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Rapport d'enquête maritime M17P0052

Chavirement et naufrage avec perte de vie
Bateau de pêche Miss Cory
Détroit de Georgia (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 6 mars 2017, vers 15 h 45, heure normale du Pacifique, le bateau de pêche Miss Cory, pendant qu’il était à la pêche à la senne du hareng avec 5 personnes à bord, a pris l’eau, a chaviré et a coulé dans le détroit de Georgia (Colombie-Britannique). Durant le chavirement du Miss Cory, 4 personnes sont passées à bord du bateau de pêche Proud Venture dont l’équipage aidait à récolter le poisson. Une personne qui se trouvait dans la salle des machines au moment du chavirement a par la suite été portée disparue. De la pollution mineure a été signalée.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

Tableau 1. Fiche technique du navire
Nom du navire Miss Cory
Numéro officiel / numéro de permis 188627/NIN 21801
Port d'immatriculation Prince-Rupert (C.-B.)
Pavillon Canadien
Type Pêche, senneur
Jauge brute 87,09
Longueur 19,51 m
Construction 1956, Matsumoto & Sons Shipyard, Dollarton (C.-B.)
Propulsion 2 moteurs diesel (294 BHP) entraînant une seule hélice
Cargaison Environ 40 tonnes de hareng dans des cales avant
Équipage 5
Propriétaire enregistré Propriétaire privé (Prince-Rupert, C.-B.)

1.2 Description du navire

Le Miss Cory était un bateau de pêche à étrave élancée, à bouchain rond et à quille pleine en bois, et à l'arrière à tableau (figure 1). La coque sous le pont principal était subdivisée par des cloisons transversales qui séparaient, à partir de l'avant : le coqueron avant, la salle des machines, 3 cales à poisson doublées de mousse et de fibre de verre (2 à l'avant et 1 à l'arrière), et une cambuse où se trouvait l'appareil à gouverner hydraulique. Chacune des cales à poisson comportait 1 écoutille d'accès et 2 trous d'homme au niveau du pontNote de bas de page 1 .

Le bateau était muni de 2 réservoirs de carburant qui se trouvaient à bâbord et à tribord de la salle des machines, ainsi que de 3 citernes d'eau douce situées dans la poupe. Le bateau était propulsé par 2 moteurs diesel dont la puissance était transmise par une seule boîte de transmission à un arbre intermédiaire et à un arbre porte-hélice qui traversait le tunnel d'arbreNote de bas de page 2 .

Le bateau était muni d'un treuil de pont hydraulique et d'un tambour à senne. Le mât principal, situé vers le milieu du bateau, était gréé d'une corne de charge munie d'un martinet d'apiquage hydraulique et de 2 garants simples.

Figure 1. Le Miss Cory en novembre 2016, gréé pour la pêche à la senne coulissante du saumon (Source : Randy Hall, photographe)
Le Miss Cory en novembre 2016, gréé pour la pêche à la senne coulissante du saumon (Source : Randy Hall, photographe)

Le rouf contenait la timonerie, la cabine du capitaine, la cuisine, les quartiers d'équipage et l'entrée à la salle des machines. Celle-ci était également accessible depuis le pont principal, sur tribord. La timonerie contenait l'équipement de navigation et de communications, qui comprenait des radiotéléphones à très haute fréquence/appel sélectif numérique (VHF/ASN), 1 échosondeur, 1 radar, 1 pilote automatique, 1 système mondial de positionnement pour navigation satellite (GPS) et 1 alarme de quartNote de bas de page 3 .

Le bateau était muni de 2 pompes de cale hydrauliques dans la salle des machines qui étaient raccordées aux divers compartiments par de la tuyauterie d'acier. Il était également muni de 2 pompes de cale électriques dans le tunnel d'arbre, et de 3 pompes de cale électriques dans la salle des machines qui étaient conçues pour fonctionner automatiquement et refouler l'eau par-dessus bord. Une pompe électrique portable de 110 volts c.a. se trouvait également à bord.

Au moment de l'événement à l'étude, le Miss Cory était gréé pour la pêche à la senne coulissante du hareng (annexe A).

1.3 Déroulement du voyage

Le 6 mars 2017, vers 6 hNote de bas de page 4 , le Miss Cory a quitté Comox (Colombie-Britannique) avec ses citernes d'eau douce et réservoirs à carburant presque pleins, et environ 4 tonnes de glace dans chacune des cales avant. L'équipage du bateau comprenait 1 capitaine, 1 mécanicien, 2 matelots de pont et 1 cuisinier; il se dirigeait vers les lieux de pêche au large du cap Lazo (annexe B). Avant le départ, l'équipage avait remplacé l'une des pompes électriques dans le tunnel d'arbre. On avait laissé ouverte la porte d'inspection du tunnel d'arbre située dans la cale arrière pour que l'équipage puisse surveiller le fonctionnement des pompes et toute infiltration d'eau dans le tunnel d'arbreNote de bas de page 5 .

Vers 9 h, le Miss Cory a repéré un banc de harengs près de la surface de l'eau; on estimait ce banc à quelque 400 tonnes, sur environ 140 brasses. Le capitaine du Miss Cory a joint le bateau de pêche Proud Venture, l'un de ses partenaires de poolNote de bas de page 6 , pour l'informer que le banc de poissons qu'il surveillaitNote de bas de page 7 était suffisamment gros pour se partager la récolte.

Vers 11 h, peu après que le MPO eut déclaré ouverte la pêche du hareng roguéNote de bas de page 8 (annexe C), l'équipage du Miss Cory a étendu sa senne autour du banc de hareng et a commencé l'enroulement sur le tambour et le boursage du filet. Afin de pomper le poisson hors de la senne, on a soulevé et suspendu la partie arrière du filet à environ 10 m au-dessus du pont au moyen du garant simple à l'extrémité de la corne de charge. Le Proud Venture était alors placé à couple, proue sur poupe, avec le Miss Cory et attaché à la ligne de flottes de la senne du bateau (figure 2). L'esquif à moteur du Miss Cory, avec 1 membre d'équipage à bord, a empêché le bateau de pêche de passer par-dessus la senne et a maintenu l'écart entre les 2 bateaux.

Figure 2. Le Miss Cory (droite) et le Pacific Joye (gauche), avec le Proud Venture entre eux. L'esquif à moteur du Miss Cory est à l'extrême droite. (Source : Pêches et Océans Canada)
Le Miss Cory (droite) et le Pacific Joye (gauche), avec le Proud Venture entre eux. L'esquif à moteur du Miss Cory est à l'extrême droite. (Source : Pêches et Océans Canada)

Le Proud Venture a ensuite communiqué avec le bateau collecteur Pacific Joye, qui se trouvait dans les environs; le Pacific Joye est venu en abord du Proud Venture vers 12 h 30. À bord du Proud Venture, on s'est servi de la pompe à poisson pour transférer environ 100 tonnes de hareng, principalement depuis le dessus de l'amas de poisson concentré dans la senne fermée en poche, à bord du Pacific Joye. Vers 13 h 45, après que le Proud Venture eut terminé de charger le Pacific Joye, le Miss Cory a gîté sur tribord de façon prononcée à cause du poids du poisson dans la senne. Afin de stabiliser le bateau et réduire sa gîte, on a chargé environ 40 tonnes de poisson dans ses cales avant, poids qui a enfoncé le liston du bateau (figure 3) dans l'eau. Aucun autre bateau collecteur n'était immédiatement disponible pour aider le Miss Cory. Vers 15 h, l'équipage a commencé à transférer le poisson à bord du Proud Venture. À ce stade, le poisson s'était déposé au fond de la senneNote de bas de page 9 . On a ajouté à la pompe un segment de boyau que l'on a descendu au fond de la senne pour atteindre le poisson.

Figure 3. Le liston du Miss Cory apparaît au-dessus de la surface de l'eau pendant la navigation (photo A) et disparaît sous l'eau lorsque le bateau gîte durant les opérations (photo B).
Le liston du Miss Cory apparaît au-dessus de la surface de l'eau pendant la navigation (photo A) et disparaît sous l'eau lorsque le bateau gîte durant les opérations (photo B).

Vers 15 h 30, pendant que le poisson était pompé à bord du Proud Venture, le Miss Cory a gîté encore plus à tribord. Tandis qu'il surveillait les compartiments du bateau, l'équipage du Miss Cory a remarqué qu'il y avait de l'eau dans la salle des machines et dans la cale arrière. L'équipage a constaté que le niveau d'eau montait rapidement et que la cale arrière semblait être remplie de la moitié aux trois quarts (figure 4).

Figure 4. Eau dans la cale arrière du Miss Cory
Eau dans la cale arrière du Miss Cory

Le capitaine et l'équipage ont tenté de déplacer la pompe à poisson dans la cale arrière pour en faciliter l'évacuation de l'eau. Le mécanicien, qui avait fait plusieurs allers-retours à la salle des machines, y est retourné pour veiller au fonctionnement des pompes de cale. L'équipage du Proud Venture a fourni une pompe portable, que l'on a transférée dans la salle des machines du Miss Cory. L'officier de pont du Proud Venture est monté à bord du Miss Cory pour prêter main-forte.

Le capitaine du Miss Cory a alors abaissé la partie arrière du filet dans l'eau, ce qui a momentanément réduit la gîte du bateau et augmenté la taille de la senne. L'équipage a repositionné la corne de charge au-dessus de la cale arrière et s'en est servi pour abaisser la pompe à poisson dans la cale. Le capitaine et l'équipage ont tenté d'abaisser la pompe à poisson dans la cale arrière, mais sans succès : le diamètre de la pompe était légèrement supérieur à celui de l'ouverture de la cale.

Peu après que le capitaine eut abaissé la partie arrière du filet dans l'eau, le poisson qui restait est retombé au fond de la senne, et le Miss Cory a gîté lourdement à tribord. L'officier de pont du Proud Venture, qui donnait un coup de main sur le pont du Miss Cory, a remarqué la gîte plus prononcée et l'enfoncement du pont par tribord de quelque 300 mm sous la ligne de flottaison. L'officier de pont a ordonné à l'équipage d'abandonner le bateau et au matelot de pont du Proud Venture de mener l'esquif à moteur du Proud Venture à bâbord du Miss Cory pour faciliter l'embarquement de l'équipage.

Vers 15 h 45, 3 des membres d'équipage du Miss Cory ainsi que l'officier de pont du Proud Venture ont abandonné le Miss Cory en sautant dans l'esquif à moteur du Proud Venture. Le quatrième membre d'équipage du Miss Cory se trouvait toujours à bord de l'esquif à moteur du Miss Cory qui écartait les 2 bateaux de pêche. Tandis qu'il abandonnait le Miss Cory, l'équipage a tenté d'alerter le cinquième membre, le mécanicien, qui se trouvait toujours dans la salle des machines, mais le bateau a continué à chavirer et a rapidement coulé. Le bateau n'a pas été récupéré. Le mécanicien a par la suite été porté disparu.

1.4 Recherche et sauvetage

Le Proud Venture a signalé l'incident aux Services de communications et de trafic maritimes à Prince-Rupert (Colombie-Britannique) qui, à son tour, l'a signalé au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage, à Victoria. Quatre bateaux et un aéronef de recherche et sauvetage (SAR) ont effectué une recherche dans le secteur pour retrouver le membre d'équipage manquant. On a interrompu les recherches vers 19 h 10, à la tombée du jour. Les survivants ont été transportés à Comox (Colombie-Britannique) à bord du Proud Venture, qui a été escorté par le bateau de sauvetage Cape Cockburn de la Garde côtière canadienne.

1.5 Conditions environnementales

Au moment de l'événement à l'étude, le ciel était partiellement couvert, les vents étaient du sud-est à 15 nœuds et la houle était de 0,2 m. La température de l'air était de 5 °C, et celle de la mer, de 8 °C.

1.6 Dommages à l'environnement

Le bateau a coulé avec quelque 7500 L de diesel et une petite quantité d'huile moteur à bord. Une quantité non spécifiée de diesel a été rejetée à l'environnement au moment de l'événement.

1.7 Certification du navire

La dernière inspection quadriennale du Miss Cory par Transports Canada (TC) remontait au 28 juin 2016, à Prince-Rupert (Colombie-Britannique). Un certificat d'inspection a été délivré, permettant au bateau d'être exploité pour les voyages à proximité du littoral, classe 1 (voyage de cabotage, classe II) avec 4 membres d'équipage.

L'inspection a relevé l'absence de procédures d'exploitation et d'urgence, que le représentant autorisé (RA) doit fournir à l'équipage, conformément à la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC 2001)Note de bas de page 10 . L'inspection a également relevé que la radiobalise de localisation des sinistres (RLS) du bateau n'était pas enregistrée. Le propriétaire du bateau n'a pas corrigé ces 2 lacunes. Plusieurs autres lacunes mineures ont également été observées, et le propriétaire a corrigé la plupart d'entre elles.

1.8 Certification et expérience du personnel

Le capitaine du Miss Cory était titulaire d'un brevet de service de capitaine de bâtiment de pêche d'une jauge brute d'au plus 100. Le capitaine travaillait sur le Miss Cory depuis l'été 2016 et avait à son actif 45 années d'expérience sur des bateaux de pêche. Il était également titulaire d'un certificat d'opérateur radio – commercial maritime et avait suivi une formation sur les fonctions d'urgence en mer.

Le mécanicien comptait 34 années d'expérience sur des bateaux de pêche. Le mécanicien travaillait à bord du Miss Cory pour la première fois lorsque l'événement à l'étude s'est produit. Les 2 matelots de pont et le cuisinier avaient suivi la formation requise sur les fonctions d'urgence en mer.

Pour vérifier si l'équipage connaissait bien le bateau, le propriétaire avait donné une formation de familiarisation au capitaine et au mécanicien pendant que le bateau était ancré à Comox (Colombie-Britannique).

1.9 Entretien et modifications du bateau

On a installé un nouveau rouf en 1993, ainsi que des citernes dans les cales à poisson (converties de l'emballage à sec pour l'emballage par voie humide) en 1996. En 2012, le bateau a été vendu au propriétaire actuel. À ce moment-là, la stabilité du bateau avait été évaluée, et on lui avait ajouté un lest permanent de 3800 kg. TC a ensuite approuvé le livret de stabilité du bateau.

L'entretien annuel du bateau avait lieu à un chantier naval à Prince-Rupert (Colombie-Britannique). En mai 2016, à ce même chantier naval, les parois de la coque ont été scelléesNote de bas de page 11 de la quille jusqu'à la ligne de flottaisonNote de bas de page 12 . En février 2017, le capitaine a scellé les ponts, et un entrepreneur a ajouté de la fibre de verre à la cale arrière.

Avant l'ouverture de la pêche, en mars 2017, on a remplacé l'une des pompes de cale dans le tunnel d'arbre.

1.10 Équipement de sauvetage

Les engins de sauvetage à bord du Miss Cory consistaient en 6 gilets de sauvetage, 5 combinaisons d'immersion, 1 bateau pneumatique de sauvetage accompagné d'un dispositif de largage hydrostatique, 1 esquif à moteur, 2 bouées de sauvetage, 12 feux de détresse et 1 RLS à dégagement libre.

Le bateau a chaviré et coulé trop rapidement pour que l'équipage enfile les gilets de sauvetage ou les combinaisons d'immersion; toutefois, les matelots de pont et le mécanicien portaient chacun un vêtement de flottaison individuel pendant qu'ils travaillaient sur le pont. Le propriétaire n'avait pas enregistré la RLS, et elle ne s'est ni dégagée ni actionnée lorsque le bateau a coulé.

1.10.1 Enregistrement des radiobalises de localisation des sinistres

Le Registre canadien des balises fait partie intégrante du système de satellites de SAR conçu pour fournir des données d'alerte et de localisation aux autorités de SAR. Le Registre canadien des balises partage les mêmes locaux que le Centre canadien de contrôle des missions (CCCM) à la Base des Forces canadiennes Trenton (Ontario), et ces installations sont utilisées par les intervenants SAR au cours d'opérationsNote de bas de page 13 . Il est obligatoire pour toutes les RLS d'être enregistrées auprès du Registre canadien des balisesNote de bas de page 14 . Tous les propriétaires de radiobalise de détresse de 406 MHz ont accès en ligne au Registre canadien des balises pour enregistrer de nouvelles radiobalises de détresse ou pour mettre à jour leurs données.

Lorsqu'une RLS se déclenche, elle transmet son signal à 2 systèmes qui sont utilisés partout dans le monde durant les incidents de détresse et de sécurité : le Geostationary Orbiting Search And Rescue Satellites (GEOSAR) et le système Cospas-Sarsat.

Quand le système GEOSAR reçoit un signal RLS, il suffit de quelques minutes pour que les ressources SAR accèdent aux données enregistrées. Elles obtiennent ainsi les renseignements cruciaux (coordonnées du propriétaire, coordonnées d'urgence, caractéristiques et équipement du navire) leur permettant d'intervenir rapidement et pertinemment dans une situation donnée.

Quand le système Cospas-Sarsat reçoit un signal, il détermine avec précision la position du signal et relaie l'information aux ressources SAR. Ce système est plus lent et peut prendre jusqu'à 90 minutes.

Par contre, si la RLS n'est pas enregistrée, les ressources SAR n'ont accès à aucun de ces renseignements. Une RLS enregistrée aide les ressources SAR à secourir plus vite ou plus efficacement les personnes en détresse; elle peut aider à établir la position de la situation de détresse (qui pourrait être indisponible autrement), ce que l'on cherche, le nombre de personnes à secourir, le type de secours requis et d'autres façons de joindre le propriétaire.

Ces renseignements sont aussi utiles aux autorités pour valider les alertes de détresse en éliminant les fausses alarmes qui détournent les ressources SAR des véritables urgences. Souvent, un simple appel téléphonique peut suffire aux ressources SAR pour repérer un navire qui a transmis une alerte par inadvertance.

Comme le Miss Cory n'a pas été récupéré, le BST n'a pu déterminer pourquoi la RLS ne s'est ni dégagée ni actionnée. Toutefois, le dispositif n'étant pas enregistré, il n'était pas configuré de manière à permettre un repérage immédiat ou à prévenir les fausses alertes.

L'enregistrement des RLS et la mise à jour régulière des renseignements aident le personnel SAR à retrouver les navires en cas de situation de détresse.

1.11 Préparation aux situations d'urgence

TC exige des capitaines de bateau de pêche qu'ils veillent à ce que chaque membre d'équipage se familiarise avec les tâches essentielles à la sécurité qui lui sont assignées et s'en acquitte efficacementNote de bas de page 15 .

L'organisme WorkSafeBC exige que les membres d'équipage suivent une formation sur l'emplacement et l'utilisation de l'équipement de sécurité, et que des tâches leur soient assignées pour toute situation d'urgence. Les capitaines de bateau de pêche doivent également exécuter des exercices d'urgence avant le début de la saison de pêche.

Avant le départ de Comox, le capitaine et l'équipage du Miss Cory ont discuté du rôle d'appel et des fonctions d'urgence, mais ne les ont pas exercés. Depuis le quai à Comox, les matelots de pont ont observé les exercices menés par Fish SafeNote de bas de page 16 à bord d'autres bateaux amarrés dans les environs. Ces exercices ont eu lieu dans le cadre du programme de sensibilisation « Herring Drills Days 2017 », qui coïncidait avec le début de la saison de pêche du hareng.

1.12 Stabilité des bateaux de pêche

1.12.1 Exigences de Transports Canada

Au moment de l'événement à l'étude, la partie I du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche (RIPBP)Note de bas de page 17 s'appliquait aux bateaux de pêche d'une longueur d'au plus 24,4 m et d'une jauge brute d'au plus 150, comme le Miss Cory. D'après ce règlement, les bateaux pontés de plus de 15 tonneaux de jauge brute (tjb), construits le 6 juillet 1977 ou après cette date, et utilisés pour la pêche du hareng ou au capelan, devaient avoir à bord un registre sur la stabilité dûment approuvé. Ce critère s'appliquait également aux bateaux qui avaient été convertis pour la pêche du hareng ou qui avaient fait l'objet de modifications qui influaient sur leurs caractéristiques de stabilitéNote de bas de page 18 . Le règlement exigeait en outre de conserver à bord du bateau un livret donnant au capitaine des renseignements sur les caractéristiques de stabilité du bateau ainsi que les renseignements appropriés sur le chargement dans les diverses conditions mentionnées par le règlementNote de bas de page 19 .

Le RIPBP ne contient aucun détail sur les hypothèses spécifiques à formuler en égard à la répartition du poids du carburant, de l'eau et du poisson ou à la manière dont on remonte le poisson à bord. La pratique courante consiste à calculer la stabilité en prenant pour hypothèse que la prise a été chargée et arrimée et que le navire est prêt à faire route.

En 1975, TC a publié le document Normes de stabilité, de compartimentage et de lignes de charge (TP 7301) pour fournir des directives et des critères sur l'approbation des renseignements de stabilité requis par le RIGBP. À l'égard de la répartition du poids présumé pour les calculs de stabilité, la norme indique seulement : « Il appartient au propriétaire de s'assurer que les conditions de stabilité présentées dans le Cahier de stabilité [...] indiquent de façon précise les conditions de charge et les modes d'exploitation »Note de bas de page 20 .

Selon les normes, « il incombe au propriétaire et au capitaine de s'assurer du maintien de la stabilité qui convient à toutes les conditions de charge »Note de bas de page 21 . Aux termes des normes, il doit y avoir à bord un exemplaire du livret de stabilité approuvé qui « doit contenir des renseignements suffisants pour permettre au capitaine d'évaluer » toute nouvelle condition de charge en plus de celles présentées dans ce livretNote de bas de page 22 .

1.12.2 Vérification périodique des données sur la stabilité

Reconnaissant que les navires subissent des modifications au fil du temps, la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS)Note de bas de page 23 et TCNote de bas de page 24 prévoient qu'à des intervalles maximaux de cinq ans, dans certaines conditions, les navires à passagers doivent être soumis à des visites du navire à l'état lège pour vérifier tout changement éventuel dans le déplacement et les centres de gravité longitudinaux. Si on constate un écart qui dépasse les limites admissibles, le navire doit être soumis à de nouveaux essais d'inclinaison. Cependant, cette exigence ne s'applique pas aux bateaux de pêche, qui ne sont pas visés par la Convention SOLAS, mais qui font fréquemment l'objet de modifications ou reconfigurations pour des pêches différentes. Dans la plupart des cas, ces changements peuvent nuire à la stabilité transversale.

Des 86 bateaux ayant reçu du MPO une licence pour pêcher le hareng rogué durant la saison 2017 dans le détroit de Georgia, 39 s'en sont prévalus, dont le Miss Cory. Le BST a examiné les livrets de stabilité de tous les bateaux qui ont pris part à la pêche et a déterminé que :

1.12.3 Documentation de stabilité du Miss Cory

Le Miss Cory avait subi des modifications à plusieurs reprises au fil des ans, notamment : le remplacement et l'agrandissement du rouf principal; l'ajout d'un tambour à senne, d'un arrière incliné et de citernes dans les cales à poisson.

Le 11 janvier 2013, pour le compte du propriétaire, un architecte naval a présenté à TC, aux fins d'approbation par le ministère, un carnet d'assiette et de stabilité pour le Miss Cory, tel qu'il était gréé et équipé pour la pêche à la senne coulissante du saumon. Le 13 février 2013, TC a achevé son examen et a établi que le livret était conforme aux critères de stabilité applicables à l'époque. TC a approuvé le livret, mais a également envoyé une lettre à l'architecte naval et au propriétaire pour les informer que l'on avait noté la présence d'un appareil de levage (corne de charge) sur le pont arrière, et que si l'on utilisait cet appareil pour charger les cargaisons, il faudrait évaluer la stabilité du bateau pendant que l'appareil était en fonction. TC a également indiqué que, comme aucune condition de charge n'avait été étudiée par rapport à l'utilisation de l'appareil de levage sur les lieux de pêche ou à bâbord à quai, son utilisation serait conditionnelle à une autre évaluation de la stabilité.

Le livret de stabilité contenait des notes et des instructions pour le capitaine, dont :

Au moment de l'événement à l'étude, le bateau était gréé pour la pêche à la senne coulissante du hareng plutôt que du saumon. Ces 2 pêches comportent certaines différences au chapitre des procédures opérationnelles. En conséquence, certains calculs présentés dans le livret de stabilité (c.-à-d. le poids du filet et le poids de l'esquif à moteur) ne correspondaient pas aux activités de pêche courantes.

1.12.4 Exigences de WorkSafeBC

En ce qui concerne la stabilité des navires, le règlement OHS de WorkSafeBC exige que tous les bateaux de pêche soient maintenus en bon état de navigabilitéNote de bas de page 25 et que le propriétaire d'un bateau de pêche fournisse à bord la documentation qui décrit la stabilité du navireNote de bas de page 26 .

Les politiques et lignes directrices correspondant à cette réglementationNote de bas de page 27 ,Note de bas de page 28 précisent que, pour déterminer la navigabilité, il faut prendre en compte plusieurs facteurs, dont la stabilité du navire. En outre, elles expliquent et indiquent que

Selon les lignes directrices, WorkSafeBC évaluera au cours de ses inspections et enquêtes s'il existe ou non, à bord du navire, une documentation significative et claire sur la stabilité. WorkSafeBC vérifiera également que l'information contenue dans le manuel décrit les conditions d'exploitation actuelles du navire et contient les éléments décrits dans les lignes directrices. Toutefois, WorkSafeBC ne dispose pas d'un processus d'approbation officiel concernant la documentation embarquée sur la stabilitéNote de bas de page 29 .

1.12.5 Exigences de Pêches et Océans Canada

Le plan de gestion intégrée des pêches, hareng du Pacifique – région du Pacifique 2017 du MPO rappelait aux capitaines que conformément à la LMMC 2001, tous les navires qui pêchent ou qui transportent du hareng devaient avoir un livret de stabilité valide à bord. Le livret est destiné à servir de guide à l'équipage pour qu'il puisse s'assurer de pêcher en toute sécurité en tenant compte des limites de son bateau.

Le MPO a délivré des licences à 86 bateaux de pêche à la senne du hareng du Pacifique durant la saison de pêche 2017. De ces 86 bateaux, compte tenu des exceptions d'âge et de longueur, 45 devaient avoir à bord un livret de stabilité approuvé par TC.

1.12.6 Évaluation de la stabilité durant l'utilisation de la corne de charge

Le BST a fait appel à un architecte naval pour déterminer l'effet de l'utilisation de la corne de charge sur la stabilité du Miss Cory durant la pêche à la senne. On a utilisé les données du livret de stabilité du bateau pour évaluer sa stabilité durant une levée au-dessus du rebord en tenant compte de 2 conditions qui représentaient l'état du Miss Cory au moment de son chavirement :

Étant donné ces paramètres, on a calculé que le bateau chavirerait avec une charge sur la corne de charge de 6,76 tonnes anglaises avec la cale arrière vide, et de 5,26 tonnes anglaises avec la cale arrière remplie à 75 %. La figure 5 montre l'angle de gîte en fonction de charges croissantes sur la corne de charge dans les 2 conditions.

Figure 5. Limite de la charge sur la corne de charge (Image : MerLion Marine Services, avec annotations du BST)
Limite de la charge sur la corne de charge (Image : MerLion Marine Services, avec annotations du BST)

À mesure que la charge augmente sur la corne, la valeur de la hauteur métacentrique transversale (GMT)Note de bas de page 30 diminue presque linéairement jusqu'à un certain point, et de là, diminue exponentiellement (figure 6).

Figure 6. Hauteur métacentrique transversale (GMT) avec charge croissante sur la corne de charge (Image : MerLion Marine Services, avec annotations du BST)
Hauteur métacentrique transversale (GMt) avec charge croissante sur la corne de charge (Image : MerLion Marine Services, avec annotations du BST)

À partir de l'évaluation de l'architecte naval, le BST a pu déterminer l'effet de levage avec la corne de charge sur la stabilité du Miss Cory. Les conclusions de l'évaluation sont :

L'évaluation a permis d'établir qu'avec l'augmentation de la charge sur la corne, la valeur GMT diminue et l'angle de gîte augmente de façon presque constante jusqu'à une certaine charge, et de là, la GMT diminue exponentiellement, correspondant à une augmentation rapide de la gîte.

1.13 Conscience situationnelle et charge de travail

La sécurité du bâtiment et de toutes les personnes à bord incombe principalement au capitaine. Comme l'exige la LMMC 2001, « Lorsqu'on lui signale un danger pour la sécurité, le capitaine doit, sauf s'il est d'avis que celui-ci n'existe pas, prendre les mesures indiquées pour protéger le bâtiment et les personnes à bord contre le danger, notamment en l'éliminant si cela est possible. S'il ne peut l'éliminer, le capitaine d'un bâtiment canadien en avise le représentant autorisé »Note de bas de page 31 .

Pour maintenir la sécurité d'un bâtiment et de toutes les personnes à bord, les capitaines doivent avoir une conscience situationnelle de toutes les opérations à bord et de la façon dont on les exécute. Les capitaines doivent être alertes. Ils doivent constamment surveiller et traiter l'information à bord et autour du bâtiment. Attention et vigilance sont nécessaires pour que les capitaines perçoivent les éléments dans l'environnement et ajustent leurs actions en conséquenceNote de bas de page 32 .

On définit la conscience situationnelle comme étant la perception des éléments dans l'environnement, la compréhension de leur signification, et la projection de leur état dans l'avenir procheNote de bas de page 33 . Plusieurs facteurs peuvent influer sur les 3 niveaux de la conscience situationnelle, comme l'attention, la capacité de traiter l'information, et la charge de travailNote de bas de page 34 . Ces 3 niveaux comprennent plusieurs stades de traitement de l'information où des manquements possibles pourraient entraîner une évaluation lacunaire ou inadéquate d'une situation.

Si un capitaine de bâtiment doit effectuer de multiples tâches nécessitant les mêmes ressources de traitement de l'information, et qu'une tâche requiert soudainement une attention accrue de cette ressource, l'exécution des autres tâches pourrait être compromiseNote de bas de page 35 . Par exemple, l'exécution d'une tâche complexe serait plus exigeante sur la capacité de traiter l'information, augmenterait la charge de travail, et réduirait la capacité disponible pour d'autres tâches exigeant aussi un traitement de l'information, comme demeurer vigilant et attentifNote de bas de page 36 . On suppose que les tâches plus exigeantes accaparent plus de ressources que les tâches moins exigeantes, étant donné la nécessité de prendre des décisions plus fréquemment et plus rapidement.

La charge de travail mental et la conscience situationnelle s'entremêlent, car elles font toutes deux appel aux mêmes capacités limitées de traitement de l'information. Dans certains cas, une charge de travail élevée peut améliorer la conscience situationnelle, mais dans d'autres cas, elle peut la réduire en diminuant la capacité de perception des éléments dans l'environnementNote de bas de page 37 .

1.14 Directives de sécurité pour les navires de pêche

En Colombie-Britannique, le règlement de WorkSafeBC sur la santé et sécurité au travail stipule qu'il incombe au capitaine de reconnaître les dangers réels et potentiels et d'établir des procédures de sécurité pour atténuer les risques connexesNote de bas de page 38 . TC a des règlements semblables, selon lesquels l'élaboration de procédures et l'exploitation sécuritaire d'un bâtiment incombent au RANote de bas de page 39 . Les méthodes de travail sécuritaires qui en découlent font en sorte que les capitaines et les équipages ont les connaissances et l'information nécessaires pour prendre des décisions éclairées dans toutes les conditions d'exploitation.

Les RA peuvent trouver des conseils pour élaborer des pratiques de travail sécuritaires.

1.14.1 Transports Canada

En vertu de la LMMC 2001Note de bas de page 40 , les RA doivent fournir aux équipages des procédures sur la façon sécuritaire d'exploiter le bâtiment et de gérer les situations d'urgence.

En vertu du Règlement sur le personnel maritimeNote de bas de page 41 , le RA doit fournir au capitaine des instructions écrites qui feront en sorte que chaque membre d'équipage, avant qu'on lui assigne une tâche, connaîtra bien le matériel de bord, les procédures d'exploitation et les tâches qui lui sont assignées et sera apte à exercer des tâches essentielles à la sécurité ou à l'atténuation de la pollution.

En vertu du Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche (RSBP)Note de bas de page 42 , les RA doivent établir et utiliser des procédures de sécurité écrites qui aident les personnes à bord d'un bateau de pêche à se familiariser avec :

Pour aider les RA à satisfaire aux responsabilités ci-dessus, TC a mis au point des modèles de procédures d'exploitation et de sécurité que l'on peut adapter aux besoins de bateaux individuels. Ces outils comprennent des listes de vérification et des formulaires pour gérer l'exploitation et consigner la formation de l'équipage ou les exercices d'urgence.

1.14.2 Herring Industry Advisory Board

En 2015, les membres du Herring Industry Advisory Board (le comité consultatif de l'industrie du hareng), en collaboration avec Fish Safe, ont rédigé et distribué un document sur les pratiques exemplaires de la pêche du hareng en Colombie-Britannique, intitulé Herring Food and Bait Best PracticesNote de bas de page 43 . Les procédures d'exploitation de la pêche du hareng (rogué, de consommation et appât) sont comparables, mais distinctes, étant donné les différences des marchés pour ces poissons. Les pratiques recommandées pour la pêche du hareng de consommation et du hareng-appât comprennent :

Aucune procédure officielle d'exploitation normale ou d'urgence n'a été fournie à l'équipage du Miss Cory, et le capitaine ne connaissait pas le document Herring Food and Bait Best Practices.

1.14.3 WorkSafeBC

En 2012, en collaboration avec Fish Safe, WorkSafeBC a mis à jour son manuel intitulé Gearing Up for Safety – Safe Work Practices for Commercial Fishing in British Columbia. Ce manuel aborde plusieurs dangers courants pour la santé et la sécurité dans le secteur de la pêche commerciale. Il insiste sur la préparation aux situations d'urgence, les procédures d'exploitation sécuritaire, l'équipement de sécurité, et les dangers relatifs aux engins de pêche à bord. Concernant la pêche à la senne coulissante, ce manuel indique que la pompe à poisson doit pouvoir atteindre le fond de l'amas dense de poisson, car le relevage crée un poids en lourd qui risque de nuire à la stabilitéNote de bas de page 45 . Dans la mesure du possible, WorkSafeBC vérifie également les bateaux de pêche pour évaluer leur conformité aux exigences de santé et sécurité.

1.14.4 Programme Safest Catch de Fish Safe

Safest Catch est un programme de sécurité piloté par le secteur de la pêche commerciale. Les outils qu'il fournit à ce secteur sont conçus par des pêcheurs, pour les pêcheurs. Son objectif est d'encourager les équipages à s'approprier la sécurité à bord des bateaux de pêche. Des pêcheurs ayant reçu une formation de conseiller en sécurité animent à bord des navires un atelier initial à l'intention du capitaine et des membres d'équipage afin de les aider à élaborer des protocoles de familiarisation, des exercices de sécurité et des manuels de procédures de sécurité.

Ce programme aide aussi les pêcheurs commerciaux à mettre au point un système de gestion de la sécurité (SGS) propre au bateau et conforme aux exigences actuelles de Sécurité et sûreté maritimes de Transports Canada en ce qui a trait au contenu d'un SGS, même s'il n'est pas actuellement obligatoire pour les bateaux de pêche d'avoir un SGS.

Dans sa forme actuelle, le programme Safest Catch fournit de la formation de base aux équipages à bord de leur bateau de pêche. Ce programme comprend les activités suivantes :

Au moment de l'événement à l'étude, le Miss Cory n'avait pas participé au programme Safest Catch.

1.15 Enquête sur les questions de sécurité relatives à l'industrie de la pêche au Canada

En août 2009, les questions de sécurité relatives aux bateaux de pêche au Canada ont fait l'objet d'une enquête approfondie menée par le BST. Le rapport final, publié en juin 2012, offre une vue d'ensemble des questions de sécurité dans l'industrie de la pêche au pays, tout en révélant les relations complexes et les interdépendances qui existent entre elles. Les importants enjeux de sécurité suivants ont retenu l'attention du Bureau : la stabilité, les engins de sauvetage, la gestion des ressources halieutiques, le coût de la sécurité, l'information sur la sécurité, les pratiques de travail sécuritaires, l'approche réglementaire en matière de sécurité, la fatigue, la formation et les statistiques de l'industrie de la pêcheNote de bas de page 46 . Ces 10 enjeux font partie du quotidien de la pêche commerciale au Canada.

1.16 Recommandations en suspens

En 1990, le BST a relevé une lacune liée à la pertinence des renseignements sur la stabilité à l'occasion d'un événement mettant en cause le petit bateau de pêche Le Bout De Ligne et a recommandé que :

Le ministère des Transports établisse des lignes directrices relatives aux livrets de stabilité, de façon que les renseignements qu'ils renferment soient présentés sous une forme simple, claire et utilisable par les usagers.
Recommandation M94-33 du BST

En juillet 2016, en réponse à la recommandation M94-33 du BST et à plusieurs autres recommandations sur la stabilité des bateaux de pêche, TC a publié dans la partie II de la Gazette du Canada un règlement visant à mettre en place le nouveau Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche en remplacement du Règlement sur la sécurité des petits bateaux de pêche. En vertu du Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche, les bateaux nouvellement construits de plus de 9 m de longueur doivent obligatoirement subir une évaluation de la stabilité et avoir un livret de stabilité. Le BST estime que pour l'instant, la réponse à cette recommandation dénote une attention en partie satisfaisanteNote de bas de page 47 .

Comme suite à un événement survenu en 2002, au cours duquel le senneur Cap Rouge II a chaviré dans le détroit de Georgia (Colombie-Britannique) et 5 personnes se sont noyéesNote de bas de page 48 , le Bureau a recommandé que :

le ministère des Transports, en collaboration avec le milieu de la pêche, entreprenne de réduire les pratiques imprudentes par l'entremise d'un code de pratiques exemplaires à l'intention des petits bateaux de pêche, qui traitera notamment du chargement et de la stabilité, et que l'adoption d'un tel code soit appuyée par l'entremise de programmes d'éducation et de sensibilisation.
Recommandation M03-07 du BST

Le BST estime que pour l'instant, la réponse de TC à cette recommandation dénote une attention en partie satisfaisante. Quoique la publication par TC de règlements pour bateaux de pêche progresse, la réglementation à elle seule ne pourra pas corriger la lacune de sécurité qui a été cernée au cours de cette enquête. Malgré la compréhension générale des pratiques de travail sécuritaires, les pêcheurs ont encore recours à des méthodes de travail dangereuses. Tant qu'un code de pratiques exemplaires ne sera pas élaboré et mis en œuvre par l'industrie de la pêche canadienne, la présente recommandation demeurera active.

Comme suite à un événement survenu en 2015Note de bas de page 49 , au cours duquel le chalutier à merlu Caledonian a chaviré et coulé, causant le décès de 3 membres d'équipage, le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports établisse des normes applicables à tous les petits bateaux de pêche qui ont fait l'objet d'une évaluation de stabilité pour faire en sorte que leurs renseignements sur la stabilité soient pertinents et que l'équipage y ait facilement accès.
Recommandation M16-02 du BST

TC a indiqué qu'il proposait prendre des mesures pour fournir des modèles et des recommandations d'avis de stabilité et des directives pour les remplir. TC compte également rééditer le Bulletin de la sécurité des navires no 01/2008 et insister de nouveau sur les livrets de stabilité durant les inspections. Une fois mises en œuvre, les mesures de TC devraient faire en sorte que les pêcheurs travaillant sur des petits bateaux de pêche aient accès à des renseignements sur la stabilité en format convivial (avis de stabilité) qui soient récents et constamment mis à jour afin d'être révélateurs des changements apportés au bateau ou à ses activités d'exploitation. Le Bureau estime que la réponse à cette recommandation dénote une intention satisfaisante.

1.17 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La sécurité de la pêche commerciale restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que :

  • de nouveaux règlements encadrant les navires de pêche commerciale de toutes tailles soient mis en œuvre;
  • des lignes directrices conviviales sur la stabilité des navires soient établies et appliquées afin de réduire les pratiques non sécuritaires;
  • il est prouvé qu'un changement de comportement s'opère parmi les pêcheurs en ce qui a trait à l'utilisation des vêtements de flottaison individuels, des RLS et des vêtements de survie, et que des évaluations des risques et des exercices de sécurité ont lieu à bord;
  • les autorités fédérales et provinciales, ainsi que les leaders du milieu de la pêche et les pêcheurs eux-mêmes, posent des gestes concertés et coordonnés en vue de mettre en place des initiatives solides dans les régions et de développer une saine culture de sécurité dans le milieu de la pêche.

La Liste de surveillance souligne que la réglementation ne suffit pas à elle seule. Les autorités fédérales et provinciales, ainsi que les principaux intervenants du milieu de la pêche, doivent poser des gestes concertés et coordonnés pour améliorer la culture de sécurité dans le secteur de la pêche, qui tiennent compte de l'interaction entre les manquements à la sécurité.

1.18 Événements antérieurs

Le BST a antérieurement enquêté sur plusieurs événements ayant mis en cause des petits bateaux de pêche et qui ont soulevé des enjeux de la stabilité et des pratiques dangereuses durant le chargement de la prise.

M05W0141 – Le 26 juillet 2005, le bateau de pêche Ocean Tor a chaviré et coulé à l'ouest du cap Flattery, dans l'État de Washington. Le bateau a pris une gîte importante avant de chavirer durant le transfert d'une prise de poissons des filets aux cales à poisson. Deux membres d'équipage sont décédés.

M06N0082 – Le 1er novembre 2006, le petit bateau de pêche Cape Fin-Tose a chaviré et coulé pendant que l'on procédait au pompage du maquereau de la senne coulissante du Cape Jeduse, lequel était en abord. Les membres d'équipage ont abandonné le bateau et ont monté dans un esquif amarré le long du bord du Cape Jeduse.

M09N0031 – Le 12 septembre 2009, le petit bateau de pêche Sea Gypsy Enterprises a pris l'eau avant d'être envahi par le haut et de couler au large du cap Spear (Terre-Neuve-et-Labrador). Deux membres d'équipage se sont noyés.

2.0 Analyse

L'enquête a permis de déterminer qu'un envahissement progressif par le hautNote de bas de page 50 et un centre de gravité relevé − causé par une augmentation de la masse suspendue à la corne de charge du bateau − ont nui à la stabilité du Miss Cory et l'ont fait chavirer.

La présente analyse examine la réaction de l'équipage à l'envahissement par le haut, l'effet du levage ou de la suspension d'une charge avec la corne de charge sur la stabilité du bateau, et la pertinence des renseignements sur la stabilité du bateau de pêche.

2.1 Facteurs ayant mené au chavirement et à la perte de vie

Comme aucun bateau collecteur n'était immédiatement disponible, une importante quantité de poissons s'est trouvée enfermée dans la senne sur le tribord du Miss Cory pendant plusieurs heures. Incapables de nager librement, beaucoup de poissons ont péri. Les poissons morts ont coulé et se sont déposés au fond de la senne refermée. Leur poids a accru la charge sur le filet. Cette charge a été transférée au tribord du Miss Cory et au sommet de la corne de charge, ce qui a relevé le centre de gravité du bateau et entraîné une gîte progressive sur tribord. Cet état, combiné à une réduction du franc-bord causée par le remplissage des cales avant, a fait que le bateau a gîté au point d'enfoncer son liston dans l'eau.

Comme le Miss Cory a coulé, on n'a pu faire d'examen structural du bateau; par conséquent, l'enquête n'a pas permis d'établir l'état précis de la coque et du pont au moment de l'événement à l'étude. Toutefois, il n'y a rien d'inhabituel à ce qu'un bateau de pêche en bois de 60 ans prenne un peu l'eau. Ainsi, comme le Miss Cory n'était scellé que jusqu'à sa ligne de flottaison, il y a probablement eu infiltration d'eau, vraisemblablement derrière le liston, lorsque le bateau a gîté et que le liston s'est enfoncé dans l'eau. Ensuite, l'eau a probablement infiltré la paroi de la coque avant de gagner le tunnel d'arbre.

La sécurité d'un bateau en mer dépend du maintien de l'intégrité de son étanchéité à l'eau. Il est donc important de prendre des mesures comme la fermeture des portes d'inspection, des écoutilles d'accès et autres ouvertures pour prévenir l'infiltration d'eau et l'envahissement progressif par le haut.

Juste avant le chavirement, l'équipage du Miss Cory a constaté qu'il y avait de l'eau dans la cale arrière, et qu'elle s'infiltrait rapidement par la porte d'inspection ouverte dans le tunnel d'arbre. Cette infiltration d'eau, qui a rempli la cale arrière de la moitié aux trois quarts, a nui à la stabilité du bateau.

Les efforts pour évacuer l'eau au moyen des pompes du bateau ont été infructueux, car l'eau s'infiltrait plus rapidement qu'on l'évacuait. Dans les instants qui ont précédé le chavirement, le capitaine et l'équipage ont voulu se servir de la corne de charge pour déplacer la pompe à poisson dans la cale arrière et ainsi accélérer l'évacuation de l'eau. À cette fin, ils ont abaissé dans l'eau la partie arrière suspendue du filet, ce qui a momentanément augmenté la taille de la senne.

Une fois la senne dans l'eau, la corne de charge a de nouveau reçu le poids du filet et des poissons morts lorsque ces derniers se sont déposés au fond de la senne. Le poids suspendu à la corne de charge, de pair avec l'envahissement progressif par le haut des compartiments du bateau (notamment la cale arrière), a fait gîter et chavirer le bateau.

Le capitaine et l'équipage s'affairaient à évacuer l'eau, notamment en tentant d'introduire la pompe à poisson dans la cale arrière. Personne n'a remarqué l'imminence d'un chavirement. Par conséquent, l'équipage n'a pu exécuter les procédures d'abandon du bateau, comme sonner l'alarme, se diriger vers les postes de rassemblement, enfiler l'équipement de sauvetage, ou prendre d'autres mesures correctives, comme relâcher la prise. L'équipage sur le pont s'est précipité dans l'esquif à moteur alors que le bateau chavirait et coulait. Le mécanicien, qui se trouvait dans la salle des machines pour s'occuper des pompes, ignorait peut-être la situation qui se dessinait et n'a pu évacuer le bateau qui sombrait.

2.2 Conscience situationnelle et charge de travail

Environ 15 minutes avant que le Miss Cory chavire et coule, l'équipage a constaté une situation d'envahissement progressif par le haut. Le capitaine du Miss Cory a immédiatement réagi à la situation dangereuse à bord. Aidé du matelot de pont du Miss Cory et de l'officier de pont du Proud Venture, il a tenté d'atténuer le risque d'envahissement progressif par le haut en évacuant l'eau dans la cale arrière au moyen de la pompe à poisson.

Lorsque l'équipage a voulu abaisser la pompe à poisson dans la cale, sa charge de travail a considérablement augmenté, en particulier celle du capitaine; il incombait à ce dernier de gérer le risque aussi rapidement que possible. Une charge de travail élevée peut nuire à la conscience situationnelle et à la perception d'une personne lorsque sa capacité d'attention est focalisée sur une tâche primaire. La charge de travail élevée aurait accaparé la majorité des ressources attentionnelles du capitaine, ce qui l'aurait empêché de surveiller l'évolution de la situation, de demeurer conscient des activités de l'équipage, et de comprendre que le bateau gîtait rapidement au point de chavirer. Le transfert de la pompe à poisson dans la cale s'est rapidement avéré difficile, le diamètre de la pompe étant légèrement supérieur à celui de l'ouverture de la cale.

L'effort d'attention nécessaire pour transférer la pompe dans la cale explique probablement pourquoi le capitaine n'a pas perçu la dégradation rapide de la situation et l'imminence d'un chavirement. L'incapacité du capitaine de percevoir la situation qui se dessinait a empêché l'adoption de stratégies de rechange, comme le relâchement de la prise dans le filet, ce qui aurait pu sauver le bateau ou accorder du temps pour gérer la situation. Ainsi, l'équipage n'a pu abandonner le bateau de façon ordonnée; les membres d'équipage sur le pont ont sauté dans l'esquif à moteur tandis que le bateau chavirait et coulait, entraînant avec lui le membre d'équipage qui se trouvait toujours sous le pont.

L'attention que le capitaine consacrait à la tâche a probablement nui à sa capacité de demeurer conscient de la situation qui se dessinait et d'employer d'autres stratégies ou d'entreprendre des procédures d'abandon du bateau de façon sécuritaire.

2.3 Préparation aux situations d'urgence

Un chavirement avec naufrage peut se produire soudainement; les membres d'équipage doivent donc être prêts à réagir rapidement et efficacement. Aussi doivent-ils bien connaître le bateau et ses procédures d'urgence, et répéter régulièrement les exercices d'urgence afin de toujours être bien préparés à intervenir.

Dans le cas du Miss Cory, la préparation aux situations d'urgence faisait défaut :

L'équipage du Miss Cory était exposé à plusieurs dangers qui découlaient de ces lacunes. Par exemple, juste avant d'abandonner le bateau, l'équipage ne s'est pas préparé adéquatement; il ne s'est pas diriger vers les postes de rassemblement, n'a pas enfiler l'équipement de sauvetage et n'a pas envisagé d'autres options pour prévenir le chavirement, comme relâcher la prise. L'abandon désorganisé du bateau a fait qu'un membre d'équipage était toujours dans la salle des machines lorsque le bateau a chaviré.

De plus, l'enquête sur les questions de sécurité du BSTNote de bas de page 51 a révélé que les pêcheurs évaluent et gèrent les risques en se basant sur leur expérience personnelle et qu'ils n'effectuent pas toujours des exercices. Bien que la réglementation oblige les pêcheurs à faire des exercices, le suivi de ces exigences est difficile à assurer et l'est rarement, pour diverses raisons, entre autres le fait que la plupart des bateaux de pêche ne doivent pas obligatoirement subir d'inspection.

De plus, même si les pêcheurs sont tenus de suivre la formation sur les fonctions d'urgence en mer, qui comprend des exercices d'urgence, l'enquête sur les questions de sécurité a montré que cette formation n'insiste pas sur l'importance des exercices. Bien que des programmes comme Safest Catch fournissent aussi une formation sur la façon de mener des exercices d'urgence, ils ne sont pas efficaces que si les capitaines et les représentants autorisés (RA) prennent la sécurité en main et effectuent des exercices périodiquement. Certains le font, mais pas tous.

Si les membres d'équipage ne répètent pas les procédures d'urgence structurées dans le cadre d'exercices d'urgence, les interventions d'urgence risquent d'être retardées ou d'être désorganisées, ce qui pourrait mettre en danger la sécurité de l'équipage et du bateau.

2.4 Pratiques et procédures sécuritaires

La Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et les bons usages maritimes exigent que l'on élabore et utilise des procédures sur la façon sécuritaire d'exploiter un bâtiment et de gérer les situations d'urgence. De telles procédures devraient comprendre l'isolement des compartiments et la fermeture hermétique d'ouvertures, des lignes directrices d'exploitation sécuritaire, et la répétition d'exercices d'urgence pour aider les équipages à cerner et à gérer les risques de façon sécuritaire. Le Miss Cory n'avait aucune procédure d'exploitation, et le capitaine et l'équipage ignoraient l'existence de documents d'orientation préparés pour le secteur de la pêche, comme le document Herring Food & Bait Best Practices, qui contient des renseignements pertinents qu'ils auraient pu mettre en œuvre.

Dans l'événement à l'étude, on a cerné plusieurs pratiques dangereuses qui comportaient des risques dont le capitaine et l'équipage n'étaient pas pleinement conscients :

En l'absence de pratiques et de mesures de sécurité établies, il est possible que des conditions dangereuses passent inaperçues et ne soient pas gérées, ce qui expose le bateau et l'équipage à des risques de blessure ou d'accident.

2.5 Stabilité des bateaux de pêche qui utilisent une corne de charge

L'utilisation d'une corne de charge fait partie intégrante de certains types d'activités de pêche, comme la pêche à la senne coulissante du hareng ou du saumon. Pour assurer la sécurité de ces opérations, il faut disposer de renseignements exacts, actuels et complets sur l'incidence de l'utilisation d'une corne de charge sur la stabilité de ces bateaux de pêche. L'organisme de réglementation et le RA doivent tous les deux s'assurer de fournir ces importants renseignements à l'équipage.

Dans l'événement à l'étude, le Miss Cory a subi une évaluation de la stabilité, et Transports Canada (TC) a noté la présence d'un appareil de levage (corne de charge) à bord. TC a informé le RA ainsi que son architecte naval des calculs additionnels qui seraient nécessaires si l'on prévoyait utiliser la corne de charge. Toutefois, ces calculs additionnels n'ont jamais été faits et, par conséquent, le capitaine ignorait qu'une charge de 5 à 7 tonnes anglaises sur la corne de charge ferait rapidement chavirer le bateau. L'enquête a permis de déterminer qu'il ne s'agissait pas là d'un cas isolé; aucun des autres senneurs qui ont pris part à la saison de pêche 2017 n'avait subi d'évaluation de la stabilité relativement à sa corne de charge. Cette situation souligne une lacune au chapitre des responsabilités et de la surveillance que partagent les RA de bateaux de pêche et TC relativement aux renseignements de stabilité nécessaires pour effectuer des opérations à l'aide d'une corne de charge. Il incombe au RA d'assurer l'exploitation sûre d'un bateau et donc, de fournir des renseignements sur la stabilité, y compris sur l'utilisation d'une corne de charge. Toutefois, si cela n'a pas lieu, le peu de surveillance exercée par TC ne permettrait pas de cerner cette lacune. Par exemple, l'approbation d'un livret de stabilité par TC ne comporte aucune exigence de vérification périodique ou de vérification de l'exactitude ou de l'intégralité des données durant les inspections.

De plus, la portée des exigences de TC sur les livrets de stabilité ne couvre pas d'office l'évaluation de la corne de charge, bien que cet équipement fasse partie intégrante de certaines activités de pêche. Lorsque TC a approuvé le livret de stabilité du Miss Cory, le ministère a envoyé une lettre contenant des restrictions d'utilisation de la corne de charge.

Si les bateaux de pêche qui utilisent un appareil de levage durant leurs activités ne font l'objet d'aucune évaluation de la stabilité avec cet appareil de levage, il y a un risque que l'exploitation de ces bateaux soit compromise.

2.6 Pertinence des renseignements sur la stabilité des bateaux de pêche

Une fois qu'un bateau est mis en service et que ses paramètres de stabilité de base sont définis, la pertinence des renseignements sur la stabilité dont dispose l'équipage est essentielle pour assurer l'exploitation sûre du navire pendant toute sa durée utile. L'équipage à bord des bateaux de pêche a besoin de renseignements pertinents sur la stabilité pour pouvoir définir les conditions de charge sécuritaires des engins de pêche, de la cargaison, du carburant et d'autres biens consomptibles en fonction des opérations à effectuer et du type de prises arrimées. Les bateaux de pêche déploient des engins, lèvent des charges, et arriment leurs prises en mer. Les conditions de chargement changent fréquemment, et il est important que les renseignements sur la stabilité soient cohérents avec les opérations courantes.

La stabilité dans le livret à bord du Miss Cory avait été calculée en fonction d'un gréement et d'équipement pour la pêche à la senne coulissante du saumon, ce qui ne correspondait pas au gréement ou à l'équipement requis pour la pêche à la senne coulissante du hareng pratiquée au moment de l'événement. D'après la norme TP 7301 de Transports Canada, il incombe au RA de s'assurer que les conditions de stabilité indiquées dans le livret de stabilité soient conformes aux conditions de chargement du bateau et à ses modes d'exploitation. Cela dit, on modifie couramment le gréement d'un bateau de pêche pour pouvoir participer à différentes pêches sans pour autant obtenir de renseignements actualisés sur la stabilité. Dans le courant de leurs travaux, les enquêteurs ont constaté que les livrets de stabilité de 10 des 38 bateaux qui participaient à la pêche du hareng rogué de 2017 dans le détroit de Georgia ne tenaient pas compte des opérations de pêche du hareng de ces bateaux.

Une fois que le livret de stabilité d'un bateau de pêche est approuvé, il incombe au RA de s'assurer que le livret demeure à jour et pertinent pour les activités courantes. TC stipule que l'on ne doit apporter aucune modification au bateau en vue d'une pêche autre que celle considérée dans ce livret tant que son effet sur la stabilité n'a pas été entièrement évalué. Lorsque les RA ne respectent pas leurs obligations de fournir des renseignements exacts sur la stabilité, il n'y a aucune autre défense, comme des vérifications périodiques par TC, pour cerner et corriger ce manquement.

Si l'on ne fournit pas aux pêcheurs des renseignements sur la stabilité qui correspondent à leurs activités de pêche courantes, il y a un risque que les pratiques d'exploitation compromettent la stabilité du navire.

2.7 Questions de sécurité dans l'industrie de la pêche

L'enquête sur les questions de sécurité répertorie les comportements qui influent sur la sécurité sous 10 importantes questions de sécurité et explique la complexité de leurs relations et de leurs interdépendances. L'enquête analyse de façon plus poussée ces importantes questions de sécurité. Dans l'événement à l'étude, au moins 5 des 10 questions de sécurité importantes étaient présentes. Les pratiques et procédures suivantes liées aux questions de sécurité importantes définies dans l'enquête étaient évidentes dans l'événement à l'étude :

Stabilité

Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
Il n'y a pas de lignes directrices établies visant à faire en sorte que l'information contenue dans un livret de stabilité soit présentée de façon simple, claire et pratique pour le public cible, malgré la recommandation M94-33 du BST. Tout comme les livrets de stabilité de 37 autres bateaux de pêche qui ont été examinés dans le courant de l'enquête, celui du Miss Cory ne présentait pas les renseignements de façon simple, claire et pratique. Le livret ne tenait pas compte des opérations de levage effectuées au moyen d'une corne de charge durant les activités de pêche.
De nombreux pêcheurs ne comprennent pas les principes de la stabilité. L'équipage du Miss Cory n'a réalisé ni l'effet du centre de gravité relevé du bateau sur sa stabilité ni l'importance de l'étanchéité à l'eau des compartiments pour empêcher l'envahissement progressif par le haut.
Les outils d'enseignement sur la stabilité qui existent ne sont pas bien connus. Un seul des membres d'équipage avait suivi le programme d'éducation de Fish Safe.

Formation

Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
Les avantages des exercices d'urgence périodiques, qui permettent d'abréger les délais de réaction et d'accroître la coordination au sein de l'équipe d'urgence, ne sont pas bien dégagés. Aucun exercice de sécurité n'a été répété avec les membres d'équipage à bord du Miss Cory, même si tous les membres d'équipage avaient suivi une formation sur les fonctions d'urgence en mer.

Pratiques de travail sécuritaires

Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
Il n'existe pas de code des pratiques recommandées pour les petits bateaux de pêche, malgré la recommandation M03-07 du BST. L'industrie a mis au point un code des pratiques recommandées pour la pêche du hareng de consommation et du hareng-appât, mais aucun code de ce genre n'avait été mis au point pour la pêche du hareng rogué au moment de l'événement.

Information sur la sécurité

Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
Il se peut que l'information de sécurité ne parvienne pas à la plupart des pêcheurs ou, si ceux-ci la reçoivent, qu'ils n'en tiennent pas compte. Aucun des membres d'équipage à bord du Miss Cory n'était au courant des pratiques exemplaires élaborées par l'industrie pour la pêche du hareng de consommation et du hareng-appât.
La diffusion de l'information de sécurité est inefficace. Aucun des membres d'équipage à bord du Miss Cory n'était au courant des pratiques exemplaires élaborées par l'industrie pour la pêche du hareng de consommation et du hareng-appât.

2.8 Interdépendance des questions de sécurité

De nombreux facteurs intimement liés compromettent la sécurité des pêcheurs. Les questions de sécurité suivantes sont liées de manière complexe et ont contribué à l'événement :

Les tentatives entreprises par le passé pour régler ces questions de sécurité au cas par cas n'ont pas produit les résultats escomptés, c'est-à-dire un environnement plus sûr pour les pêcheurs. L'Enquête souligne que, pour observer une amélioration réelle et durable en matière de sécurité de la pêche, les changements ne doivent pas seulement porter sur une des questions de sécurité liées à un accident, mais plutôt sur l'ensemble de ces questions, ce qui met en lumière le fait qu'il existe une relation complexe et une interdépendance entre celles-ci. L'élimination d'une seule situation non sécuritaire peut empêcher qu'un accident se produise, mais ne réduit que légèrement les risques que posent les autres.

La sécurité des pêcheurs sera compromise tant que la relation complexe et l'interdépendance entre les questions de sécurité ne seront pas reconnues par le milieu de la pêche et que celui-ci n'adoptera pas les mesures nécessaires.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Comme aucun bateau collecteur n'était immédiatement disponible, une importante quantité de poissons dans la senne du Miss Cory a péri et s'est déposée au fond du filet, alourdissant ainsi la charge sur la corne de charge et le bord du bateau.
  2. La charge accrue a fait gîter le bateau, au point d'enfoncer le liston dans l'eau.
  3. L'eau s'est probablement infiltrée dans la coque du bateau derrière le liston, puis a traversé la paroi de la coque pour s'accumuler dans le tunnel d'arbre.
  4. Comme la porte d'inspection du tunnel d'arbre n'était pas fermée, la cale arrière s'est remplie d'eau, ce qui a nui à la stabilité du bateau.
  5. Le poids suspendu à la corne de charge, de pair avec l'envahissement progressif par le haut des compartiments du bateau (notamment la cale arrière), a fait gîter et chavirer le bateau.
  6. Comme le Miss Cory n'avait fait l'objet d'aucune évaluation de la stabilité pour les opérations au moyen d'une corne de charge, le capitaine ne pouvait savoir qu'une charge de 5 à 7 tonnes anglaises sur la corne ferait rapidement chavirer le bateau.
  7. L'attention que le capitaine consacrait à la tâche a nui à sa capacité de demeurer conscient de la situation qui se dessinait et d'employer d'autres stratégies ou d'entreprendre des procédures d'abandon du bateau de façon sécuritaire.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si les membres d'équipage ne répètent pas les procédures d'urgence structurées dans le cadre d'exercices d'urgence, les interventions d'urgence risquent d'être retardées ou d'être désorganisées, ce qui pourrait mettre en danger la sécurité de l'équipage et du bateau.
  2. En l'absence de pratiques et de mesures de sécurité établies, il est possible que des conditions dangereuses passent inaperçues et ne soient pas gérées, ce qui expose le bateau et l'équipage à des risques de blessure ou d'accident.
  3. Si les bateaux de pêche qui utilisent un appareil de levage durant leurs activités ne font l'objet d'aucune évaluation de la stabilité avec cet appareil de levage, il y a un risque que l'exploitation de ces bateaux soit compromise.
  4. Si l'on ne fournit pas aux pêcheurs des renseignements sur la stabilité qui correspondent à leurs activités de pêche courantes, il y a un risque que les pratiques d'exploitation compromettent la stabilité du navire.
  5. La sécurité des pêcheurs sera compromise tant que la relation complexe et l'interdépendance entre les questions de sécurité ne seront pas reconnues par le milieu de la pêche et que celui-ci n'adoptera pas les mesures nécessaires.

3.3 Autres faits établis

  1. Des 38 livrets de stabilité qui ont été examinés dans le cadre de l'événement à l'étude, 76 % dataient de 20 ans ou plus, et les poids des navires lèges n'avaient pas été vérifiés.
  2. L'enregistrement des radiobalises de localisation des sinistres et la mise à jour régulière des renseignements aident le personnel de recherche et sauvetage à retrouver les navires en cas de situation de détresse.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Fish Safe

Comme suite à l'événement à l'étude, et compte tenu des pratiques exemplaires en place pour la pêche du hareng de consommation et du hareng-appât, Fish Safe a organisé des activités de sensibilisation auprès du Herring Industry Advisory Board et du comité consultatif de Fish Safe. Un comité composé de 9 pêcheurs chevronnés a entrepris de collaborer avec Fish Safe et a créé un code de pratiques exemplaires à temps pour qu'il soit distribué avant la saison de pêche 2018 du hareng rogué. Ce code a pour objectif de lutter contre les pratiques de travail dangereuses qui continuent à exposer les pêcheurs et les bateaux à des risques.

4.1.2 WorkSafeBC

WorkSafeBC met actuellement en œuvre une stratégie maritime pour l'horizon 2018-2020 axée sur le secteur de la pêche. Les futures inspections comprendront les mesures suivantes :

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été publié en premier lieu le .

Correction

Le Bureau a obtenu des précisions concernant l’information à la section 1.14.4, Programme Safest Catch de Fish Safe. L’avant-dernier paragraphe et la liste à puces ont été modifiés pour indiquer que le programme Safest Catch comprend actuellement les éléments énumérés dans la liste.

Le Bureau a autorisé la présente correction le et la version corrigée du rapport a été publiée le .

Annexes

Annexe A – Pêche à la senne coulissante

La pêche à la senne coulissante est une méthode de capture qui consiste à encercler avec une senne (filet) un banc de poissons se trouvant près de la surface de l'eau. Une fois que le banc est encerclé, on referme la senne en tirant la coulisse (câble) à travers une série d'anneaux métalliques attachés au fond du filet à l'aide d'un treuil (figure A1).

Figure A1. Schéma de la pêche à la senne coulissante
Schéma de la pêche à la senne coulissante
  1. Un esquif à moteur tend le filet et encercle le banc de poissons.
  2. On referme le fond du filet depuis le bateau de pêche pour ainsi créer une « senne » pour piéger le poisson.
  3. On enroule sur le tambour du treuil la partie du filet qui se trouve toujours dans l'eau. La prise est concentrée dans une poche et relevée afin d'être transférée dans les cales à poissons du bateau à l'aide d'une pompe.

Pour tendre un filet, on fixe l'extrémité libre du filet du tambour à senne sur le bateau de pêche à un esquif à moteur, puis ce dernier s'éloigne du bateau de pêche (le senneur) pour dérouler le filet. Le rebord supérieur du filet est maintenu en surface par des flotteurs. Environ 60 m sous la surface, le rebord inférieur du filet est lesté pour que le filet pende à la verticale dans l'eau.

L'esquif s'éloigne du senneur pour tendre le filet, encercle les poissons et ramène l'extrémité libre du filet au tribord du senneur, où l'on attache le filet. L'esquif se déplace ensuite à bâbord du senneur, où il agit comme propulseur transversal pour empêcher le senneur de passer par-dessus le filet.

Le treuil de senne sur le pont tire ensuite la coulisse. À mesure que l'on enroule la coulisse, les anneaux métalliques sont recueillis sur un râtelier fixé sur le côté du senneur.

Une fois que l'on a refermé le fond du filet, ce qui crée une « senne » qui empêche la prise de s'échapper, on relèveNote de bas de page 52 le filet à bord du bateau en enroulant la senne sur le tambour et en relâchant le rebord inférieur du filet, s'il y a lieu, du râtelier. Ce processus ramène lentement la partie de la senne qui se trouve toujours dans l'eau vers le senneur et concentre le poisson dans une « poche ». On réduit davantage la poche en utilisant la corne de charge pour sortir une bande de filets arrière de l'eau et la relever jusqu'au sommet de la corne de charge. On transfère ensuite le poisson de la senne dans les cales du bateau au moyen d'une pompe à poisson.

Le relevage est une étape cruciale des opérations de pêche à la senne coulissante. En effet, à mesure que l'on concentre la masse de poissons en levant une bande de filets avec la corne de charge, une charge additionnelle passe au sommet de la corne de charge, ce qui relève le centre de gravité du bateau.

Annexe B – Lieu de l'événement

Lieu de l'événement

Annexe C – Pêche du hareng rogué

Le hareng est un poisson migratoire qui se déplace habituellement en importants bancs. Quand un banc de hareng se trouve piégé à l'intérieur d'une senne refermée en poche, les poissons, qui ne peuvent plus nager librement, paniquent ou meurent. Les poissons morts se déposent au fond de la senne, ce qui augmente le poids à cet endroit et, par conséquent, sur le bord du bateau, ce qui fait gîter ce dernier. Le franc-bord du bateau s'en trouve réduit, ce qui risque d'enfoncer la bordure du pont dans l'eau.

La pêche du hareng rogué sur la côte de la Colombie-Britannique se pratique conformément à un système de quota (limite de prises) établi par le ministère des Pêches et des Océans (MPO). Chaque détenteur de permis est assuré d'obtenir une certaine part de la prise. Les pêcheurs établissent également des pools qui permettent l'exploitation simultanée de plusieurs permis de pêche et de partager la prise. Ce système élimine l'incitatif de prendre le plus de poisson possible et facilite la tâche du MPO de surveiller les prises. La pêcherie peut ainsi plus facilement respecter les quotas établis.

La prise maximale de hareng rogué pour la pêche commerciale de 2017 dans le détroit de Georgia était de 28 184 tonnes, dont 13 013 tonnes ont été attribuées aux senneurs. Le quota de hareng rogué du Miss Cory était de 130 tonnes. Le capitaine avait établi un pool avec 2 autres bateaux de pêche.