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Rapport d'enquête ferroviaire R16W0242

Mouvement non contrôlé, collision et déraillement
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de ballast BAL-27 et
train de marchandises 293-28
Point milliaire 138,70, subdivision de Weyburn
Estevan (Saskatchewan)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 29 novembre 2016, vers 5 h 15, heure normale du Centre (HNC), un train du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) roulant en direction sud, le train de ballast BAL-27, est parti à la dérive sur la voie d'évitement à Estevan (Saskatchewan) et a heurté un wagon du train de marchandises 293-28 du CP se dirigeant vers le nord, qui était immobilisé sur la voie principale au point milliaire 138,70 environ de la subdivision de Weyburn du CP. La locomotive du train de ballast BAL-27 a été endommagée, tandis que 1 wagon du train de marchandises 293-28 a déraillé et subi de légers dommages. Il n'y a eu aucun déversement de marchandises dangereuses ni aucune blessure.

1.0 Renseignements de base

Le 28 novembre 2016, une équipe de train du CP appelée à 18 h 30Note de bas de page 1 a pris son service à 20 h 30 à Moose Jaw (Saskatchewan) pour assurer la conduite du train de ballast BAL-27 en direction sud (train BAL-27) sur la subdivision de Weyburn jusqu'à North Portal, en Saskatchewan (figure 1). Le train BAL-27 était formé de 1 locomotive (CP 2275), 55 wagons-trémies découverts vides servant au transport de ballast et 1 véhicule d'entretien de la voie. Selon le bulletin de composition, le train pesait 1800 tonnes courtes et mesurait 2640 pieds de long.

Figure 1. Lieu de l'accident
Lieu de l'accident

L'équipe du train BAL-27 était composée d'un mécanicien de locomotive (ML) et d'un chef de train. Chacun d'eux comptait au moins 20 années d'expérience. Ils s'étaient levés vers 10 h le 28 novembre 2016, après une bonne nuit de sommeil. Le ML avait fait une courte sieste dans la journée, mais pas le chef de train. Les membres de l'équipe connaissaient bien le territoire, répondaient aux normes d'aptitude au travail et de repos lorsqu'ils se sont présentés pour le service et étaient qualifiés pour leur poste respectif.

Le train BAL-27 a quitté Moose Jaw vers 23 h 15. En cours de route, l'équipe a eu de la difficulté à maintenir la vitesse maximale autorisée de 50 mi/h sur la voie, le train réagissant comme s'il était plus lourd que le poids indiqué sur le bulletin de composition. Le train a maintenu une vitesse moyenne d'environ 35 mi/h tout au long de son parcours. Avant son arrivée à Estevan (Saskatchewan), le train BAL-27 a dû libérer la voie principale et occuper une voie d'évitement à 4 endroits pour céder le passage à 4 trains roulant en direction nord.

Le 29 novembre 2016, le train de marchandises 293-28 du CP (train 293) roulant en direction nord a été commandé à 3 h à North Portal, qu'il a quitté vers 4 h 30. Le train 293 était formé de 2 locomotives, 24 wagons chargés et 101 wagons vides. Il pesait 6363 tonnes et mesurait 8981 pieds de long.

1.1 L'accident

Vers 4 h 40, le train BAL-27 est entré dans la voie d'évitement à Estevan à partir de l'aiguillage nord et a roulé en direction sud sur la voie d'évitement. Alors qu'il approchait de l'extrémité sud de la voie d'évitement, le ML a manœuvré le manipulateur de vitesse et utilisé le frein automatique pour ralentir son train. Au moment où le train BAL-27 s'immobilisait, le ML s'est également servi du frein indépendant pour garder le train en extension lors de l'arrêt. Vers 4 h 45, le train BAL-27 s'est immobilisé, juste à l'écart du point d'obstruction de la voie principale à l'extrémité sud de la voie d'évitement. Le train BAL-27 est resté immobilisé dans la voie d'évitement, freins indépendant et automatique serrés à fond, pendant que l'équipe attendait l'arrivée du train 293 roulant en direction nord (figure 2). L'équipe s'est préparée à effectuer une surveillance du train 293 à son passage, en conformité avec le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC)Note de bas de page 2 et les Instructions générales d'exploitation de la compagnieNote de bas de page 3.

Figure 2. Plan du lieu montrant le train BAL-27 dans la voie d'évitement et le train 293 roulant en direction nord sur la voie principale
Plan du lieu montrant le train BAL-27 dans la voie d'évitement et le train 293 roulant en direction nord sur la voie principale

Le chef de train a quitté la cabine pour aller déneiger l'aiguillage sud de la voie d'évitement, pendant que le ML est resté dans la cabine de la locomotive.

Vers 5 h 10, alors que le train 293 approchait d'Estevan, les membres de l'équipe de ce train ont envoyé un message radio alors qu'ils se trouvaient à environ 1 mille de l'aiguillage sud de la voie d'évitement à Estevan. En entendant le message, le chef de train du BAL-27 a cessé de déneiger l'aiguillage sud de la voie d'évitement et s'est posté sur le côté ouest de la voie principale pour surveiller le côté ouest du train 293 à son passage. À peu près au même moment, le ML du train BAL-27 s'est levé de son siège à côté du pupitre de commande, est sorti de la cabine et s'est placé sur le côté est de la voie principale pour surveiller le côté est du train 293 à son passage.

Au passage du train 293, le ML du train BAL-27 est retourné à la cabine de la locomotive CP 2275 pour des raisons personnelles. Une fois dans la cabine, en s'introduisant entre le pupitre de commande et le siège pour prendre un papier essuie-tout (figure 3) sur la console de la locomotive, le ML a involontairement déplacé la poignée du frein automatique à la position de desserrage. Ne s'étant pas rendu compte que la poignée du frein automatique était à la position de desserrage, le ML est sorti de la cabine de sa locomotive pour effectuer la surveillance du train qui passait.

Figure 3. Plan de la cabine de locomotive
Plan de la cabine de locomotive

Le train 293 venait tout juste de s'arrêter avec sa tête au sud de l'aiguillage nord de la voie d'évitement pour permettre à son équipe de remettre l'aiguillage à sa position normale (c.-à-d. orienté pour la voie principale). Comme le train 293 était plus long que la voie d'évitement, sa queue en occupait l'aiguillage sud et le passage à niveau public de l'avenue Kensington.

À 5 h 12 min 55 s, le frein automatique du train BAL-27 s'est desserré; le train n'était alors retenu que par le frein indépendant de la locomotive. Environ 2 minutes plus tard, le train BAL-27 s'est mis en mouvement en direction sud à une vitesse de 1 mi/h. À ce moment-là, le ML ne regardait pas en direction du train BAL-27 et n'a pas remarqué pas qu'il bougeait. Lorsqu'il s'en est aperçu, il est immédiatement monté à bord de la locomotive, est entré dans la cabine et a déclenché un freinage d'urgence à 5 h 16 min 11 s. Cependant, le train BAL-27 a poursuivi son mouvement jusqu'à ce que sa locomotive CP 2275 heurte le 92e wagon (wagon-tombereau vide CP 355005) du train 293 et en soulève légèrement les roues au‑dessus du rail. À 5 h 16 min 18 s, le train BAL-27 s'est immobilisé. Le wagon CP 355005 du train 293 et la locomotive CP 2275 du train BAL-27 ont été légèrement endommagés.

Au moment de l'événement à l'étude, il faisait moins −4 °C, il y avait de la poudrerie et les vents soufflaient du nord-ouest jusqu'à 40 km/h. Les rails étaient partiellement recouverts de neige.

1.2 Après l'accident

Après l'accident, l'équipe du train BAL-27 a signalé la collision au contrôleur de la circulation ferroviaire. Elle est demeurée sur les lieux jusqu'à l'intervention de responsables du CP et d'équipes d'entretien. Une fois sur place, la compagnie de chemin de fer a commencé son enquête sur l'événement à l'étude. De plus, des employés des services d'ingénierie et de mécanique du CP ont inspecté la voie et les deux trains.

Vers 9 h 15, on a autorisé la séparation des deux trains. On a demandé aux membres de l'équipe du train BAL-27 de reculer leur train dans la voie d'évitement pour dégager la voie principale et permettre au train 293 de repartir. Le mouvement de marche arrière exigeait un soin particulier, étant donné que le wagon déraillé du train 293 (CP 355005) était retenu par la locomotive CP 2275 du train BAL-27. Il a fallu ramener lentement le train BAL-27 contre le train 293 pour séparer les 2 trains.

Le mouvement de marche arrière du train BAL-27 a eu lieu à 9 h 16, soit quelque 12,75 heures après la prise de service (20 h 30) de l'équipe et environ 4 heures après la collision. Le mouvement a duré 1 minute 10 secondes et le train s'est déplacé sur une distance totale de 95 pieds. Une fois les trains séparés, les roues du wagon CP 355005 se sont posées à nouveau sur le champignon du rail en toute sécurité. Le train 293 a poursuivi sa route vers le nord jusqu'à Moose Jaw.

Après avoir terminé le mouvement de marche arrière, l'équipe du train BAL-27 a immobilisé son train dans la voie d'évitement à Estevan. L'équipe a terminé son travail à 9 h 30 environ. Ses membres ont été alors transportés en taxi jusqu'à Moose Jaw et ont quitté leur service à 14 h 15.

1.3 Renseignements consignés

Le tableau 1 présente un résumé des événements enregistrés par le consignateur d'événements de locomotive du train BAL-27.

Tableau 1. Résumé des événements
Heure Point milliaire Événement
4 h 10 min 0 s à 4 h 22 min 34 s 123,2 à 130,0 Avec le manipulateur à la position 8, le train BAL-27 roulait à une vitesse comprise entre 29 et 41 mi/h (la vitesse maximale autorisée sur la voie est de 50 mi/h).
4 h 33 min 23 s 136,0 Utilisation du frein rhéostatique à l'approche d'Estevan en vue de l'arrêt à l'aiguillage nord de la voie d'évitement
4 h 34 min 21 s 136,5 Serrage minimum du frein automatique
4 h 37 min 3 s à 4 h 37 min 17 s 137,4 Utilisation du frein indépendant durant 14 secondes pour décélérer de 3 mi/h jusqu'à l'arrêt
4 h 39 min 11 s 137,4 Le train BAL-27 a commencé à s'engager sur la voie d'évitement à Estevan.
4 h 41 min 12 s à 4 h 41 min 16 s 137,7 Léger serrage du frein indépendant (vitesse de 19 mi/h)
4 h 43 min 17 s à 4 h 43 min 19 s 138,3 Léger serrage du frein indépendant (vitesse de 16 mi/h)
4 h 45 min 29 s à 4 h 45 min 33 s 138,6 Léger serrage du frein indépendant (vitesse de 3 mi/h)
4 h 45 min 36 s 138,6 Léger serrage du frein indépendant jusqu'à l'arrêt
4 h 45 min 41 s 138,643 Le train BAL-27 s'est immobilisé, les freins automatique et indépendant serrés à fond.
5 h 12 min 55 s 138,643 Il y a eu desserrage du frein automatique du train BAL-27 et la pression d'air dans la conduite générale (pression CG) a commencé à augmenter à partir de 61 lb/po2.
5 h 15 min 11 s 138,643 Le train BAL-27 s'est mis en mouvement et a accéléré jusqu'à la vitesse de 1 mi/h; la pression d'air était de 87 lb/po2 dans la conduite générale (frein automatique complètement desserré à 90 lb/po2).
5 h 16 min 11 s 138,658 Le ML a déclenché un freinage d'urgence.
5 h 16 min 18 s 138,659 Le train BAL-27 s'est arrêté après être entré en collision avec le train 293, qui était stationnaire.

Une fois qu'il s'est mis en roulement, le train a parcouru 70 pieds en 1 minute (c.-à-d. une vitesse moyenne de 0,80 mi/h) avant le déclenchement du freinage d'urgence par le ML. Le train a avancé de 10 pieds de plus après le serrage du freinage d'urgence et s'est arrêté lorsqu'il a heurté le train 293.

Un enregistrement vidéo par la caméra orientée vers l'avant du train 293 a permis de confirmer un certain nombre d'événements. Cependant, en l'absence d'enregistreurs embarqués (enregistreurs audio et vidéo de locomotive) sur le train BAL-27, il n'a pas été possible de vérifier entièrement les circonstances exactes liées au desserrage involontaire du frein automatique. 

1.4 Renseignements sur la subdivision

La subdivision de Weyburn est formée d'une voie principale simple s'étendant vers le sud, depuis Moose Jaw (point milliaire 0,0) jusqu'à la frontière internationale avec les États-Unis à North Portal (point milliaire 160,80). Les mouvements de train dans cette subdivision sont régis par le système de régulation de l'occupation de la voie, autorisé par le REFC et supervisé par un contrôleur de la circulation ferroviaire en poste à Calgary (Alberta). En régulation de l'occupation de la voie, les voies ne sont pas signalisées. La voie appartient à la catégorie 4, selon le Règlement sur la sécurité de la voie (RSV) approuvé par Transports Canada (TC), et la vitesse autorisée est de 50 mi/h. Au moment de l'événement à l'étude, le trafic ferroviaire était en moyenne d'environ 12 trains par jour.

La voie d'évitement à Estevan est parallèle et à l'est de la voie principale dans la municipalité d'Estevan, entre les points milliaires 137,4 et 138,7. Il y a une pente descendante de 0,1 % (du nord au sud) à l'extrémité sud de la voie d'évitement.

1.5 Locomotives d'Electro-Motive Diesel

La locomotive CP 2275 est un engin moteur GP20C-ECO reconstruitNote de bas de page 4 par Electro-Motive Diesel (EMD), acquis par Progress Rail Services Corporation, une filiale de Caterpillar Inc. La locomotive CP 2275 répondait aux normes améliorées de résistance à l'impact pour les locomotives.

Entre 2013 et 2015, le CP a acheté un total de 130 locomotives GP20C-ECO et un certain nombre de locomotives EMD SD30C-ECO. Au moment de l'événement à l'étude, le parc de traction du CP comptait au total 130 locomotives GP20C-ECO et 50 locomotives SD30C-ECO.

Les locomotives GP20C-ECO sont des engins d'une puissance de 2000 hp et d'un poids de 276 000 livres, dotés d'un système de freinage commandé par ordinateur (CCB II) fabriqué par l'entreprise New York Air Brake (NYAB). La locomotive CP 2275 a été construite en juillet 2015 et était équipée aussi d'une protection par ralenti accéléré, fonction qui augmente automatiquement le régime moteur et le bruit du moteur si la température de l'eau de refroidissement chute sous une certaine valeur.

Les caractéristiques des locomotives doivent se conformer aux normes de l'Association of American Railroads (AAR), telles qu'elles sont indiquées dans son Manual of Standards and Recommended Practices. Les locomotives doivent également se conformer aux règlements et règles applicables de la Federal Railroad Administration et de TC.

À l'achat de locomotives, les chemins de fer présentent normalement au constructeur une liste de leurs propres caractéristiques de fonctionnement. Pour chaque type de locomotive, les constructeurs possèdent leurs propres spécifications de vente plus générales. La protection contre la dérive par le dispositif de veille automatique (RSC) (en abrégé ci-après : « protection-RSC contre la dérive ») faisait partie des spécifications de vente du constructeur. EMD établissait à 0,5 mi/h la vitesse à laquelle la protection contre la dérive était activée, ce qui concordait avec la majorité des locomotives du CP.

Depuis 2009, la plupart des locomotives EMD nouvelles et reconstruites, y compris les GP20C-ECO et les SD30C-ECO, sont équipées du système FIRE (Functionally Integrated Railroad Electronics), un logiciel normalisé d'intégration de l'électronique de locomotive. L'activation de la protection-RSC contre la dérive constituait un des éléments électroniques de locomotive commandés par le système FIRE. Pour déterminer le moment où doit être activée la protection-RSC contre la dérive, le système surveille la vitesse du train au moyen de la génératrice d'essieu et amorce un freinage compensateur quand la vitesse du train atteint la vitesse programmée. La vitesse à laquelle la protection contre la dérive est activée à l'intérieur du système FIRE des locomotives EMD a été programmée en usine à 2,5 mi/h.

1.5.1 Essais d'acceptation des locomotives d'Electro-Motive Diesel par le Chemin de fer Canadien Pacifique

Avant d'accepter des locomotives achetées du constructeur, le CP effectuait des essais sur un échantillon de locomotives lors de leur livraison. Les essais comprenaient une inspection à pied autour de l'engin pour en vérifier l'aspect général, une inspection visuelle de ses composants, un test de mise sous tension des ordinateurs embarqués et des composants électriques, un essai de charge et un essai du système de freinage. De plus, certaines locomotives étaient testées sur une courte voie d'essai, s'il y en avait une de disponible.

Au cours de l'essai du système de freinage, on vérifiait le RSC en desserrant les freins et en exécutant, locomotive arrêtée, des tests de temporisation du RSC. Cependant, le CP n'a pas fait d'essais portant expressément sur la vitesse à laquelle est activée la protection-RSC contre la dérive.

1.6 Freins à air d'un train

Les locomotives sont équipées de 2 systèmes de frein à air : automatique et indépendant. Le système de frein automatique serre les freins sur chaque véhicule remorqué et chaque locomotive dans le train; il est normalement utilisé au cours de la marche du train pour le ralentir et l'arrêter. Chaque locomotive est aussi munie d'un système de frein indépendant, qui serre les freins à air seulement sur elle. Le frein indépendant n'est pas utilisé en général pendant la marche du train, mais principalement comme frein de stationnement, parfois de concert avec le frein à main.

1.6.1 Frein automatique

Le système de frein automatique d'un train est alimenté par l'air provenant de compresseurs situés sur chaque locomotive en service. L'air est emmagasiné dans le réservoir principal de la locomotive. Ce réservoir alimente à une pression d'air d'environ 90 lb/po2 une conduite générale établie tout le long du train et reliant entre eux chacun des véhicules. Tout changement de la pression d'air à un taux de dépression approprié dans la conduite générale active le serrage des freins à air de tout le train.

Quand un serrage du frein automatique est nécessaire, le ML déplace la poignée du frein automatique à la position souhaitée. Cette action expulse de l'air de la conduite générale. Sur chaque véhicule remorqué, quand le distributeur détecte une baisse suffisante de pression, un réservoir auxiliaire débite de l'air dans le cylindre de frein, ce qui permet de serrer les semelles de frein sur les roues.

Pour desserrer les freins, le ML déplace la poignée du frein automatique à la position de desserrage. Cette action permet de diriger l'air du réservoir principal vers la conduite générale, ce qui permet d'y rétablir la pression de 90 lb/po2. Détectant ce rétablissement de la pression, le distributeur de chaque wagon laisse s'échapper de l'air du cylindre de frein par le robinet de retenue, ce qui éloigne les semelles de frein des roues.

1.6.1.1 Freinage compensateur

Un freinage compensateur est semblable à un serrage normal à fond du frein automatique. Cependant, ce type de freinage réduit jusqu'à zéro la pression dans la conduite générale (CG), ce qui exige de réalimenter la conduite générale du train après l'arrêt. Ce type de freinage se produit quand le circuit de frein met en œuvre une « compensation », par exemple en cas d'activation de la protection-RSC contre la dérive. Ce freinage compensateur se distingue d'un freinage d'urgence en ce sens qu'il s'effectue à un taux qui ne vide pas le réservoir d'urgence de son air, mais produit un serrage normal à fond en utilisant seulement la pression du réservoir auxiliaire, la pression CG étant réduite à zéro.

1.6.2 Frein indépendant

Le frein indépendant lui aussi est alimenté par l'air provenant du réservoir principal. Sur les locomotives EMD GP20C-ECO, quand il faut serrer à fond le frein indépendant, le ML déplace la poignée du frein indépendant à la position de « serrage à fond », et le bâti d'équipements pneumatiques du CCB II réduit la pression à 27 lb/po2, ce qui fournit une pression d'air aux cylindres de frein de la locomotive. Cette action serre les semelles de frein seulement sur les roues de la locomotive.

Pour desserrer le frein indépendant, le ML déplace la poignée du frein indépendant à la position de desserrage. L'air est ainsi expulsé des cylindres de frein de la locomotive et les semelles de frein sont éloignées des roues de la locomotive.

1.7 Dispositif de veille automatique

Le dispositif de veille automatique (RSC) est un système de veille qui déclenche des alarmes, puis produit un freinage compensateur du frein automatique s'il n'est pas réarmé ou si les commandes ne sont pas manœuvrées dans un délai et un intervalle de réglage prédéterminés. Certains RSC ont été améliorés de façon à inclure une protection contre la dérive qui déclenche un freinage compensateur dans les circonstances suivantes : l'alimentation du RSC est coupée, la pression dans les cylindres de frein des locomotives est inférieure à 25 lb/po2 ou une vitesse d'activation prédéterminée est détectée.

En février 1986, après la collision ferroviaire survenue à Hinton (Alberta)Note de bas de page 5, on a désigné le juge René P. Foisy pour faire enquête sur l'accident. En réponse aux conclusions de l'enquête selon lesquelles la collision, très vraisemblablement, ne se serait pas produite si la locomotive de tête avait été équipée d'un RSC, il a été exigé que toutes les locomotives construites depuis 1986 soient dotées d'un tel équipement.

Extrait du Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer approuvé par TC :

13. Dispositif de veille automatique

13.1 Une locomotive de commande doit être équipée d'un dispositif de veille automatique qui, au minimum, provoquera un serrage normal à fond des freins et coupera tout l'effort de traction en cas d'inattention ou d'incapacité de la personne aux commandes de la locomotive.

13.2 Une locomotive de commande équipée d'un dispositif de veille automatique et d'une protection contre les dérives doit :

  1. être câblée de façon que le dispositif de veille automatique soit alimenté par l'entremise de l'interrupteur batterie à couteau ou d'un disjoncteur;
  2. respecter les exigences de la plus récente version du document « Manual of Standards and Recommended Practices (S-5513) » de l'Association of American Railroads; et
  3. amorcer le cycle de temporisation d'avertissement du dispositif de veille automatique et, par la suite, déclencher un freinage compensateur des freins à air du train dans l'une des situations suivantes :
    1. interruption du courant d'alimentation du dispositif de veille automatique;
    2. pression de moins de 25 lb/po² dans le cylindre de frein de la locomotive;
    3. détection d'une vitesseNote de bas de page 6.

Extrait du Manual of Standards and Recommended Practices de l'AAR, section M, Locomotives and Locomotive Interchange Equipment, norme S-5513, intitulée Locomotive Alerter Requirements [traduction] :

5.0 ACTIVATION ET ANNULATION DU DISPOSITIF D'ALERTE (« alerter »)Note de bas de page 7

5.1 Le dispositif d'alerte est activé dans l'une ou l'autre des situations suivantes :

  • la pression dans les cylindres de frein tombe sous 25 lb/po²
  • de la vitesse est détectée.

[…]

7.1 Pour assurer une protection contre la dérive, quand le système d'alerte passe d'un état d'annulation à un état d'activité, la première activation du cycle de temporisation d'avertissement donné par le dispositif d'alerte se produit à un intervalle d'environ 10 secondes […]

Le Manual of Standards and Recommended Practices de l'AAR, section M, Locomotives and Locomotive Interchange Equipment, norme S-591, intitulée Locomotive System Integration Operating Display, précise les exigences ci‑après pour les sons d'alarme émis par le dispositif d'alerte [traduction] :

son d'alarme de 10 secondes à amplification progressive, suivi d'un son de 10 secondes à amplitude constante.

Pour un RSC, après un cycle de temporisation de 10 secondes, la séquence normale des alarmes visuelles et auditives peut durer 20 secondes de plus avant qu'un freinage compensateur ne se produise. Cependant, en ce qui concerne la protection contre la dérive, si la pression dans les freins à air demeure supérieure à 25 lb/po2, le cycle total de 30 secondes pour le freinage compensateur ne commence qu'une fois la vitesse d'activation atteinte. Dans le cas de la locomotive de l'événement à l'étude (CP 2275), la vitesse d'activation de la protection contre la dérive était réglée à 2,5 mi/h.

1.7.1 Protection contre la dérive

Si un RSC intègre une protection contre la dérive, il déclenche le cycle de temporisation quand le système détecte la vitesse d'activation préréglée. Cependant, ni le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer ni le Manual of Standards and Recommended Practices de l'AAR ne définissent la vitesse à laquelle la protection contre la dérive devrait être activée.

Cette protection exige dans la conduite générale une pression d'air suffisante pour appliquer les freins. Au cours de l'enquête sur l'accident à Lac-MéganticNote de bas de page 8, pour étudier la relation entre la pression des freins à air et le serrage du frein automatique, on a évalué le système de frein à air d'un train d'essai constitué de locomotives et de wagons-citernes semblables au matériel roulant en cause dans l'événement. La protection contre la dérive était activée quand la pression dans la conduite générale tombait à 21 lb/po². Cependant, comme la faible pression CG était due à une fuite d'air, il n'y a pas eu de freinage compensateur.

L'application réussie d'un freinage compensateur dépend du niveau de pression dans la conduite générale et le réservoir auxiliaire, ainsi que du taux approprié de la dépression dans la conduite générale pour que les distributeurs détectent le serrage normal à fond des freins. Une pression CG basse peut se traduire par l'émission d'un signal faible pour le serrage des freins; par conséquent, il arrive parfois que les freins ne soient pas toujours serrés de façon régulière.

1.7.2 Essai du dispositif de veille automatique par le Chemin de fer Canadien Pacifique et l'Electro-Motive Diesel

En mai 2016, le CP a commencé à tester le RSC sur certaines locomotives et a demandé à EMD d'effectuer les mêmes essais sur les locomotives équipées du système d'alerte FIRE. Selon le CP, les essais découlaient du besoin de vérifier que la protection contre la dérive est activée conformément aux normes de l'AAR et de confirmer la vitesse à laquelle la protection est activée, celle-ci étant utilisée comme méthode secondaire d'immobilisation. Les essais ont montré que la protection contre la dérive sur les locomotives EMD équipées du système FIRE était activée quand une vitesse de 2,5 mi/h (et non 0,5 mi/h, comme l'indiquait la spécification du constructeur) était atteinte et quand la pression du frein indépendant baissait sous 25 lb/po2. Ils ont confirmé aussi que le cycle de temporisation d'avertissement de l'activation était d'environ 25 secondes (+/− 2 secondes).

Après les essais, ni le CP ni EMD n'ont exigé que des modifications soient apportées à la vitesse d'activation ou au délai d'activation. Le système RSC destiné à ces locomotives est resté « tel quel », même s'il n'était pas conforme aux spécifications d'EMD. Le CP n'a pas effectué d'évaluation des risques à la suite de ces essais. Comme méthode secondaire d'immobilisation conforme à la règle 112 du REFC, il a continué d'utiliser la protection-RSC contre la dérive sur les locomotives équipées d'un système FIRE.

1.7.3 Essais du dispositif de veille automatique par le Bureau de la sécurité des transports du Canada

Après l'accident, le BST a effectué des essais à Moose Jaw sur la locomotive en cause dans l'événement à l'étude ainsi que des essais à Smiths Falls (Ontario), sur 2 locomotives de la même série (les CP 2282 et CP 2266). Au cours de ces essais, les locomotives à l'étude ont été déplacées par une seconde locomotive pour simuler un mouvement non contrôlé.

En fonction de ces essais, il a été déterminé ce qui suit :

Le 20 décembre 2016, étant entendu qu'un mouvement de 0,5 mi/hNote de bas de page 9 aurait dû amorcer la séquence de freinage de protection contre la dérive, le BST a émis l'Avis de sécurité ferroviaire (ASF) 16/16 concernant l'activation de cette protection par le dispositif RSC sur certaines locomotives du CP. En se fondant sur les résultats des essais et les risques connus associés aux mouvements non contrôlés imputables à l'immobilisation d'un train, l'ASF a indiqué qu'il serait souhaitable que TC examine la fiabilité du RSC (y compris celle de la protection contre la dérive) sur les locomotives de la série CP 2200 et sur d'autres locomotives, le cas échéant, pour s'assurer que le RSC fonctionne toujours comme prévu et en conformité avec le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer approuvé par TC.

Le 22 décembre 2016, en réponse à l'ASF 16/16, TC a émis un arrêté ministériel (MO 16-07) enjoignant à toutes les compagnies de chemin de fer de :

  1. cesser l'utilisation du dispositif de veille automatique avec protection contre la dérive dans les locomotives Electro-Motive Diesel de modèles GP20 et GP30 comme autre dispositif d'immobilisation physique ou dispositif mécanique aux fins de la règle 112 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada jusqu'à ce qu'il soit déterminé que la protection contre la dérive fonctionne selon ses spécifications de conception; et
  2. cesser l'utilisation du dispositif de veille automatique avec protection contre la dérive dans tout modèle de locomotive comme autre dispositif d'immobilisation physique ou dispositif mécanique aux fins de la règle 112 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada, à moins que le dispositif de veille automatique avec protection contre la dérive soit d'abord mis à l'essai et qu'il soit déterminé que la protection contre la dérive fonctionne selon ses spécifications de conception.  Les essais doivent enregistrer la vitesse et le temps requis pour (i) l'activation du système de contrôle de sécurité, (ii) le retentissement du premier avertissement et (iii) l'initiation du serrage des freins.Note de bas de page 10

La lettre d'accompagnement de l'arrêté ministériel MO 16-07 ordonnait aux compagnies de chemin de fer de compétence fédérale de déposer auprès du ministre des Transports :

  1. une liste des modèles de locomotives en service équipées d'un dispositif de veille automatique avec protection contre la dérive et une liste des spécifications de conception du système d'ici le 23 janvier 2017; et
  2. dans les 30 jours suivant tout essai effectué conformément au point 2 de l'arrêté ministériel 16-07, le résultat de l'essai ainsi que le processus et la procédure suivis pour veiller à ce que le système fonctionne selon ses spécifications de conception.Note de bas de page 11

1.7.4 Réponse à l'arrêté ministériel de Transports Canada

En réponse au MO 16-07, 43 chemins de fer ont fait savoir qu'ils n'utilisaient pas la protection contre la dérive et n'étaient pas tenus de fournir les résultats des essais. Tous les autres chemins de fer qui utilisaient la protection contre la dérive comme méthode secondaire d'immobilisation ont procédé à des essais sur leurs parcs de locomotives.

Le tableau 2 contient un résumé des résultats fournis à TC par les compagnies de chemin de fer relativement aux vitesses entraînant l'activation de la protection contre la dérive.

Tableau 2. Résultats, fournis à Transports Canada, des essais sur la vitesse à laquelle est activée la protection contre la dérive
Vitesse d'activation de la protection contre la dérive Locomotives du CP
(1345 au total)
Locomotives du CN
(1906 au total)
Locomotives d'autres chemins de fer
(205 au total)
Pas équipée/disponible 55
0 mi/h 108 (2 à 2 mi/h en position Isolate*)
0,5 mi/h 854 (5 à 2 mi/h en position Isolate) 14 87 (48 à 2 mi/h en position Isolate)
1 mi/h 291 1306 10
2 mi/h 345
2,5 mi/h (système FIRE) 200 186

* Lorsque l'interrupteur de commande du moteur est placé à la position Isolate, c'est-à-dire que le régime moteur est maintenu au ralenti et que la locomotive ne peut développer de la puissance, la vitesse d'activation de la protection contre la dérive est augmentée de façon que le train puisse être poussé ou tracté à de petites vitesses pour le chargement du produit.

La vitesse à laquelle la protection contre la dérive est activée variait selon le modèle de la locomotive, du consignateur d'événements ou du RSC. Cependant, la plupart des locomotives EMD construites après 2009 étaient équipées d'un système FIRE pour lequel la protection contre la dérive était activée quand la vitesse atteignait 2,5 mi/h.

En fonction des résultats reçus par les chemins de fer, TC a déterminé que la protection contre la dérive pour les locomotives équipées du RSC fonctionnait comme prévu aussi longtemps qu'une séquence de freinage s'amorçait lorsque la pression du frein indépendant tombait sous 25 lb/po2 et que la fin de la temporisation satisfaisait aux normes (environ 30 secondes).

Comme aucune vitesse n'était établie dans le Manual of Standards and Recommended Practices de l'AAR ni dans le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemins de fer approuvé par TC, les chemins de fer pouvaient à nouveau utiliser la protection contre la dérive comme méthode secondaire d'immobilisation, pourvu que le système fonctionne en conformité avec ses spécifications de conception.

1.8 Effet de la neige et de la glace sur les freins de train

En hiver, le temps froid, la neige et la glace peuvent nuire à l'efficacité des freins à air et augmenter les distances de freinage. De la poudrerie peut s'accumuler sur les composants de frein, comme les semelles de frein. Dans ces conditions, lorsqu'un train roule depuis un certain temps et que ses freins à air sont serrés pour la première fois, leur efficacité peut se trouver diminuée par une accumulation de neige et de glace entre les semelles de frein et la table de roulement des roues.

En hiver, quand ils prévoient se servir des freins pour ralentir ou arrêter leur train (p. ex., à l'approche d'un triage ou d'une voie d'évitement), les mécaniciens de locomotive (ML) effectuent généralement de légers freinages pour chauffer les roues et les semelles de frein, de façon à y faire fondre les accumulations de neige et de glace. Ce conditionnement des roues et des semelles de frein aide à maintenir des forces de freinage plus normales. Après le desserrage des freins, les semelles de frein encore chaudes feront d'abord fondre la neige et la glace, qui se remettront ensuite à geler sous l'effet du refroidissement des semelles, et le cycle recommencera. Aux endroits où un ML sait qu'il devra compter sur un frein indépendant efficace, il le serrera légèrement pendant qu'il roule à de petites vitesses pour mettre les freins en état de service.

Dans l'événement à l'étude, le ML a procédé à un certain conditionnement du frein indépendant de sa locomotive. En s'arrêtant aux aiguillages nord et sud de la voie d'évitement, il a utilisé le frein indépendant pendant un total de 29 secondes sur une période de 8,5 minutes.

Les Instructions générales d'exploitation du CP présentent l'instruction ci-après pour le conditionnement des freins automatiques d'un train dans des conditions hivernales :

32.10 Conditions hivernales

A - Quand les conditions atmosphériques risquent de provoquer une accumulation de neige ou de glace entre les semelles de frein et la table de roulement des roues, il faut procéder périodiquement à des essais de frein pour assurer un effort de freinage adéquat.

B - Dans les conditions atmosphériques susmentionnées, quand le train approche d'un endroit qui exige le recours aux freins à air du train, le mécanicien doit serrer le frein automatique suffisamment d'avance pour confirmer le bon état de fonctionnement des freinsNote de bas de page 12Note de bas de page 13.

[…]

Il n'existe aucune instruction du genre en ce qui concerne le conditionnement du frein indépendant.

1.9 Calculs relatifs au maintien des freins

Le train BAL-27 a été arrêté dans la voie d'évitement à Estevan sur une pente descendante de 0,1 %. Après le desserrage involontaire du frein automatique, le frein indépendant est demeuré serré à fond (27 lb/po2). D'après des calculs de la force de freinage, quelque 3600 livres d'effort retardateurNote de bas de page 14 auraient été nécessaires pour immobiliser le train BAL-27 de 1800 tonnes courtes dans la voie d'évitement. Si on utilise les coefficients de freinage connus, un frein indépendant serré à fond sur la locomotive CP 2275 aurait été suffisant pour retenir le train BAL-27 dans la pente descendante, sauf dans les circonstances suivantes :

1.9.1 Force exercée par le frein indépendant de la locomotive CP 2275

Pour évaluer la force du frein indépendant de la locomotive CP 2275, on a fait des essais à l'aide d'un matériel de mesure de l'effort exercé par les semelles de frein. Il en est ressorti ce qui suit :

1.9.2 Poids du train

Les wagons de ballast en cause étaient des wagons-trémies découverts de 45 pieds de long divisés en 2 compartiments identiques. Les parois à l'intérieur des compartiments sont inclinées vers le bas de façon à diriger le ballast vers l'endroit où il peut être déchargé par les trappes du dessous et au niveau des côtés inférieurs du wagon.

Les wagons de ballast du train BAL-27 avaient servi à décharger du ballast la semaine précédente près de Moose Jaw. À ce moment-là, Moose Jaw avait connu 3 jours de pluie verglaçante/neige humide avec des températures variant entre 3 °C et −10 °C. Dans de telles conditions météorologiques, il n'est pas rare que le ballast dans les wagons-trémies gèle, et il devient alors difficile de vider complètement les wagons lors de leur déchargement.

Selon le bulletin de composition, le train BAL-27 comptait 55 wagons-trémies découverts vides servant au transport de ballast. Cependant, de nombreux wagons contenaient encore du ballast, certains en étant remplis plus qu'à la moitié. Lors de la formation du train BAL‑27, les wagons de ballast n'avaient pas été pesés individuellement, et un tel pesage n'était pas exigé. On s'était plutôt servi du poids à vide (environ 30 tonnes) de chaque wagon pour calculer le tonnage du train (1800 tonnes courtes).

Compte tenu de la lente accélération du train à plein régime, on a obtenu, dans le cadre de l'enquête, le rapport d'inspection produit par un détecteur de défauts de roue (DDR) situé à Georgeville, au Minnesota, en date du 1er décembre 2016. Le rapport confirmait qu'à ce moment le poids du train était de 2868 tonnes courtesNote de bas de page 17. D'après ce tonnage, le poids moyen de chaque wagon était d'environ 49 tonnes courtes (c.-à-d. 19 tonnes courtes de plus que le poids à vide de 30 tonnes courtes).

Si on se base sur le poids déclaré de 2868 tonnes courtes, un effort retardateur de plus de 5750 livres aurait été nécessaire pour retenir le train BAL-27. L'effort retardateur disponible sur la locomotive CP 2275, frein indépendant serré à fond, était de 22 776 livres, ce qui aurait été suffisant pour retenir le train.

1.9.3 Coefficient de frottement des semelles de frein

Compte tenu du poids déclaré du train (2868 tonnes courtes), du profil de la voie d'évitement et l'effort retardateur calculé révisé de 5750 livres, le coefficient de frottement efficace des semelles de frein de la locomotive CP 2275 aurait probablement été d'au plus 7,5 % pour que le train puisse se mettre en mouvement. Ce niveau de coefficient de frottement se trouve dans la fourchette caractéristique pour des semelles de frein saturées de glace et de neige.

1.10 Enquête sur l'accident à Lac-Mégantic par le BST et recommandation R14-04 du Bureau

Le 6 juillet 2013, peu avant 1 h, heure avancée de l'Est, le train de marchandises MMA-002, en direction est, de la compagnie Montreal, Maine & Atlantic Railway, qui était garé sans surveillance pour la nuit à Nantes (Québec), a commencé à se déplacer. Le train a roulé sur environ 7,2 milles, atteignant une vitesse de 65 mi/h. Vers 1 h 15, lorsque le MMA-002 s'est approché du centre de la ville de Lac-Mégantic (Québec), 63 wagons-citernes qui transportaient du pétrole brut (UN 1267), et 2 wagons couverts ont déraillé. Environ 6 millions de litres de pétrole brut se sont déversés. Des incendies se sont déclarés et des explosions se sont produites, détruisant 40 édifices, 53 véhicules et les voies ferrées à l'extrémité ouest du triage Megantic. Quarante-sept personnes ont subi des blessures mortelles. Le centre-ville ainsi que la rivière et le lac adjacents ont été contaminés.

Le BST a souligné la nécessité d'avoir des mesures de défense robustes pour empêcher les trains de partir à la dérive depuis 1996, et depuis, il s'est produit au Canada plus de 120 cas de matériel parti à la dérive qui ont touché les opérations en voie principale. Les cas de matériel parti à la dérive sont peu probables, mais, comme l'accident à l'étude l'a montré, ils peuvent avoir des conséquences extrêmement graves, surtout si des marchandises dangereuses sont en cause. Comme l'a démontré l'accident de Lac-Mégantic, le coût en matière de vies humaines et de répercussions sur nos collectivités est incalculable. C'est pourquoi le Bureau recommande que :

Le ministère des Transports exige que les compagnies ferroviaires canadiennes mettent en place des moyens de défense physiques additionnels pour empêcher le matériel de partir à la dérive.
Recommandation R14-04 du BST

1.10.1 Actions de Transports Canada et de l'industrie pour faire suite à la recommandation R14-04

Le 29 octobre 2014, TC a émis une injonction ministérielle concernant des moyens de défense physiques supplémentaires à utiliser sur des trains dont les locomotives en service doivent être laissées sur la voie principale. En voici un extrait :

4a) Veiller à ce qu'au moins un autre mécanisme ou mesure d'immobilisation soit également utilisé, en plus de respecter toutes les exigences relatives à l'immobilisation prévues à la règle 112 du REF, Lorsqu'un mouvement ou du matériel roulant est laissé sans surveillance sur une voie principale. Les mesures ou les mécanismes d'immobilisation supplémentaires doivent empêcher le matériel roulant de partir à la dérive. Au moins un des éléments suivants doit être utilisé :

  • les dérailleurs permanents utilisés selon leurs spécifications de conception;
  • les dispositifs mécaniques d'urgence;
  • les freins de stationnement à verrouillage mécanique, une fois qu'ils auront été approuvés par l'Association of American Railroads (AAR);
  • les dispositifs de veille automatique avec immobilisation ou la pression d'air est maintenue ou la mise en marche automatique est assurée;
  • le déplacement du matériel sur une voie ferrée munie de dérailleurs ou sur un terrain concave confirmé comme tel par arpentage ou par l'établissement d'un profil de la voie ferrée;
  • d'autres dispositifs d'immobilisation physiques adéquats et acceptés par Transports CanadaNote de bas de page 18.

TC exigeait également que les compagnies de chemin de fer établissent des règles sur l'immobilisation du matériel ferroviaire. À la suite de nombreuses consultations avec le secteur, le ministre des Transports a approuvé la nouvelle règle révisée 112 du REFC, qui est entrée en vigueur le 15 octobre 2015. Cette règle révisée, Matériel roulant laissé sans surveillanceNote de bas de page 19, comprenait 7 mesures de contrôle qui pouvaient être utilisées comme moyens secondaires d'immobilisation physique.

1.10.2 Réévaluation par le Bureau de la réponse de Transports Canada à la recommandation R14-04 (mars 2017) du BST

En mars 2017, le Bureau a réévalué la réponse de TC à la recommandation R14-04 et a reconnu les efforts déployés par TC pour la révision de la règle 112 du REF. Toutefois, malgré les mesures prises, le nombre d'événements mettant en cause des mouvements non contrôlés n'a pas changé au cours de la dernière année (soit 42 événements en 2016 et en 2015 et une moyenne quinquennale de 39)Note de bas de page 20. Le Bureau a réitéré qu'on ne devrait pas considérer les freins à air comme moyen de défense physique en raison de leur manque de fiabilité. Comme il est bien connu que les freins à air ont tendance à fuir et que le taux de fuite est généralement imprévisible, ce moyen de défense ne conviendrait pas comme dispositif d'appoint aux freins à main. La réévaluation conclut que

Le Bureau est heureux de constater que TC a mis en œuvre plusieurs initiatives, y compris une règle renforcée et un plan de surveillance exhaustif de cette nouvelle règle. Toutefois, comme le résultat souhaité, soit une importante réduction du nombre de mouvements incontrôlés, n'a pas encore été réalisé, le Bureau estime que la réponse à la recommandation est en partie satisfaisante.

1.11 Distance pouvant être parcourue par un train avant un freinage compensateur

Dans l'événement à l'étude, le train a d'abord été immobilisé dans la voie d'évitement à l'écart de la voie principale, mais près du point d'obstruction. Tout mouvement du train BAL-27 l'aurait amené à obstruer la voie principale et, peut-être, à dérailler au niveau de l'aiguillage.

Pour déterminer la distance qu'un train semblable au BAL-27 peut parcourir avant qu'un freinage compensateur soit déclenché, on a fait des calculs pour diverses vitesses d'activation de la protection-RSC contre la dérive. Les calculs étaient propres à un train d'un poids de 2868 tonnes courtes, sur une pente descendante de 0,1 %. Des changements dans l'un ou l'autre de ces facteurs influeraient sur la distance parcourue. Les distances calculées ne tiennent pas compte de la distance d'arrêt supplémentaire consécutive au freinage compensateur. Chaque scénario supposait un délai de 30 secondes avant l'activation de l'application du freinage compensateur par le RSC. Il en est ressorti ce qui suit :

1.12 Goupille de verrouillage pour la poignée du frein automatique

On serre et desserre le frein automatique du train en déplaçant la poignée de frein à la position appropriée. La base de la poignée du frein automatique présente 2 orifices, et une goupille de verrouillage est fixée au pupitre de commande par une longueur de câble. Quand la goupille est insérée dans l'orifice sur le côté gauche de la base de la poignée (la position de « serrage à fond »), celle‑ci ne peut être déplacée à la position de desserrage (figure 4). De la même façon, quand la goupille est insérée dans l'orifice sur le côté droit de la poignée (position de « retrait de la poignée »), le frein automatique ne peut être serré.

Figure 4. Poignée du frein automatique avec la goupille de verrouillage insérée dans l'orifice sur le côté gauche de la base de poignée, empêchant ainsi le desserrage du frein
Poignée du frein automatique avec la goupille de verrouillage insérée dans l'orifice sur le côté gauche de la base de poignée, empêchant ainsi le desserrage du frein

Cette fonction est conçue pour être utilisée avec des locomotives à l'arrière. Dans ces situations, quand le frein automatique est isolé, la goupille est insérée pour verrouiller la poignée du frein automatique à la position de « retrait de la poignée » pour s'assurer que les freins ne sont pas utilisés involontairement en mode d'urgence. Dans la locomotive de tête, la goupille n'a pas nécessairement pour fonction d'empêcher le déplacement involontaire de la poignée du frein automatique. Cependant, si la goupille est insérée quand cette poignée se trouve à la position de serrage à fond, elle empêcherait un desserrage involontaire des freins.

1.13 Mesures du niveau sonore dans la cabine de locomotives

Des enregistrements audio ont été effectués sur 3 locomotives du CP : la locomotive en cause dans l'événement à l'étude, une autre locomotive GP20C-ECO munie du même type de système de freinage et une locomotive de modèle plus ancien dotée d'un autre type de système de freinage.

Les niveaux sonores de la remise en pression de la conduite générale lors d'un desserrage du frein automatique ont été enregistrés plusieurs fois avec les ouvertures de la cabine (fenêtre et porte) fermées, et avec la fenêtre ouverte. On a enregistré les niveaux sonores près du pupitre de commande et de la porte de la locomotive pour déterminer s'il existait une différence d'audibilité entre les 2 emplacements.

Les essais acoustiques ont montré que le niveau sonore de la remise en pression de la conduite principale n'était supérieur que de 1 dB à celui du bruit ambiant. Il y avait aussi d'autres bruits ambiants similaires, tels que ceux produits par la mise à l'atmosphère au cours d'un serrage du frein automatique (rapport signal-bruit [RSB] de 4 dB) et la sortie d'air par le purgeur automatique (RSB de 18 dB), qui ont produit des niveaux sonores plus élevés.

Un rapport de TC intitulé Évaluation de klaxons de locomotives : Efficacité et vitesses d'exploitationNote de bas de page 21 et d'autres étudesNote de bas de page 22Note de bas de page 23 indiquent que l'oreille humaine peut détecter un signal de 2,5 à 3 kHz avec un RSB de 6,5 dB. Cela signifie qu'à ces fréquences, le signal doit être de 6,5 dB plus élevé que le bruit ambiant. Il s'agit là du niveau sonore nécessaire seulement pour détecter le signal. Une alerte optimale à un signal exige un RSB de 9 à 10 dB au-dessus du seuil de détection. Autrement dit, pour qu'une personne puisse entendre le son et reconnaître qu'il constitue pour elle une alerte, le son devrait être d'au moins 15 dB au‑dessus du bruit ambiant.

Au moment de l'événement à l'étude, le ML portait un chandail à capuchon. Les tests en laboratoire ont montré qu'un tel vêtement peut agir comme filtre efficace pour les sons dans la fourchette de 3 à 21 kHz, avec une atténuation à environ 10 dB ou plus, et peu d'atténuation à 1 kHz ou moins. Cela veut dire que le chandail à capuchon pourrait avoir réduit encore davantage le volume du son de la remise en pression, mais permis que le bruit ambiant, à des fréquences inférieures, reste à plein volume.

1.14 Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire de Transports Canada

Extrait des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire approuvées par TC :

5.1 Période de service maximale

5.1.1

  1. La période de service maximale continue pour un seul tour de service dans n'importe quelle catégorie de service est de 12 heures, sauf en service de trains de travaux, où cette période est de 16 heures. Lorsqu'un tour de service est désigné comme poste fractionné, comme en service de banlieue, la période de service combinée pour les deux tours de service ne peut dépasser 12 heures.
  2. e calcul de la période de service susmentionnée ne tient pas compte des temps forfaitaires ou des allocations. Le temps de préparation et le temps terminal ne peuvent dépasser chacun 15 minutes.

[…]

5.1.5 Les membres du personnel d'exploitation assurant le service dans une situation d'urgence peuvent demeurer en service jusqu'à ce qu'ils soient relevés, sous réserve des exigences en matière de gestion de la fatigue et de déclaration définies aux articles 6 et 7Note de bas de page 24.

Les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire définissent une urgence comme suit :

L'expression « urgence » désigne toute situation soudaine ou imprévue portant atteinte ou risquant raisonnablement de porter atteinte à l'environnement ou à l'intégrité physique d'un ou de plusieurs membres du personnel, d'un ou de plusieurs voyageurs ou de membres du public, telle une situation entraînant des dommages corporels ou un accident inévitable, un cas fortuit, des orages violents, des tremblements de terre majeurs, des emportements par les eaux ou des déraillements, ou encore une situation résultant d'un retard dont la cause était inconnue de la compagnie de chemin de fer et ne pouvait être prévue au moment où les membres du personnel d'exploitation ont quitté le terminal.

Sous réserve de ce qui précède, ne constituent pas une « urgence » les problèmes d'exploitation normaux inhérents aux activités ferroviaires, à savoir, mais sans s'y limiter :

  1. pénurie de personnel pour la formation d'équipes;
  2. bris d'un bras d'attelage ou d'une barre de traction;
  3. défaut de fonctionnement d'une locomotive;
  4. panne de matériel;
  5. rupture de rail;
  6. boîte chaude;
  7. manœuvres;
  8. dédoublements de trains sur rampe;
  9. croisements de trains;
  10. longs trainsNote de bas de page 25.

Il revient aux compagnies de chemin de fer de montrer que le service supplémentaire ne pourrait être évité. Lorsqu'une situation d'urgence se produit, elles doivent exercer toute la diligence raisonnable pour éviter ou limiter un tel service.

À l'article 7 des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire, il est notamment écrit :

7. Exigences de déclaration

[…]

7.3 Le chemin de fer doit déposer un rapport pour informer le Ministère, le plus tôt possible et dans un délai d'au plus 48 heures, chaque fois qu'un membre du personnel d'exploitation effectue une période de service qui dépasse la durée prévue aux alinéas 5.1.1 et 5.1.3 en cas d'urgenceNote de bas de page 26.

Comme le CP n'a pas déclaré une urgence au moment de l'événement à l'étude, il n'a pas déposé auprès de TC un rapport mentionnant que les membres de l'équipe du train BAL-27 étaient restés en poste après l'accident et, environ 1 h après l'expiration de leur temps de service maximum, avaient déplacé leur train pour le séparer du train 293.

TC a demandé par la suite d'autres renseignements sur l'événement pour déterminer avec précision les heures travaillées par l'équipe du train BAL-27. Le 28 juin 2017, le CP a répondu que, selon lui, l'événement correspondait à la définition d'une urgence. Le 4 juillet 2017, TC a informé le CP de sa non-conformité avec le paragraphe 7.3 de l'article 7.0 (Exigences de déclaration) des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire.

1.15 Risque de fatigue dû à un état de veille continu

Un facteur de risque de fatigue bien connu consiste à être éveillé trop longtemps, facteur désigné couramment sous le nom d'état de veille prolongé ou continu. Être dans un état de veille continu durant plus de 22 heures est généralement considéré comme le point auquel la fatigue entraîne, chez tous les individus, un déclin de presque tous les aspects de la performance humaine. Après un état de veille aussi long, il commence à se produire, chez la plupart des individus, de brefs épisodes incontrôlables de sommeil, communément appelés « micro-sommeils » (courtes périodes de sommeil de 3 ou 4 secondes) et une instabilité d'état (parce que l'état de veille ne peut être maintenu)Note de bas de page 27.

Le moment de la journée où survient un état de veille continu peut aussi contribuer à la gravité de ses effets sur la performance. De nombreuses années d'évolution ont enraciné dans la biologie humaine le fait que le sommeil tombe la nuit et l'état de veille tombe le jour; de plus, des étudesNote de bas de page 28 ont montré que la somnolence est plus profonde au petit matin. Cela signifie que la pulsion biologique pour le sommeil durant les heures nocturnes est beaucoup plus forte que durant les heures diurnes. Ainsi, un plus petit nombre d'heures d'état de veille continu entraînera de la fatigue si ces heures se situent le soir plutôt que le jour.

L'accident est survenu à 5 h 16 min 18 s le 29 novembre 2016. Au moment de l'accident, les membres de l'équipe étaient éveillés (sauf pour la sieste du ML en après-midi) depuis environ 19,5 heures. Par conséquent, au moment où l'équipe a déplacé son train le 29 novembre (à 9 h 47), et à l'exclusion de la sieste du ML, les membres de l'équipe étaient éveillés depuis environ 24 heures.

1.16 Systèmes de gestion de la sécurité

Le 1er avril 2015, le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (le Règlement sur le SGS de 2015) est entré en vigueur et a remplacé le Règlement sur le SGS de 2001. En vertu de ce règlement, les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale doivent créer et mettre en œuvre un système de gestion de la sécurité (SGS), établir un répertoire de tous les processus requis, tenir des registres, aviser le ministre de tout changement proposé à leurs activités, et déposer auprès du ministre, à sa demande, la documentation sur le SGS.

L'article 10 du Règlement sur le SGS exige qu'un chemin de fer dispose d'une procédure pour assurer la conformité aux règlements, aux règles et aux autres instruments. Cette disposition inclut un processus pour satisfaire aux exigences réglementaires en matière de déclaration, telles qu'elles sont établies dans les règlements, règles et autres instruments applicables au chemin de fer. Extrait de l'article 10 du Règlement sur le SGS :

10 (1)La compagnie de chemin de fer inclut, dans son système de gestion de la sécurité, une liste des instruments ci-après en matière de sécurité ferroviaire :

  1. les règlements pris en vertu de la Loi qui s'appliquent à la compagnie de chemin de fer et sont en vigueur;
  2. les normes techniques approuvées par le ministre en vertu l'article 7 de la Loi, ou celles établies par lui en vertu du paragraphe 19(7) de la Loi, qui s'appliquent à la compagnie de chemin de fer et sont en vigueur;
  3. les règles approuvées ou établies par le ministre en vertu de l'article 19 de la Loi qui s'appliquent à la compagnie de chemin de fer et sont en vigueur;
  4. les exemptions accordées en vertu des articles 22 ou 22.1 de la Loi qui s'appliquent à la compagnie de chemin de fer et sont en vigueur;
  5. les avis transmis à la compagnie de chemin de fer en vertu de l'article 31 de la Loi qui contiennent un ordre en vigueur;
  6. les documents en vigueur par lesquels le ministre a ordonné à la compagnie de chemin de fer de faire ou de ne pas faire quelque chose, notamment les ordres ministériels visés à l'article 32 de la Loi et les injonctions ministérielles visées à l'article 33 de la Loi.

11 La compagnie de chemin de fer inclut, dans son système de gestion de la sécurité, une procédure pour :

  1. examiner et mettre à jour la liste des instruments visée au paragraphe 10(1);
  2. vérifier le respect :
    1. d'une part, des exigences des règlements, normes techniques, règles et avis et documents contenant un ordre, qui sont mentionnés dans la liste des instruments,
    2. d'autre part, des conditions des exemptions mentionnées dans la liste des instrumentsNote de bas de page 29.

Le CP tient à jour une liste des instruments et a établi une procédure pour vérifier la conformité à ces instruments. Il a aussi en place un processus de déclaration en vertu des Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation.

1.17 Enregistreurs audio-vidéo de locomotive

En janvier 1999, un train de voyageurs de VIA Rail Canada Inc. (VIA) qui roulait à 97 mi/h a franchi un signal d'arrêt absolu près de Trenton en Ontario (rapport d'enquête ferroviaire R99T0017 du BST). Après un freinage d'urgence, le train s'est immobilisé. Aucun passager ni membre du personnel n'a été blessé. L'enquête a permis de déterminer que les membres de l'équipe conversaient entre eux juste avant l'incident. Cette distraction a probablement contribué à l'incident. S'il y avait eu un enregistreur de conversations dans la cabine de la locomotive de commande, il aurait été possible de déterminer avec plus de certitude l'efficacité des communications de l'équipe à l'approche du lieu de l'événement. En juillet 2003, le BST avait fait la recommandation suivante :

Le ministère des Transports, en collaboration avec l'industrie ferroviaire, établit des normes nationales exhaustives en matière des enregistreurs de données de locomotive qui comprennent un dispositif d'enregistrement des conversations de cabine combiné aux systèmes de communication de bord.
Recommandation R03-02 du BST

En février 2012, un train de voyageurs VIA s'est engagé sur une liaison près de Burlington (Ontario) alors qu'il roulait à environ 67 mi/h (rapport d'enquête ferroviaire R12T0038 du BST). La vitesse autorisée sur cette liaison était de 15 mi/h. La locomotive et les 5 voitures transportant des voyageurs ont déraillé. Les membres de l'équipe d'exploitation ont été mortellement blessés, et 45 personnes ont subi diverses blessures. D'après le rapport d'enquête, en l'absence d'enregistreurs audio-vidéo, il était difficile de déterminer avec certitude les facteurs humains qui avaient contribué à la réaction inappropriée de l'équipe aux indications présentées par les signaux. De plus, on n'a pu déterminer exactement la dynamique et les interactions entre les 3 membres de l'équipe d'exploitation. En juin 2013, le BST a fait cette recommandation :

Le ministère des Transports exige que toutes les locomotives de commande utilisées en voie principale soient pourvues de caméras vidéo dans la cabine.
Recommandation R13-02 du BST

En mars 2017, le Bureau a évalué comme suit la réponse de TC aux recommandations R03-02 et R13-02 :

Cette recommandation est liée à l'enjeu « Enregistreurs vidéo ou de la parole à bord » de la Liste de surveillance du BST. Comme aucune disposition n'exige la présence d'enregistreurs audio‑vidéo à bord des locomotives, des renseignements cruciaux pour améliorer la sécurité ferroviaire ne sont parfois pas disponibles. [...]

En septembre 2016, le Bureau de la sécurité des transports a publié son rapport d'étude de sécurité sur l'usage des enregistreurs audio-vidéo de locomotives [LVVR]. Transports Canada et des intervenants clés du secteur du rail (des chemins de fer et des syndicats) ont participé à cette étude qui a permis de déterminer certaines meilleures pratiques, de cerner et d'évaluer des problèmes de mise en œuvre, d'examiner des avantages de sécurité potentiels liés au recours accru aux enregistreurs de bord, et de recueillir l'information contextuelle nécessaire pour dresser un plan d'action en vue de mettre en œuvre les enregistreurs audio-vidéo de locomotives. Le rapport indique aussi que les LVVR pourraient favoriser la gestion proactive de la sécurité par les transporteurs ferroviaires et faciliter les enquêtes postévénements.

Le 3 novembre 2016, le ministre des Transports a annoncé publiquement son engagement à rendre obligatoires l'installation et l'utilisation des enregistreurs audio-vidéo dans les cabines des locomotives au Canada. Depuis cette annonce, Transports Canada prépare une loi et des règlements qui exigent non seulement l'installation et l'utilisation de cette technologie, mais aussi, autant que possible, la protection de la vie privée des employés.

Le Bureau estime que la réponse à la recommandation dénote une intention satisfaisante.

D'autres rapports d'enquête du BST ont réitéré les recommandations ci-dessusNote de bas de page 30.

Les résultats de ces enquêtes laissent supposer que les enregistreurs audio-vidéo de locomotive (EAVL) sont le seul outil objectif et fiable pour déterminer avec plus de certitude l'influence des facteurs humains — tels que les communications entre employés, les distractions, la fatigue et la formation — sur un événement ferroviaire. Quand il est possible de confirmer des liens de causalité et des lacunes connexes en matière de sécurité, on peut formuler des recommandations mieux définies pour corriger les problèmes profonds et maximiser les améliorations à la sécurité ferroviaire.

Le rapport d'enquête R16H0002 du BST sur des questions de sécurité ferroviaire, intitulé Accroître l'usage d'enregistreurs audio-vidéo de locomotive au Canada et publié en septembre 2016, a conclu qu'il n'y avait pas de désaccord sur le fait que les EAVL peuvent avoir des avantages en matière de sécurité. Cependant, il existait des différences d'opinions entre les intervenants quant à la possibilité d'utiliser de façon appropriée des enregistrements embarqués (« on‑board ») tout en protégeant les droits et les obligations de tous les intéressés. Quand on aura concilié ces différentes perspectives, l'implantation de cette technologie se traduira, sur le plan de la sécurité, par des avantages considérables pour l'industrie ferroviaire.

Le 16 mai 2017, le ministre des Transports a présenté à la Chambre des communes un projet de loi proposant des modifications à la Loi sur la sécurité ferroviaire et à la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports pour lancer le processus d'installation d'EAVL dans la cabine des locomotives de tête.

1.18 Enquête ferroviaire R16W0074 du BST et préoccupation du Bureau relié à la sécurité

Le 27 mars 2016, vers 2 h 35, heure normale du Centre, pendant qu'elle effectuait des manœuvres au triage Sutherland à Saskatoon (Saskatchewan), la manœuvre de formation au système de télécommande de locomotive 2300 du CP poussait une rame de wagons jusque dans la voie F6. Lorsque la manœuvre s'est arrêtée, le wagon-trémie couvert vide EFCX 604991 s'est dételé du train à l'insu de l'équipe. Le wagon non contrôlé a traversé le triage et s'est rendu jusque sur la voie principale, à l'intérieur de la zone de marche prudente de la subdivision de Sutherland. Le wagon a parcouru environ 1 mille et a franchi 2 passages à niveau publics munis de systèmes d'avertissement automatiques avant de s'arrêter de lui-même. Il n'y a eu aucun blessé ni aucun déraillement. Aucune marchandise dangereuse n'était en cause.

L'enquête a déterminé que, malgré les initiatives mises en œuvre par TC et par l'industrie, le résultat souhaité, soit une importante réduction du nombre de mouvements non contrôlés, n'a pas encore été réalisé. Par conséquent, le Bureau s'est dit inquiet du fait que les moyens de défense actuels ne sont pas suffisants pour réduire le nombre de mouvements non contrôlés et pour améliorer la sécurité.

1.19 Statistiques du BST sur les événements mettant en cause des mouvements imprévus/non contrôlés

Entre 2008 et 2017, 541 événements de mouvements imprévus ou non contrôlésNote de bas de page 31 sur l'ensemble des chemins de fer au Canada ont été signalés au BST (tableau 3).

Tableau 3. Événements de mouvements imprévus ou non contrôlés signalés au BST entre 2008 et 2017
Mouvement non contrôlé en raison de 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Total
Perte de maîtrise 6 0 2 3 0 3 0 1 4 2 21
Manœuvres sans freins à air 17 14 10 16 12 24 21 22 18 21 175
Immobilisation insuffisante 25 37 25 32 43 42 38 35 29 39 345
Total 48 51 37 51 55 69 59 58 51 62 541

En général, les mouvements non contrôlés sont attribuables à 1 des 3 causes suivantes :

  1. Perte de maîtrise – Se produit lorsque les freins à air disponibles ou les systèmes de la locomotive n'arrivent pas à retenir un train arrêté sous surveillance ou lorsqu'un ML ou un opérateur de système Beltpack n'est pas en mesure de maîtriser un train au moyen des freins à air disponibles.
  2. Manœuvres sans freins à air – Se produisent lorsqu'un matériel roulant est manœuvré dans un triage en utilisant seulement les freins à air de la locomotive (c.-à-d., il n'y a pas de freins à air disponibles sur les wagons manœuvrés). Lorsqu'un mouvement non contrôlé se produit, ces situations peuvent se traduire par des wagons qui sortent du triage, de la voie d'évitement ou d'un embranchement industriel et entrent sur la voie principale.
  3. Immobilisation insuffisante – Un wagon, une rame de wagons ou un train est laissé sans surveillance et se met à rouler de façon non contrôlée, en général, parce
    • qu'aucun frein à main n'a été serré ou un nombre insuffisant de freins à main ont été serrés;
    • qu'un wagon (ou plusieurs wagons) est équipé de freins à main défectueux ou inefficaces;
    • que les freins à air du train se desserrent pour différentes raisons.

Le tableau 4 répertorie ces événements en fonction de leurs conséquences.

Tableau 4. Conséquences des mouvements non contrôlés
Conséquence 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 Total
Déraillements de 1 à 5 wagons 23 29 18 22 26 26 28 28 27 28 255
Déraillements de plus de 5 wagons 5 1 0 0 2 2 0 1 2 1 14
Collision 24 30 24 32 28 40 35 32 23 34 302
Incidence sur la voie principale* 9 4 4 7 7 10 6 4 5 5 61
Présence de marchandises dangereuses 16 12 8 10 7 14 17 14 9 18 125
Nombre de blessés ou de décès 1 1 0 0 2 49 0 0 1 1 55

* Se trouvait sur la voie principale au départ, s'est engagé sur la voie principale ou a obstrué la voie principale.

Des 541 événements signalés,

Des 21 mouvements imprévus ou non contrôlés qui ont mis en cause une perte de maîtrise, comme dans l'événement à l'étude, 14 ont une incidence sur la voie principale.

Depuis 1994, le BST a enquêté sur 28 autres événements qui ont mis en cause des mouvements non contrôlés (Annexe B). L'accident survenu à Lac-Mégantic en 2013 est le plus important d'entre eux. Cinq enquêtesNote de bas de page 32 ont porté sur une perte de maîtrise d'un train surveillé ayant eu une incidence sur la voie principale.

1.20 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

L'enjeu gestion de la sécurité et surveillance restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que

  • les entreprises qui possèdent un SGS démontrent qu'il fonctionne bien, c'est-à-dire qu'il permet de déceler les risques et que des mesures de réduction des risques efficaces sont mises en œuvre;
  • TC intervienne lorsque des entreprises ne peuvent assurer efficacement la gestion de la sécurité et le fasse de façon à corriger les pratiques d'exploitation jugées non sécuritaires.

L'enjeu enregistreurs audio-vidéo de bord restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que

  • des enregistreurs audio-vidéo soient installés dans toutes les locomotives de tête qui circulent sur la voie principale.

L'enjeu systèmes de gestion de la fatigue des équipes de train restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que

  • TC achève son examen des systèmes de gestion des risques liés à la fatigue des compagnies ferroviaires;
  • TC et les compagnies ferroviaires prennent d'autres mesures afin d'atténuer efficacement le risque de fatigue chez les membres d'équipe de conduite des trains de marchandises.

L'enjeu gestion de la sécurité et surveillance figure sur la Liste de surveillance 2016. Les compagnies de chemin de fer doivent se doter d'un processus pour assurer la conformité aux règlements et aux règles. Comme l'événement à l'étude a démontré, CP n'a pas soumis le rapport approprié pour satisfaire aux exigences réglementaires.

L'enjeu enregistreurs audio-vidéo de bord figure sur la Liste de surveillance 2016. Des données précieuses ne sont pas enregistrées, ce qui gêne la progression des enquêtes du BST sur la sécurité et nuit à la capacité des chemins de fer d'améliorer les systèmes de gestion de la sécurité.

L'enjeu systèmes de gestion de la fatigue des équipes de train figure sur la Liste de surveillance 2016. La fatigue continue de poser un risque pour la sécurité de l'exploitation ferroviaire, en particulier des trains de marchandises, moyen de transport de surface de 70 % des marchandises du pays, y compris des marchandises dangereuses. Les mesures prises jusqu'à présent n'ont pas été à la hauteur pour régler pleinement cet enjeu.

2.0 Analyse

L'infrastructure de la voie était en bon état et n'a pas été un facteur dans l'événement à l'étude. L'analyse porte surtout sur les points suivants : actions du mécanicien de locomotive; utilisation de la goupille de verrouillage de la poignée du frein automatique; essais acoustiques en cabine pour la remise en pression des freins à air, conditionnement du frein indépendant de la locomotive et autres facteurs ayant contribué au mouvement non contrôlé; efficacité du dispositif de veille automatique pour la protection contre la dérive; risque de mouvements non contrôlés entrant sur la voie principale; surveillance des trains qui passent; fatigue de l'équipe, systèmes de gestion de la sécurité et statistiques sur les mouvements imprévus ou non contrôlés.

2.1 L'accident

L'accident s'est produit quand le train BAL-27 est parti à la dérive en direction sud depuis la voie d'évitement, à une vitesse de moins de 1 mi/h, et est entré en collision avec le train roulant en direction nord 293-28, qui était alors immobilisé sur la voie principale.

Le mécanicien de locomotive (ML) du train BAL-27 a approché le train de l'aiguillage nord de la voie d'évitement à Estevan en utilisant principalement le frein automatique, avec quelques serrages légers du frein indépendant quand le train s'est immobilisé. Le train est entré sur la voie d'évitement une fois que son aiguillage nord avait été orienté en conséquence. En avançant sur la voie d'évitement, le ML a continué d'utiliser le frein automatique en combinaison avec de légers serrages des freins automatique et indépendant pour contrôler la vitesse de son train et s'arrêter près du point d'obstruction, juste à l'écart de la voie principale à la hauteur de l'aiguillage sud de la voie d'évitement. Une fois le train BAL-27 arrêté, les freins automatique et indépendant ont été serrés à fond.

Alors que l'équipe du train BAL-27 attendait l'arrivée du train 293-28, le chef de train a quitté la cabine pour aller déneiger l'aiguillage sud de la voie d'évitement; le ML est resté dans la cabine de la locomotive. Lorsque l'équipe du train BAL-27 a entendu le message radio lancé par l'équipe du train 293-28 qui approchait, le chef de train s'est posté au sol à l'ouest de la voie principale, et le ML a quitté la cabine et a pris position sur le sol à l'est des deux voies, en prévision de la surveillance du train à son passage.

Au cours de la surveillance au passage du train 293-28 alors que celui-ci était encore en mouvement, le ML du train BAL-27 a quitté sa position au sol pour retourner dans la cabine de sa locomotive pour des raisons personnelles. Une fois dans la cabine, en s'introduisant entre le pupitre de commande et son siège pour prendre un papier essuie-tout sur la console de la locomotive, le ML a involontairement déplacé la poignée du frein automatique à la position de desserrage.

2.2 Goupille de verrouillage pour la poignée du frein

La base de la poignée du frein automatique présente 2 orifices, et une goupille de verrouillage est fixée au pupitre de commande par une longueur de câble. Quand la goupille est insérée dans l'orifice sur le côté gauche de la base de la poignée (position de « serrage à fond », celle-ci ne peut être déplacée à la position de desserrage. De la même façon, quand la goupille est insérée dans l'orifice sur le côté droit de la poignée (position de « retrait de la poignée », le frein automatique ne peut être serré.

Cette fonction est conçue pour être utilisée lorsqu'une locomotive est utilisée à l'arrière. La goupille de verrouillage de la poignée du frein automatique sert autant à bloquer la poignée dans sa position de retrait afin d'empêcher le serrage involontaire des freins d'une locomotive menée, qu'à empêcher le desserrage involontaire du frein automatique sur un train laissé en stationnement dont le frein automatique est serré à fond.

2.3 Remise en pression du frein à air automatique

Quand le frein à air automatique est desserré, la conduite générale est remise en pression avec de l'air provenant d'une robinetterie située sous le plancher de la cabine de la locomotive. Pour certains types de locomotives, le ML posté au pupitre de commande dans la cabine peut entendre cette remise en pression au cours du desserrage.

L'oreille humaine peut détecter seulement les signaux dans la fourchette de 2,5 à 3 kHz avec un rapport signal-bruit (RSB) de 6,5 dB. Pour qu'il soit possible de détecter un signal, ce dernier doit être de 6,5 dB plus élevé que le bruit ambiant à ces fréquences. Une alerte optimale à un signal exige généralement un RSB de 9 à 10 dB au-dessus du seuil de détection. Par conséquent, pour qu'une personne puisse entendre le son et reconnaître qu'il constitue pour elle une alerte, le son devrait être d'au moins 15 dB au-dessus du bruit ambiant.

Au cours des essais acoustiques visant des locomotives GP20C-ECO, on a remarqué que la remise en pression du frein à air automatique était silencieuse (c.-à-d. d'environ 1 dB au-dessus du bruit ambiant), mais qu'elle est perceptible dans les conditions d'essai.

Cependant, d'autres facteurs auraient pu limiter l'aptitude du ML à entendre la remise en pression du frein à air automatique :

Compte tenu de ces circonstances, il était peu probable que le ML ait entendu ce son. Comme le mécanicien de locomotive ne pouvait entendre le son de la remise en pression du frein à air automatique, il est sorti de la cabine sans se rendre compte que ce frein s'était desserré.

2.4 Frein indépendant de la locomotive CP 2275

Une fois le frein automatique desserré sur le train BAL-27, le frein indépendant de la locomotive CP 2275 n'a pas été capable à lui seul de retenir le frein. Environ 2 minutes plus tard, le train BAL-27 s'est mis en mouvement en direction sud. Lorsqu'il s'en est aperçu, le ML a immédiatement réintégré la cabine de sa locomotive et déclenché un freinage d'urgence. À ce moment-là, le train se déplaçait à 1 mi/h environ et se trouvait à quelque 10 pieds du train 293. À cause de la détection tardive du mouvement du train BAL-27, il ne restait plus suffisamment de temps et de distance pour que le freinage d'urgence arrête le mouvement non contrôlé avant sa collision avec le train 293, quelque 7 secondes après le déclenchement d'un freinage d'urgence par le ML.

D'après des calculs sur la force de freinage, un effort retardateur d'environ 3600 livres aurait été nécessaire pour retenir un train de 1800 tonnes courtes dans la voie d'évitement. Le BST a effectué des essais pour évaluer l'effort de freinage exercé par le frein indépendant de la locomotive CP 2275. Au moment de sa construction, la locomotive devait produire un coefficient de freinage net de 27 %. Les essais ont permis de déterminer que le frein indépendant de la locomotive CP 2275 était conforme aux spécifications, avec un effort de freinage total de 75 920 livres et un coefficient de freinage net de 27,5 %.

Pour traduire la force de freinage en effort retardateur, un coefficient de frottement moyen de 30 % pour des semelles de frein composites de locomotive à haut coefficient de frottement à sec doit être utilisé pour le calcul de l'effort retardateur disponible. Dans des conditions sèches, et compte tenu du coefficient de frottement des semelles de frein de locomotive, l'effort retardateur disponible sur la locomotive CP 2275, avec le frein indépendant serré à fond, était de 22 776 livres, ce qui dépassait l'effort retardateur de 3600 livres nécessaire pour retenir un train de 1800 tonnes dans une pente descendante de 0,1 %. 

2.5 Autres facteurs ayant contribué au mouvement non contrôlé

Comme un effort retardateur d'environ 3600 livres était nécessaire pour retenir un train de 1800 tonnes dans des conditions sèches, et que le frein indépendant de la locomotive CP 2275 développait un effort retardateur réel de 22 776 livres, d'autres facteurs ont contribué au mouvement non contrôlé.

2.5.1 Poids du train

Les wagons-trémies découverts à ballast du train BAL-27 avaient servi à décharger du ballast la semaine précédente près de Moose Jaw. À ce moment-là, Moose Jaw avait connu 3 jours de pluie verglaçante et de neige humide avec des températures variant entre 3 °C et ̶10 °C. Dans de telles conditions météorologiques, il n'est pas rare que le ballast dans les wagons-trémies gèle, et il devient alors difficile de vider complètement les wagons lors de leur déchargement.

Au moment de l'événement à l'étude, de nombreux wagons contenaient encore du ballast, certains en étant remplis plus qu'à la moitié. Par conséquent, le train BAL-27 était beaucoup plus lourd que les 1800 tonnes courtes indiquées sur le bulletin de composition. Le poids déclaré du train était de 2868 tonnes courtes. Cet écart est dû au fait que du ballast gelé était resté dans de nombreux wagons; le train était donc plus lourd et pesait 2868 tonnes.

2.5.2 Coefficient de frottement des semelles de frein

Pour un poids de 2868 tonnes courtes, un effort retardateur de freinage de plus de 5750 livres aurait été nécessaire pour retenir le train sur une pente descendante de 0,1 %. Comme l'effort retardateur estimatif disponible sur la locomotive CP 2275, avec le frein indépendant serré à fond, était de 22 776 livres, le frein indépendant aurait quand même pu retenir le train BAL-27 dans la voie d'évitement, à moins d'une réduction supplémentaire du coefficient de frottement des semelles de frein en raison de conditions liées à l'environnement.

Le coefficient de frottement est d'environ 30 % sur des semelles de frein composites à haut coefficient de frottement à sec. Si on tient compte des facteurs suivants : poids accru calculé du train, profil de la voie d'évitement et effort retardateur calculé révisé de 5750 livres, le coefficient de frottement efficace des semelles de frein de la locomotive CP 2275 aurait été d'au plus 7,5 % pour que le train puisse se mettre en mouvement. En raison de l'accumulation de glace et de neige sur les freins de la locomotive et du poids du train établi à 2868 livres, le coefficient de frottement efficace des semelles de frein indépendant de la locomotive du CP 2275 avait été réduit à 7,5 % tout au plus.

Dans des conditions hivernales d'exploitation, il n'est pas rare que le coefficient de frottement des semelles de frein d'un train diminue à cause de l'accumulation de neige et de glace sur les semelles. Souvent, pour assurer un freinage efficace, les ML conditionnent les freins à air du train en vue d'un ralentissement ou d'un arrêt; à cette fin, ils procèdent à de légers freinages pour réchauffer les composants de frein et les débarrasser de la neige et de la glace.

Dans l'événement à l'étude, en s'arrêtant aux aiguillages nord et sud de la voie d'évitement, le ML a utilisé le frein indépendant à de petites vitesses pendant un total de 29 secondes. Même si le ML du train BAL-27 a effectué de légers serrages du frein indépendant au moment de s'engager dans la voie d'évitement, le conditionnement des semelles de frein pour déglacer et déneiger les composants de frein n'a pas été suffisant pour que les semelles de frein de la locomotive présentent un coefficient de frottement adéquat pour produire l'effort retardateur nécessaire à la retenue du train dans la voie d'évitement.

2.6 Dispositif de veille automatique avec protection contre la dérive

Le dispositif de veille automatique (RSC) est un système d'alerte qui actionne des alarmes, puis déclenche un freinage compensateur du frein automatique si le dispositif n'est pas réarmé ou si les commandes ne sont pas manipulées dans un intervalle de temps prédéterminé. Certains RSC ont été améliorés de façon à inclure une protection contre la dérive qui déclenchera un freinage compensateur en conformité avec le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer approuvé par Transports Canada (TC). Le règlement prévoit qu'une locomotive de commande équipée d'un RSC avec protection contre la dérive doit satisfaire aux exigences de la norme S-5513 (S-5513) du Manual of Standards and Recommended Practices de l'Association of American Railroads (AAR).

La protection-RSC contre la dérive devrait amorcer le cycle de temporisation d'avertissement du dispositif de veille automatique, puis déclencher un freinage compensateur des freins à air du train si la pression dans le cylindre de frein de la locomotive tombe sous 25 lb/po2 ou si une vitesse est détectée. Cependant, une fois la vitesse d'activation atteinte, il peut se produire un délai de 30 secondes supplémentaires avant que le freinage compensateur soit déclenché.

La vitesse d'activation de la protection-RSC contre la dérive n'est pas définie dans le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer approuvé par Transports Canada ni dans les normes de l'AAR. Par conséquent, comme en témoignent les présentations à TC des chemins de fer canadiens en réponse à l'arrêté ministériel (MO) 16‑07, la vitesse d'activation n'est pas appliquée uniformément par les chemins de fer du Canada; elle varie entre 0 et 2,5 mi/h, d'où la variabilité correspondante dans la temporisation du déclenchement et les distances d'arrêt.

La vitesse d'activation du RSC pour la locomotive CP 2275 était réglée à 2,5 mi/h. Comme le mouvement non contrôlé a atteint seulement une vitesse d'environ 1 m/h, la protection-RSC contre la dérive n'a pas été activée. De plus, voici ce que des essais du BST sur d'autres locomotives ont permis de déterminer : lorsque la pression dans le cylindre de frein de la locomotive tombait sous 25 lb/po2, la séquence de temporisation de la protection-RSC contre la dérive s'amorçait, mais dans certaines conditions, le freinage compensateur n'était pas activé en raison de la faible pression et des fuites d'air dans la conduite générale.

Selon une affirmation précédente du BST, les systèmes de frein à air ne devraient pas être considérés comme moyens de défense physiques pour l'immobilisation des trains en raison de leur manque de fiabilité. En particulier, il est bien connu que les freins à air ont tendance à fuir et que le taux de fuite est imprévisible. En dépit des problèmes connus liés à l'utilisation des freins à air pour l'immobilisation des trains, TC a approuvé une version révisée de la règle 112 du REFC, intitulée « Matériel roulant laissé sans surveillance », entrée en vigueur le 15 octobre 2015. La règle indiquait la protection-RSC contre la dérive comme moyen secondaire acceptable d'immobilisation d'un matériel roulant laissé sans surveillance.

Des calculs ont montré qu'étant donné la variation des vitesses d'activation et une temporisation de jusqu'à 30 secondes pour l'amorce du freinage compensateur, un mouvement non contrôlé peut parcourir une certaine distance même avec l'intervention de la protection-RSC contre la dérive. De plus, si une fuite des freins à air provoque un mouvement non contrôlé qui déclenche la protection-RSC contre la dérive avec freinage compensateur, et que la fuite d'air se poursuit, il pourrait ne pas rester suffisamment d'air dans le système pour que la protection soit activée une deuxième fois. Si on utilise comme protection secondaire le système RSC de locomotive équipé d'une protection contre la dérive, il risque de ne pas empêcher des mouvements non contrôlés.

Au moment de l'accident, le ML se trouvait assez près de la locomotive pour intervenir en cas de mise en mouvement de son train. Le train BAL-27 était donc surveillé et n'avait pas besoin d'être immobilisé avec des freins à main et une méthode secondaire d'immobilisation physique, comme le prévoit la règle 112 Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC).

2.6.1 Vitesse à laquelle la protection-RSC contre la dérive est activée

Cependant, ni le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer ni le Manual of Standards and Recommended Practices de l'AAR ne définissent la vitesse à laquelle la protection contre la dérive devrait être activée. Pour un RSC, après un cycle de temporisation de 10 secondes, la séquence normale des alarmes visuelles et sonores peut ajouter un délai supplémentaire de 20 secondes (c.-à-d. un total de 30 secondes) avant le déclenchement d'un freinage compensateur. Si la pression dans les freins à air demeure supérieure à 25 lb/po2, le cycle total de 30 secondes pour le déclenchement du freinage compensateur ne commencera qu'une fois la vitesse d'activation atteinte.

Il existait une perception chez l'organisme de réglementation et certains chemins de fer que la vitesse à laquelle était activée la protection contre la dérive était d'environ 0,5 mi/h pour la plupart des locomotives. Cependant, d'après les réponses des chemins de fer à l'arrêté MO 16-07, la vitesse d'activation du RSC était de 0,5 mi/h ou moins pour seulement 31 % des locomotives utilisant une protection-RSC contre la dérive comme méthode secondaire d'immobilisation au Canada. Pour les autres locomotives (69 %), la vitesse enregistrée à laquelle cette protection était activée variait entre 1 et 2,5 mi/h.

Des calculs ont déterminé qu'un mouvement non contrôlé pouvait se déplacer au-delà du point d'obstruction de la voie principale, chaque incrément de vitesse ayant un effet important sur la distance d'arrêt requise. Comme la vitesse d'activation de la protection-RSC contre la dérive n'est pas définie dans les règlements ni dans les règles, même des vitesses supérieures à 2,5 mi/h pourraient encore satisfaire aux exigences, pourvu que la séquence d'activation ne dépasse pas 30 secondes.  En conformité avec la règle 112 du REFC, il est permis aux chemins de fer du Canada d'utiliser le RSC avec protection contre la dérive comme méthode secondaire d'immobilisation d'un train laissé sans surveillance, sans égard à la vitesse à laquelle cette protection est activée. L'événement à l'étude met en évidence une lacune qui pourrait compromettre l'intention de la règle 112 du REFC quand une protection contre la dérive est utilisée comme méthode secondaire d'immobilisation d'un matériel roulant sans surveillance.

2.7 Risque de mouvements non contrôlés entrant sur la voie principale

Avec une vitesse de 2,5 mi/h et un délai de jusqu'à 30 secondes pour l'activation du RSC, un train semblable au BAL-27 pourrait parcourir une distance de jusqu'à 1200 pieds dans une pente descendante de 0,1 % avant que le système de protection contre la dérive déclenche un freinage compensateur. Ces calculs ne tiennent pas compte de la distance d'arrêt requise après le déclenchement du freinage compensateur. Dans des conditions semblables à celles de l'événement à l'étude, si une voie principale simple n'est pas occupée et qu'un freinage d'urgence n'est pas effectué, un train semblable au BAL-27 pourrait parcourir une distance allant jusqu'à 1100 pieds avant que le système de protection contre la dérive déclenche un freinage compensateur. Quand la voie principale se trouve dans un territoire non signalisé régi par le système de régulation de l'occupation de la voie, il n'existe pas d'indications de signaux pour avertir les trains en approche lorsqu'un autre train entre sur la voie principale simple. Si un mouvement non contrôlé peut entrer sur la voie principale sans être détecté, les trains ou mouvements en approche peuvent ne pas être avertis à temps, ce qui augmente le risque de collisions.

2.8 Surveillance des trains qui passent

La règle 110 du REFC exige, quand leurs obligations et le terrain le permettent, qu'au moins 2 membres de l'équipe d'un train à l'arrêt se postent au sol des deux côtés de la voie pour surveiller l'état du matériel roulant des trains qui passent. Ainsi postés au sol, les membres de l'équipe ont un meilleur point de vue pour observer l'état du matériel roulant et détecter, le cas échéant, la présence de tout défaut de sécurité.

Dans l'événement à l'étude, alors que le train 293 était encore en mouvement, le ML a quitté sa position au sol (c.-à-d. à l'est de la voie principale) pour retourner à la cabine de sa locomotive pour des raisons personnelles. La surveillance du côté droit du train 293 à son passage n'a pas été menée à terme.

2.9 Risque de fatigue

Selon les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire (Règles relatives au temps de travail et de repos), la période de service maximale continue pour un seul tour de service dans n'importe quelle catégorie de service est de 12 heures. L'équipe de l'événement était en service à 20 h 30 le 28 novembre 2017 et l'accident s'est produit presque 9 heures plus tard, à environ 5 h 16 du matin, le 29 novembre 2017.

Bien que le CP n'ait pas déclaré une situation d'urgence après l'événement, l'équipe est demeurée en service sur les lieux et a effectué le mouvement de marche arrière pour séparer les deux trains. Vers 9 h 30 le 29 novembre 2017, l'équipe du BAL-27 a immobilisé son train dans la voie d'évitement. Après avoir terminé le mouvement de marche arrière et immobilisé le train, les membres de l'équipe du train BAL-27 avaient été en service durant environ 13 heures, au-delà du temps de service maximum de 12 heures prévu dans les Règles relatives au temps de travail et de repos.

Au moment de l'accident, le chef de train était éveillé depuis environ 19,5 heures. Quant au ML, il est peut-être resté éveillé aussi longtemps, selon la qualité de sa sieste en après-midi. Lorsque l'équipe a immobilisé son train le 29 novembre 2016 (à 9 h 30), ses membres ont pu se trouver en état de veille durant quelque 24 heures. Un état de veille continu de plus de 22 heures est considéré comme le point auquel la fatigue entraîne un déclin de presque tous les aspects de la performance humaine. Même si les deux membres de l'équipe étaient fatigués, on n'a pu déterminer si leur performance s'en était trouvée grandement diminuée. Néanmoins, si les membres de l'équipe de train demeurent en service au-delà d'une période d'éveil prolongée, l'exécution de leurs tâches cognitives risque d'être compromise.

2.10 Systèmes de gestion de la sécurité

L'article 10 du Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité (Règlement sur le SGS) exige que les chemins de fer se dotent d'un processus pour assurer la conformité aux règlements, aux règles et aux instruments. Cette disposition inclut un processus pour satisfaire aux exigences réglementaires en matière de déclaration, telles qu'elles sont établies dans les règlements, règles et autres instruments applicables au chemin de fer.

2.10.1 Exigences réglementaires en matière de déclaration

Le Règlement sur le SGS exige que les chemins de fer aient en place un processus pour satisfaire aux exigences réglementaires en matière de déclaration, telles qu'elles sont établies dans des règlements et des règles comme les Règles relatives au temps de travail et de repos.

Au moment de l'événement à l'étude, le CP n'a pas pensé qu'il constituait une situation d'urgence et, par conséquent, n'a pas présenté à TC un rapport indiquant que l'équipe avait travaillé au-delà du temps de service maximum (12 h), comme l'exige l'article 7 des Règles relatives au temps de travail et de repos. Cependant, le 28 juin 2017, en réponse à une demande d'information de TC, le CP a déclaré croire que l'événement en question constituait une situation d'urgence. Même si le CP a établi que l'événement à l'étude était une situation d'urgence, aucun rapport n'a été présenté à TC pour indiquer que l'équipe du train BAL-27 avait eu à travailler au-delà du temps de service maximum.

2.11 Essais par le CP sur les locomotives GP20C-ECO et SD30C-ECO

Depuis 2009, la plupart des locomotives Electro-Motive Diesel (EMD) nouvelles et reconstruites sont équipées du système FIRE (Functionally Integrated Railroad Electronics), qui est un logiciel normalisé d'intégration de l'électronique de locomotive. La vitesse à laquelle est activée la protection contre la dérive à l'intérieur du système FIRE des locomotives EMD a été programmée chez le constructeur à 2,5 mi/h. Toutefois, la spécification de vente standard d'EMD pour les achats du CP indiquait une vitesse de 0,5 mi/h pour que soit activée la protection-RSC contre la dérive.

Quand il achète des locomotives, le CP en inspecte et en teste un échantillon à leur livraison. On a testé le RSC en desserrant les freins et en procédant à des essais de fin de temporisation; la locomotive était arrêtée durant l'essai du système de freinage. Au cours des essais d'acceptation, le CP n'a pas testé la vitesse à laquelle est activée la protection-RSC contre la dérive.

En mai 2016, le CP et l'EMD ont fait l'essai du RSC sur des locomotives du CP équipées d'un système FIRE pour vérifier que la protection contre la dérive était activée conformément aux normes de l'AAR et à la vitesse prévue. Les tests ont déterminé que la protection contre la dérive était activée quand la vitesse du train était de 2,5 mi/h et quand la pression dans le frein indépendant tombait sous 25 livres/po2. Il a été confirmé que le délai d'avertissement pour l'activation de la protection contre la dérive était d'environ 25 secondes. Après les essais, aucune modification n'a été apportée à la vitesse d'activation de la protection ni à la temporisation. Même si le CP avait déterminé que la vitesse à laquelle le RSP était déclenché ne satisfaisait pas à la spécification de vente de 2,5 mi/h, il n'a pas considéré cet écart comme une préoccupation de sécurité, si bien qu'il n'a pris aucune autre mesure et, comme méthode secondaire d'immobilisation, a continué d'utiliser la protection-RSC contre la dérive.

2.12 Enregistreurs audio-vidéo de locomotive

Dans l'événement à l'étude, même si l'enquête a conclu que la poignée du frein automatique avait été mise involontairement sur la position de desserrage, le déroulement réel des événements n'a pu être déterminé avec certitude.

L'utilisation d'enregistreurs audio-vidéo de locomotive (EAVL) constitue une méthode objective et fiable pour déterminer avec plus de certitude le rôle joué par les facteurs humains dans un événement ferroviaire. Quand il est possible de confirmer des liens de causalité et des lacunes connexes en matière de sécurité, les constatations qui en résultent et les recommandations éventuelles peuvent être mieux adaptées pour résoudre les problèmes fondamentaux et maximiser les améliorations à la sécurité ferroviaire. Il en découle aussi une communication en temps opportun des lacunes de sécurité.

Si on n'installe pas des enregistreurs audio-vidéo dans la cabine des locomotives de tête, il y a un risque que des renseignements précieux pouvant permettre de découvrir et d'éliminer des lacunes de sécurité continuent d'être inaccessibles.

2.13 Statistiques sur les mouvements imprévus et non contrôlés

Dans l'événement à l'étude, le train BAL-27 a subi une perte de maîtrise qui a causé un mouvement imprévu et non contrôlé qui a obstrué la voie principale et provoqué une collision avec le train 293. De 2008 à 2017, 541 événements liés à des mouvements imprévus ou non contrôlés sur l'ensemble des chemins de fer au Canada ont été signalés au BST.

Parmi les 541 événements, la perte de maîtrise (semblable à celle survenue lors de l'événement à l'étude) a été le principal facteur dans 21 cas (4 %), dont 14 ont eu une incidence sur la voie principale. Même si le nombre d'événements mettant en cause des mouvements non contrôlés a régressé à 51 en 2016, il est passé à 62 en 2017. La moyenne quinquennale (2013-2017) se chiffrait à 59,8 comparativement à la moyenne décennale (2008-2017) de 54,1.

Le nombre d'événements mettant en cause des mouvements non contrôlés (c.-à-d., matériel roulant parti à la dérive) a augmenté d'environ 10 % au cours des 5 dernières années, comparativement à la tendance des 10 dernières années.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. L'accident s'est produit quand le train BAL-27 est parti à la dérive en direction sud depuis la voie d'évitement, à une vitesse de moins de 1 mi/h, et est entré en collision avec le train roulant en direction nord 293-28, qui était alors immobilisé sur la voie principale.
  2. Au cours de la surveillance au passage du train 293-28 alors que celui-ci était encore en mouvement, le mécanicien de locomotive du train BAL-27 a quitté sa position au sol afin de retourner dans la cabine de sa locomotive pour des raisons personnelles.
  3. En s'introduisant entre le pupitre de commande et son siège pour prendre un papier essuie-tout sur la console de la locomotive, le ML a involontairement déplacé la poignée du frein automatique à la position de desserrage.
  4. Comme le mécanicien de locomotive ne pouvait entendre le son de la remise en pression du frein à air automatique, il est sorti de la cabine sans se rendre compte que ce frein s'était desserré.
  5. À cause de la détection tardive du mouvement du train BAL-27, il ne restait plus suffisamment de temps et de distance pour que le freinage d'urgence arrête le mouvement non contrôlé avant sa collision avec le train 293-28, quelque 7 secondes après le déclenchement du freinage d'urgence par le ML.
  6. Même si le bulletin de composition indiquait un poids de 1800 tonnes courtes pour le train BAL‑27, du ballast gelé était resté dans de nombreux wagons; avec son poids déclaré de 2868 tonnes, le train était devenu plus lourd.
  7. En raison de l'accumulation de glace et de neige sur les freins de la locomotive et du poids du train (2868 livres), le coefficient de frottement efficace des semelles de frein indépendant de la locomotive avait été réduit à 7,5 % tout au plus.
  8. Même si le mécanicien de locomotive du train BAL-27 a effectué de légers serrages du frein indépendant au moment de s'engager dans la voie d'évitement, le conditionnement des semelles de frein pour déglacer et déneiger les composants de frein n'a pas été suffisant pour que les semelles de frein de la locomotive présentent un coefficient de frottement adéquat pour produire l'effort retardateur nécessaire à la retenue du train dans la voie d'évitement.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si on utilise comme protection secondaire le dispositif de veille automatique de locomotive équipé d'une protection contre la dérive, il risque de ne pas pouvoir empêcher des mouvements non contrôlés.
  2. Si un mouvement non contrôlé peut entrer sur la voie principale sans être détecté, les trains ou mouvements en approche peuvent ne pas être avertis à temps, ce qui augmente le risque de collisions.
  3. Si les membres de l'équipe de train demeurent en service au-delà d'une période d'éveil prolongée, l'exécution de leurs tâches cognitives risque d'être compromise.
  4. Si on n'installe pas des enregistreurs audio-vidéo dans la cabine des locomotives de tête, il y a un risque que des renseignements précieux pouvant permettre de découvrir et d'éliminer des lacunes de sécurité continuent d'être inaccessibles.

3.3 Autres faits établis

  1. Le frein indépendant de la locomotive CP 2275 était conforme aux spécifications, avec une force de freinage totale de 75 920 livres et un coefficient de freinage net de 27,5 %.
  2. La vitesse d'activation de la protection-RSC contre la dérive, qui n'est pas définie dans le Règlement relatif à l'inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer approuvé par Transports Canada ni dans les normes de l'Association of American Railroads, n'est pas appliquée uniformément par les chemins de fer du Canada; elle varie entre 0 et 2,5 mi/h, d'où la variabilité correspondante dans la temporisation du déclenchement et les distances d'arrêt.
  3. Après avoir terminé le mouvement de marche arrière et immobilisé leur train dans la voie d'évitement, les membres de l'équipe du train BAL-27 avaient été en service durant environ 13 heures, au-delà du temps de service maximum de 12 heures prévu dans les Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaire approuvées par Transports Canada.
  4. Bien que le Chemin de fer Canadien Pacifique ait reconnu l'accident comme une situation d'urgence, aucun rapport n'a été soumis à Transports Canada pour expliquer que l'équipe du train BAL-27 avait eu à travailler au-delà du temps de service maximum.
  5. Le nombre d'événements mettant en cause des mouvements non contrôlés (c.-à-d., matériel roulant parti à la dérive) a augmenté d'environ 10 % au cours des 5 dernières années, comparativement à la tendance des 10 dernières années.
  6.  

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 26 décembre 2016, le BST a émis l'Avis de sécurité ferroviaire (ASF) 16-16 concernant l'activation, sur certaines locomotives du Canadien Pacifique (CP), de la protection contre la dérive par le dispositif de veille automatique (RSC).

4.1.2 Transports Canada

Le 14 décembre 2016, Transports Canada (TC) a émis à l'intention du CP une lettre de non-conformité aux règles 114(a), 114(b) et 304.1 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC). En réponse, le CP s'est engagé à augmenter les contrôles de conformité sur l'obstruction de voies et, pour les croisements de train, à effectuer des essais du frein rhéostatique sur la subdivision de Weyburn. Le CP s'est engagé aussi à observer la conformité en fonction de la conduite des trains et de la vitesse, ainsi que la conformité à toutes les autres règles du REFC et aux Instructions générales d'exploitation.

Le 22 décembre 2016, en réponse à l'ASF 16/16, TC a émis un arrêté ministériel (MO 16-07). La lettre qui l'accompagnait ordonnait aux compagnies de chemin de fer de compétence fédérale de déposer auprès du ministre des Transports :

  1. une liste des modèles de locomotives en service équipées d'un dispositif de veille automatique avec protection contre la dérive et une liste des spécifications de conception du système d'ici le 23 janvier 2017; et
  2. dans les 30 jours suivant tout essai effectué conformément au point 2 de l'arrêté ministériel MO 16-07, le résultat de l'essai ainsi que le processus et la procédure suivis pour veiller à ce que le système fonctionne selon ses spécifications de conception.

4.1.3 Association des chemins de fer du Canada

Les chemins de fer membres ont créé un comité de travail pour revoir de façon proactive la règle actuelle sur la protection contre la dérive ainsi que pour examiner et explorer davantage les secteurs où la sécurité peut être améliorée.

4.1.4 Chemin de fer Canadien Pacifique

Après l'événement à l'étude, le CP a déterminé que le système de protection contre la dérive sur la locomotive du train BAL-27 n'avait pas fonctionné conformément à la spécification du constructeur.

Le 19 décembre 2016, le CP a émis un bulletin de système (CPSB-057-16) à l'intention de tous les employés d'exploitation. Le bulletin indiquait que, jusqu'à avis contraire, le RSC avec protection contre la dérive sur toutes les locomotives EMD GP20C-ECO (locomotives des séries 2200/2300) et SD30C-ECO (locomotives de la série 5000) ne doit pas être utilisé comme moyen d'immobilisation physique ou comme dispositif mécanique, comme il est indiqué à la règle 112 du REFC et à la Section 4 des Instructions générales d'exploitation du CP. Le 13 janvier 2017, le CP a émis le bulletin de système CPSB-002-17, qui étendait cette restriction à 5 autres séries de locomotivesNote de bas de page 33.

Le CP participe à un groupe de travail dont le mandat est d'examiner les exigences relatives à la protection-RSC contre la dérive.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Enquêtes du BST concernant des mouvements non contrôlés

No Numéro de l'événement Date Description Emplacement
1 R16W0074 2016-03-27 Mouvement non contrôlé d'un matériel roulant, Chemin de fer Canadien Pacifique, manœuvre de triage 2300 en formation sur les systèmes pour locomotives télécommandées, point milliaire 109,7, subdivision de Sutherland Saskatoon (Saskatchewan)
2 R16W0059 2016-03-01 Mouvement non contrôlé d'un matériel roulant, Cando Rail Services, manœuvre 2200 au Co‑op Refinery Complex, point milliaire 91,10 de la subdivision de Quappelle Regina (Saskatchewan)
3 R15D0103 2015-10-29 Dérive et déraillement de wagons en voie non principale, Chemin de fer Canadien Pacifique, rame de wagons entreposée, point milliaire 2,24, embranchement d'Outremont Montréal (Québec)
4 R15T0173 2015-07-29 Dérive, collision et déraillement de matériel roulant en voie non principale, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 0,0, subdivision de Halton Toronto (Ontario)
5 R13D0054
2013-07-06 Train parti à la dérive et déraillement en voie principale, train de marchandises MMA-002 de la Montreal, Maine & Atlantic Railway, point milliaire 0,23, subdivision de Sherbrooke, Lac-Mégantic (Québec) Lac-Mégantic (Québec)
6 R12E0004
2012-01-18 Collision en voie principale entre du matériel roulant à la dérive et le train A45951-16 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 44,5, subdivision de Grande Cache Hanlon (Alberta)
7 R11Q0056
2011-12-11 Train parti à la dérive, train de marchandises LIM-55 du Chemin de fer QNS&L, point milliaire 67,20, subdivision de Wacouna Dorée (Québec)
8 R09D0053 2009-09-09 Collision hors d'une voie principale de la locomotive 6425 de Via Rail Canada Inc., Centre de maintenance de Montréal de Via Rail Canada Inc. Montréal (Québec)
9 R09T0057
2009-02-11 Train à la dérive et déraillement hors d'une voie principale, Southern Ontario Railway, train de manœuvre 0900 de Hagersville, points milliaires 0,10 et 1,9, embranchement Hydro Nanticoke (Ontario)
10 R08V0270
2008-12-29 Dérive et collision hors d'une voie principale, Kettle Falls International Railway, mission de Waneta, point milliaire 141,20, subdivision de Kettle Falls Waneta (Colombie-Britannique)
11 R07H0015

2007-07-04 Matériel roulant à la dérive, Chemin de fer Canadien Pacifique, tranche de wagons à la dérive, point milliaire 119,5, subdivision de Winchester Smiths Falls (Ontario)
12 R07V0109 2007-04-23 Déraillement sur une voie autre que la voie principale, Kootenay Valley Railway (KVR), manœuvre 0700 Trail, point milliaire 19,0, subdivision de Rossland Cariboo (Colombie-Britannique)
13 R06V0183

2006-09-03 Train à la dérive et déraillement du train de travaux 114 de la White Pass and Yukon Route, point milliaire 36,5, subdivision de Canadian Log Cabin (Colombie-Britannique)
14 R06V0136
2006-06-29 Matériel roulant parti à la dérive et déraillement du train de marchandises L-567-51-29 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 184,8, subdivision de Lillooet Près de Lillooet (Colombie-Britannique)
15 R05H0011
2005-05-02 Wagons à la dérive et collision en voie principale, train de marchandises numéro 441 de l'Ottawa Central Railway, point milliaire 34,69, subdivision d'Alexandria Maxville (Ontario)
16 R04V0100 2004-07-08 Matériel roulant à la dérive, train M-359-51-07 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 57,7, subdivision de Fraser Bend (Colombie-Britannique)
17 R03T0026 2003-01-21 Collision dans un triage, Chemin de fer Canadien Pacifique, wagon numéro HOKX 111044, point milliaire 197,0, subdivision de Belleville, triage de Toronto Agincourt (Ontario)
18 R03T0047  2003-01-22 Collision dans un triage, wagon-citerne PROX 77811 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 25,0, subdivision de York Toronto (Ontario)
19 R99D0159
1999-08-27 Wagons partis à la dérive, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 69,4, subdivision de Kingston, embranchement Wesco Cornwall (Ontario)
20 R98M0029
1998-09-24 Dérive de wagons, collision et déraillement en voie principale, train numéro A402-21-24 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 105,4, subdivision de Mont-Joli du Chemin de fer de la Matapédia Mont-Joli (Québec)
21 R98M0020
1998-07-31 Dérive d'un wagon et collision en voie principale, train de voyageurs numéro 14 de VIA Rail Canada Inc. et un wagon de type « five-pak » à la dérive, point milliaire 105,7, subdivision de Mont-Joli du Chemin de fer de la Matapédia Mont-Joli (Québec)
22 R97C0147
1997-12-02 Dérive de wagons et déraillement, Chemin de fer Canadien Pacifique, train numéro 353-946, subdivision de Laggan Field (Colombie-Britannique)
23 R96C0172 1996-08-12 Collision en voie principale, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, train 117 et 20 wagons partis à la dérive, point milliaire 122,9, subdivision d'Edson Près d'Edson (Alberta)
24 R96C0209 1996-10-09 Wagons partis à la dérive, Chemin de fer Canadien Pacifique, manœuvre de triage CP 0700, point milliaire 166,2, subdivision de Willingdon, voie d'échange de Clover Bar Edmonton (Alberta)
25 R96T0137 1996-04-24 Cinq wagons-citernes partis à la dérive, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 0,0, subdivision de Hagersville Nanticoke (Ontario)
26 R96C0086 1996-04-13 Train parti à la dérive, Chemin de fer Canadien Pacifique, train de marchandises numéro 607-042, point milliaire 133,0, subdivision de Laggan Field (Colombie-Britannique)
27 R95M0072 1995-12-14 Wagons partis à la dérive, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, train numéro 130-13, point milliaire 0,0, subdivision de Pelletier Edmundston (Nouveau-Brunswick)
28 R94V0006
1994-01-18 Train parti à la dérive, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, point milliaire 175, subdivision de Grande Cache Latornell (Alberta)