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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M18A0425

Envahissement et naufrage
Bateau de pêche Charlene A
Anse Boutiliers (Nouvelle-Écosse)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Description du navire

Figure 1. Bateau de pêche Charlene A (Source : BST)
Bateau de pêche Charlene A (Source : BST)

Le Charlene A (figure 1) est un bateau de pêche de type palangrier d’une longueur de 10,15 m et d’une jauge brute de 13,49, immatriculé au Canada (no d’immatriculation 395971). Il est fait de plastique moulé renforcé de fibre de verre et est propulsé par un moteur diesel entraînant une seule hélice. La timonerie est équipée d’un traceur de cartes électroniquesNote de bas de page 1, d’un radar, d’un échosondeur, d’un GPS (système de positionnement mondial) et de 2 radiotéléphones à très haute fréquence (VHF). Le bateau est également pourvu de 2 pompes de cale, une étant automatique et l’autre, manuelle. Un radeau de sauvetage gonflable, 4 gilets de sauvetage et 4 combinaisons d’immersion se trouvaient également à bord.

Le bateau avait été modifié à l’été 2018 par l’installation d’une rallonge arrière et d’un pavois à charnières de style hayonNote de bas de page 2 (figure 2). Il n’y avait à bord aucun système d’alarme de cale ni de radiobalise de localisation des sinistres.

Déroulement du voyage

Avant le 26 novembre 2018, pour préparer le bateau à l’ouverture de la saison de pêche au homard, l’équipage du Charlene A avait entassé 150 casiers à homard sur le pont arrière, dont 6 sur le pavois arrière du bateau qui était abaissé. L’équipage avait également vissé des bouchons dans les dalots du bateauNote de bas de page 3 pour empêcher l’eau de s’y infiltrer une fois le bateau chargé au maximum. Au cours du chargement, les dalots se sont retrouvés submergés à cause du poids des casiers.

Vers 6 h 50Note de bas de page 4 le 1er décembre 2018, on a observé qu’il y avait environ 25 cm de franc-bord sous le pavois. Le bateau a quitté un quai privé à l’anse Boutiliers (Nouvelle-Écosse) peu après 7 h, avec le capitaine et 3 membres d’équipage à bord, pour aller mouiller les casiers à homard dans le secteur de la baie St. Margarets. Toutes les personnes à bord portaient un vêtement de flottaison individuel (VFI). Le Charlene A a traversé l’anse Boutiliers dans le sillage d’autres homardiers qui profitaient eux aussi de ce premier jour de la saison. Vers 7 h 08, un membre d’équipage a examiné la poupe pour voir s’il y avait une infiltration d’eau et a constaté que ce n’était pas le cas.

Vers 7 h 10, le bateau a quitté la sortie du port, et le capitaine a viré le gouvernail à bâbord pour contourner une bouée balisant le chenal. Ce faisant, le bateau a gîtéNote de bas de page 5 à tribord. Une fois la bouée contournée, le capitaine a mis la barre à zéro pour diriger le navire vers les lieux de pêche. Toutefois, la sortie du virage n’a pas redressé le bateau comme le capitaine s’y attendait. Plutôt, le bateau a continué à gîter à tribord.

Vers 7 h 11, le capitaine a demandé à un membre d’équipage de vérifier la poupe. Une fois rendu à la poupe, le membre d’équipage a constaté que l’eau embarquait rapidement par-dessus le pavois arrière. Le franc-bord du bateau diminuait corrélativement à l’accumulation graduelle d’eau sur le pont, l’inondant au point où la cale à poisson a été envahie d’eau par le haut, par les évents situés sous le plat-bord. Le capitaine a viré le bateau à tribord pour retourner vers la rive et, utilisant le canal VHF 6, a informé les bateaux à proximité que le Charlene A était en détresse. Le bateau de pêche Double Maw a répondu à l’appel et a escorté le Charlene A afin de pouvoir intervenir en cas de besoin.

Vers 7 h 12, 2 membres d’équipage ont commencé à lancer des casiers à homard à l’eau pour alléger le bateau et augmenter le franc-bord, mais l’eau a continué à inonder le pont. Le capitaine a maintenu le cap vers la rive, se conformant aux indications que lui donnait un membre d’équipage qui était debout sur la proue levée.

Vers 7 h 15, le membre d’équipage sur la proue a regagné la timonerie, juste avant que le bateau chavire. Le capitaine a viré le bateau à bâbord pour que les 2 membres d’équipage qui lançaient les casiers par-dessus bord puissent sauter à l’eau. Tandis que le bateau gîtait dangereusement à tribord, les 2 membres d’équipage qui lançaient les casiers ont sauté à l’eau, suivis du membre d’équipage qui était dans la timonerie. Les trois ont été repêchés par les membres d’équipage du Double Maw.

Peu après, le bateau a chaviré, piégeant le capitaine dans la timonerie. Son VFI s’est gonflé, et il est sorti de la timonerie en nageant jusqu’à la surface. Des membres d’équipage du Double Maw l’ont repêché lorsqu’il a émergé de l’eau. Le bateau chaviré a été remorqué vers la rive, puis redressé plus tard.

Au moment de l’événement, la mer était calme et les vents soufflaient du nord-nord-ouest à 3,8 nœuds. La température de la mer était d’environ 5 °C, et celle de l’air était de 1 °C.

Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche et guides de Transports Canada

Le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche (RSBP)Note de bas de page 6 est entré en vigueur en juillet 2017. Il s’applique à tous les bateaux de pêche canadiens d’une longueur d’au plus 24,4 m et d’une jauge brute d’au plus 150. Le Règlement comprend des dispositions sur l’exploitation sûre et la stabilité des bateaux de pêche, l’équipement de sécurité et son entretien, l’équipement de sauvetage, les registres de maintenance et des modifications, et les règles d’exploitation écrites. Le Règlement stipule de plus qu’il incombe aux représentants autorisés et aux capitaines des bateaux de pêche de s’assurer que leurs bateaux sont conformes aux exigences réglementaires. Ce règlement s’applique au Charlene A.

En 2018, Transports Canada (TC) a publié des guides intitulés Lignes directrices relatives aux modifications importantes apportées aux bâtiments de pêche/ changements d’activité (TP 15392)Note de bas de page 7 et Lignes directrices en matière de stabilité et de sécurité adéquates pour les bâtiments de pêche (TP 15393)Note de bas de page 8. Ces lignes directrices, à suivre sur une base volontaire, ont été produites conjointement avec la Fédération des pêcheurs indépendants du Canada, en tenant compte des conseils des intervenants de l’industrie et du Conseil consultatif maritime canadien. Elles comprennent des renseignements et des conseils techniques pour les pêcheurs, et font la promotion des pratiques sécuritaires à bord.

Le capitaine du Charlene A ne savait pas qu’un nouveau règlement avait été publié et quelles étaient ses dispositions, et il ignorait l’existence des guides susmentionnés.

Diffusion de l’information sur la sécurité

Le Bulletin de la sécurité des navires (BSN) est le principal moyen de diffusion d’information sur la sécurité (comme les modifications aux règlements et la publication de guides) de TC. Les BSN sont publiés sur le site Web de TC ou envoyés directement aux abonnés par courriel.

Avant l’événement à l’étude, TC avait publié le BSN 01/2008Note de bas de page 9 et le BSN 03/2017Note de bas de page 10 qui contenaient tous deux de l’information pertinente aux activités du Charlene A. Le capitaine du Charlene A n’était pas abonné à la liste de diffusion automatique des BSN de TC et n’avait pas lu le BSN 01/2008 et son formulaire Historique des modifications du bateau de pêcheNote de bas de page 11 ni le BSN 03/2017 décrivant les modifications au RSBP.

En 2018, TC a publié le TP 15356 F qui donne des conseils aux exploitants de petits bateaux sur leur participation au Programme de conformité des petits bâtimentsNote de bas de page 12. Ce programme à participation volontaire aide les exploitants de petits navires commerciaux à comprendre les dispositions sur la sécurité et l’environnement de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et du RSBP et à s’y conformer. Au moment de l’événement, le capitaine ne participait pas au Programme de conformité des petits bâtiments et n’était membre d’aucune association de pêcheurs.

Modifications importantes apportées au bateau

Figure 2. Rallonge arrière du Charlene A (Source : BST)
Rallonge arrière du Charlene A (Source : BST)

Une « modification importante » est définie comme une modification ou une réparation, ou une série de modifications ou de réparations qui changent considérablement la capacité ou les dimensions d’un navire ou la nature d’un système à bord d’un navire, qui a une incidence sur son étanchéité à l’eau ou sa stabilitéNote de bas de page 13. En vertu du RSBP, lorsqu’une telle modification est faite, le représentant autorisé et le capitaine doivent veiller à ce que la stabilité du bateau fasse l’objet d’une évaluation complète ou simplifiée, selon les exigences. Si la stabilité du bateau est soumise à une évaluation complète, il faut produire un livret de stabilité. S’il s’agit d’une évaluation simplifiée, il faut produire un registre de stabilité.

Les lignes directrices de TC sur les modifications importantes apportées à un bateau indiquent que l’ajout d’une rampe arrière permanente, comme la rallonge et le pavois à charnières installés sur le Charlene A, changera la position du centre de gravité du bateauNote de bas de page 14.

Le capitaine du Charlene A a modifié l’arrière du bateau à l’été 2018 en installant une rallonge arrière comprenant un pavois à charnières (figure 2). Le pavois s’ouvrait en l’abaissant, faisant office de sortie à l’arrière pour descendre les casiers. Cette rallonge augmentait la longueur du bateau. De plus, l’entassement des casiers sur le pont a eu pour effet d’altérer la stabilité et l’assiette initiales et l’ouverture du pavois a eu pour effet d’amenuiser la protection du tableau pour empêcher l’eau d’entrer par l’arrière.

Avant d’installer la rallonge et le pavois, le capitaine n’a pas déterminé si les réserves de stabilité du bateau étaient suffisantes pour que les modifications soient sécuritaires. Une fois le bateau modifié, sa stabilité n’a pas été évaluée. Aucun registre de stabilité n’a été préparé, comme l’exige le RSBPNote de bas de page 15, et aucun formulaire Historique des modifications du bateau de pêche n’a été rempli.

Messages de sécurité

En vertu du RSBP, il incombe au capitaine et au représentant autorisé d’un bateau de pêche de s’assurer que le bateau est conforme aux exigences réglementaires et exigences de sécurité applicables. Si les bateaux sont modifiés, mais que leur stabilité n’est pas évaluée, les changements profonds aux caractéristiques de stabilité susceptibles de menacer la sécurité du bateau peuvent échapper à l’attention des capitaines, représentants autorisés et membres d’équipage.

Il est important que les capitaines, représentants autorisés et membres d’équipages de bateaux de pêche s’informent des modifications à la réglementation et de la publication de guides s’appliquant à leur bateau. Les capitaines et autres marins peuvent s’abonner à la liste de diffusion des Bulletins de la sécurité des navires ou se rendre sur le site Web de TC pour y accéder et obtenir cette information.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le