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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R18H0105

Collision en voie principale entre un train et un véhicule d’entretien
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de marchandises X 14921-01 et
bourreuse Unimat
Point milliaire 84,27, subdivision de Kingston
Crysler (Ontario)

Résumé

Le 2 octobre 2018, vers 0 h 10, heure avancée de l’Est, le train X 14921-01 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) circulait vers l’ouest à environ 48 mi/h sur la voie sud de la subdivision de Kingston du CN lorsqu’il a heurté une machine d’entretien de la voie qui travaillait sur la voie nord au point milliaire 84,27, près de Crysler (Ontario). Les organes de travail (bourroirs) de la machine d’entretien de la voie étaient déployés à l’horizontale et obstruaient la voie sud. Il n’y a pas eu de blessés. Les bourroirs de la machine d’entretien de la voie ont été endommagés. Des dispositifs de sécurité sur les 2 locomotives et sur 3 wagons du train ont été endommagés. Sept autres wagons ont été légèrement endommagés.

1.0 Renseignements de base

1.1 L’accident

Le 1er octobre 2018, à 22 hNote de bas de page 1, le train de marchandises X 14921-01 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a quitté Montréal (Québec) vers l’ouest, à destination de Brampton (Ontario) (figure 1). Le train comptait 2 locomotives de tête et 153 wagons intermodaux chargés. Il pesait 10 466 tonnes et mesurait 9525 pieds de long. L’équipe de train comptait1 mécanicien de locomotive et 1 chef de train. Les 2 employés étaient qualifiés pour leur poste respectif, connaissaient bien le territoire et satisfaisaient aux exigences établies de repos et d’aptitude au travail.

Figure 1. Carte du lieu de l’événement (source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)
Carte du lieu de l’événement (source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)

Des travaux en voie, consistant à soulever les rails, à redistribuer le ballast et à aligner et stabiliser les rails, étaient en cours entre les points milliaires 82 et 87 de la subdivision de Kingston du CN. Ces travaux étaient exécutés par 3 machines d’entretien de la voie : une bourreuse UnimatNote de bas de page 2, une régaleuse à ballast et un stabilisateurNote de bas de page 3.

À cet endroit, il y a 2 voies principales; la voie nord et la voie sud (figure 2). Lors de l’événement, les travaux étaient en cours sur la voie nord et protégés en vertu de la règle 42 (Protection prévue) du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC)Note de bas de page 4.

Figure 2. Schéma du lieu de l’événement montrant les positions du contremaître responsable de la règle 42, du sous-contremaître, des opérateurs, de l’opérateur assurant la formation et du contremaître 2 (source : BST)
Schéma du lieu de l’événement montrant les positions du contremaître responsable de la règle 42, du sous-contremaître, des opérateurs, de l’opérateur assurant la formation et du contremaître 2 (source : BST)

À 23 h 55, tandis que le train approchait du point milliaire 80 sur la voie sud, l’équipe de train a communiqué avec le contremaître responsable de la règle 42 pour demander l’autorisation de circuler dans la zone de travaux, comme l’exige la règle 42. Le contremaître a alors communiqué avec le sous-contremaîtreNote de bas de page 5 qui protégeait les travailleurs de la voie en vertu d’une autorité déléguée. Ayant reçu la confirmation que tous avaient dégagé la voie sud, le contremaître a accordé l’autorisation à l’équipe de train de circuler sans restriction dans la zone de travaux sur la voie sud. L’équipe de train a reçu l’instruction d’actionner la cloche et le klaxon de la locomotive en croisant les travailleurs et les machines.

Le contremaître était dans son camion sur le pont d’étagement situé à proximité (environ 0,6 mille au nord-est) du lieu où le sous-contremaître et son équipe travaillaient sur les rails. Le contremaître s’était garé à cet endroit élevé pour assurer une qualité optimale des échanges radio avec les équipes de conduite et les employés de l’Ingénierie. Toutefois, de cet endroit, il ne pouvait observer les employés qui travaillaient sur les rails dans les limites de la zone protégée par la règle 42 ni n’était tenu de le faire.

Le sous-contremaître, qui s’affairait à d’autres tâches opérationnelles, était dans son camion du côté nord de l’emprise du chemin de fer, à environ 250 pieds à l’est des machines d’entretien de la voie qui étaient sous sa protection (un stabilisateur, une régaleuse à ballast et une bourreuse). De cet endroit, il n’était pas en position ni n’était tenu de voir le côté sud des machines d’entretien de la voie, incluant la bourreuse.

Le 2 octobre 2018, vers 0 h 10, circulant en direction ouest à environ 48 mi/h sur la voie sud, l’équipe du train a remarqué que les bourroirs de la bourreuse étaient déployés à l’horizontale en travers de la voie sud (figure 3). Le train a frappé les bourroirs; l’équipe a serré les freins automatiques et effectué un arrêt contrôlé jusqu’à l’immobilisation du train. Il n’y a pas eu de blessés. Les bourroirs de la bourreuse ont été endommagés. Les dispositifs de sécurité (échelles et marchepieds en étrier) des 2 locomotives (IC 2721, CN 2679) et de 3 wagons ont été endommagés. Sept autres wagons ont subi des dommages mineurs (éraflures).

L’événement s’est produit à la noirceur. Les phares de chaque machine d’entretien de la voie éclairaient légèrement le secteur. La bourreuse faisait face à l’est et ses phares étaient allumés. La visibilité était bonne et la température était de 9 °C.

Figure 3. Gros plan du site de l’événement avant la collision. (source : BST)
Gros plan du site de l’événement avant la collision. (source : BST)

1.2 Renseignements sur la subdivision

La subdivision de Kingston du CN part de l’est de Dorval (point milliaire 10,3) et s’étend vers l’ouest jusqu’à la gare Union à Toronto (point milliaire 333,8). Le tronçon de la subdivision de Kingston situé entre l’est de Dorval (Québec; point milliaire 10,3) et Oshawa (Ontario, point milliaire 301,6) appartient au CN. Le tronçon situé entre Oshawa et la gare Union de Toronto (point milliaire 333,8) appartient à GO Transit (GO). Aux environs de l’événement, la voie ferrée comptait 2 voies principales en palier et en alignement. Les trains sont exploités sur l’une ou l’autre voie, dans l’une ou l’autre direction, en fonction des impératifs du service.

Les mouvements de train y sont régis par le système de commande centralisée de la circulation (CCC) autorisé en vertu du REFC et supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) en poste à Montréal.

Habituellement, 13 trains de voyageurs et 18 trains de marchandises circulent quotidiennement sur ce tronçon de la subdivision de Kingston. Il s’agit d’une voie de catégorie 5 aux environs du lieu de l’événement, conformément au Règlement concernant la sécurité de la voie approuvé par Transports Canada.

1.3 Règle 42 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada

Sur le chantier, la règle 42 (Protection prévue) du REFC était en vigueur tous les jours de 21 h à 7 h entre les points milliaires 82 et 87 sur les 2 voies principales pour protéger une équipe de nivellementNote de bas de page 6 (annexe A). Le contremaître supervisait la protection des travailleurs de la voie pour s’assurer que l’équipement, les employés et les sous-contremaîtres dégagent la voie avant que des trains ne soient autorisés à circuler dans la zone de travaux. Un sous-contremaître qualifié en vertu du REFC surveillait les travaux de chantier.

Lors de l’événement, les travailleurs qui étaient sur la voie ou qui participaient aux travaux étaient les suivants :

Les travailleurs de la voie étaient qualifiés pour leur poste respectif, connaissaient bien le territoire et satisfaisaient aux exigences établies de repos et d’aptitude au travail.

Les travailleurs de la voie de l’événement à l’étude en étaient à leur septième de 9 quarts de travail consécutifs. Compte tenu de leurs heures de travail et de repos, rien ne permet d’affirmer qu’ils étaient fatigués la nuit de l’accident.

Pour le quart de travail en cause, le sous-contremaître protégeait la bourreuse, la régaleuse à ballast et le stabilisateur de voie lorsqu’ils étaient sur les rails. Les autres travailleurs et les autres machines d’entretien de la voie devaient demeurer à l’écart jusqu’à ce que leur présence sur la voie devienne nécessaire et qu’ils soient autorisés à monter sur les rails.

Au CN, lors de la protection d’une grande équipe de travaux en vertu de la règle 42, le sous-contremaître assumait habituellement la supervision des activités des travailleurs et des machines tandis que le contremaître responsable de la règle 42 s’occupait de communiquer avec le CCF et les trains en approche. Avant d’autoriser un train à entrer dans une zone de travaux, le contremaître obtenait la confirmation du sous-contremaître que les travailleurs et les machines avaient dégagé la voie. Un sous-contremaître supervisant le dégagement d’une grande équipe de travaux était communément surnommé clearing foreman (contremaître chargé de faire dégager la voie).

Avant d’entreprendre leurs activités ce jour-là, les travailleurs de la voie ont été informés des changements d’itinéraires prévus pour les trains. Le contremaître avait déjà délibéré avec le CCF de la nécessité de faire circuler les trains dans l’une ou l’autre direction sur la voie sud à l’intérieur de la zone de travaux. Le CCF avait donc appliqué une protection en bloquant les signaux sur l’affichage de la voie à l’écran de contrôle de la circulation ferroviaire pour valider cette entente.

Les travaux en voie ont commencé vers 23 h 30. Avant l’accident cette nuit-là, un autre train circulant vers l’ouest avait été autorisé à s’engager sur la voie sud dans la zone de travaux, et aucun incident n’est survenu.

1.3.1 Liste de libération de la voie

En vertu de la règle 42 du REFC, il incombe au contremaître désigné de s’assurer que tous les travailleurs et toutes les machines ont dégagé la voie et qu’un train pourra y circuler sans danger, et ce, avant d’autoriser un train à s’engager dans la zone protégée. Les procédures de la règle 42 du chemin de fer indiquent au contremaître responsable de la règle 42 comment utiliser une liste de libération de la voie comme aide-mémoire (annexe B). Ce formulaire est pratique, en ce sens que le contremaître responsable de la règle 42 peut y consigner les détails de la protection prévue par la règle 42, notamment : la zone protégée et la plage horaire; l’heure de la confirmation de la règle 42 au CCF; les initiales du CCF et les noms des employés à qui il a accordé une protection de sous-contremaître en vertu de la règle 42 pour protéger des groupes de travail séparés.

Sous le titre « Groupes de travail séparés », le formulaire limite à 4 le nombre maximal de sous-contremaîtres et spécifie les limites de la zone de travaux, le type de travail et les heures auxquelles les groupes de travail séparés entrent au travail et libèrent la voie.

Dans la section du formulaire intitulée « Libération de la voie », le contremaître inscrit les détails sur les trains qui ont été autorisés à s’engager dans la zone de travaux (désignation et direction du train, restrictions de circulation dans la zone protégée, heure à laquelle le train a libéré les limites).

Les procédures du chemin de fer pour les sous-contremaîtres établissent des exigences semblables à respecter avant qu’un sous-contremaître avise le contremaître que la voie est libre pour le passage d’un train (annexe C). Par contre, le sous-contremaître n’a pas de document ou de gabarit particuliers pour consigner les travailleurs et les machines qu’il protège ou pour faire le suivi de la position des travailleurs et des machines lorsqu’on leur demande de libérer la voie à l’approche d’un train.

Lors de l’événement à l’étude, le sous-contremaître avait adopté un processus selon lequel il incombait aux travailleurs de la voie de lui dire s’ils devaient être consultés avant d’autoriser un train à circuler dans la zone de travaux. Dans le cadre de ce processus, le sous-contremaître avait recours à une liste de libération de la voie informelle qui contenait les noms de tous les employés qui devaient être consultés. Seuls les opérateurs de la régaleuse à ballast et du stabilisateur ont demandé à être inscrits sur la liste. Toutefois, au lieu d’inscrire les 2 noms sur sa liste de libération de la voie, le sous-contremaître les a mémorisés.

Si un travailleur de la voie sous la protection d’un sous-contremaître ne demandait pas d’être inscrit sur la liste de libération de la voie, le sous-contremaître considérait que ce travailleur n’était jamais en voie. Par conséquent, lorsqu’un train a demandé l’autorisation de circuler dans la zone protégée par la règle 42, le sous-contremaître n’a pas communiqué avec les travailleurs de la voie qui n’étaient pas inscrits sur la liste de libération avant que le train soit autorisé à circuler.

Lors de l’événement à l’étude, lorsque l’équipe de train a demandé l’autorisation de circuler dans les limites de la zone de travaux protégée par la règle 42, le contremaître responsable de la règle 42 a communiqué avec le sous-contremaître pour vérifier la situation des travailleurs et de l’équipement. Le sous-contremaître a alors appelé les travailleurs de la voie dont il avait mémorisé les noms pour s’assurer qu’ils dégagent la voie avant d’aviser le contremaître qu’il pouvait autoriser le train à s’engager dans la zone de travaux. L’opérateur de la régaleuse à ballast avait choisi de figurer sur la liste de libération de la voie. L’opérateur du stabilisateur avait aussi choisi de figurer sur la liste de libération de la voie, même si un stabilisateur n’empiète pas sur la voie adjacente. L’opérateur assurant la formation et l’apprenti opérateur de la bourreuse n’ont pas demandé à être inscrits sur la liste de libération de la voie du sous-contremaître.

L’opérateur assurant la formation et l’apprenti opérateur de la bourreuse croyaient qu’à moins d’être sur un aiguillage, où la machine pouvait empiéter sur la voie adjacente, ils pouvaient continuer à travailler pendant qu’un train circulait sur la voie adjacente dans la zone de travaux.

1.4 Renseignements sur les travailleurs de la voie

1.4.1 Contremaître responsable de la règle 42

Le contremaître responsable de la règle 42 connaissait bien le territoire et était qualifié pour le poste qu’il occupait. Il avait été embauché comme chef de train en 2014 et s’était joint au Service de signalisation du CN en juin 2015. Au cours de nombreux quarts de travail lors des 2 années précédentes, il avait été responsable de la protection prévue en vertu de la règle 42 à différents emplacements de la subdivision de Kingston du CN. Le contremaître responsable de la règle 42 travaillait avec l’équipe de cheminots depuis les 4 derniers mois.

1.4.2 Sous-contremaître

Le sous-contremaître connaissait bien le territoire et était qualifié pour le poste qu’il occupait. Il travaillait au CN depuis 20 ans et avait occupé plusieurs postes techniques. Toutefois, le quart de travail à l’étude était le premier où il assumait le rôle de sous-contremaître et travaillait avec une bourreuse Unimat. Il n’avait pas reçu de formation supplémentaire pour devenir un sous-contremaître travaillant avec une bourreuse Unimat et le CN ne l’exigeait pas.

Le sous-contremaître avait travaillé avec l’équipe de cheminots pendant 6 jours avant l’accident. Le sous-contremaître avait travaillé avec d’autres équipes de cheminots, mais son expérience se limitait à un modèle différent de bourreuse, soit la bourreuse DynacatNote de bas de page 7. Il ne savait pas que la bourreuse Unimat avait des bourroirs qui pouvaient être déployés à l’horizontale et pouvaient empiéter sur une voie adjacente.

1.4.3 Contremaître 2

Le contremaître 2 avait été ajouté à cette équipe de cheminots. Normalement, il aurait travaillé comme sous-contremaître. Il travaillait pour le CN depuis environ 12 ans et travaillait avec l’équipe en cause depuis les 4 derniers mois.

La nuit de l’événement, la bourreuse (modèle Dynacat) avec laquelle cette équipe travaillait normalement était tombée en panne sur un autre chantier. Le contremaître 2 a été appelé sur les lieux pour la réparer. Comme le contremaître 2 n’était pas là pour effectuer les tâches de sous-contremaître, c’est le seul autre contremaître de l’équipe qui en a hérité.

Contrairement au sous-contremaître, le contremaître 2 savait que les bourroirs de la bourreuse Unimat pouvaient empiéter sur la voie adjacente lorsque déployés à l’horizontale. Lorsqu’il agissait comme sous-contremaître de cette équipe, il se plaçait normalement au sol pour aider les opérateurs de machines à négocier des zones plus difficiles (p. ex. des aiguillages), là où les bourroirs devraient être relevés pour éviter tout dommage.

1.4.4 Opérateur assurant la formation sur la bourreuse

L’opérateur assurant la formation sur la bourreuse comptait environ 7 années d’expérience au CN. En 2018, il avait suivi une formation par intermittence d’opérateur de bourreuse Unimat. Avant sa qualification sur ce type de bourreuse le 23 juillet 2018, il avait effectué 63 quarts de travail en tant qu’apprenti opérateur de bourreuse Unimat. Au cours des 2 mois précédant l’événement, il avait travaillé seul sur une bourreuse Unimat en qualité d’opérateur. En septembre 2018, on lui avait demandé de former un apprenti sur la bourreuse Unimat.

Comme la bourreuse Unimat est une machine très complexe dont le fonctionnement est difficile à apprendre, il était normal au CN qu’un employé travaille sous la supervision d’un pair pendant plus de 1 an avant de se qualifier pour manœuvrer cette machine. Une fois qu’un opérateur était jugé qualifié, il pouvait être appelé à former d’autres employés.

Figure 4. Démonstration de la manière dont l’apprenti opérateur aurait été assis aux commandes lors de l’événement. L’apprenti opérateur aurait fait face à l’est. L’opérateur assurant la formation était debout derrière le siège vacant, à l’endroit indiqué par la flèche, à côté de l’apprenti opérateur. (Source : BST)
 Démonstration de la manière dont l’apprenti opérateur aurait été assis aux commandes lors de l’événement. L’apprenti opérateur aurait fait face à l’est. L’opérateur assurant la formation était debout derrière le siège vacant, à l’endroit indiqué par la flèche, à côté de l’apprenti opérateur. (Source : BST)

Lors de l’événement, l’opérateur assurant la formation se tenait debout dans la cabine de la bourreuse Unimat à côté de l’apprenti opérateur (figure 4) et faisait face à l’ouest, dans la direction opposée au sens de marche de la machine. L’opérateur assurant la formation surveillait comment l’apprenti opérateur manœuvrait les commandes de la machine et conversait avec le contremaître 2. Il savait que les bourroirs pouvaient empiéter sur une voie adjacente s’ils étaient levés et déployés à l’horizontale, mais non utilisés. Toutefois, il ignorait qu’un train était en approche et que l’apprenti opérateur avait soulevé les bourroirs à l’horizontale du côté de la voie sud.

1.4.5 Apprenti opérateur de bourreuse

L’apprenti opérateur travaillait au CN depuis 2011. Il était qualifié pour travailler avec plusieurs machines d’entretien de la voie différentes. En 2018, il s’était exercé par intermittence à travailler sur la bourreuse pendant environ 30 quarts de travail. En septembre 2018, il avait commencé la formation à temps plein pour se qualifier comme opérateur de bourreuse Unimat. Il s’agissait de son 16e quart consécutif en formation sur la bourreuse (avec des jours de congé intercalés) lors de l’événement.

Lors de l’événement, l’apprenti opérateur était aux commandes de la bourreuse, ce qui était normal à ce titre. Toutefois, en cas de contraintes de temps, l’opérateur assurant la formation prenait la relève.

L’apprenti opérateur savait qu’un train était en approche, car il avait entendu l’équipe de train communiquer sa position sur les ondes radio. Il était aussi au courant que les bourroirs pouvaient empiéter sur une voie adjacente au niveau d’un aiguillage. À l’approche de l’aiguillage, il a relevé les bourroirs de la bourreuse Unimat à l’horizontale, mais ne savait pas qu’ils empiéteraient sur la voie sud adjacente à cet endroit, près de l’aiguillage.

1.5 Ergonomie du poste de travail de l’opérateur de bourreuse Unimat

L’ergonomie du poste de travail fait référence à la conception et l’agencement des commandes et des écrans d’affichage pour optimiser leur efficacité et leur convivialité tout en minimisant les risques d’erreur humaine. Un opérateur peut demeurer conscient de l’état des systèmes, notamment à l’aide de l’affichage dynamique des données aux écrans de visualisation. La configuration et la sélection des écrans dépendent des besoins de l’utilisateur. Par exemple, des affichages qualitatifs, comme des voyants très brillants, permettent la lecture d’état ou de vérificationNote de bas de page 8.

Lors de l’événement, la bourreuse Unimat était manœuvrée avec son extrémité allongée vers l’avant (figure 5). Assis au poste de travail, l’apprenti opérateur pouvait estimer visuellement la portée des bourroirs déployés en se penchant vers l’avant et en regardant par la fenêtre d’observation (verre transparent) située au bas du poste de travail (figure 6).

Figure 5. Bourreuse Unimat avec son extrémité allongée vers l’avant (source : BST)
 Bourreuse Unimat avec son extrémité allongée vers l’avant (source : BST)
Figure 6. Vue de l’opérateur des bourroirs depuis l’intérieur de la bourreuse par la fenêtre d’observation du poste de travail (source : BST)
 Vue de l’opérateur des bourroirs depuis l’intérieur de la bourreuse par la fenêtre d’observation du poste de travail (source : BST)

Les bourroirs pouvaient être déployés sur environ 39 pouces des 2 côtés de la bourreuse (figure 7). Sur les lieux de l’événement, n’importe quel bourroir du côté sud de la machine déployé à l’horizontale sur plus de 31 pouces empiétait nécessairement sur la voie adjacente. Lors de l’événement, les bourroirs du côté sud de la bourreuse étaient relevés à l’horizontale pour éviter de heurter et d’endommager le cœur de croisement et l’aiguillage plus loin sur la voie, pendant que le bourrage se poursuivait du côté nord de la voie. Les bourroirs du côté sud de la bourreuse étaient aussi déployés sur environ 31 pouces.

L’équipe de la bourreuse Unimat doit rester consciente de la portée latérale des bourroirs, particulièrement lorsque des trains ou des véhicules ont l’autorisation de circuler sur une voie adjacente. Les boîtiers de commande des bourroirs se trouvent sur les postes de commande de l’opérateur de chaque côté de la cabine de la bourreuse. Chaque boîtier de commande comporte 2 commutateurs rotatifs et 2 manches pour contrôler les mouvements latéraux (gauche et droit, à l’horizontale) (figure 8).

Figure 7. Bourroirs déployés (source : BST)
 Bourroirs déployés (source : BST)
Figure 8. Commutateurs rotatifs et manches dans la cabine de la bourreuse (source : BST)
 Commutateurs rotatifs et manches dans la cabine de la bourreuse (source : BST)

La cabine de la bourreuse Unimat est un lieu de travail relativement sombre et les commandes ne sont pas reliées à des écrans de visualisation éclairés. De plus, il n’y avait aucun affichage pour indiquer expressément si un bourroir était déployé à l’horizontale.

1.6 Charge de travail cognitive et distraction

On peut décrire la charge de travail comme étant la relation entre la capacité d’une personne d’exécuter un travail et les exigences du travail à un moment donné. Les exigences d’un travail se rapportent aux tâches, soit : leur nombre à l’intérieur d’un travail, la nécessité de les terminer simultanément, les contraintes et la complexité de chacune et le temps requis pour chacune.

La charge de travail cognitive fait référence aux exigences d’une tâche pesant sur les ressources, telles l’attention, la résolution de problèmes, la mémoire et la prise de décision. Une charge de travail cognitive élevée peut diminuer le rendement de l’opérateur, car les ressources limitées dont il dispose sont invariablement concentrées sur des éléments d’une tâche ou sur certaines tâches en particulier, et ce, au détriment d’autres tâches.

Dans le cas de la bourreuse Unimat, la charge de travail cognitive de l’opérateur assurant la formation est élevée, principalement à cause de la nécessité de superviser le travail de l’apprenti opérateur, surtout dans des endroits plus ardus comme des branchements. Lors de l’événement, la bourreuse se trouvait à la hauteur d’un branchement.

L’article 3 de la section 8 des Instructions générales d’exploitation du CN stipule en partie ce qui suit :

3.1 Obligations de tous (membres de la direction, membres du personnel, entrepreneurs, visiteurs, etc.)

[…]

  1. Les membres du personnel à qui on confie un stagiaire doivent assurer une surveillance continue de ce stagiaire et être en mesure d’intervenir rapidement afin de mettre fin ou d’apporter des correctifs à toute activité non conforme ou non sécuritaireNote de bas de page 9.

Les distractions d’un opérateur de machine d’entretien de la voie à lourde charge de travail cognitive doivent être maintenues au minimum. Lors de l’événement à l’étude, des fournitures (comme de l’eau) étaient rangées dans la cabine de la bourreuse. Le personnel entrait régulièrement dans la cabine de la bourreuse alors qu’elle fonctionnait pour ramasser des fournitures, se protéger du mauvais temps et discuter de questions opérationnelles avec l’opérateur.

L’article 4 de la section 8 des Instructions générales d’exploitation stipule en partie ce qui suit :

4.1 Règles générales

[…]

4.1.7 Dans l’intérêt de la sécurité, il est essentiel que les membres du personnel en service portent toute leur attention à l’accomplissement de leurs tâches. Les activités suivantes sont donc interdites au travail :

[…]

La règle générale A du REFC stipule en partie que :

  1. Tout employé d’un service associé à des mouvements, à la manœuvre des aiguillages de voie principale ou qui assure la protection de travaux en voie et de véhicules d’entretien, doit :

    […]

    1. s’abstenir durant son service de se livrer à des activités non ferroviaires susceptibles de le distraire dans l’accomplissement de ses tâches […]Note de bas de page 11

1.7 Aide-mémoire

Les aide-mémoire sont d’usage courant dans l’industrie du transport. Ils aident à pallier les trous de mémoire, c’est-à-dire les oublis. Plusieurs facteurs peuvent causer un trou de mémoire, notamment l’interférence ou la distraction résultant d’activités concurrentes ou simultanées entre lesquelles une personne doit diviser son attention. Ce problème peut arriver même à l’employé le plus compétent et averti.

Au CN, les sous-contremaîtres d’équipes de cheminots n’avaient aucun formulaire standard pour les aider à superviser les employés et les équipements dont ils étaient responsables. Pour le faire, certains sous-contremaîtres griffonnaient des notes sur du papier, d’autres se fiaient à leur mémoire. Les sous-contremaîtres avaient à leur disposition la liste de libération de la voie des contremaîtres responsables de la règle 42 (annexe B) et pouvaient l’utiliser comme aide-mémoire officiel. Toutefois, lors de l’événement à l’étude, le sous-contremaître ne savait pas que ce formulaire était disponible et qu’il pouvait s’en servir.

1.8 Séquence des événements

Le tableau 1 présente un sommaire de la séquence des événements à l’étude.

Tableau 1. Séquence des événements à l’étude
Date Heure (approximative) Événement
2018-10-01 2000:00 L’équipe des Services de l’ingénierie est entrée en service à Crysler.
2018-10-01 2010:00 Après la séance de briefing, le sous-contremaître a inscrit les noms des opérateurs de la régaleuse à ballast et du stabilisateur sur sa liste de libération de la voie.
2018-10-01 2200:00 Le train 149 a quitté Montréal.
2018-10-01 2330:00 Les opérateurs de la bourreuse, de la régaleuse à ballast et du stabilisateur ont commencé les travaux.
2018-10-01 2337:00 Le train 309 a été autorisé à circuler sans restriction sur la voie sud dans les limites de la zone protégée par la règle 42.
2018-10-01 2340:00 La bourreuse était utilisée sur l’aiguillage ouest à Crysler.
2018-10-01 2345:00 Le contremaître 2 est revenu sur le chantier et est entré dans la cabine de la bourreuse.
2018-10-01 2354:00 Les bourroirs ont été relevés et déployés à l’horizontale tandis que la bourreuse approchait du cœur de croisement de l’aiguillage ouest à Crysler.
2018-10-01 2355:00 Le train 149, qui circulait sur la voie sud, a appelé le contremaître responsable de la règle 42 pour lui demander l’autorisation de s’engager dans la zone de travaux.
2018-10-01 2355:05 Le contremaître responsable de la règle 42 a appelé le sous-contremaître pour l’aviser que le train 149 était en approche sur la voie sud et lui demander la situation des travailleurs de la voie dont le sous-contremaître était responsable.
2018-10-01 2355:15 Le sous-contremaître a communiqué avec les travailleurs de la voie inscrits sur sa liste de libération de la voie (qui ne comprenait pas les travailleurs de la voie sur la bourreuse).
2018-10-01 2355:20 Le sous-contremaître a confirmé au contremaître que les personnes et les machines dont il était responsable avaient dégagé la voie.
2018-10-01 2357:00 Le contremaître responsable de la règle 42 a autorisé le train 149 à circuler sans restriction dans la zone de travaux sur la voie sud.
2018-10-01 2357:15 L’apprenti opérateur a entendu la radiocommunication du train 149 qui approchait des limites de la zone protégée par la règle 42 tandis que l’opérateur assurant sa formation conversait avec le contremaître 2.
2018-10-02 0004:01 L’équipe du train 149 a actionné le klaxon en approchant de l’endroit où les machines d’entretien de la voie étaient utilisées.
2018-10-02 0004:08 Le train 149 circulait à environ 48 mi/h lorsque l’équipe du train a vu les bourroirs qui obstruaient la voie sud.
2018-10-02 0004:08 à 0004:13 L’équipe du train 149 a actionné le klaxon plusieurs fois avant d’entrer en collision avec la bourreuse.
2018-10-02 0004:18 Le train 149 a heurté les bourroirs de la bourreuse.
2018-10-02 0004:23 Les freins du train 149 ont été serrés.
2018-10-02 0007:00 Le train 149 s’est immobilisé par arrêt contrôlé.

1.9 Exigences de sécurité pour les employés de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada qui travaillent sur les voies ou à proximité

Au CN, les employés qui effectuent des travaux d’entretien de la voie doivent être qualifiés en vertu du REFC. Les employés doivent également se conformer aux règlements, normes et instructions de la compagnie, incluant les Instructions générales de l’ingénierie et les Instructions générales d’exploitation du CN.

Les Instructions générales de l’ingénierie du CN comprennent les procédures de protection des travailleurs de la voie. La section 8 des Instructions générales d’exploitation décrit les principes et les règles de sécurité au travail.

1.10 Séances de briefing

La section 2.0, Séances de briefing, des Instructions générales de l’ingénierie du CN stipule en partie ce qui suit :

2.1  Avant d’entreprendre un travail, le responsable d’un groupe de travail doit tenir une séance de briefing pour toutes les personnes travaillant sur le chantier. […]

2.2  La séance de briefing doit porter sur tous les points pertinents relatifs à la tâche à exécuter et aux mesures de précaution à prendre. Il doit notamment y être question, mais sans s’y limiter, des aspects suivants :

[…]

  • évaluation des risques liés aux activités sur le terrain, en fonction de la tâche à effectuer.

2.3  À la fin de la séance de briefing, tous les membres du personnel doivent confirmer leur compréhension de son contenu. Les détails du briefing doivent être consignés dans les carnets prévus à cette fin, de façon à ce qu’ils puissent être facilement consultés par chaque membre du personnelNote de bas de page 12.

Le jour de l’événement, le sous-contremaître a tenu une séance de briefing avec le contremaître, les opérateurs de machines, un signaleur, l’opérateur de camion-flèche et un mécanicien. L’annexe D dresse une liste des aspects obligatoires devant être discutés au cours des séances de briefing.

Lorsque le sous-contremaître a terminé la séance de briefing, il a conservé la copie manuscrite (annexe E). Un autre employé ayant participé à la séance l’a paraphé. En outre, les opérateurs de machines et les employés ont pris des notes durant la séance de briefing.

Le contremaître responsable de la règle 42 a rempli un autre formulaire de séance de briefing pour y référer avant de participer à la séance de briefing de groupe. Ce formulaire aussi a été paraphé par un autre employé. Il n’a pas eu de copie du formulaire de séance de briefing de groupe.

La personne qui remplit un formulaire de séance de briefing doit y inscrire le dernier bulletin de sécurité en vigueur (avec le numéro du bulletin et la date de parution). Le dernier bulletin de sécurité ferroviaire en vigueur (avec le numéro de bulletin et l’objet) doit aussi y être inscrit, de même que tous les bulletins techniques, les bulletins d’exploitation, les normes de la voie et les avis. Les employés présents à la séance de briefing reçoivent un exemplaire des documents inscrits sur le formulaire de séance de briefing et en discutent aussitôt. Ces documents ne sont pas mentionnés davantage dans des séances de briefing subséquentes. Les employés doivent ensuite consulter régulièrement le référentiel électronique pour demeurer au fait des nouvelles informations.

Le formulaire de séance de briefing comprend une section pour l’énumération des dangers. Le jour de l’événement, le formulaire n’indiquait aucun danger propre à la bourreuse Unimat, et cette pratique n’était de toute façon pas répandue.

1.11 Feuilles de vérification des tâches critiques

Le Carnet de briefing des Services de l’ingénierie du CN comprend des feuilles de vérification des tâches critiques afférentes aux tâches se faisant en plusieurs étapes, et pour lesquelles l’omission d’une seule étape peut être néfaste à l’infrastructure de la voie ou à la sécurité des employésNote de bas de page 13. Ces feuilles de vérification ne sont pas exclusives aux tâches qui s’exercent dans les zones de travaux et il n’est pas toujours obligatoire de les remplir avant d’autoriser un train à circuler dans la zone de travaux.

Les feuilles de vérification des tâches critiques indiquées sur les formulaires de séance de briefing du sous-contremaître et de l’opérateur de bourreuse étaient la CT02 (voie déconsolidée) et la CT03 (inspection et entretien des branchements). Si elles sont remplies avant qu’un train soit autorisé à circuler sur la voie, elles peuvent être utiles pour vérifier des conditions de voie très précises.

Une autre feuille de vérification facultative propre à la machinerie lourde, la CT04 (conduite d’une grue et grutage), à utiliser sur la voie et hors de la voie, rappelle aux opérateurs de remettre certaines pièces d’équipement en place et de les verrouiller avant qu’un train ne soit autorisé à circuler sur la voie. Il n’y avait pas de telle feuille de vérification des tâches critiques propre à la bourreuse ou à un autre matériel lourd (c.-à-d. véhicule d’entretien) portant sur la remise en place et le verrouillage de pièces d’équipement avant qu’un train circule dans les limites de la zone protégée par la règle 42.

1.12 Procédures de libération de la voie par les employés et les machines pour les trains

Au CN, les procédures de libération de la voie par les employés et les machines pour les trains qui approchent d’une zone de travaux ont changé avec les années. Les Instructions générales de l’ingénierie de novembre 2013 énonçaient les exigences suivantes :

Le paragraphe 7.3 stipulait en partie que :

Lorsque le personnel du chantier doit libérer la voie pour laisser passer un train, il doit se mettre en lieu sûr, à au moins 19 pieds (6 mètres) du rail le plus proche de la voie que le train empruntera. S’il est impossible de ménager une distance d’au moins 19 pieds (6 mètres), la vitesse du train doit être réduite au franchissement du chantier et ne pas excéder 30 mi/h (48 km/h). Le personnel ne doit en aucun cas se tenir sur une voie de circulation non protégée pour observer le passage de trains sur des voies adjacentes […]Note de bas de page 14

Le paragraphe 8.2 stipulait :

En voie multiple, une protection officielle doit aussi être assurée sur la ou les voies adjacentes à la voie sur laquelle se déroulent les travaux. Deux voies sont considérées comme adjacentes lorsque l’entraxe de ces voies est inférieur à 25 pieds (7,6 mètres)Note de bas de page 15.

Le paragraphe 10.1 stipulait en partie que :

Les conducteurs de véhicules d’entretien doivent […] connaître les particularités physiques de leur véhicule, et se familiariser avec les instructions ou les manuels d’exploitation et d’entretien fournis par le chemin de fer et/ou le fabricant […]Note de bas de page 16

Le paragraphe 10.7 stipulait :

Il faut arrêter les véhicules d’entretien lorsqu’un train passe sur une voie adjacente. Si cela peut se faire en toute sécurité, il faut surveiller le train à son passage, des deux côtésNote de bas de page 17.

Depuis 2015, le CN a publié 2 bulletins d’ingénierie (tableau 2) et mené une évaluation du risque sur les procédures de libération de la voie. L’évaluation du risque porte sur les tâches avec une bourreuse et les dangers connexes, mais non spécialement à une bourreuse Unimat. Certaines solutions trouvées pour atténuer le risque n’ont pas été incluses dans les bulletins d’ingénierie actuels, par exemple :

Tableau 2. Bulletins d’ingénierie du CN
Date de publication Titre du bulletin d’ingénierie Contenu
2015-06-20 Clearing procedures when working on a Rule 42 in multi-track territory [Procédures de libération de la voie lors d’un travail en territoire multivoie protégé par la règle 42] [Traduction] Si toutes les restrictions sont respectées, les trains peuvent circuler à la vitesse limite. Les bourreuses peuvent continuer à travailler lorsqu’un train les croise; toutefois, la réfection des aiguillages est interdite. La restriction sur la réfection des aiguillages ne s’applique pas à une bourreuse légère.
2017* 2017-E-012: Clearing procedures when working on a Rule 842 in multi-track territory [Procédures de libération de la voie lors d’un travail en territoire multivoie protégé par la règle 842] [Traduction] Vitesse limite de 40 mi/h pour un train de marchandises et de 60 mi/h pour un train de voyageurs. Les bourreuses peuvent continuer à travailler au passage d’un train. Applicable aux machines aux côtés rigides et avec verre trempé.

* Le CN n’a pas fourni le mois et le jour. Le bulletin de 2017 annule et remplace celui de 2015 ainsi que les instructions connexes dans les Instructions générales de l’ingénierie de 2013.

La nuit de l’accident, le bulletin de 2017 était en vigueur, mais il n’était pas véritablement disponible sur le chantier. Ce bulletin n’interdisait pas à une bourreuse de continuer à travailler à la hauteur d’un aiguillage tandis qu’un train circulait sur une voie adjacente.

Lors de la séance de briefing qui s’est déroulée au début du quart de travail en cause, les exigences du plus récent bulletin sur les procédures de libération de la voie lors d’un travail en territoire multivoie sous la protection prévue en vertu de la règle 42 n’ont pas été abordées. La plupart des employés sur les lieux ne savaient pas quel bulletin était en vigueur et n’en connaissaient pas les exigences. En outre, le superviseur de la voie, qui a tenté une action corrective après l’accident, a alors remis un exemplaire du bulletin de 2015 aux employés. Le bulletin de 2015 interdit à une bourreuse de continuer à travailler sur un aiguillage lorsqu’un train est autorisé à s’engager dans la zone de travaux.

Au CN, lorsque des bulletins et des bulletins d’ingénierie sont publiés, chaque superviseur reçoit un exemplaire par courrier électronique et discute du document avec ses employés pour s’assurer que tous comprennent la modification apportée. On s’attend à ce que les employés qui ne comprennent pas le message ou ont des questions sur la façon d’appliquer les nouvelles instructions posent des questions. Le document est également affiché sur l’intranet du CN où les employés peuvent le consulter facilement. Dans ses gares, le CN met des ordinateurs à la disposition des employés pour qu’ils puissent consulter ces renseignements. Toutefois, aucune exigence n’impose de fournir au personnel les bulletins d’ingénierie à jour sur les chantiers ou de mettre en œuvre un système adéquat pour les distribuer.

La règle 83 du REFC, Bulletins d’exploitation, prévoit un système de distribution contrôlée de l’information pour les employés itinérants :

83. Bulletins d’exploitation

  1. Des bulletins d’exploitation seront publiés par l’autorité compétente, dans la forme prescrite. Les employés chargés d’insérer dans un recueil ou d’afficher les bulletins d’exploitation doivent inscrire sur chaque bulletin l’heure et la date de son insertion ou de son affichage. Les bulletins d’exploitation ne contiendront que des renseignements ou des instructions sur la circulation des mouvements. Des bulletins portant le même numéro ne doivent pas être en vigueur en même temps.
  2. Avant de commencer leur service à leur terminal d’affectation où se trouve un recueil ou un tableau d’affichage de bulletins d’exploitation, tous les employés responsables de l’exploitation ou de la supervision de mouvements doivent lire et comprendre les bulletins d’exploitation concernant le territoire sur lequel ils circuleront. 
  3. Un bulletin sommaire donnant le numéro, la date et le contenu de tous les bulletins d’exploitation encore en vigueur, ou faisant référence à ceux-ci, sera publié aux intervalles indiqués dans les instructions spéciales. Les bulletins d’exploitation antérieurs dont il n’est pas fait mention dans le bulletin sommaire cessent d’être valides. Les bulletins sommaires peuvent aussi contenir la totalité du contenu des bulletins d’exploitation prenant effet à ou après la date d’entrée en vigueur du bulletin sommaire et ne seront pas insérés dans un recueil ou affichés. Tous les employés responsables de la circulation ou de la supervision des mouvements doivent avoir à la portée de la main un exemplaire du dernier bulletin sommaire quand ils sont de serviceNote de bas de page 18.

2.0 Analyse

L’enquête n’a rien révélé qui aurait pu indiquer que l’état de la voie ou la manière dont le train X 14921‑01 (train 149) était conduit auraient pu contribuer à l’événement. L’analyse portera sur la protection des activités d’entretien en voie lorsqu’un train est autorisé à circuler sur une voie adjacente dans la zone de travaux, les procédures relatives au sous-contremaître, la distribution aux employés de l’Ingénierie d’information vitale pour la sécurité et les séances de briefing sur la sécurité. L’analyse se penchera également sur la charge de travail cognitive, la distraction et l’ergonomie du poste de travail.

2.1 L’accident

L’accident résulte de la collision entre le train 149 et les bourroirs de la bourreuse Unimat qui étaient déployés à l’horizontale juste avant l’aiguillage et empiétaient sur la voie sud. La collision a endommagé les dispositifs de sécurité des 2 locomotives et de 3 wagons ainsi que les bourroirs de la bourreuse.

L’équipe du train 149 avait reçu du contremaître l’autorisation de circuler sans restriction dans la zone de travaux. L’opérateur assurant la formation sur la bourreuse et l’apprenti opérateur croyaient tous les 2 qu’ils étaient autorisés, en vertu d’un bulletin d’ingénierie, à continuer les travaux de bourrage pendant qu’un train était autorisé à circuler sur la voie adjacente, à moins d’être à la hauteur d’un aiguillage. Le bulletin d’ingénierie du CN n’incluait pas la bourreuse Unimat dans la liste des équipements qu’il faut immobiliser et dont il faut rentrer l’organe de travail lorsqu’un train circule sur une voie adjacente.

L’opérateur assurant la formation savait que la portée des bourroirs relevés et déployés à l’horizontale, mais non utilisés, serait suffisamment longue pour empiéter sur une voie adjacente. L’opérateur assurant la formation sur la bourreuse ne croyait pas que la bourreuse empiéterait sur la voie adjacente pendant l’exécution des travaux. Toutefois, il ne savait pas que le train 149 était en approche ni que les bourroirs avaient été relevés à l’horizontale et déployés.

Lorsque l’apprenti opérateur a regardé par la fenêtre d’observation dans le plancher de la bourreuse, il pouvait voir que les bourroirs du côté sud étaient déployés à l’horizontale. Toutefois,  à ses yeux, les bourroirs n’empiétaient pas sur la voie adjacente, et il ignorait qu’ils pourraient devenir problématiques à cet endroit près de l’aiguillage.

Le contremaître et le sous-contremaître étaient chacun dans leur véhicule. Ils n’étaient pas placés pour voir le côté sud de la bourreuse et n’étaient pas tenus de l’être. Ainsi, ils ignoraient que les bourroirs avaient été déployés à l’horizontale vers la voie sud et qu’ils empiétaient sur la voie alors que le train 149 approchait la zone de travaux.

2.2 Distribution d’information vitale pour la sécurité

Au CN, avant 2015, les Instructions générales de l’ingénierie (GEI) exigeaient que tous les véhicules d’entretien soient arrêtés et que les travailleurs s’éloignent à au moins 19 pieds de la voie. En outre, les travailleurs devaient, au passage d’un train, être situés d’un côté ou de l’autre du train (s’il était sécuritaire de le faire) de manière à faire une inspection au défilé avant de l’autoriser à circuler sur une voie adjacente dans une zone de travaux protégée par la règle 42.

En 2015, le CN a publié un bulletin d’ingénierie sur les procédures de libération de la voie lors d’un travail en territoire multivoie protégé par la règle 42. Le bulletin précisait que les trains pouvaient circuler à la vitesse limite et que la bourreuse pouvait poursuivre les travaux nonobstant le passage d’un train; toutefois, il interdisait la réfection des aiguillages.

En 2017, le CN a publié un autre bulletin d’ingénierie (qui était en vigueur lors de l’événement) qui n’empêchait pas la bourreuse de poursuivre les travaux, même s’il s’agissait de travaux sur un aiguillage, et ce, malgré le passage d’un train dans la zone de travaux protégée par la règle 42.

Aucun des bulletins d’ingénierie susmentionnés ne comprenait de disposition tenant compte du fait que les outils de la bourreuse Unimat pouvaient empiéter sur des voies adjacentes. Comme cette information vitale n’apparaissait pas dans les bulletins, il y avait moins de chance qu’elle soit prise en compte dans les séances de briefing.

Lors des séances de briefing, on attend des superviseurs qu’ils distribuent les nouveaux bulletins ou avis en vigueur qui concernent les employés de l’Ingénierie sur le terrain; on attend des employés qu’ils posent des questions pour s’assurer qu’ils ont bien compris. Toutefois, il n’y a aucune exigence imposant de discuter de cette information lors des quarts de travail suivants. Une fois que l’information a été abordée, on attend des employés, même ceux qui n’étaient pas présents lors des discussions sur le nouveau bulletin ou bulletin d’ingénierie, qu’ils aient compris le contenu de chaque document et qu’ils l’appliquent.

La distribution de bulletins et de bulletins d’ingénierie à jour aux employés dans l’environnement de travail ferroviaire des Services de l’ingénierie peut être compliquée à cause de la taille du milieu de travail (l’emprise ferroviaire au complet) et de la dispersion de l’effectif sur tout le réseau. Si de l’information vitale pour la sécurité n’est pas distribuée efficacement à l’ensemble des employés de l’Ingénierie, ces derniers risquent de ne pas être au courant des modifications apportées aux principes de sécurité au travail, ce qui pourrait augmenter le risque qu’ils s’exposent au danger par inadvertance.

2.3 Procédures de libération de la voie de la règle 42 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Au CN, les contremaîtres responsables de la règle 42 disposaient d’un formulaire à utiliser comme aide-mémoire. Ce document est pratique parce que les contremaîtres responsables de la règle 42 peuvent y consigner des détails sur la règle 42, dont : la zone protégée et la plage horaire; l’heure de la confirmation de la règle 42 au contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF); les initiales du CCF; les noms des employés à qui il a accordé une protection de sous-contremaître en vertu de la règle 42 pour protéger des groupes de travail séparés. La section du formulaire intitulée « Groupes de travail séparés » fixe à 4 le nombre maximal de sous-contremaîtres et spécifie les limites de la zone de travaux des sous-contremaîtres, le type de travail effectué et les heures auxquelles un groupe de travail séparé entre au travail et signale qu’il a libéré la voie.

Toutefois, un tel formulaire imprimé (servant d’aide-mémoire rigoureux aidant les contremaîtres responsables de la règle 42 à s’acquitter de leurs responsabilités) n’existe pas pour aider les sous-contremaîtres à faire le suivi des travailleurs et des machines qu’ils protègent. Les sous-contremaîtres pourraient adapter la liste de libération de la voie des contremaîtres responsables de la règle 42 pour leur usage, mais cette pratique n’est pas courante. Si un sous-contremaître n’a pas à sa disposition d’aide-mémoire convenable pour faire le suivi des personnes et des équipements au cours d’une protection de la voie en vertu de la règle 42, il peut oublier par inadvertance de s’informer sur la situation d’un employé, ce qui augmente le risque d’accident.

Lors de l’événement à l’étude, la règle 42 était utilisée pour protéger un grand chantier employant plusieurs travailleurs et machines. Pour de telles circonstances, la compagnie ferroviaire avait élaboré un processus selon lequel le contremaître responsable de la règle 42 et un sous-contremaître se partageaient les responsabilités : le sous-contremaître faisait le suivi de tous les travaux et le contremaître responsable de la règle 42 s’occupait (en consultation avec le sous-contremaître) d’autoriser les trains à s’engager dans la zone protégée.

Le sous-contremaître, qui avait peu d’expérience avec la bourreuse Unimat, avait sa propre méthode qui consistait à déléguer aux travailleurs la responsabilité de s’identifier et d’exprimer leur besoin de protection en s’inscrivant sur sa liste de libération de la voie. En outre, comme il n’avait pas d’endroit officiel où enregistrer ces travailleurs, le sous-contremaître a choisi de se fier à sa mémoire. Par conséquent, la bourreuse n’a pas été inscrite sur la liste de libération de la voie du sous-contremaître, et ce dernier n’a pas contacté la bourreuse lorsque le contremaître responsable de la règle 42 lui a demandé de libérer la voie pour le train 149.

Le sous-contremaître essayait de simplifier sa tâche de s’assurer que les travailleurs et les machines libéraient la voie pour laisser passer des trains sans danger. Quoique cette action fût louable, il y a eu interversion des responsabilités de protection, qui sont passées du sous-contremaître aux travailleurs étant protégés. On a aussi fait confiance à la mémoire du sous-contremaître pour faire le suivi des employés qui devaient libérer la voie pour les trains. Si des pratiques ponctuelles sont utilisées au lieu de principes officiels de sécurité au travail, ces pratiques pourraient ne pas être suffisantes pour assurer la sécurité, ce qui augmente le risque d’accident.

2.3.1 Séances de briefing

Durant les séances de briefing au début d’un quart de travail, les dangers cernés sont inscrits sur le formulaire de séance de briefing. Lors de l’événement à l’étude, les dangers qui ont été relevés au cours de la séance de briefing concernaient les employés et la voie. Aucune discussion n’a porté spécifiquement sur les dangers relatifs aux machines d’entretien de la voie (p. ex. la possibilité que les bourroirs déployés à l’horizontale d’une bourreuse Unimat puissent empiéter sur une voie adjacente).

Le carnet de séance de briefing des Services de l’ingénierie du CN comprend des feuilles de vérification facultatives pour les tâches critiques, qui aident à établir ce qui doit être fait avant d’autoriser un train à circuler dans une zone de travaux. Toutefois, aucune feuille de vérification du genre n’est propre à une machine d’entretien de la voie en particulier. Aucune feuille de vérification du genre n’a été conçue pour la bourreuse Unimat, qui présente plusieurs dangers additionnels différents de ceux d’autres bourreuses. Seules 2 bourreuses Unimat étaient en service au CN.

Si on ne tient pas une séance de briefing rigoureuse cernant les dangers afférents aux machines d’entretien de la voie, les employés risquent d’ignorer ce qu’il faut faire pour s’assurer qu’un train peut être autorisé à circuler sans danger sur une voie adjacente, ce qui augmente les risques d’accidents et de blessures.

2.4 Distraction

Une distraction inutile peut causer une erreur humaine ou de jugement. Les exigences de la réglementation et de la compagnie ferroviaire interdisent aux employés d’adopter un comportement susceptible de les déconcentrer lorsqu’ils exécutent des tâches essentielles à la sécurité. Les exigences de la compagnie ferroviaire envers les employés assurant une formation leur dictent de toujours centrer leur attention sur l’apprenti. Toutefois, il est impossible d’empêcher les distractions simplement en disant qu’il faut les éviter et qu’il faut demeurer attentif en tout temps.

Lors de l’événement, un autre employé est entré dans la cabine de la bourreuse pour obtenir des fournitures. Cet employé conversait avec l’opérateur assurant la formation, à qui il incombait de superviser les manœuvres de la bourreuse commandée par l’apprenti opérateur. L’opérateur assurant la formation n’accordait donc pas toute son attention à l’apprenti opérateur qui était aux commandes de la bourreuse.

Des employés peuvent devoir entrer de temps à autre dans la cabine pendant que la bourreuse travaille pour des raisons opérationnelles, et il est normal que les employés interagissent. Dans de telles circonstances, il peut être nécessaire, pour éviter les distractions, de réduire les interactions au minimum lorsque la bourreuse est utilisée. Si les procédures de la compagnie ferroviaire n’abordent pas la distraction pendant l’utilisation du matériel lourd, il y a un risque qu’un opérateur ait un moment d’inattention et qu’un accident ou une blessure s’ensuive.

2.5 Ergonomie du poste de travail de la bourreuse Unimat

Un opérateur de bourreuse est censé être conscient en tout temps de la position des bourroirs et être en mesure de déterminer s’ils empiètent sur la voie adjacente une fois déployés à l’horizontale. La bourreuse Unimat ne compte aucun indicateur dédié pour aider l’opérateur à déterminer la position des bourroirs.

Les opérateurs peuvent s’assurer qu’aucune voie adjacente n’est entravée en rentrant les bourroirs et en les verrouillant ou, à tout le moins, en les relevant à la verticale du côté de la machine qui est adjacent à un train qui passe. Toutefois, l’obscurité relative de la cabine de la bourreuse et l’absence d’un affichage visuel d’état au poste de travail empêchaient de constater et de confirmer rapidement que tous les bourroirs étaient rentrés et verrouillés en position verticale.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. L’accident résulte de la collision entre le train 149 et les bourroirs de la bourreuse Unimat qui étaient déployés à l’horizontale juste avant l’aiguillage et empiétaient sur la voie sud.
  2. Le bulletin d’ingénierie du CN n’incluait pas la bourreuse Unimat dans la liste des équipements qu’il faut immobiliser et dont il faut rentrer l’organe de travail lorsqu’un train circule sur une voie adjacente.
  3. L’opérateur assurant la formation sur la bourreuse ne savait pas que le train 149 était en approche ni que les bourroirs avaient été relevés à l’horizontale et déployés.
  4. La bourreuse n’avait pas été inscrite sur la liste de libération de la voie du sous-contremaître, et ce dernier n’a pas contacté la bourreuse lorsque le contremaître responsable de la règle 42 lui a demandé de libérer la voie pour le train 149.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements. 

  1. Si de l’information vitale pour la sécurité n’est pas distribuée efficacement à l’ensemble des employés de l’Ingénierie, ces derniers risquent de ne pas être au courant des modifications apportées aux principes de sécurité au travail, ce qui pourrait augmenter le risque qu’ils s’exposent au danger par inadvertance.
  2. Si un sous-contremaître n’a pas à sa disposition d’aide-mémoire convenables pour faire le suivi des personnes et des équipements au cours d’une protection de la voie en vertu de la règle 42, il peut oublier par inadvertance de s’informer sur la situation d’un employé, ce qui augmente le risque d’accident.
  3. Si des pratiques ponctuelles sont utilisées au lieu de principes officiels de sécurité au travail, ces pratiques pourraient ne pas être suffisantes pour assurer la sécurité, ce qui augmente le risque d’accident.
  4. Si on ne tient pas une séance de briefing rigoureuse cernant les dangers afférents aux machines d’entretien de la voie, les employés risquent d’ignorer ce qu’il faut faire pour s’assurer qu’un train peut être autorisé à circuler sans danger sur une voie adjacente, ce qui augmente les risques d’accidents et de blessures.
  5. Si les procédures d’une compagnie ferroviaire n’abordent pas la distraction pendant l’utilisation de matériel lourd, il y a un risque qu’un opérateur ait un moment d’inattention et qu’un accident ou une blessure s’ensuive.

3.3 Autres faits établis

Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

  1. L’absence d’un écran de visualisation d’état au poste de travail empêchait de constater et de confirmer rapidement que tous les bourroirs étaient rentrés et verrouillés en position verticale.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 16 novembre 2018, le BST a publié l’avis de sécurité ferroviaire 09/18à l’intention de Transports Canada (TC)indiquant qu’étant donné les risques potentiels liés à la circulation de trains dans des zones de travaux, TC aimerait peut-être réviser la partie applicable de la règle 42 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC) qui permet aux travaux d’être poursuivis lorsqu’un mouvement circule sur une voie adjacente.

4.1.2 Transports Canada

Le 11 décembre 2018, Transports Canada (TC) a envoyé une lettre de non-conformité à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) pour avoir contrevenu à la règle 803 du REFC, qui stipule :

  1. Avant le retrait, l’annulation ou l’expiration de la protection, ou avant de donner des instructions à un mouvement, le contremaître doit s’assurer, sauf si une autre forme de protection est mise en place :
    1. que la voie est sécuritaire à vitesse permise; et
    2. que les employés ou les véhicules d’entretien dont il est responsable sont à l’écart de la voie.

Le 28 décembre 2018, TC a reçu une réponse du CN qui décrivait les mesures que la compagnie avait prises à la suite de l’événement en cause. TC a conclu que les mesures répondaient au problème de conformité de façon satisfaisante.

Le 24 juin 2019, TC a donné suite à l’avis de sécurité ferroviaire 09/18 du BST, indiquant que [traduction] :

La règle 42 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC) a pour objet d’assurer la sécurité de la circulation ferroviaire pendant que des travaux se déroulent sur une partie de la voie ou à proximité. La règle informe le personnel itinérant des exigences devant être respectées afin de s’engager dans une zone de travaux. La règle n’a pas pour but d’autoriser ou d’interdire l’exécution de travaux d’ingénierie lorsqu’un train est autorisé à circuler dans la zone de travaux. Il incombe à la compagnie ferroviaire de déterminer le genre de travail qui peut s’effectuer sous la protection de la règle 42 du REFC, incluant le travail lorsqu’un train circule sur une voie adjacente, et de s’assurer que tout le personnel travaillant dans des zones de circulation ferroviaire peut vaquer à ses occupations en toute sécurité.

4.1.3 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Le 4 octobre 2018, à la suite de l’événement à l’étude, le CN a publié le bulletin d’ingénierie 2018-F‑06, « Libération de la voie par les Services de la voie faisant partie d’équipes de renouvellement de rails ou de traverses pendant des travaux protégés en vertu de la règle 842 ». Dans le cadre de ce bulletin, la bourreuse Unimat a été ajoutée sur la liste des équipements qu’il faut arrêter et dont il faut rentrer les organes de travail (bourroirs) lorsqu’un train circule sur la voie adjacente d’une zone de travaux protégée en vertu de la règle 42.

Après l’événement à l’étude, le CN a également mis en œuvre les mesures de sécurité suivantes :

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le Le rapport a été officiellement publié le

Annexes

Annexe A – Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, Règle 42 – Protection prévue

  1. Les signaux de la règle 42 ne doivent pas être en place plus de 30 minutes avant ou après les heures indiquées dans le BM [bulletin de marche] à moins que ce ne soit prévu dans le BM.

    Nota : Le contremaître doit consulter la règle 842 Note de bas de page 19

  2. Un mouvement en possession du modèle Y ne doit pas poursuivre sa route au- delà du signal rouge situé au point repérable indiqué dans le BM, ni entrer dans la zone protégée indiquée dans le BM, ni inverser son mouvement à l’intérieur de cette zone avant d’avoir reçu des instructions du contremaître nommé dans le BM. Lorsqu’il faut utiliser une voie en particulier, les instructions du contremaître doivent préciser la voie sur laquelle les instructions s’appliquent.
  3. Avant de donner suite à ces instructions, il faut les répéter au contremaître nommé dans le BM, et celui-ci doit en accuser réception.
  4. Lorsqu’il y a un branchement signalisé à moins de deux (2) milles d’une protection-règle 42 qui ne s’applique pas à toutes les voies, tous les mouvements doivent s’en approcher prêts à observer les exigences de la règle 42, jusqu’à ce que leur itinéraire soit confirmé.

Annexe B – Liste de libération de la voie qu’un contremaître responsable de la règle 42 doit utiliser

Source : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Annexe C – Procédures pour les sous-contremaîtres

Le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REFC) du CN décrit un sous-contremaître comme étant « [un e]mployé, qualifié en vertu du règlement, qui travaille sous la protection d’un contremaître ».

La section d’instructions spéciales de la règle 855 du REFC du CN, « Plusieurs véhicules d’entretien et/ou travaux en voie – Obligations du contremaître », indique notamment :

MESURES DE PROTECTION DE GROUPES DE TRAVAUX DE SOUS-CONTREMAÎTRES

[…]

La protection des sous-contremaîtres ne s’applique qu’aux groupes de travaux travaillant dans le cadre du projet géré par le contremaître responsable de la protection.

Le contremaître responsable de la protection nommé dans l’autorisation initiale doit entrer le nom du ou des sous-contremaîtres responsables des groupes de travaux séparés, dans la partie prévue du document d’autorisation.

[…]

Avant le début des travaux, le sous-contremaître doit :

  1. se faire remettre/transmettre une copie du POV, de la feuille de libération ou du formulaire Règle 42 du contremaître responsable de la protection.
  2. si l’autorisation est transmise, l’employé qui prend par écrit les renseignements doit les répéter au contremaître responsable de la protection, qui les vérifiera et les soulignera à mesure qu’ils lui sont répétés. Une fois les renseignements correctement répétés, le contremaître indique à l’employé que ceux-ci sont exacts, et les deux employés comparent l’heure qu’ils ont.
  3. appliquer la règle 855 auprès de tous les employés qui l’accompagnent

Toute modification apportée à l’autorisation détenue par le contremaître responsable de la protection, y compris les modifications touchant les autres sous-contremaîtres, doit être communiquée au sous-contremaître, et ces modifications doivent être documentées.

Avant d’autoriser un train à entrer dans la zone de travaux, le contremaître responsable de la protection doit :

  1. noter la désignation et la direction du train dans le registre de libération de la voie;
  2. indiquer à tous les sous-contremaîtres la désignation et la direction du train, et se faire confirmer par ceux-ci que tous les employés et toutes les machines ont libéré la voie;
  3. inscrire un crochet dans la boîte correspondant à chacun des sous-contremaîtres;

  4. noter sur le registre de libération de la voie l’heure à laquelle le train a été autorisé à entrer dans la zone de travaux, de même que l’itinéraire et la vitesse autorisés.

Avant de permettre à un groupe de travaux d’un sous-contremaître de commencer à travailler, le contremaître responsable de la protection doit :

  1. s’assurer que tout train ayant reçu une autorisation a quitté la zone de travaux ou l’emplacement du contremaître ou du sous-contremaître;
  2. pour ce faire, le contremaître ou le sous-contremaître peut avoir recours à une observation directe ou à un contact radio avec le train en cause; l’heure de libération doit être notée dans le registre de libération de la voie du contremaître ou du sous-contremaître.

Le sous-contremaître doit prévenir le contremaître responsable de la protection lorsque cette protection n’est plus nécessaire.

Avant d’annuler la protection ou avant l’expiration de l’heure limite indiquée sur le formulaire Règle 42, le contremaître responsable de la protection doit se faire confirmer par chaque sous-contremaître que tous les employés et toutes les machines ont libéré la voie.

Annexe D – Instructions générales de l’ingénierie de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada relatives aux séances de briefing

La section 2.2 des Instructions générales de l’ingénierie de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada exige ce qui suit :

La séance de briefing doit porter sur tous les points pertinents relatifs à la tâche à exécuter et aux mesures de précaution à prendre. Il doit notamment y être question, mais sans s’y limiter, des aspects suivants : 

  • désignation de la personne responsable;

  • méthode utilisée pour la protection en voie et zone d’application de l’autorisation;
  • voies qui peuvent être obstruées;
  • contrôle opérationnel des mouvements sur les voies adjacentes, s’il y en a;
  • mesures à prendre pour protéger les voies adjacentes, si c’est nécessaire;
  • vitesse de zone maximale et exigences minimales en matière de visibilité lorsqu’on a recours à une sentinelle ou qu’on travaille sur une voie adjacente à une voie en service;
  • modes d’avertissement lorsqu’on a recours à une sentinelle;
  • endroit désigné où les travailleurs peuvent se mettre à l’abri pour laisser passer les trains ou les véhicules d’entretien;

  • zones de travail désignées autour des véhicules d’entretien;

  • distances sécuritaires entre des véhicules d’entretien en cours de travail et de déplacement;

  • évaluation des risques liés aux activités sur le terrain, en fonction de la tâche à effectuer.

Annexe E – Formulaire de séance de briefing rempli par l’un des employés le jour de l’événement

Source : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, avec annotations du BST