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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A18O0107

Perte de maîtrise et collision avec un plan d’eau
Georgian Bay Airways
Found Aircraft Canada FBA-2C1 Bush Hawk-XP (C-FKNS)
Lac Muskoka (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

À 18 h 58Note de bas de page 1 le 30 juillet 2018, le Found Aircraft CanadaNote de bas de page 2 FBA-2C1 Bush Hawk-XP muni de flotteurs (immatriculé C-FKNS, numéro de série 34) exploité par Georgian Bay Airways a quitté l'hydroaérodrome de l'aéroport Billy Bishop de Toronto (CPZ9) (Ontario), à destination de l'hydroaérodrome du havre de Parry Sound (CPS1) (Ontario). Étaient à bord le pilote et une passagère, une amie du pilote, qui occupait le siège avant de droite. Il s'agissait d'un vol de convoyage pour ramener l'aéronef à la base d'hydravions de la compagnie à Parry Sound après un vol nolisé pour transporter des passagers à CPZ9. Un membre de la famille du pilote séjournait dans un chalet au lac Muskoka, et le pilote a décidé de survoler le chalet durant le vol de retour.

Vers 19 h 30, le pilote est descendu et a survolé le chalet, qui se trouvait à la pointe ouest d'une petite baie (figure 1), à 80 KIAS (vitesse indiquée en nœuds). Il a ensuite fait demi-tour pour survoler de nouveau le chalet, juste au-dessus de la cime des arbres. Des témoins ont vu des personnes à l'extérieur du chalet qui observaient l'aéronef les survolant. L'aéronef a survolé de justesse des arbres avant d'effectuer un virage vers la droite et de suivre le rivage de la petite baie, à l'est du chalet. L'angle d'inclinaison durant le virage s'est accentuéNote de bas de page 3 au moment où l'aéronef se dirigeait vers une pointe boisée du côté est de la baie. Il a viré avant d'atteindre cette pointe et a continué de virer vers le sud à un angle d'inclinaison prononcé à droite, puis il a piqué du nez et commencé à perdre de l'altitude. Il semblerait que l'aéronef n'ait pas répondu à une sollicitation de l'aileron gauche. L'aéronef a poursuivi sa descente et a percuté la surface du plan d'eau à un angle d'inclinaison prononcé à droite et en piqué. Il a ensuite fait la roue, puis s'est immobilisé dans l'eau. Les 2 occupants portaient des harnais de sécurité à 4 points; ils ont été légèrement blessés.

Figure 1. Trajectoire approximative du dernier virage de l'aéronef après le survol du chalet (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Trajectoire approximative du dernier virage de l'aéronef après le survol du chalet

L'eau a vite commencé à envahir la cabine, et l'aéronef a commencé à couler. La passagère a détaché sa ceinture de sécurité, mais ne trouvait pas la poignée de la porte avant droite. Le pilote a détaché sa ceinture de sécurité et a essayé d'aider la passagère à ouvrir la porte avant droite. L'eau continuait d'inonder la cabine, et les deux occupants ont évacué l'épave en passant par-dessus les sièges avant, puis par une des portes arrière.

Ni le pilote ni la passagère n'avaient suivi de formation sur l'évacuation d'urgence, et la réglementation ne l'exigeait pas. Des vêtements de flottaison individuels (VFI) se trouvaient à bord de l'aéronef, mais ni l'un ni l'autre des occupants n'en portait, et ils ont évacué l'épave sans eux. La réglementation en vigueur n'exige pas que les occupants d'un aéronef portent de VFI.

Le lieu de l'accident était relativement proche du rivage, et des témoins sont immédiatement arrivés sur place pour tirer les 2 occupants de l'eau.

Les conditions météorologiques au moment de l'événement étaient propices au vol selon les règles de vol à vue. L'aéroport de Muskoka (CYQA) (Ontario), situé à quelque 6,5 milles marins à l'est du lieu de l'accident, faisait état de conditions dégagées et de vents légers soufflant de l'ouest.

Renseignements sur l'entreprise

Au moment de l'événement, Georgian Bay Airways (GBA) exploitait 4 hydravions (y compris celui de l'événement), tous basés à CPS1, en vertu des sous-parties 702 (Opérations de travail aérien) et 703 (Exploitation d'un taxi aérien) du Règlement de l'aviation canadien (RAC). La compagnie effectue principalement des tours d'avion et du transport nolisé pour des excursions d'un jour vers des destinations proches. Elle exploite également une école de formation au pilotage d'aéronefs avec flotteurs.

En 2011Note de bas de page 4 et en 2013Note de bas de page 5, des hydravions de GBA ont été impliqués dans des accidents d'impact avec un plan d'eau durant les phases de décollage et d'amerrissage. Dans les deux événements, les occupants ont dû évacuer l'aéronef dans l'eau. Aucun ne portait de VFI, et la réglementation ne l'exigeait pas.

Plus tôt en 2018, le pilote de l'événement à l'étude pilotait un hydravion de GBA dont l'aile gauche a percuté une balise de port durant sa course au décollageNote de bas de page 6.

La compagnie n'offre à ses pilotes aucune formation sur l'évacuation d'urgence, et la réglementation ne l'exige pas.

Renseignements sur le pilote

Le pilote était titulaire d'une licence de pilote professionnel – avion, avec qualification sur avions terrestres et hydravions monomoteurs et multimoteurs, d'une annotation pour le vol aux instruments de groupe 1 et d'un certificat médical de catégorie 1. Il avait accumulé plus de 1800 heures de vol au total, dont 1600 heures sur des hydravions. Il a commencé à travailler pour GBA en 2012, et il était chef pilote et gestionnaire de l'exploitation au moment de l'accident.

Renseignements sur l'aéronef

Le Found Aircraft Canada FBA-2C1 Bush Hawk-XP (Bush Hawk-XP) est un aéronef monomoteur à voilure haute à 5 places. L'aéronef de l'événement était configuré comme hydravion équipé d'un train d'atterrissage à flotteurs (figure 2Note de bas de page 7).

Figure 2. Aéronef en cause dans l'événement à l'étude (Source : Georgian Bay Airways)
Aéronef en cause dans l'événement à l'étude

Le Bush Hawk-XP est équipé d'un avertisseur de décrochage à palette monté à l'intérieur du bord d'attaque de l'aile droite. Cet avertisseur est conçu pour déclencher une alarme sonore et faire allumer un voyant entre 5 et 10 nœuds au-dessus de la vitesse de décrochage, quelle que soit la configuration. La vitesse de décrochage publiée de l'aéronef avec les ailes à l'horizontale est de 58 KIASNote de bas de page 8.

L'aéronef a été examiné sur place après qu'on l'eut retiré de l'eau. Rien n'indiquait une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement d'un système avant la collision. L'aéronef a été détruit. Tous les dommages subis par l'aéronef étaient représentatifs de forces excessives résultant d'une collision avec un plan d'eau avec le moteur en marche au moment de l'impact. Les volets étaient complètement rentrés.

Décrochage aérodynamique

L'absence de réaction à la sollicitation de l'aileron gauche et le mouvement de lacet à tribord qui a suivi correspondent à un décrochage aérodynamique accéléré suivi de l'amorce d'une vrille ou d'un piqué en spirale. Un décrochage aérodynamique survient lorsque l'angle d'attaque de l'aileNote de bas de page 9 dépasse l'angle d'attaque critique auquel l'écoulement de l'air commence à se décoller de l'aile. Il y a décrochage de l'aile lorsque l'écoulement de l'air décolle de l'extrados et que la portance diminue au point de ne plus supporter l'aéronef.

Selon le Manuel de pilotage de Transports Canada :

Lorsqu'un aéronef décroche en virage en palier ou en descente, l'aile intérieure décroche normalement en premier, et l'aéronef va rouler à l'intérieur du virage. Dans un virage en palier, l'aile intérieure se déplace plus lentement que l'aile extérieure et obtient donc moins de portance; elle s'enfonce et son angle d'attaque augmente, ce qui, dans des conditions appropriées, cause un décrochage. Au cours d'un virage en descente, la trajectoire décrite par l'aéronef est un piqué en spirale. Par conséquent, l'aile intérieure se présente à l'écoulement relatif sous un angle d'attaque plus prononcé et elle est la première à décrocher et à s'enfoncerNote de bas de page 10.

La vitesse à laquelle se produit un décrochage varie en fonction du facteur de charge de la manœuvre en cours d'exécution. En vol rectiligne en palier, la portance est égale au poids et le facteur de charge est de 1g. Il faut cependant une portance supérieure pour effectuer un virage incliné. Cela peut être réalisé, en partie, en augmentant l'angle d'attaque (en tirant sur la commande de profondeur), ce qui augmente le facteur de charge. La vitesse de décrochage durant une manœuvre augmente comme la racine carrée du facteur de charge. À un angle d'inclinaison de 60°, le facteur de charge augmente à 2g.

Dans le cas du Bush Hawk-XP, la vitesse de décrochage publiée à un angle d'inclinaison de 60° est de 82 KIASNote de bas de page 11.

Un décrochage qui survient en raison d'un facteur de charge élevé découlant, par exemple, d'un angle d'inclinaison supérieur à 30°, est appelé un décrochage accéléré. Les décrochages accélérés se produisent à une vitesse supérieure en raison du facteur de charge accru auquel est soumise l'aile; ils sont généralement plus graves que les décrochages non accélérés et se produisent souvent de façon inattendue. Un décrochage qui se produit à un angle d'inclinaison prononcé peut entraîner une soudaine perte de maîtrise de l'aéronef suivie d'une perte rapide d'altitude.

Avec un angle d'inclinaison serré supérieur à 45°, un aéronef ne demeure en état de décrochage que pendant quelques secondes avant de se mettre dans une vrilleNote de bas de page 12 ou d'accélérer jusqu'à ce qu'il effectue un piqué en spiraleNote de bas de page 13. L'une ou l'autre de ces conditions entraîne une assiette en piqué, un angle d'inclinaison prononcé et une rapide perte d'altitude.

Sortie de décrochage

Les pilotes ont habituellement recours aux ailerons pour lever une aile qui s'enfonce (mouvement de roulis); cependant, le recours aux ailerons pour lever une aile qui s'enfonce à cause d'un décrochage peut empirer le décrochage. Par exemple, si l'aile droite s'enfonce durant un décrochage et que l'on sollicite de façon excessive la commande d'aileron de gauche pour relever l'aile, l'aileron braqué vers le bas (aile droite) augmenterait l'angle d'attaque (et la traînée aérodynamique). Il pourrait s'ensuivre un décrochage plus complet à l'extrémité d'aile, causé par le dépassement de l'angle d'attaque critique. L'augmentation de la traînée aérodynamique engendrée par l'angle d'attaque prononcé sur cette aile pourrait entraîner un mouvement de lacet dans cette direction. Ce mouvement de lacet inverse peut entraîner une vrille si l'on ne maintient pas la maîtrise en direction au moyen de la gouverne de direction ou si l'on ne réduit pas suffisamment la commande d'aileron.

Un pilote sortira généralement d'un décrochage en relâchant la pression sur la gouverne de profondeur ou en déplaçant la commande de profondeur vers l'avant (gouverne de profondeur vers le bas) de manière à réduire suffisamment l'angle d'attaque pour rétablir l'écoulement d'air régulier sur l'extrados. Lorsque l'aéronef montre les premiers signes d'une sortie de décrochage, le pilote remet les ailes à l'horizontale au moyen des ailerons et relâche graduellement la pression sur la commande de profondeur. Toute tendance de mouvement de lacet se corrige par la sollicitation de la gouverne de direction. Au fur et à mesure que le pilote reprend la maîtrise de l'appareil, il tire progressivement sur la commande de profondeur jusqu'à l'obtention d'une assiette cabrée (gouverne de profondeur vers le haut) afin de reprendre l'altitude perdue.

Si le décrochage de l'aéronef se produit à basse altitude, le pilote pourrait ne pas avoir suffisamment d'altitude pour appliquer les techniques indiquées de redressement avant un impact avec le relief.

Vol à basse altitude

L'aéronef a survolé des chalets juste au-dessus des arbres.

On sait que voler intentionnellement à basse altitude augmente les risques d'accident, et le BST a récemment enquêté sur plusieurs événementsNote de bas de page 14 dans lesquels cette manœuvre était un facteur. Le RAC et d'autres publications mentionnent tout particulièrement ces risques.

En vertu du RAC, « [i]l est interdit d'utiliser un aéronef d'une manière imprudente ou négligente qui constitue ou risque de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personneNote de bas de page 15 ».

En ce qui concerne les altitudes et les distances minimales pour le vol au-dessus de zones sans constructions, le RAC indique :

Sauf s'il s'agit d'effectuer le décollage, l'approche ou l'atterrissage d'un aéronef ou lorsque la personne y est autorisée en application de l'article 602.15, il est interdit d'utiliser un aéronef [...] à une distance inférieure à 500 pieds de toute personne, tout navire, tout véhicule ou toute structureNote de bas de page 16.

Le Manuel d'information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC) contient l'avertissement suivant, en caractères gras, concernant le vol à basse altitude :

Attention ! — Voler intentionnellement à basse altitude est dangereux. Transports Canada avise tous les pilotes que voler à basse altitude pour éviter du mauvais temps ou pour des raisons opérationnelles est une activité dangereuseNote de bas de page 17.

En ce qui concerne la prévention des décrochages aérodynamiques à basse altitude, le National Transportation Safety Board des États-Unis mentionne ceci (caractères gras dans le document original) [traduction] :

Résistez à la tentation d'effectuer des manœuvres pour impressionner les passagers, d'autres pilotes, des personnes au sol ou d'autres personnes par l'intermédiaire d'une caméra de bord. « Épater la galerie » peut être une distraction mortelle, car cela détourne votre attention de votre principale tâche – piloter de façon sécuritaireNote de bas de page 18.

D'autres autorités reconnaissent également ce risque. Par exemple, d'après une feuille d'information de la Federal Aviation Administration des États-Unis sur les manœuvres en vol [traduction] :

Plus de 25 % des accidents mortels en aviation générale surviennent durant la phase de manœuvre des vols – virages, montées ou descentes à proximité du sol. La grande majorité de ces accidents comprend des tentatives de rase-motte et des cas de décrochage/vrille […]Note de bas de page 19.

Recommandations du BST sur l'utilisation de vêtements de flottaison individuels et la formation sur l'évacuation d'urgence d'hydravions

Durant son enquête sur l'accident durant le décollage d'un DHC-2 à Lyall Harbour (Colombie-Britannique) en 2009Note de bas de page 20, le BST a reconnu que s'ils ne portent pas de vêtement de flottaison individuel, en l'absence d'autres moyens de sauvetage, il y a un risque accru que les survivants d'un accident sur l'eau se noient.

Le BST recommande que

le ministère des Transports exige que les occupants d'hydravions commerciaux portent un dispositif individuel qui assure leur flottaison après une évacuation d'urgence.
Recommandation A11-06 du BST

De plus, le BST a souligné, à la suite de nombreux accidents d'hydravion, que les pilotes qui suivent une formation sur l'évacuation subaquatique ont de meilleures chances de s'échapper de l'aéronef et de survivre à un accident. Ces pilotes peuvent ensuite aider les passagers à évacuer l'aéronef. En 2013, après l'accident d'un hydravion DHC-2 sur le lac Lillabelle (Ontario)Note de bas de page 21, le BST a recommandé que

le ministère des Transports exige que tous les équipages d'hydravions commerciaux suivent une formation sur l'évacuation subaquatique.
Recommandation A13-02 du BST

Ces deux recommandations ont mené à des propositions de modifications à la réglementation qui ont été publiées dans la Partie I de la Gazette du Canada le 21 mai 2016. En ce qui concerne la recommandation A11-06, la réglementation exigerait que tous les occupants d'hydravions commerciaux portent un vêtement de flottaison durant l'embarquement d'un hydravion et durant tout vol au-dessus d'un plan d'eau. Les modifications à la réglementation prévoiraient également une formation obligatoire sur l'évacuation subaquatique pour les pilotes d'hydravions exploités à titre commercial, avec une formation périodique tous les 3 ans, stipulation qui répond à la recommandation A13-02.

Même si TC avait d'abord indiqué que les modifications proposées à la réglementation seraient publiées dans la Partie II de la Gazette du Canada en 2017, la dernière réponse de TC indiquait que le ministère prévoyait plutôt leur publication dans la Partie II à l'automne 2018. Quoique TC ait entrepris des efforts soutenus de promotion visant à améliorer la sécurité des hydravions, aucune modification proposée à la réglementation n'avait encore été publiée en date de la rédaction du présent rapport. Le Bureau est préoccupé par les délais qui s'ajoutent avant la publication de ces modifications dans la Partie II de la Gazette du Canada. Si elles sont publiées telles quelles, les modifications proposées vont considérablement réduire ou éliminer la lacune de sécurité soulevée dans la recommandation A13-02; toutefois, tant qu'elles ne seront pas entièrement mises en œuvre, les risques pour la sécurité des transports demeureront.

Par conséquent, le BST estime que les réponses aux recommandations A11-06 et A13-02 dénotent une intention satisfaisante.

Messages de sécurité

Il est dangereux de manœuvrer intentionnellement un aéronef à basse altitude.

Les pilotes doivent surveiller attentivement l'angle d'inclinaison de l'aéronef durant les manœuvres. À des angles d'inclinaison prononcés, la vitesse anémométrique à laquelle un aéronef décroche est plus élevée que durant le vol avec les ailes à l'horizontale. Ainsi, les pilotes pourraient ne pas prévoir l'amorce précoce d'un décrochage accéléré. Un décrochage qui se produit à basse altitude pourrait être impossible à redresser avant l'impact avec le relief.

Les chances de survie augmentent lorsque chaque occupant d'un hydravion porte un VFI, et lorsque les pilotes qui exploitent des hydravions suivent une formation sur l'évacuation subaquatique.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .