pilotes; il enregistre également les bruits perçus dans le poste de pilotage, tels ceux produits par les moteurs, les hélices et le déplacement des interrupteurs. En l’absence d’information audible provenant du poste de pilotage, l’enquête a été limitée par un manque de données concrètes. En autres, le comportement de l’équipage lors des différentes phases du vol, la coordination entre les pilotes et la gestion de l’urgence n’a pu être pleinement évaluée.

L’absence d’information enregistrée rend très difficile la possibilité pour le BST d’enquêter des accidents de façon opportune, ce qui pourrait empêcher ou retarder l’identification et la communication de lacunes de sécurité visant à améliorer la sécurité des transports.

3.0 Conclusions

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Suite au décollage à puissance réduite, les performances de l’aéronef lors de la montée initiale étaient inférieures à celles établies lors de sa certification.
  2. Le moteur droit a subi un problème en vol qui a engendré une perte de poussée substantielle.
  3. L’hélice du moteur droit n’a pas été mise en drapeau. En conséquence, le taux de montée a été compromis par une traînée excessive.
  4. L’absence de directives écrites précisant les tâches respectives de chacun des pilotes a pu occasionner des erreurs d’exécution, des omissions et une confusion dans le poste de pilotage.
  5. Bien que l’équipage ait la formation requise par la réglementation, cette formation était inadéquate à les préparer à gérer l’urgence avec coordination et efficacité.
  6. La priorité accordée aux communications avec l’ATC indique que l’équipage ne saisissait pas totalement la situation et que la répartition des tâches n’était pas efficace.
  7. L’impact avec le caveau a aggravé les dommages à l’aéronef.
  8. La position renversée et les dommages à l’aéronef n’ont pas permis l’évacuation avant que les occupants ne succombent en raison de la fumée et de l’incendie rapide et intense.
  9. La faible culture de sécurité chez Aéropro a contribué à l’acceptation de pratiques non sécuritaires.
  10. Les mesures importantes prises par TC n’ont pas eu les effets escomptés pour assurer une conformité aux règlements et, par conséquent, des pratiques non sécuritaires ont persisté.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. La désactivation du voyant d’alarme du système de butée petit pas en vol ou de tout autre système d’avertissement va à l’encontre de la réglementation et pose des risques importants à la sécurité d’un vol.
  2. Les pratiques relatives à la maintenance et les pratiques opérationnelles ne permettaient pas de déterminer si les moteurs pouvaient produire la poussée-puissance maximale de 1628 pieds-livres requis au décollage et lors des procédures d’urgence et posent des risques importants à la sécurité d’un vol.
  3. Un manque de rigueur dans la documentation des travaux de maintenance, en plus d’être un manquement à la réglementation, ne permet pas d’établir la condition exacte de l’aéronef et pose des risques importants à la sécurité du vol.
  4. La pratique non conforme de ne pas inscrire toutes les anomalies dans le carnet de route de l’aéronef apporte un risque à la sécurité car les équipages ne peuvent connaître en tout temps l’état réel de l’aéronef. Advenant une urgence, les équipages pourraient être privés d’information parfois critique.
  5. La révision non détaillée par TC pour les procédures normalisées et les listes de vérification des exploitants de type 703 pose un risque à la sécurité car des dérogations aux manuels des aéronefs ne seront pas détectées.
  6. Des conditions d’emploi, telle que la rémunération par heures de vol, peuvent influencer les décisions des pilotes, et créent ainsi un risque à la sécurité.
  7. L’absence d’un système efficace de déclaration volontaire, non disciplinaire et confidentiel entraîne des risques non rapportés dans le système du transport.
  8. L’absence d’information enregistrée empêche grandement le BST d’enquêter sur des accidents de façon opportune, ce qui peut empêcher l’identification et la communication de lacunes de sécurité permettant d’améliorer la sécurité des transports.

Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Transports Canada

Transports Canada a apporté des modifications importantes à son programme de surveillance. Ces modifications incluent une mise à jour des méthodes utilisées pour la planification de la surveillance et la présentation d’outils ayant une capacité accrue de surveillance et d’analyse des indicateurs de risque dans le domaine de l’aviation.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le .