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Rapport d'enquête maritime M18P0073

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Naufrage et perte de vie
Bateau de pêche Western Commander
Entrée Dixon, îles Triple (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Le bateau

Le Western Commander, un bateau de pêche en bois de 22,37 m de longueur réglementaire et de 99,69 tonneaux de jauge brute, a été construit en 1943 à New Westminster (Colombie-Britannique). Les événements suivants font partie des 75 ans d'historique du bateau :

L'équipage

En vertu des règlements de TCNote de bas de page 2 , le Western Commander devait avoir un document sur l'effectif minimal de sécurité. Ce document précise l'effectif minimal du navire et les niveaux de certification requis pour exercer en toute sécurité le quart à la passerelle et les fonctions d'urgence. Il ne prend pas en considération le nombre de membres d'équipage requis pour les activités d'exploitation ni les effets de ces activités sur les exigences concernant le quart à la passerelle.

TC a délivré un document sur l'effectif minimal de sécurité pour le Western Commander le 15 janvier 2018, spécifiant un effectif minimal de 3 membres d'équipage : 1 capitaine de pêche, quatrième classe et 2 matelots. Le Règlement sur le personnel maritime exige que 2 personnes assurent la veille depuis la timonerie pendant les heures d'obscurité. Dans les faits, le Western Commander naviguait souvent avec seulement 1 personne de veille la nuit.

Le capitaine était titulaire d'un brevet de capitaine de pêche, quatrième classe, d'un certificat médical et d'un certificat de fonctions d'urgence en mer (FUM). L'officier de pont était titulaire d'un brevet de service d'officier de pont de quart de bateau de pêche de moins de 24 m valide, d'un certificat médical et d'un certificat FUM.

La capitaine et l'officier de pont comptaient de nombreuses années d'expérience de la pêche. Le matelot de pont avait déjà travaillé sur un bateau transporteur d'oursins.

Le voyage

Au cours des premiers jours d'avril 2018, le capitaine et le matelot de pont ont procédé aux préparatifs et se sont familiarisés avec le Western Commander avant de prendre la mer. Au cours des préparatifs, le capitaine et le matelot de pont ont constaté que de l'eau s'infiltrait dans la cambuse au point d'entrée de l'arbre du gouvernail dans la coque. Ils en ont informé le propriétaire. L'eau qui pénétrait dans la cambuse s'écoulait dans le tunnel d'arbreNote de bas de page 3 , qui abritait 2 pompes électriques automatiques. Au moment du repérage de l'infiltration, les pompes réussissaient à évacuer l'eau et à assécher la cambuse. L'équipage a prévu de surveiller l'infiltration d'eau durant le voyage.

Le 4 avril, le Western Commander a quitté Port Edward à destination du bras Nesto du côté ouest de l'île Graham afin de charger des oursins pour les transporter à Port Edward (figure 1). L'équipage était composé du capitaine, d'un officier de pont et d'un matelot de pont. Il s'agissait de leur première sortie pour transporter des oursins à bord du Western Commander.

Figure 1. Secteur du voyage de l'événement à l'étude (Source : Service hydrographique du Canada et Google Earth, avec annotations du BST)
Secteur du voyage de l'événement à l'étude

Légende :

  1. Port Edward
  2. Passage Parry
  3. Île Frederick
  4. Île Hippa
  5. Bras Nesto
  6. Port Louis
  7. Pointe Rose
  8. Lieu de l'événement

Le bateau était affrété par des acheteurs d'oursins et devait transporter des oursins de 11 pêcheurs différents. Dans cette pêche, des plongeurs vont chercher les oursins sur le fond marin et les conservent temporairement sur leur bateau de plongée jusqu'à leur livraison à un navire de transport qui les livre aux acheteurs au port. La pêche, le transport et la livraison des oursins doivent se faire rapidement puisqu'il s'agit d'un produit périssable. Afin de minimiser les délais, les pêcheurs communiquent régulièrement avec les navires de transport dès le début de la pêche.

Au moment du départ, un avertissement de tempête était en vigueur, du 4 avril en soirée jusqu'au lendemain matin. Le 5 avril, les conditions environnementales se sont détériorées : les vents ont augmenté jusqu'à 40 à 50 nœuds, et les vagues, à 4 m. Le bateau a jeté l'ancre dans le passage Parry, une zone protégée à l'extrémité nord de l'île Graham. Pendant que le bateau était au mouillage, l'équipage a rempli d'eau les 2 cales à poisson avant afin d'avoir le ballast nécessaire pour affronter les mauvaises conditions de la mer attendues durant la suite du voyage du côté ouest de l'île Graham.

Le bateau est demeuré à l'ancre dans le passage Parry tout le reste de la journée et toute la nuit. Les mauvaises conditions environnementales ont aussi retardé la pêche des oursins. Le matin du 6 avril, l'avertissement de tempête était devenu un avis de coup de vent, avec des vents du sud-est de 30 à 40 nœuds. Les vents devaient faiblir au cours de la soirée et de la nuit et tourner au nord le lendemain matin.

Tandis que le Western Commander poursuivait son voyage pour se rapprocher des pêcheurs, la mer était forte, avec des vagues de 3 à 4 m. Le capitaine, par peur d'endommager le navire avec le poids additionnel de l'eau dans les cales à poisson avant et le mauvais état de la mer, a réduit la vitesse du navire à 2 à 3 nœuds.

Quelques heures plus tard, une alarme a retenti pour indiquer la présence d'eau dans la cambuse. Le navire était à l'abri derrière l'île Frederick, et l'équipage a utilisé la pompe hydraulique de la salle des machines pour assécher la cambuse. Le Western Commander a repris son voyage et, juste avant son arrivée dans le secteur de l'île Hippa et du bras Nesto, ses 2 cales à poisson avant ont été asséchées. Avant de jeter l'ancre pour la soirée, le capitaine a inspecté la cambuse et a constaté que l'infiltration d'eau venant de l'arbre du gouvernail s'était accentuée.

À un certain moment au cours des 2 jours suivants, le navire a heurté le fond. L'équipage n'a décelé aucun autre point d'infiltration d'eau immédiatement après le contact avec le fond.

Le 7 avril, compte tenu des prévisions météorologiques favorables à long terme, les plongeurs ont signalé que la pêche avait commencé dans les eaux à proximité de l'île Hippa, de Port Louis et du bras Nesto. Plus tard le même jour, l'équipage du Western Commander a commencé à charger des sacs d'oursins. À la fin de la journée, le navire était partiellement chargé. Le capitaine a constaté que l'infiltration d'eau venant de l'arbre du gouvernail avait encore pris de l'ampleur. Il fallait alors pomper l'eau toutes les 4 heures afin que la cambuse demeure sèche.

Le lendemain, le Western Commander s'était déplacé dans le secteur de Port Louis et les derniers sacs d'oursins ont été chargés dans les 2 cales à poisson avant et dans la cale à poisson bâbord arrière. Certains sacs restant à être chargés étaient trop gros pour être placés dans la cale à poisson tribord arrière. Ils ont été empilés sur le pont arrière. Les panneaux d'écoutille des cales à poisson arrière ont été verrouillés et recouverts d'une bâche. À cause du chargement inégalement distribué, le navire gîtait sur bâbord. On a décentré la corne de charge à tribord pour contrer l'angle de gîte sur bâbord.

Après le chargement des sacs, tard en soirée, le navire est immédiatement parti en direction de Port Edward. À ce moment, il fallait pomper l'eau hors de la cambuse toutes les 2 heures. L'assèchement demandait environ 1 heure. Selon les prévisions météo, les vents du sud-est devaient augmenter, et un avis de coup de vent avait été émis pour l'après-midi suivant.

Tandis que le bateau se dirigeait vers le passage Parry, les vents du sud-est étaient légers, donnant des conditions de mer agitée. Lorsque le bateau a atteint la pointe Rose, des vents de 20 à 30 nœuds soufflaient du sud-est, l'état de la surface de la mer était confus et les vagues frappaient le navire par le travers. Le capitaine a choisi un itinéraire plus favorable, zigzaguant en traversant le détroit d'Hecate pour réduire les effets de la houle de travers.

Le 9 avril, vers 9 hNote de bas de page 4 , l'officier de pont, qui était de quart, a observé que le bateau ne se redressait pas complètement lorsqu'il donnait de la bande sous l'effet de la houle. L'eau passait par-dessus la rambarde bâbord et demeurait sur le pont. Le bateau gîtait sur bâbord. À un moment, de l'eau est entrée dans la cale à poisson bâbord avant. Afin de réduire l'angle de gîte, le capitaine a commencé à pomper l'eau de la cale à poisson bâbord avant et a déplacé la corne de charge le plus loin possible à tribord. L'angle de gîte a toutefois continué à s'accentuer.

À 9 h 45, le capitaine a lancé un message de détresse (Mayday) et a demandé de l'aide. Peu après, les Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Prince Rupert ont relayé le signal de détresse et des navires de la Garde côtière canadienne (GCC), ainsi que le navire de la division 64 de la Royal Canadian Marine Search and Rescue (RCM-SAR 64), ont été dépêchés vers le bateau de pêche. Le capitaine et le matelot de pont ont quitté la timonerie pour trouver et revêtir leur combinaison d'immersion ainsi que pour préparer le radeau de sauvetage. L'officier de pont est demeuré dans la timonerie, tentant de revêtir sa combinaison d'immersion, mais il a eu une urgence médicale.

À 9 h 55, le matelot de pont est retourné dans la timonerie et a trouvé l'officier de pont frappé d'incapacité. Le capitaine a immédiatement signalé l'urgence médicale aux SCTM. En attendant l'aide, le matelot de pont tentait de réconforter l'officier de pont et surveillait ses signes vitaux. Le capitaine essayait d'accomplir diverses tâches seul : communiquer avec les SCTM et le propriétaire du bateau; vaquer aux tâches de la salle des machines; pomper l'eau; surveiller si d'autres parties du bateau se remplissaient d'eau; et maîtriser le bateau.

À 10 h 51, le premier navire de la GCC, le Cape Dauphin, est arrivé sur les lieux. Le Western Commander gîtait toujours à bâbord (figure 2). L'équipage de la GCC a stabilisé l'officier de pont et l'a transféré à bord du navire de la RCM-SAR 64, qui est parti pour le transporter à Prince Rupert à 11 h 20. À 12 h 12, le RCM-SAR 64 est arrivé à Prince Rupert et l'officier de pont a été confié aux services d'urgence santé. Son décès a été constaté à son arrivée à l'hôpital.

Figure 2. Le Western Commander gîtant à bâbord
Le Western Commander gîtant à bâbord

L'équipage du navire de la GCC a offert des pompes additionnelles, mais le capitaine l'a informé que l'eau entrait maintenant dans la salle des machines par la porte de la cuisine. Le capitaine et le matelot de pont ont alors abandonné le Western Commander et sont montés à bord du Cape Dauphin.

À 12 h 15, le Western Commander a coulé par 54°21.85′ N, 131°02.84′ W.

Messages de sécurité

Pratiques de chargement

Chacun des 11 pêcheurs qui apportait des oursins au Western Commander utilisait des sacs de tailles et de formes différentes à différents moments durant les 2 jours de pêche. Certains des sacs chargés sur le bateau à la fin de cette période ne passaient pas dans les écoutilles et ont été empilés sur les panneaux d'écoutille, sur une hauteur d'environ 1 m. Les sacs empilés sur les panneaux d'écoutille bloquaient l'accès aux cales à poisson et à la cambuse et empêchaient l'équipage de repérer les points d'infiltration d'eau ou d'ajouter des pompes portatives dans ces endroits. Les sacs empilés sur les panneaux d'écoutille ont aussi élevé le centre de gravité du bateau et créé des circonstances favorables aux déplacements du chargement, ce qui pouvait nuire à la stabilité du bateau.

L'enquête n'a pas permis de déterminer comment l'eau est entrée dans la cale à poisson bâbord avant ou si les pratiques de chargement ont nui à la stabilité du bateau au point de contribuer au naufrage.

Le bateau avait un manuel de stabilité sur la pêche et le transport du hareng, mais il ne correspondait pas à la configuration du bateau à ce moment-là ni à son utilisation pour le transport du hareng. Dans l'événement à l'étude, comme le bateau transportait des oursins, un manuel de stabilité n'était pas obligatoire.

Au cours des 5 dernières années, le BST a mené des enquêtes sur des événements où des problèmes de stabilité ont causé 21 décès accidentels. Dans la plupart des cas, les accidents étaient en partie attribuables au fait que les exploitants de navires de pêche n'avaient pas d'information sur la stabilité de leur navire ou que l'information sur la stabilité n'était pas à jour.

À la suite d'un de ces événementsNote de bas de page 5 , le BST a émis une recommandationNote de bas de page 6 demandant que TC corrige la lacune liée aux renseignements pertinents sur la stabilité des navires de pêche. TC a proposé de fournir aux propriétaires des modèles d'avis de stabilitéNote de bas de page 7 , des lignes directrices et des indications sur la façon d'utiliser les modèles, et de réaffirmer l'importance des livrets de stabilité lors des inspections. Ces mesures devraient accroître la probabilité que les exploitants de navires de pêche aient accès à des renseignements sur la stabilité qui sont à jour, compte tenu du bateau et de ses activités d'exploitation, et qui sont présentés de façon conviviale. Le Bureau estime que la réponse à cette recommandation dénote une intention satisfaisanteNote de bas de page 8 .

Le chargement et l'arrimage des prises (p. ex., oursins et hareng) doivent se faire en fonction de renseignements à jour sur la stabilité de chaque navire afin d'éviter certains dangers, comme une répartition inégale du poids, le déplacement de la marchandise et le blocage des accès à des parties critiques du navire.

Gestion des risques

Afin que les navires de pêche puissent naviguer en sécurité, il est important que leurs propriétaires et leurs équipages adoptent des procédures d'exploitation sûres qui permettent de cerner les dangers et d'y remédier. Ces procédures, qui sont exigées par les règlements tant provinciaux que fédéraux, peuvent aider les équipages à prendre des décisions éclairées dans toutes les conditions d'exploitation.

Dans l'événement à l'étude, les facteurs suivants ont possiblement eu des effets négatifs sur la traversée sécuritaire du navire :

Comme l'équipage ne comptait que 3 membres et compte tenu de la nécessité de transporter les oursins rapidement, il était difficile d'assurer un quart à la passerelle et un horaire de travail et de repos adéquats. Ces éléments ont pu avoir des effets négatifs sur la traversée sécuritaire du navire.

Même si le capitaine a reconnu certains dangers et a pris des mesures pour les atténuer (p. ex., les dommages possibles au navire causés par le mauvais temps), cet événement met en évidence la nécessité d'adopter des procédures d'exploitation sûres pour mieux cerner les risques dans tous les aspects de l'exploitation et y remédier.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .