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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19W0320

Déraillement de train en voie principale
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises 516-398
Point milliaire 48,86, subdivision de Sutherland
Près de Guernsey (Saskatchewan)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 9 décembre 2019, vers 0 h 10 (heure normale du Centre), le train-bloc 516-398 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique transportant du pétrole brut circulait vers l’est à 44 mi/h dans la subdivision de Sutherland lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit au passage à niveau public passif du chemin Wolverine, situé au point milliaire 48,85, près de Guernsey (Saskatchewan). Une inspection subséquente a permis de déterminer que 1 wagon-trémie couvert chargé de sable et 33 wagons-citernes chargés de pétrole brut (UN1267, classe 3, groupe d’emballage I) avaient déraillé. Vingt des 33 wagons-citernes ayant déraillé avaient subi des brèches et avaient déversé leur contenu. Le produit déversé s’était enflammé et le surplus de produit s’était accumulé dans une grande flaque qui a brûlé pendant environ 24 heures. Il n’y a eu aucun blessé et aucune évacuation n’a été nécessaire.

On estime qu’un total d’environ 1,77 million de litres de pétrole brut se sont déversés au sol et dans l’atmosphère, soit environ 57 % du volume total transporté dans les 33 wagons-citernes qui ont déraillé.

1.0 Renseignements de base

Le 8 décembre 2019 à 20 h 15Note de bas de page 1, une équipe du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a été commandée à Saskatoon (Saskatchewan) pour exploiter le train de marchandises 516-398, un train-blocNote de bas de page 2 transportant du pétrole brut (UN1267, classe 3, groupe d’emballage [GE] I). L’équipe devait exploiter le train de Saskatoon à Wynyard (Saskatchewan), dans la subdivision de Sutherland du CP. Le train avait été chargé au terminal de Hardisty Note de bas de page 3 (Alberta) et devait se rendre à Cushing (Oklahoma), aux États-Unis, en transitant par Emerson (Manitoba). Il était désigné comme un train cléNote de bas de page 4 exploité sur un itinéraire cléNote de bas de page 5.

Le train se composait de 1 locomotive de tête (CP 8946), 1 locomotive de queue à traction répartie (BNSF 5100) et de 101 wagons. Les premier et dernier wagons étaient des wagons-trémies couverts chargés de sable; les 99 autres wagons étaient des wagons-citernes chargés de pétrole brut. Le train mesurait 6130 pieds de long et pesait 14 217 tonnes.

L’équipe de train se composait de 1 mécanicien de locomotive et de 1 chef de train. Les deux membres de l’équipe étaient qualifiés pour leurs postes respectifs, répondaient aux normes d’aptitude au travail et de repos, et connaissaient bien le territoire sur lequel ils travaillaient.

1.1 L’accident

Vers 0 h 10 le 9 décembre 2019, le train circulait vers l’est à 44 mi/h dans la subdivision de Sutherland. Alors que le train s’approchait du passage à niveau public passif du chemin Wolverine (point milliaire 48,85), situé à environ 7 km à l’ouest de Guernsey (Saskatchewan) (Figure 1), l’équipe a remarqué une brèche dans le rail sud. Au moment où la locomotive de tête entrait en contact avec la brèche, elle s’est inclinée vers le sud. Immédiatement après, un freinage d’urgence provenant de la conduite générale a été déclenché. L’équipe a regardé en arrière et a vu une forte explosion au moment où le reste du train se détachait de la locomotive de tête et du premier wagon. De nombreux wagons-citernes en tête de train avaient déraillé et étaient en feu.

Figure 1. Carte du lieu de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST)
Carte du lieu de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST)

Le train s’est immobilisé à 0 h 11. Consciente du danger associé à un incendie de pétrole brut, l’équipe a déplacé la locomotive de tête et le premier wagon vers un endroit sûr à l’est du lieu de l’accident, puis a émis les avis radio d’urgence requis. Il n’y a eu aucun blessé.

Au moment de l’accident, la température était de −19 °C. Au cours des 12 heures précédant l’accident, la température moyenne avait été de −19,3 °C.

1.2 Examen des lieux

Le déraillement s’est produit aux environs du point milliaire 48,86, tout juste à l’ouest d’un passage à niveau public passif qui croise le chemin Wolverine (point milliaire 48,85) dans la subdivision de Sutherland. Le passage à niveau était protégé par des panneaux normalisés de passage à niveau rétroréfléchissants. Le chemin Wolverine est un chemin en gravier à deux voies qui croise la voie ferrée à environ 90°. Dans les environs de l’accident, la voie est parallèle à la route 16 (route Yellowhead), qui est située à environ 100 m au nord de la voie ferrée.

Le premier wagon du train, un wagon-trémie couvert chargé de sable, avait déraillé, mais était resté attelé à la locomotive de tête et avait traversé le passage à niveau. Toutes les roues sud de la locomotive de tête présentaient des traces d’impact transversales sur les tables de roulement (Figure 2).

Figure 2. Trace d’impact sur la table de roulement de la roue avant sud de la locomotive de tête (Source : BST)
Trace d’impact sur la table de roulement de la roue avant sud de la locomotive de tête (Source : BST)

Les 33 wagons-citernes déraillés (de la positionNote de bas de page 6 2 à 34, inclusivement, dans la feuille de train) étaient une combinaison de 9 wagons-citernes DOT-117R et de 24 wagons-citernes de catégorie 111 munis d’une chemise et construits selon la norme CPC-1232. Lors du déraillement, les wagons se sont séparés et se sont immobilisés dans une zone est et ouest séparée par le chemin Wolverine (Figure 3). Au total, 20 des 33 wagons-citernes ont subi des brèches et ont déversé du produit.

Figure 3. Schéma des wagons déraillés (Source : BST)
Schéma des wagons déraillés (Source : BST)

Les 21 premiers wagons-citernes (de la position 2 à 22, inclusivement) ont déraillé à l’est du passage à niveau et se sont immobilisés dans diverses positions dans un grand empilement sur une courte distance d’environ 500 pieds. La plupart de ces wagons-citernes ont subi des brèches et ont déversé du produit. En raison de la topographie des environs du déraillement, le produit déversé s’est écoulé en grande partie dans un fossé créé par le passage à niveau passif, la route, le chemin Wolverine et l’assiette des rails. Le remblai du chemin Wolverine a empêché l’écoulement du produit vers l’ouest, au-delà de la partie principale du déraillement. Une grande partie du produit déversé s’est donc déposé sous les wagons déraillés. Le produit accumulé s’est enflammé et a englouti 19 des wagons-citernes dans un grand feu en nappe (Figure 4).

Figure 4. Vue du site du déraillement 18 heures après l’accident (Source : BST)
Vue du site du déraillement 18 heures après l’accident (Source : BST)

L’incendie a brûlé pendant environ 24 heures et a entraîné la fermeture de la route 16.

Les 12 autres wagons-citernes ont déraillé à l’ouest du chemin Wolverine. Ces wagons sont restés relativement intacts, les dommages et le déversement de produit étant minimes. Cependant, au cours des activités d’assainissement du site, du produit s’est écoulé de certains wagons et s’est enflammé. Le produit qui restait dans ces wagons a ensuite été transféré à d’autres wagons-citernes aux fins d’expédition.

La voie sous le train a été détruite. Tous les morceaux de rail récupérés ont été examinés sur les lieux, mais les rails du point de déraillement présumé n’ont pas été retrouvés.

1.3 Enregistrements

La locomotive de tête était équipée d’un consignateur d’événements de locomotive (CEL) et d’une caméra vidéo orientée vers l’avant.

1.3.1 Renseignements tirés du consignateur d’événements de locomotive

Les événements pertinents relatifs à la conduite du train sont montrés dans le tableau 1.

Tableau 1. Événements de conduite du train provenant du consignateur d’événements de la locomotive de tête
Heure Événement de conduite du train
0 h 10 min 32 s Le train circulait à 44 mi/h. Le manipulateur était en position de ralenti et la pression dans la conduite générale était de 88 lb/po2.
0 h 10 min 34 s La pression dans la conduite générale a chuté de 88 à 54 lb/po2, ce qui indique qu’il y a eu serrage d’urgence des freins à air provenant de la conduite générale. La vitesse du train a diminué à 43 mi/h et le manipulateur est resté à la position de ralenti.
0 h 10 min 35 s La pression dans la conduite générale a chuté à zéro; la vitesse du train était de 42 mi/h.
0 h 11 min 27 s La locomotive s’est immobilisée après avoir parcouru 0,395 mille à la suite du freinage d’urgence.

Les données du CEL ont permis de déterminer qu’un serrage d’urgence des freins à air provenant de la conduite générale s’est produit tout juste avant le déraillement. Avant le freinage d’urgence, le train a été exploité conformément aux exigences de la réglementation et de la compagnie.

1.3.2 Renseignements provenant de la caméra vidéo orientée vers l’avant

Un examen de la vidéo a révélé une brèche dans le rail sud à environ 50 pieds à l’ouest du passage à niveau du chemin Wolverine (Figure 5).

On a déterminé que le rail s’était probablement rompu sous le passage d’un train précédent du CPNote de bas de page 7, avant l’arrivée du train à l’étude. Lorsque les roues de la locomotive ont franchi la brèche, l’image enregistrée a vibré de façon perceptible.

Figure 5. Image fixe captée par la caméra vidéo orientée vers l’avant de la locomotive CP 8946, montrant une brèche dans le rail sud (encerclée) (Source : Canadien Pacifique, avec annotations du BST)
Image fixe captée par la caméra vidéo orientée vers l’avant de la locomotive CP 8946, montrant une brèche dans le rail sud (encerclée) (Source : Canadien Pacifique, avec annotations du BST)

1.4 Marchandises dangereuses

Le transport des marchandises dangereuses (MD)Note de bas de page 8 est régi par la législation et la réglementation fédérale au CanadaNote de bas de page 9 et aux États-UnisNote de bas de page 10. Dans l’événement à l’étude, tous les wagons-citernes transportaient du pétrole brut. Ce produit est désigné comme un liquide inflammable de classe 3, GE I, groupe comprenant les produits les plus dangereux de cette classe.

1.4.1 Liquides inflammables de classe 3

Les liquides inflammables de classe 3 sont des marchandises dangereuses dont les vapeurs peuvent former avec l’air un mélange inflammable à une température égale ou inférieure à 60 °C. Ces liquides inflammables peuvent poser de graves dangers en raison de leur volatilité et de leur inflammabilité, déterminées respectivement par le point initial d’ébullitionNote de bas de page 11 et le point d’éclairNote de bas de page 12.

La volatilité et l’inflammabilité des produits de cette classe étant des caractéristiques qui varient beaucoup, les produits sont regroupés en fonction de ces caractéristiques pour qu’il soit possible d’établir différentes exigences relativement à leur emballage, à leur stockage, à leur manutention et à leur transport. Selon le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, les liquides inflammables de classe 3 sont répartis en 3 groupes d’emballage, soit du GE I (danger le plus élevé) au GE III (danger le plus faible). Les critères propres à ces groupes d’emballage sont les suivants :

  • GE I—liquides inflammables dont le point initial d’ébullition est inférieur ou égal à 35 °C à une pression absolue de 101,3 kPa, quel que soit leur point d’éclair;
  • GE II—liquides inflammables dont le point initial d’ébullition est supérieur à 35 °C à une pression absolue de 101,3 kPa et dont le point d’éclair est inférieur à 23 °C;
  • GE III—produits qui ne satisfont pas aux critères d’inclusion dans les GE I ou II.

1.4.2 Pétrole brut

Le pétrole brut est un liquide inflammable de classe 3 qui présente lui-même des caractéristiques d’inflammabilité et de volatilité qui varient beaucoup. Ce produit est habituellement qualifié en fonction de sa teneur en soufre (non corrosif quand la teneur en soufre est faible et corrosif, ou acide, quand elle est forte) et de sa densité (léger à lourd). La densité du pétrole brut est exprimée en degrés en fonction de sa masse volumique selon l’American Petroleum Institute (API)Note de bas de page 13; un nombre plus élevé indique une densité plus faible. Les seuils de densité du pétrole brut léger, moyen ou lourd varient selon la région d’origine du produit et l’organisme qui procède à la déterminationNote de bas de page 14.

La viscosité (ou l’« épaisseur ») du pétrole brut peut aussi varier. Les produits dont la viscosité est faible (p. ex. l’eau) s’écoulent librement, et les produits dont la viscosité est élevée (p. ex. la mélasse) sont plus épais et ne s’écoulent pas librement.

1.4.3 Procédures d’intervention d’urgence en présence de pétrole brut

Dans le guide 128 du Guide des mesures d’urgenceNote de bas de page 15, on définit les dangers potentiels liés aux liquides inflammables, y compris les distillats de pétrole et les autres produits de pétrole brut. Ce guide comprend des conseils sur les mesures d’urgence et la sécurité publique.

À la section « Risques potentiels »Note de bas de page 16 du guide, on trouve ce qui suit :

  • Ces produits sont moins denses que l’eau, extrêmement inflammables et s’enflamment facilement sous l’action de la chaleur, d’étincelles ou de flammes.
  • Les vapeurs de ces produits sont plus lourdes que l’air. Elles se propagent au ras du sol pour s’accumuler dans les dépressions ou les endroits clos (égouts, sous-sols, citernes). Les vapeurs peuvent former des mélanges explosifs avec l’air et peuvent se propager vers une source d’allumage et provoquer un retour de flamme au point de fuite.
  • Les vapeurs de ces produits posent un risque d’explosion à l’intérieur, à l’extérieur ou dans les égouts, et les contenants peuvent exploser lorsque chauffés.

Aux sections « Mesures d’urgence » Note de bas de page 17 et « Sécurité publique » Note de bas de page 18 du guide, on trouve ce qui suit :

  • On peut utiliser de l’eau pulvérisée ou en brouillard ou de la mousse régulière pour combattre les incendies, mais il ne faut pas employer de jet d’eau direct. Comme ces produits ont un point d’éclair très bas, l’eau pulvérisée peut s’avérer inefficace; l’utilisation d’une mousse antivapeur peut être nécessaire pour réduire les émanations.
  • Il faut envisager une première évacuation d’une distance d’au moins 300 m (1000 pieds) sous le vent ainsi qu’éliminer toutes les sources d’allumage.
  • Tout équipement utilisé pour manipuler ce produit doit être mis à la terre.
  • Ne pas toucher ou marcher sur le produit déversé.
  • Si sans risque, arrêter la fuite.
  • Empêcher l’infiltration dans les cours d’eau, les égouts, les sous-sols ou les endroits clos.
  • Absorber ou couvrir avec de la terre sèche, du sable ou tout autre produit non combustible et transférer dans des contenants.
  • Utiliser des outils antiétincelles propres pour récupérer le matériel absorbé.

1.5 Intervention d’urgence et activités d’assainissement du site

La Gendarmerie royale du Canada, le service d’incendie de Lanigan et les services médicaux d’urgence de Lanigan ont été les premiers à arriver sur les lieux. Le CP est intervenu avec des cadres supérieurs de la compagnie, des membres du personnel et des ingénieurs, des spécialistes des matières dangereuses ainsi que ses services de police. Parmi les autres organismes d’intervention se trouvaient Transports Canada (TC) et le ministère de l’Environnement de la Saskatchewan. De nombreux entrepreneurs en intervention et consultants en environnement ont également été mobilisés et se sont rendus sur les lieux pour participer à l’intervention d’urgence et à l’assainissement du site.

ConocoPhillips Company Canada, propriétaire et expéditeur du pétrole brut, a mis en œuvre son plan d’intervention d’urgence ERP2-1933-067. Ce plan établit le cadre et les procédures permettant de réagir de façon sécuritaire et efficace à tous les types d’urgences, y compris celles qui touchent des MD. Il sert également de plan d’intervention d’urgence déposé auprès de TC aux termes de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses.

Le CP a mis en place un centre de commandement des interventions sur place et une structure unifiée de commandement de l’incident qui englobait tous les organismes d’intervention. Le chef des pompiers de Lanigan a assumé le rôle de commandant de l’incident. Le lieu du déraillement a été sécurisé, et tous les points d’accès ont été contrôlés. En raison du déversement de MD, le chemin Wolverine et la route 16 voisine ont été fermés à proximité du déraillement. Les routes ont été rouvertes à la circulation des véhicules vers 15 h le 12 décembre 2019. L’intervention d’urgence immédiate a été principalement consacrée aux efforts de lutte contre l’incendie. Au cours des 12 premières heures, la lutte contre l’incendie a été défensive, pour tenter de garder la maîtrise du feu en nappe (Figure 6).

Figure 6. Photo aérienne du lieu du déraillement et du feu en nappe, avec vue vers l’est, prise le 9 décembre 2022 (Source : Chemin de fer Canadien Pacifique)
Photo aérienne du lieu du déraillement et du feu en nappe, avec vue vers l’est, prise le 9 décembre 2022 (Source : Chemin de fer Canadien Pacifique)

Les wagons-citernes déraillés ont été déplacés pour dégager la voie, orienter les wagons-citernes de manière à réduire au minimum le déversement du produit, éteindre l’incendie ou retirer tout produit restant à l’intérieur des wagons. Pour ce faire, les longrines tronquées ou les enceintes des raccords supérieurs des wagons-citernes étaient souvent utilisées pour déplacer les wagons, ce qui entraînait parfois des dommages et des brèches supplémentaires aux wagons-citernes. Cette tactique de lutte contre l’incendie a également entraîné l’allumage accidentel d’un deuxième feu de nappe, qui a englouti 11 wagons déraillés sur le côté ouest du chemin Wolverine.

Le remblai du chemin Wolverine a empêché que le produit s’écoule au-delà de la partie principale du déraillement en direction ouest, mais il a également permis que le produit alimente les flammes plus longtemps. En raison de la chaleur extrême des incendies, l’équipement lourd a dû être refroidi à plusieurs reprises, ce qui a également ajouté du temps aux efforts de lutte contre l’incendie. Les 2 principaux incendies ont brûlé pendant environ 24 heures.

L’air a été surveillé continuellement pour assurer la sécurité du personnel travaillant sur le site. Des niveaux détectables de sulfure d’hydrogèneNote de bas de page 19 ont été relevés là où de grandes quantités de pétrole avaient été déversées et tout juste à l’intérieur des ouvertures des wagons-citernes (trous d’homme, vannes et brèches dans les citernes).

Des bermes ont été utilisées pour contenir le pétrole brut au sol qui n’avait pas été consumé par les flammes. Le pétrole contenu dans les bermes a été pompé dans des camions en attente pour être éliminé dans le respect des normes environnementales. Le produit restant dans les wagons-citernes a été transbordé dans des camions, déplacé vers un autre endroit, puis chargé dans des wagons-citernes vides.

Le CP et ses entrepreneurs ont procédé au nettoyage et à l’assainissement du site, notamment en enlevant tout le sol contaminé et en assurant une surveillance environnementale continue. Aucun plan d’eau visible à proximité du déraillement n’a semblé avoir été touchée.

La quantité de produit déversé a été calculée en fonction du volume total connu de pétrole brut dans chacun des 33 wagons-citernes déraillés et du volume total mesuré de produit qui a été récupéré lors de l’assainissement du site. On estime qu’un total de 1,77 million de litres de pétrole brut s’est déversé au sol ou dans l’atmosphère. Cela représente au total 60 % du volume total de produit transporté dans les 33 wagons-citernes. Bien qu’il s’agisse d’une estimation raisonnable, le produit récupéré comprenait également des effluents et de l’eau provenant des activités de lutte contre l’incendie, de sorte que la quantité réelle de pétrole brut perdu peut avoir été plus importante.

1.6 Renseignements sur la subdivision

La subdivision de Sutherland est une voie principale qui s’étend vers l’ouest de Wynyard (point milliaire 0,0) à Saskatoon (point milliaire 113,5). Elle fait partie de la voie principale nord du CP, qui comprend également les subdivisions de Hardisty, de Wilkie, de Wynyard, de Bredenbury, de Minnedosa et de Carberry.

Dans la subdivision de Sutherland, les mouvements de train sont régis par la régulation de l’occupation de la voie (ROV) en vertu du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, et supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire du CP en poste à Calgary (Alberta). Contrairement aux subdivisions équipées d’une commande centralisée de la circulation (CCC), il n’y a pas de signaux en bordure de voie installés le long de l’emprise ferroviaire pour régir la circulation des trains dans le territoire ROV.

1.6.1 Volume de circulation

Le volume de circulation de marchandises dans la subdivision de Sutherland affichait une tendance à la hausse au cours des 5 années précédant l’événement. De même, le volume de pétrole brut transporté dans la subdivision affichait une tendance à la hausse en 2017, 2018 et 2019 (Tableau 2). La majeure partie du pétrole brut a été expédié par trains-blocs de pétrole brut du CP.

Tableau 2. Circulation annuelle de marchandises et volume de pétrole brut dans la subdivision de Sutherland, de 2015 à 2019 (Source : Chemin de fer Canadien Pacifique)
Année Volume de circulation de marchandises (millions de tonnes-milles brutes par mille) Wagons complets de pétrole brut Volume de pétrole brut (litres)
2015 16,2 11 039 1 214 290 000
2016 12,8 1936 212 960 000
2017 16,0 10 523 1 157 530 000
2018 22,5 49 711 5 468 210 000
2019 26,1 77 312 8 504 320 000

1.7 Renseignements sur la voie

La voie dans la subdivision de Sutherland est une voie de catégorie 4 en vertu du Règlement concernant la sécurité de la voie, aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV).

Les rails de la subdivision de Sutherland étaient principalement de vieux rails fabriqués par la Sydney Steel Corporation ou Algoma Steel Inc. dans les années 1960, 1970 et 1980.

Dans les environs du déraillement, la voie principale simple était en alignement droit et était orientée dans le sens nord-ouest/sud-est. La voie était relativement plate, avec une légère pente descendante dans la direction sud-est. La vitesse autorisée pour les trains de marchandises circulant vers l’est dans cette zone est de 45 mi/h. Au moment de l’événement, aucune limitation de vitesse n’était en vigueur.

La voie était formée de longs rails soudés (LRS) de 115 livres fabriqués par Algoma Steel Inc. en 1966. Les rails avaient déjà été utilisés ailleurs, et les rails utilisables avaient été reposéset installés dans la subdivision de Sutherland en 1985. Les rails comportaient plusieurs joints, boulonnés avec des éclisses de 115 livres, chaque joint comportant 6 boulons. Ils reposaient sur des traverses de bois dur et étaient fixés sur des selles à double épaulement de 14 pouces, au moyen de 3 crampons par selle (1 du côté extérieur et 2 du côté intérieur).

Il y avait 57 traverses par tronçon de 100 pieds de rail. Dans les environs du déraillement, environ 25 % des traverses étaient défectueuses.

Le ballast dans le secteur du déraillement était du ballast tout-venant, composé principalement de petites pierres arrondies (jusqu’à 4 pouces de diamètre); dans les zones où il avait été mis à niveau, le ballast se composait de pierres concassées de 4,5 pouces. Le ballast avait une pente d’un rapport de 2 dans 1 pour le drainage de chaque côté de la voie.

1.8 Inspection de la voie

Le RSV fixe les exigences réglementaires minimales en matière d’entretien et d’inspection des voies et prévoit que les voies de catégorie 4 formées de LRS dont le tonnage annuel se situe entre 15 et 35 millions de tonnes brutes doivent :

Les inspections du CP dans la subdivision de Sutherland respectaient ou dépassaient les exigences réglementaires, comme indiqué ci-dessous.

1.8.1 Inspection visuelle

Le RSV en vigueur au moment de l’accident n’exigeait pas d’intervalles d’inspection d’éclisses de rail en particulier. Les éclisses étaient l’un des éléments de la voie qui étaient examinés lors des inspections visuelles régulières de la voie.

Au cours des inspections régulières de la voie effectuées 2 fois par semaine par le CP entre le 6 septembre et le 8 décembre 2019, un certain nombre de joints brisés et 2 rails brisés qui avaient entraîné des brèches de rail avaient été relevés (Tableau 3) :

Tableau 3. Joints brisés et rails brisés à l’origine de brèches de rail qui ont été recensés lors des inspections visuelles de la voie par le Canadien Pacifique
Date (2019) Point milliaire Brèche de rail* (pouces) Rails brisés
6 septembre 99,6 0,75 0
30 septembre 37,2 S.O. 0
30 septembre 62,1 1,25 0
2 octobre 53,1 1,25 0
3 octobre 47,2 1,25 0
3 octobre 82,93 S.O. 0
9 novembre 62,6 S.O. 1
14 novembre 85,2 2,63 0
29 novembre 61,8 2,00 0
9 novembre 62,6 S.O. 1
6 décembre 101,3 1,75 0
8 décembre 51,9 S.O. 0
8 décembre 59,1 S.O.  0

* La longueur d’une brèche de rail est une indication de la force de tension exercée sur le long rail soudé (LRS).

La dernière inspection visuelle de la voie effectuée par le CP avant le déraillement avait eu lieu le 8 décembre 2019. Elle avait permis de recenser 2 brèches de rail à l’ouest de la zone du déraillement, au point milliaire 51,9 et au point milliaire 59,1, respectivement. Le CP a réparé toutes les brèches de rail au fur et à mesure qu’elles étaient recensées.

1.8.2 Inspection de l’état géométrique

Le véhicule lourd de contrôle de l’état géométrique de la voie du CP a contrôlé la subdivision de Sutherland en mars, en août et en novembre 2019 (Tableau 4), ce qui dépassait les exigences minimales du RSV.

Tableau 4. Défaut urgents et quasi-urgents de géométrie de la voie détectés lors d’inspections de l’état géométrique de la voie à l’aide d’un véhicule lourd d’inspection de l’état géométrique de la voie dans la subdivision de Sutherland, de mars à novembre 2019
Mois Point milliaire du contrôle Défauts urgents* Défauts quasi-urgents**
Mars Points milliaires 0,0 à 1,0 7 7
Points milliaires 0,0 à 38,0*** 3 7
Points milliaires 38,0 à 113,5 57 109
Août Points milliaires 0,0 à 38,0 24 5
Points milliaires 38,0 à 108,0 107 45
Points milliaires 108,0 à 113,0 10 12
Novembre Points milliaires 4,0 à 44,0 0 0
Points milliaires 44,0 à 100,0 12 0
Points milliaires 108,0 à 112,0 0 0
Total   220 185

* Les défauts urgents nécessitent une limitation de vitesse obligatoire (à moins d’être corrigés avant le passage d’un train) et comprennent toutes les infractions au CP et à la réglementation.
** Les défauts quasi-urgents doivent être inspectés et corrigés dès que possible. Au besoin, ils doivent être protégés par un ordre de limitation de vitesse jusqu’à ce qu’ils soient corrigés.
*** Cette inspection chevauchait celle du point milliaire 0,0 au point milliaire 1,0.

La fréquence croissante des défauts de voie urgents détectés dans une subdivision est révélatrice de l’état général de la voie dans cette subdivision. Un nombre plus élevé de défauts de voie urgents donne à penser que l’état général d’une voie nécessite un entretien accru.

Parmi les 220 défauts urgents détectés dans la subdivision de Sutherland en 2019, les défauts les plus courants concernaient le sous-écartement (117), l’élévation de conception liée au nivellement transversal (56) ainsi que d’autres conditions de surface (24).

Lorsque l’écartement de la voie est inférieur à la norme de conception nominale (4 pieds et 8 ½ pouces), on dit qu’il y a sous-écartement. Sur les voies en alignement, le sous-écartement favorise l’instabilité du matériel roulant, ce qui contribue au galop des bogies ainsi qu’à l’usure accélérée des roues et des rails. Un sous-écartement peut être révélateur d’une détérioration de la structure de la voie en rapport avec l’état des traverses, car  elle n’est plus capable de maintenir l’écartement de la voie dans des conditions dynamiques.

1.8.3 Inspection de détection des défauts du rail

Les chemins de fer augmentent généralement la fréquence des inspections de détection des DDR en vue de surveiller l’état de la voie lorsqu’il y a une augmentation du tonnage ou des signes que l’état du rail d’une subdivision peut exiger un entretien supplémentaire. Même si seulement 3 inspections DDR par année étaient exigées dans la subdivision de Sutherland, en 2019, le CP a effectué 7 inspections DDR (Tableau 5).

Tableau 5. Défauts de rail dans la subdivision de Sutherland détectés au cours des inspections des défauts de rail en 2019
Mois Défauts de soudure* Défauts des trous d’éclissage Défauts du congé âme-champignon Total
Février 8 4 5 17
 Mars 3 2 2 7
Mai 8 3 3 14
Juin 5 2 1 8
Août 7 2 1 10
Septembre 4 3 8 15
Novembre 9 6 1 16
Total 44 22 21 87

* Les défauts de soudure comprennent les défauts touchant les soudures faites en usine, qui sont faites lors de la fabrication du LRS, les soudures par étincelage, et les soudures aluminothermiques, qui sont généralement faites en place sur le terrain (et donc aussi appelées « soudures de chantier »).

Les inspections DDR ont permis de recenser un total de 87 défauts qui ont dû être réparés en découpant le rail (à l’endroit où se trouvait le défaut) et en installant un rail de raccord.

1.9 Autres inspections par le Canadien Pacifique

Pour compléter les inspections de l’état géométrique de la voie, le CP utilise certaines locomotives pour effectuer des inspections de l’interaction véhicule-voie (IVV). Les locomotives IVV sont équipées d’accéléromètres qui leur permettent de surveiller l’état de la voie et de communiquer les zones d’inégalité de la voie pendant l’exploitation normale du train. Les zones d’inégalité indiquent potentiellement des emplacements où les impacts de roue sont plus forts que d’habitude ou des endroits où une condition de la voie provoque un mouvement excessif de la caisse de la locomotive. Ces deux situations peuvent mener à la rupture d’un rail. En 2019, il n’y a pas eu d’événements IVV nécessitant une attention immédiate dans les environs du lieu de déraillement.

Au moment de l’événement, le CP disposait également de 2 systèmes de vérification autonome de l’état géométrique de la voie (ATGMS). Un ATGMS est un wagon couvert spécialement équipé qui fonctionne en service de train commercial et qui effectue des contrôles de l’état géométrique plus fréquents. Il est ainsi possible d’établir plus efficacement les tendances de l’état de la voie et de déterminer les états géométriques de manière plus proactive dès qu’ils commencent à se manifester. L’ATGMS complète les 2 voitures d’évaluation de la voie avec personnel du CP qui sont actuellement en service. En 2019, il n’y a pas eu d’événements ATGMS nécessitant une attention immédiate dans les environs du lieu de déraillement.

1.9.1 Inspections à pied des éclisses

Le CP exige que les voies de catégorie 4 formées de LRS dont le tonnage annuel se situe entre 15 et 35 millions de tonnes brutes fassent l’objet d’une inspection des éclisses 2 fois par année. Ces inspections à pied des éclisses visent particulièrement à détecter les éclisses fissurées ou rompues, de même que les boulons desserrés, brisés ou manquants.

Dans les environs de l’accident, le CP avait effectué les inspections des éclisses, tel qu’exigé, le 24 juin 2019 (du point milliaire 45,0 au point milliaire 50,0) et le 6 décembre 2019 (du point milliaire 37,0 au point milliaire 50,0) respectivement, et aucun défaut d’éclisse n’avait été trouvé.

1.10 Surveillance réglementaire de l’infrastructure de la voie

TC surveille l’infrastructure ferroviaire au moyen de son programme d’inspection des voies. Le programme permet de surveiller le respect par les compagnies ferroviaires des règles et règlements applicables aux voies ferrées de compétence fédérale et de cerner les menaces potentielles pour la sécurité. Les inspections de la voie effectuées par TC comprennent l’examen des dossiers d’inspection de la voie et l’inspection sur place de l’infrastructure ferroviaire.

Au cours des 5 années précédant l’événement à l’étude, TC a effectué plusieurs inspections réglementaires de la subdivision de Sutherland :

  • En 2016, TC a inspecté 7 milles de voies immédiatement à l’est du triage Sutherland (point milliaire 108,7).
  • En août 2018, TC a inspecté la voie du point milliaire 102,0 au point milliaire 109,7 (7,7 milles). Par la suite, TC a envoyé au CP une lettre de non-conformité signalant des préoccupations, dans laquelle il relevait 79 traverses non conformes qui nécessitaient une attention immédiate. Les 79 traverses non conformes avaient déjà été recensées par un inspecteur de la voie du CP, sans toutefois faire l’objet de mesures correctives ou de protection. Par mesure de protection contre les traverses défectueuses, TC a immédiatement réduit la catégorie de la voie à ces endroits, la faisant passer de la catégorie 4 (vitesse limite de 45 mi/h) à la catégorie 2 (vitesse limite de 25 mi/h). Une fois que le CP a effectué les réparations appropriées sur la voie, la limitation de vitesse a été levée.
  • En 2019, TC a inspecté environ 166 milles de voies à divers endroits et a relevé des défauts qui ne respectaient pas les exigences minimales du RSV (Tableau 6).
Tableau 6. Défauts exigeant une attention immédiate relevés lors des inspections de la voie par Transports Canada dans la subdivision de Sutherland en mai et août 2019
Date Point milliaire de l’inspection Nombre de milles inspectés Défauts de sous-écartement Endroits où les traverses étaient défectueuses
6 mai Points milliaires 97,81 à 107,00 9,19 3 0
7 mai Points milliaires 38,37 à 67,03 28,66 25 2
Points milliaires 71,03 à 97,82 26,79 0 1
27 août Points milliaires 38,37 à 46,75 8,38 0 0
Points milliaires 46,86 à 70,05 23,19* 0 0
Points milliaires 70,04 à 107,24 37,20 0 0
30 août Points milliaires 0,71 à 38,40 37,69 0 0
Totaux   171,28 28 3

* Le rapport d’inspection de la voie de Transports Canada fait état d’une distance de 23,37 milles.

Les inspections ont révélé des défauts de sous-écartement et d’état des traverses qui exigeaient une attention immédiate. Les défauts relevés par TC ont par la suite été corrigés par le CP aux endroits indiqués.

Les mêmes inspections de TC ont aussi révélé des endroits où l’état de la voie s’approchait des exigences minimales du RSV (Tableau 7).

Tableau 7. État de la voie se rapprochant des exigences minimales du Règlement concernant la sécurité de la voie et relevé dans le cadre des inspections de la voie par Transport Canada dans la subdivision de Sutherland en mai et août 2019
Date État des joints Endroits où l’état de l’écartement de la voie s’approche du minimum du RSV Endroits où l’état des traverses est suspect État de la surface Total
6 mai 0 0 0 2 2
7 mai 0 81 1 14 96
0 0 1 50 51
27 août 3 16 0 6 25
0 29 1 4 34
3 3 2 2 10
30 août 0 0 0 5 5
Total 6 129 5 83 223

Les défauts et états de voie relevés par TC indiquaient que l’infrastructure de la voie dans la subdivision de Sutherland exigeait un entretien supplémentaire.

1.11 Exigences réglementaires en matière d’évaluation des risques

Le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS) et le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés (RTC) de 2016 exigent tous deux que les compagnies ferroviaires mènent des évaluations régulières des risques de leurs opérations.

L’article 15 du Règlement sur le SGS prévoit notamment ceci :

La compagnie de chemin de fer effectue une évaluation des risques dans les circonstances suivantes :

[…]

c) lorsqu’un changement proposé à son exploitation ferroviaire — y compris les changements ci-après — peut avoir une incidence sur la sécurité du public ou du personnel ou sur la protection des biens et de l’environnement :

[…]

(iii) une augmentation du volume des marchandises dangereuses qu’elle transporte,

[…] Note de bas de page 24

L’article 6.1 du RTC prévoit notamment ceci :

Les compagnies détermineront le risque associé à chacun des itinéraires clés sur lesquels elles font circuler un train clé; à cette fin, elles procéderont à des évaluations des risques et à des mises à jour périodiques fondées sur des changements importants. Les évaluations des risques pour les itinéraires clés doivent avoir lieu au moins tous les trois (3) ans […]Note de bas de page 25

1.11.1 Évaluations des risques par le Canadien Pacifique pour la subdivision de Sutherland

Conformément au RTC, le CP a effectué des évaluations des risques pour la subdivision de Sutherland en 2014 et en 2017. Le CP a répertorié et défini 28 facteurs, prescrits dans le RTC, à prendre en compte pendant l’évaluation des risques pour la sécurité et la sûreté associés à chaque itinéraire clé. Ces évaluations des risques ont pris en compte, entre autres, les facteurs suivants :

  • la densité de la circulation ferroviaire, y compris les volumes de MD transportées;
  • les diverses infrastructures ferroviaires;
  • la pente et la courbure de la voie;
  • la présence ou l’absence de systèmes de détection en voie;
  • la vitesse des opérations;
  • la présence ou l’absence de systèmes de contrôle des signaux.

Les évaluations des risques ont également mis en évidence d’autres technologies qui sont mises en œuvre par le CP pour compléter les inspections existantes et d’autres activités dans le but de réduire les risques. Cependant, les évaluations n’ont pas pris en compte la fréquence des défauts (état géométrique de la voie ou DDR) relevés qui exigeaient une attention immédiate pour chacune des subdivisions visées par l’évaluation des risques dans les corridors.

L’évaluation de 2017 indiquait que des programmes de remplacement du ballast et des traverses étaient prévus en 2020 pour le tronçon de voie situé entre le point milliaire 37,0 et le point milliaire 113,5, qui comprenait la zone où le déraillement s’est produit (point milliaire 48,86). Il n’a été question d’aucun autre programme de remise à neuf de la voie.

Malgré l’augmentation du trafic de MD, en particulier de pétrole brut, dans la subdivision, aucune autre évaluation des risques n’a été effectuée en 2018 ou en 2019.

1.12 Utilisation de joints dans les longs rails soudés

Les joints de rail sont une caractéristique courante de la voie, même dans les LRS, et ils peuvent être nécessaires au niveau des accessoires de la voie comme les aiguillages et les branchements, et là où des tronçons de rail défectueux ont été découpés et remplacés par des rails de raccord. Il est bien connu qu’un manque de stabilité dans un joint de rail crée des conditions favorables à la formation de fissures de fatigue dans les éclissesNote de bas de page 26, ce qui peut entraîner des défaillances du joint qui conduisent à des brèches de rail et à des déraillements.

Une fois assemblé, le joint de rail doit préserver la continuité du rail en offrant une résistance, une rigidité, une flexibilité et une uniformité à peu près identiques à celles du rail lui-même. Pour arriver à ce résultat, le joint doit être bien supporté par des traverses solides posées sur un ballast bien bourré. Toutefois, le moment d’inertie (valeur I) d’éclisses installées adéquatementNote de bas de page 27 ne correspond encore qu’au tiers environ de celui du rail correspondant non éclisséNote de bas de page 28. Donc, même si les éclisses sont fixées solidement au rail, le joint qui en résulte demeure un point faible de la structure de la voie.

Dans les nouveaux LRS, les joints ne sont généralement installés que pour permettre l’installation des accessoires de voie nécessaires (aiguillages, branchement, etc.) Au fur et à mesure que les LRS s’usent, les contrôles de DDR permettent de détecter les rails défectueux qui doivent être découpés du LRS et réparés à l’aide d’un rail de raccord qui est fixé dans la voie par un joint de rail à chaque extrémité du raccord. Cela introduit des joints supplémentaires dans le rail pour chaque réparation de rail de raccord. Un nombre croissant de rails de raccord et de joints en territoire de LRS indique que l’état du rail ou la structure de la voie exige un entretien supplémentaire.

Le CP a reconnu la nécessité de réduire le nombre de rails de raccord et de joints dans la subdivision de Sutherland. De 2017 à 2019, les équipes d’entretien de la voie ont été agrandies pour mettre l’accent sur l’élimination des joints. Au 9 décembre 2019, il restait environ 700 joints dans la subdivision.

1.13 Programmes de remise à neuf de la voie

Les programmes de remise à neuf de la voie visent à renforcer la structure de la voie afin de réduire les risques de déraillement et peuvent comprendre :

  • le renouvellement des rails (remplacer les rails dont la durée de vie en usure ou en fatigue arrive à terme);
  • le renouvellement des traverses (remplacer les traverses défectueuses);
  • l’élimination des joints (enlever les éclisses et souder les extrémités du rail);
  • le sous-cavage du ballast (remplacer le ballast pollué par du ballast propre);
  • le nivellement de la voie (utiliser du matériel d’entretien de la voie pour maintenir la structure de la voie en conformité avec les spécifications géométriques requises);
  • le remplacement des branchements.

Entre 2015 et 2019, le CP a entrepris plusieurs programmes de remise à neuf de la voie de catégorie 4 dans le corridor de sa voie principale nord, qui comprend la subdivision de Sutherland. Les travaux ont été entrepris pour rester en conformité avec le RSV, et non pas forcément en prévision d’une augmentation du volume de pétrole brut transporté.

Les travaux dans la subdivision de Sutherland cherchaient principalement à éliminer les joints en territoire de LRS. Les traverses ont été remplacées dans les secteurs les plus problématiques, et un programme complet de remplacement des traverses était prévu en 2020. Dans le secteur de l’accident, des travaux de nivellement de la voie avaient été effectués du point milliaire 48,10 au point milliaire 50,0. Un résumé des travaux de voie effectués dans la subdivision de Sutherland de 2015 à 2019 est présenté ci-dessous (Tableau 8).

Tableau 8. Travaux de voie dans la subdivision de Sutherland, de 2015 à 2019
Année Nouveaux rails installés (pieds) Nombre de traverses remplacées Nivellement de la voie (pieds) Libération du rail (endroits) Remise à l’écartement de la voie (pieds) Joints éliminés
2015 0 0 136 303 0 0 56
2016 17 717 0 129 393 0 0 396
2017 0 2 656 315 883 0 44 746 524
2018 2 952 2 203 316 883 0 103 316 384
2019 12 824 53 673 115 384 26 51 572 200

1.14 Contraintes longitudinales sur les longs rails soudés

Le LRS est fixe sur toute sa longueur, ce qui limite sa liberté de dilatation et de contraction. Ce type de rail peut donc subir d’importantes contraintes longitudinales de compression et de traction, dues aux forces exercées par le passage des trains et aux variations de la température ambiante. Les rails se dilatent lorsqu’ils sont chauffés et se contractent lorsqu’ils sont refroidis, ce qui les soumet à des contraintes thermiques longitudinales.

Lorsque les températures montent en territoire de LRS, les rails ont tendance à se dilater, ce qui engendre des forces de compression longitudinales qui peuvent entraîner un flambage de la voie. À l’inverse, lorsque les températures baissent, le rail est soumis à des forces de traction longitudinales qui, si elles ne sont pas gérées correctement, peuvent entraîner des défaillances des joints de rail ou des ruptures de rail engendrant des brèches de rail.

Pour résister aux contraintes longitudinales en territoire de LRS, le rail doit être correctement supporté et fixé, et sa température neutre doit être correctement gérée Note de bas de page 29. Il faut des traverses en bon état, un nombre suffisant d’anticheminants et du ballast de pierre concassée exempt de toute contamination pour pouvoir immobiliser les rails dans la voie.

Les anticheminants transmettent les forces longitudinales aux traverses. Les traverses, encastrées dans le ballast, absorbent les forces, qui sont ensuite transmises à la plateforme. Si un ou plusieurs des composants de la voie ne contribuent pas à la résistance attendue, les risques d’irrégularités de la voie augmentent. Par exemple, si les anticheminants ne sont pas posés sur des traverses en bon état, ils ne fourniront pas la résistance attendue. De même, sur un ballast constitué de petites pierres avec relativement peu de faces de rupture, les traverses peuvent ne pas s’encastrer et donc ne pas fournir la résistance attendue.

1.15 Détection des joints brisés et des rails brisés qui entraînent des brèches de rail

Dans les subdivisions où la circulation des trains est régie par un système de CCC avec signalisation, des signaux en bordure de voie sont installés le long de l’emprise ferroviaire pour régir la circulation des trains. Les signaux sont reliés par des circuits de voie qui fonctionnent à travers les rails. En territoire CCC, un petit courant électrique passe à travers les rails pour assurer la continuité électrique d’un circuit de voie, qui active alors le système de signalisation en bordure de voie. Ce système offre une certaine protection contre les joints brisés et les rails brisés qui entraînent des brèches de rail.

Une rupture de joint ou de rail en territoire CCC interrompt souvent le circuit de voie, ce qui amène les signaux régissant les mouvements à passer en mode « sécurité intrinsèque » et à présenter leur indication la plus restrictive, généralement un signal d’arrêt absolu rouge. Si cela se produit, un train doit s’immobiliser ou recevoir la permission d’un contrôleur de la circulation ferroviaire pour franchir le signal d’arrêt absolu, puis avancer dans le canton à vitesse réduite (15 mi/h) tout en étant à l’affût de rails brisés.

En territoire ROV, comme la subdivision de Sutherland, cette protection n’existe pas. Par conséquent, les joints brisés et les rails brisés qui entraînent des brèches de rail peuvent passer inaperçus à moins d’être remarqués par l’équipe d’un train qui s’approche, auquel cas il est souvent trop tard pour immobiliser le train avant qu’il ne traverse le secteur.

Il existe des technologies susceptibles d’aider à détecter les rails brisés en territoire non signalisé. Aux États-Unis, la BNSF Railway Company a installé et testé différents systèmes à partir de 2010Note de bas de page 30. Cependant, au moment de l’événement, l’utilisation de cette technologie n’était pas très répandue.

1.16 Enquête du BST sur des problèmes de sécurité

En réponse à une série de déraillements survenus sur des voies principales de deuxième catégorie où il y avait eu des ruptures de rail au cours de l’hiver 2003-2004, le BST a mené une enquête sur des problèmes de sécurité Note de bas de page 31. Cette enquête a pu établir une relation importante entre les défauts de rail et le volume de trafic de trains-blocs vraquiers sur des voies principales de deuxième catégorie, et a révélé que l’effet de l’augmentation du trafic de ces trains-blocs n’avait pas été pris en compte dans le cadre des entretiens réguliers. Les mêmes circonstances pourraient également s’appliquer à certaines voies principales. L’enquête a également permis de constater ce qui suit :

  • Quand le poids des rails est inférieur à 130 livres, l’accroissement du tonnage de trains-blocs vraquiers entraîne une augmentation importante du nombre de défauts de rail, d’où un risque accru de déraillements dus à la rupture de rails.
  • Les compagnies de chemin de fer se sont rendu compte que la dégradation de la voie s’est accélérée avec l’augmentation du tonnage de trains-blocs vraquiers sur des voies principales de deuxième catégorie. Toutefois, un point d’équilibre n’avait pas été atteint entre l’augmentation de la dégradation de la voie et les opérations d’entretien ou de renouvellement opportuns de l’infrastructure.
  • Pour assurer la sécurité, il n’est pas suffisant de se conformer au RSV puisque ce dernier n’offre pas de moyen de prévoir des conditions changeantes telles que l’accroissement du trafic à long terme.

1.17 Déraillements de trains-blocs de wagons-citernes transportant du pétrole brut

Depuis 2013, le BST a enquêté sur 4 déraillements graves de trains-blocs de wagons-citernes transportant du pétrole brut. Dans ces 4 déraillements, un total de 168 wagons-citernes chargés de pétrole brut ont déraillé et déversé un total combiné de 11,64 millions de litres de produit.

1.17.1 Accident de Lac-Mégantic et recommandation liée aux wagons-citernes

Le 5 juillet 2013, vers 22 h 50, heure normale de l’Est, le train de marchandises MMA-02 de la Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA), en route de Montréal (Québec) à Saint John (Nouveau-Brunswick), s’est arrêté à Nantes (Québec) au point milliaire 7,40 de la subdivision de Sherbrooke, point désigné de relève des équipes de la MMA. Le train, formé de 5 locomotives en tête, 1 fourgon VB (fourgon de queue spécial), 1 wagon couvert et 72 wagons-citernes de catégorie 111 transportant du pétrole brut (ONU 1267, classe 3), a ensuite été immobilisé sur la voie principale et laissé sans surveillance, dans une pente descendante.

Peu avant 1 h le 6 juillet 2013, le train laissé sans surveillance a commencé à se déplacer et a gagné de la vitesse en dérivant dans la pente en direction de la ville de Lac-Mégantic (Québec). Après avoir atteint une vitesse de 65 mi/h, 63 wagons-citernes de catégorie 111 sans chemise et un wagon couvert ont déraillé près du centre-ville. Les wagons déraillés ont déversé quelque 5,98 millions de litres de produit en raison des dommages subis par les wagons-citernes. Le produit déversé s’est enflammé presque immédiatement, provoquant un grand feu en nappe qui a brûlé pendant plus d’une journée. Quarante-sept personnes ont subi des blessures mortelles.

Un grand nombre de bâtiments et de véhicules ainsi que la voie ferrée ont été détruits. Quelque 2000 personnes ont été évacuées de la zone environnante.

Dans le cadre de son enquête sur l’accident à Lac-MéganticNote de bas de page 32, le BST a fait ressortir les vulnérabilités des wagons-citernes de catégorie 111 et a recommandé que

[l]e ministère des Transports et la Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration exigent que tous les wagons-citernes de catégorie 111 affectés au transport de liquides inflammables soient conformes à des normes de protection renforcées qui réduisent considérablement le risque de déversement de produit lorsque ces wagons sont mis en cause dans des accidents.
Recommandation R14-01 du BST

1.17.1.1 Évaluation par le BST de la réponse de Transports Canada à la recommandation R14-01 (mars 2023)

Dans le cadre de son mandat, le BST formule des recommandations visant à réduire ou éliminer les lacunes de sécurité qui présentent des risques importants pour le système de transport et qui exigent l’attention des organismes de réglementation et de l’industrie. Le Bureau évalue les réponses aux recommandations en fonction du degré auquel elles permettent de corriger les lacunes de sécurité sous-jacentes. Une fois que les réponses sont jugées Entièrement satisfaisantes, les recommandations sont fermées.

Depuis qu’il a formulé la recommandation R14-01 demandant des normes de protection renforcées pour les wagons-citernes de catégorie 111, le Bureau a surveillé et évalué annuellement les réponses de l’industrie et de l’organisme de réglementation.

En 2015, le secteur ferroviaire et les organismes de réglementation d’Amérique du Nord ont élaboré et instauré une nouvelle norme sur les wagons-citernes (TC/DOT 117J) ainsi que des exigences de mise à niveau pour les wagons-citernes de catégorie 111 plus anciens transportant des liquides inflammables (TC/DOT 117R), et ils ont adopté un calendrier de mise en œuvre pour la modernisation du parc de wagons-citernes utilisés pour le transport de liquides inflammables. Les wagons-citernes de la catégorie 117 comprennent une isolation ou une protection thermique, des boucliers protecteurs complets, un dispositif de protection des raccords supérieurs et un robinet de déchargement par le bas (RDB) de conception améliorée.

Lors de l’enquête du BST sur l’événement survenu près de St. Lazare (Manitoba) Note de bas de page 33, le Bureau a déterminé que le rendement global des wagons-citernes de catégorie 117R était quelque peu amélioré par rapport à celui des anciens wagons-citernes de catégorie 111 et des wagons-citernes CPC-1232 sans chemise qui ont été examinés dans des enquêtes antérieures du BST sur des déraillements de trains-blocs de pétrole brut.

Depuis novembre 2016, l’utilisation des anciens wagons-citernes de catégorie 111 pour le transport du pétrole brut est interdite au Canada.

TC et la Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration (PHMSA) continuent d’assurer le suivi des progrès accomplis dans le secteur quant à la modification des wagons-citernes et au respect des calendriers de retrait progressif. Selon TC et la PHMSA, le secteur a respecté les délais d’élimination progressive et continue de produire des wagons-citernes de catégorie 117 pour respecter le calendrier d’élimination progressive.

Dans les réponses de TC et de la PHMSA, le Bureau a noté que la spécification liée aux wagons-citernes de catégorie 117 est en place depuis 2015, ainsi qu’un calendrier d’élimination progressive et un programme de modernisation prescrits pour les wagons-citernes plus anciens. Le Bureau a également noté que, au cours des 8 dernières années, les liquides inflammables sont de plus en plus transportés dans des wagons-citernes de catégorie 117 plus robustes, conformément au calendrier d’élimination progressive établi.

Compte tenu des améliorations notables apportées aux normes relatives aux wagons-citernes et de la performance observée à ce jour, le Bureau estimait qu’il y a eu baisse du risque de perte de produit lorsque des wagons-citernes de catégorie 117 transportant des liquides inflammables sont en cause dans des accidents. Par conséquent, le Bureau estimait que la réponse de TC et de la PHMSA à la recommandation R14-01 dénotait une attention entièrement satisfaisante Note de bas de page 34.

1.17.2 Déraillement de Gladwick et recommandation liée aux itinéraires clés

Le 14 février 2015 vers 23 h 35, heure normale de l’Est, le train-bloc de pétrole brut U70451-10 du CN circulait vers l’est à environ 38 mi/h dans la subdivision de Ruel lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit au point milliaire 111,7, à Gladwick (Ontario) Note de bas de page 35. Une inspection subséquente a permis de constater que les wagons 7 à 35 (au total 29 wagons-citernes de marchandises dangereuses) avaient déraillé. Sur les 29 wagons-citernes ayant déraillé, 19 avaient subi des brèches et environ 1,7 million de litres de produit avaient été rejetés dans l’atmosphère ou au sol. Le produit rejeté s’est enflammé et a brûlé pendant 5 jours. Le déraillement a détruit quelque 900 pieds de voie principale. Il n’y a eu aucune évacuation ni aucun blessé.

L’enquête a permis de déterminer que le déraillement s’est produit lorsqu’un joint isolant du rail sud, au point milliaire 111,7, s’est rompu sous la tête du train. La roue L4 du bogie arrière du 8e wagon est alors tombée entre les rails, ce qui a causé un surécartement des rails et le déraillement des wagons suivants.

Tous les wagons-citernes dans l’accident étaient de catégorie 111 et étaient conformes à la norme CPC-1232 de l’Association of American Railroads (AAR) Note de bas de page 36. Toutefois, seuls 2 wagons-citernes étaient munis de chemises, de calorifuge et de boucliers protecteurs complets, alors que les 27 autres wagons-citernes étaient dépourvus de chemises et étaient munis de demi-boucliers protecteurs.

Selon le rapport d’enquête, TC avait constaté le rôle que jouent la vitesse et le profil de risques d’un train dans la gravité d’un déraillement et avait mis en place certaines mesures pour limiter la vitesse des trains clés dans certaines conditions. Le RTC limite la vitesse maximale des trains clés à 50 mi/h sur les voies principales et à 40 mi/h à l’intérieur du noyau et du noyau secondaire des régions métropolitaines de recensement. Bien que les limitations imposées selon ce règlement constituaient à l’époque un net progrès, les vitesses maximales actuelles ont été fixées sans être validées par des analyses d’ingénierie.

Par conséquent, le BST a recommandé que

le ministère des Transports mène une étude sur les facteurs qui accroissent la gravité des déraillements mettant en cause des marchandises dangereuses, détermine des stratégies d’atténuation appropriées, y compris les vitesses de trains propres à divers profils de risques de trains, et modifie en conséquence le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés.
Recommandation R17-01 du BST

1.17.2.1 Réévaluation par le BST de la réponse de Transports Canada à la recommandation R17-01 (mars 2021)

Depuis qu’il a formulé la recommandation R17-01, qui demande la tenue d’une étude sur les facteurs influant sur la gravité des déraillements de trains transportant des marchandises dangereuses et la modification du RTC, le Bureau a surveillé et évalué annuellement les réponses de TC Note de bas de page 37.

Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) a achevé son rapport intitulé Études sur les facteurs qui accroissent la gravité des déraillements qui mettent en cause des marchandises dangereuses, et établissement de mesures d’atténuation, et TC l’a rendu public en septembre 2020 Note de bas de page 38. À la lumière de cette étude, TC a émis plusieurs arrêtés ministériels visant à réduire la probabilité et la gravité de déraillements de trains transportant des marchandises dangereuses et à améliorer la sécurité ferroviaire au Canada.

Plus précisément, l’arrêté 20-06 exigeait des compagnies de chemin de fer qu’elles mettent à jour le RTC, qui régit l’acheminement de marchandises dangereuses par train au Canada. Après l’émission des arrêtés ministériels, l’Association des chemins de fer du Canada, au nom de l’industrie, a soumis le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés révisé à TC le 24 décembre 2020.

La mise à jour du Règlement vise à appliquer de manière permanente les mesures suivantes :

  • nouvelle définition de « train clé à risque élevé »;
  • obligation pour les compagnies de chemin de fer d’avoir un plan d’atténuation des risques pour les activités hivernales;
  • modification des restrictions de vitesse par temps froid pour les trains à risque élevé;
  • nouvelles exigences liées à l’inspection et à l’entretien des voies (p. ex. la gestion des joints installés à l’aide d’éclisses dans les LRS et l’utilisation de rails de raccord de rechange).

Le 22 février 2021, TC a approuvé le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés révisé, qui devait entrer en vigueur le 22 août 2021.

Étant donné que l’étude et les changements au RTC ont été mis en œuvre, la recommandation R17-01 du BST a été respectée.

En mars 2021, le Bureau a estimé que la réponse à la recommandation R17-01 dénotait une attention entièrement satisfaisante.

1.17.3 Déraillement de Gogama et entretien de la voie

Le 7 mars 2015, à 2 h 42, heure normale de l’Est, le train-bloc de pétrole brut U70451-02 du CN circulait vers l’est à environ 43 mi/h dans la subdivision de Ruel lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit au point milliaire 88,70, près de Gogama (Ontario) Note de bas de page 39. Une inspection subséquente a permis de constater que les wagons 6 à 44 (39 wagons au total) avaient déraillé. Par suite du déraillement, 33 des 39 wagons (85 %) ont subi une brèche et environ 2,6 millions de litres de pétrole brut (ONU 1267) ont été rejetés au sol, dans l’atmosphère et dans la rivière Makami voisine. Le produit rejeté s’est enflammé et a causé des explosions. Le pont du CN enjambant la rivière Makami (au point milliaire 88,70) et quelque 1000 pieds de voie ont été détruits. Il n’y a eu aucune évacuation ni aucun blessé.

Tous les wagons-citernes dans l’accident étaient de catégorie 111 et étaient conformes à la norme CPC-1232. Toutefois, seuls 4 wagons-citernes étaient munis de chemises, de calorifuge et de boucliers protecteurs complets, alors que les 35 autres wagons-citernes étaient dépourvus de chemises et étaient munis de demi-boucliers protecteurs.

L’enquête a révélé qu’avant l’arrivée du train, une section de 16 pouces du champignon du rail sud d’origine s’était rompue en raison d’une fissuration verticale du champignon dans le joint est d’une récente réparation avec un rail de raccord, ce qui a créé une brèche dans le rail sud. Le déraillement s’est produit lorsque le rail sud a subi une rupture catastrophique au passage du train; cette rupture a causé le déraillement des 39 wagons-citernes, qui étaient chargés de pétrole brut.

Par suite du déraillement, le CN a augmenté de 10 millions de dollars à 20 millions de dollars ses investissements en rails, en traverses et en nivellement pour 2015, dans le cadre d’un programme d’immobilisations en entretien de la voie qui s’est déroulé au printemps et à l’été. Environ 44 milles de nouveaux rails ont été posés, et 216 milles de voie ont été renivelés. On a procédé à la remise à l’écartement d’environ 30 milles de voie à l’aide de chevilles en bois ou d’isolateurs en béton. En outre, 773 soudures en bout ont été réalisées pour éliminer des joints et environ 37 000 traverses en béton ou en bois ont été installées.

Depuis le déraillement et l’entretien subséquent de la voie par le CN dans la subdivision de Ruel, seuls 2 déraillements en voie principale se sont produits dans la subdivision. Dans les 2 cas, 1 seul wagon a déraillé et aucune marchandise dangereuse n’était en cause.

1.17.4 Déraillement de Saint-Lazare et entretien de la voie

Le 16 février 2019, à environ 2 h 17, heure normale du Centre, le train-bloc U73451-11 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), composé de 108 wagons-citernes chargés de pétrole brut et 2 wagons-trémies couverts chargés de sable, circulait vers l’est à environ 49 mi/h dans la subdivision de Rivers lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est déclenché près de Saint-Lazare (Manitoba) Note de bas de page 40. Une inspection subséquente a permis de constater que 37 wagons-citernes de catégorie TC/DOT 117R avaient déraillé près du point milliaire 197,47. Au total, 17 des wagons-citernes déraillés ont subi des brèches, ce qui a causé le déversement d’environ 815 000 litres de produit. Le déraillement a endommagé ou détruit quelque 1000 pieds de voie. Il n’y a eu aucun incendie ni aucun blessé, et aucune évacuation n’a été requise.

L’enquête a permis de déterminer que, sur une période de 6 semaines, le désalignement et le desserrement d’un joint avaient mené à l’apparition de fissures de fatigue dans les éclisses. La défaillance des éclisses s’est produite lorsque des ruptures par contrainte excessive instantanée se sont propagées à partir des extrémités de fissures de fatigue jusque dans le reste des sections transversales des éclisses, qui ne pouvaient plus supporter les charges normales de service au passage du train dans la zone.

À la suite de l’accident, entre le 1er mars 2019 et le 31 décembre 2019, sur la subdivision de Rivers, le CN a éliminé un total de 1019 rails de raccord temporaires (2038 joints de rail) et installé 192 867 pieds de longs rails soudés. À la suite des travaux d’entretien de la voie du CN, depuis 2019, seuls 4 déraillements en voie principale se sont produits dans la subdivision. Dans chaque cas, 1 seul wagon a déraillé et aucune MD n’était en cause.

1.18 Étude du Conseil national de recherches Canada sur les facteurs qui accroissent la gravité des déraillements de trains transportant des marchandises dangereuses

L’étude du Conseil national de recherches Canada (CNRC)Note de bas de page 41 visait à établir les facteurs qui accroissent la gravité des conséquences des déraillements de trains transportant des marchandises dangereuses, à déterminer des stratégies d’atténuation appropriées pour divers profils de risques de trains et à examiner la possibilité de modifier le RTC. Les facteurs généralement consignés et suivis dans les rapports d’accident au Canada et aux États-Unis ont été utilisés dans l’étude pour catégoriser la gravité d’un déraillement.

Dans le cadre de l’étude, le CNRC a examiné le RTC et a abordé la manière dont ce règlement pouvait permettre de gérer et de minimiser les risques associés à la vitesse des trains, au type de train (trains transportant des marchandises dangereuses par rapport aux trains qui n’en transportent pas) et à l’état des voies. La documentation analysée pour l’étude a permis de cerner et d’éclairer les facteurs qui contribuent à la gravité d’un déraillement. Ces facteurs comprenaient les effets de la vitesse des trains, du type de train, de la cause du déraillement et d’autres facteurs. L’analyse documentaire a aussi permis de repérer des stratégies d’atténuation possibles à l’égard de ces facteurs.

L’étude a permis de constater qu’il existe une relation complexe entre la vitesse du train, sa longueur, la cause de l’accident et d’autres facteurs qui influent sur la gravité d’un déraillement. Il existe une relation linéaire apparente entre le nombre de wagons déraillés et la vitesse lors d’un accident. Cependant, certains déraillements à grande vitesse font dérailler peu de wagons et certains déraillements à faible vitesse font dérailler beaucoup de wagons, de sorte que la vitesse n’est pas le seul facteur déterminant.

L’étude a permis d’établir qu’il est possible de mettre en œuvre des stratégies d’atténuation pour divers profils de risques de trains. La formation des trains a également été étudiée comme méthode possible pour réduire le risque lié au transport de marchandises dangereuses, l’opinion dominante au sein de l’industrie étant que le dernier quart ou dernier tiers d’un train est peut-être l’endroit le plus sûr où placer des wagons ou un lot de wagons de marchandises dangereuses.

Divers profils de risques de trains ont été cernés et comparés à ceux de trains-blocs de marchandises dangereuses. La façon dont les résultats de déraillements peuvent différer selon les différents profils de risques ont alors été comparés. Il a été établi que les trains-blocs transportant des marchandises dangereuses, comme les trains-blocs entièrement composés de wagons-citernes chargés de pétrole brut, ont le profil de risques le plus élevé. Cinq types différents de profils de risques de trains ont été cernés :

  • train sans wagon de marchandises dangereuses;
  • train qui n’est pas clé comportant 19 wagons de marchandises dangereuses ou moins;
  • train clé comportant 20 wagons de marchandises dangereuses ou plus;
  • train clé comprenant 1 wagon-citerne chargé de gaz toxiques ou autres produits toxiques à l’inhalation (TIH);
  • train-bloc constitué entièrement de wagons de marchandises dangereuses, comme les trains-blocs composés de wagons-citernes transportant du pétrole brut.

À mesure que la vitesse augmentait, les déraillements causés par des ruptures de rails, de soudures ou d’éclisses donnaient lieu à des accidents plus graves que les autres causes d’accident. Par exemple, à 50 mi/h, les accidents causés par des ruptures de rails faisaient dérailler en moyenne deux fois plus de wagons que les autres causes de déraillement.

Les déraillements causés par des ruptures de rails ou de soudures (c.-à-d. des discontinuités imprévues du rail) étaient beaucoup plus fréquents et faisaient dérailler davantage de wagons par accident pour une vitesse donnée que les accidents causés par des roues brisées, des ruptures de roulements à rouleaux ou des défauts de géométrie de la voie.

Les trains-blocs chargés (y compris les trains-blocs qui ne sont pas des trains clés) comptaient un plus grand nombre de wagons déraillés et représentaient un pourcentage plus élevé des accidents causés par des ruptures de rails ou de soudures que les trains-blocs dont tous les wagons étaient vides.

Les conditions saisonnières ne peuvent pas être contrôlées. Toutefois, il existe des stratégies d’atténuation pour compenser l’augmentation du risque due à ces conditions. Ces stratégies d’atténuation des risques comprennent les réductions de vitesse, telles qu’elles sont actuellement pratiquées par les compagnies de chemin de fer par temps froid, et l’augmentation de la fréquence de l’entretien et des inspections des voies et des wagons.

Il a été démontré qu’une meilleure conception de la structure des wagons-citernes réduit la probabilité d’un déversement de marchandises dangereuses et la gravité potentielle d’un accident. Bien que des conceptions améliorées puissent réduire la probabilité de déversement de marchandises dangereuses, le risque qu’un wagon-citerne soit perforé et déverse du produit est présent dans tout déraillement si la vitesse est suffisamment élevée. L’amélioration de la conception des wagons-citernes ne réduit pas non plus la probabilité d’un déraillement, ni le nombre de wagons qui déraillent.

Un examen du RTC a permis de constater que ses dispositions peuvent être améliorées pour tenir compte des processus de réparation et d’entretien de la voie des compagnies de chemin de fer au Canada. L’étude a permis de conclure que les articles 5.3 et 5.4 du RTC portant sur les éclisses devraient prévoir une procédure pour l’installation temporaire et l’inspection d’éclisses et de rails de raccord en territoire à LRS, et que la procédure devrait préciser la fréquence à laquelle l’éclisse ou le rail de raccord temporaire sera inspecté jusqu’à ce que le rail soit réparé de façon permanente. De plus, l’étude recommande que la fréquence des inspections soit liée au volume de trafic et à la présence de trains clés.

Le RTC impose des limites de vitesse des trains en fonction de l’endroit de l’itinéraire, des défauts de roulement de roue, de la catégorie de voie et du type de marchandises transportées, mais ne formule aucune préférence ou recommandation en ce qui concerne les aspects suivants :

  • stratégie relative à la formation des trains étant entendu que le placement des wagons de marchandises dangereuses dans les trains est à la discrétion des compagnies de chemin de fer tant qu’elles respectent les règles, les lignes directrices et les pratiques recommandées des compagnies de chemin de fer, ainsi que les règlements établis par TC en ce qui concerne le transport de marchandises dangereuses;
  • limites quant à la longueur ou au poids (tonnage) des trains clés;
  • limites quant à la longueur, au poids ou à la vitesse des trains-blocs transportant des marchandises dangereuses. Malgré leur profil de risques plus élevé, les trains-blocs dont tous les wagons sont chargés de marchandises dangereuses sont assujettis aux mêmes règles que les autres trains clés, dont le convoi peut ne comprendre qu’un seul wagon transportant des produits de classe 2.3 (gaz toxiques) ou un produit toxique à l’inhalation (TIH);
  • expérience des conducteurs de train ou mesures d’atténuation concernant d’autres questions relatives aux facteurs humains qui pourraient avoir un effet sur la fréquence ou la gravité des déraillements.

L’étude a fait un résumé des facteurs influant sur la gravité des déraillements et a proposé des stratégies d’atténuation. L’application de ces stratégies aux profils de risques cernés par le BST dans le rapport GladwickNote de bas de page 42 a été présentée comme un ensemble de stratégies d’atténuation modèles ou hypothétiques. Les stratégies d’atténuation modèles comprenaient une combinaison d’inspections et de réparations accrues des défauts de rail et de la géométrie de la voie, d’inspections et de réparations accrues des wagons et des locomotives, de réductions de la vitesse des trains et d’améliorations des facteurs humains, comme l’exigence d’une formation plus poussée ou d’une plus grande expérience de travail pour l’exploitation de trains clés ayant un pourcentage important de wagons de marchandises dangereuses.

La documentation examinée dans le cadre de l’étude étayait les stratégies d’atténuation des risques suggérées. L’étude a établi que l’augmentation du risque global qui se produit à mesure que le nombre de wagons de marchandises dangereuses dans un train clé augmente (de 1 wagon de marchandises dangereuses jusqu’à un train-bloc dont tous les wagons-citernes sont chargés de marchandises dangereuses) pourrait être contrée par un niveau croissant d’exigences liées aux voies, au matériel et aux facteurs humains.

Bien que l’élimination complète de tous les déraillements, quelle qu’en soit la cause, ne soit peut-être pas possible, des mesures peuvent être mises en place pour minimiser la probabilité d’un déraillement et réduire la gravité des conséquences, sans grandes répercussions sur les activités d’exploitation ferroviaire.

1.19 Renseignements sur les wagons-citernes

Dans le passé, plusieurs types de wagons-citernes affectés au transport des marchandises dangereuses ont été utilisés pour transporter des liquides inflammables de classe 3. Les anciens wagons-citernes de catégorie 111 avec ou sans chemise qui ont été commandés avant le 1er octobre 2011 ont été construits conformément aux anciennes normes pour la catégorie TC/DOT 111 et étaient limités à un poids brut sur rail (PBR) de 263 000 livres. Depuis le 1er novembre 2016, ces wagons-citernes de catégorie 111 ne sont plus autorisés pour le transport de produits pétroliers non raffinés au Canada.

Les wagons-citernes de catégorie 111 construits entre 2011 et 2015 et affectés au transport du pétrole brut et de l’éthanol, qui sont des liquides inflammables de classe 3 des groupes d’emballage I et II, doivent être conformes à la norme CPC-1232 de l’AARNote de bas de page 43. Ces wagons-citernes ont généralement un poids brut sur rail (PBR) maximal de 286 000 livres et peuvent transporter une plus grande quantité de produit que les anciens wagons-citernes de catégorie 111, qui avaient un PBR maximal de 263 000 livres. La norme TP 14877 FNote de bas de page 44 de TC énonce les spécifications correspondantes. Ces wagons-citernes sont généralement appelés « wagons-citernes de classe 111 renforcés » ou « wagons-citernes CPC-1232 », et ils peuvent continuer de servir au transport de pétrole brut jusqu’au 30 avril 2025 à condition d’être dotés d’une chemise.

Certains wagons-citernes de catégorie 111 ont été modifiés par l’ajout d’une chemise, de calorifuge et de boucliers protecteurs complets ainsi que par le réaménagement des robinets de déchargement par le bas afin de respecter la norme TC/DOT 117R pour les wagons-citernes.

Les wagons-citernes utilisés pour le transport des liquides inflammables de classe 3 construits le 1er octobre 2015 ou après cette date doivent respecter la nouvelle norme TC/DOT 117J.

Les wagons-citernes construits selon la norme TC/DOT 117J comprennent une coque de citerne plus épaisse, des chemises, une protection thermique, des boucliers protecteurs complets, un dispositif de protection des raccords supérieurs et une conception améliorée du robinet de déchargement par le bas.

1.20 Évaluation des caractéristiques du produit de pétrole brut

Afin de mieux comprendre les caractéristiques du pétrole brut, le laboratoire du BST a évalué le pourcentage de diluant et les propriétés connexes du produit de pétrole brut transporté par le train.

Le comportement du pétrole brut déversé après un déraillement peut être prédit en fonction de la composition du produit et de ses propriétés connexes, tels que décrites ci-dessous :

  • Pourcentage de diluant : Le diluant est un mélange d’hydrocarbures légers qui est mélangé au pétrole brut lourd pour en réduire la viscosité et ainsi le rendre plus fin ou plus fluide pour le transport. Le rapport de mélange de diluant est exprimé en pourcentage du volume.
  • Viscosité cinématique : La viscosité cinématique est une mesure de la résistance à l’écoulement d’un liquide sous l’effet de la gravité. Le pétrole brut qui présente une faible viscosité cinématique s’écoulera sur le sol et y pénétrera plus rapidement. La viscosité cinématique est mesurée en centistokes (cST). Un cST équivaut à 1 millimètre carré par seconde.
  • À titre de comparaison, le miel liquide a une viscosité typique d’environ 75 cSt et le lait, d’environ 1,1 cSt à température ambiante.
  • Point d’éclair : Le point d’éclair d’un liquide est la température minimale à laquelle le liquide émet une vapeur suffisamment concentrée pour former avec l’air, à la surface du liquide, un mélange pouvant s’enflammer. Un point d’éclair plus bas représente un danger d’inflammabilité plus grand dans des conditions de laboratoire.
  • Point initial d’ébullition : Le point initial d’ébullition d’un mélange liquide est la température à laquelle la première bulle de vapeur se forme à partir du mélange liquide, à une pression donnée. Le pétrole brut dont le point d’ébullition est bas s’évapore à des températures plus basses.
  • Pression de vapeur : La pression de vapeur du pétrole brut est une importante propriété physique qui a une incidence sur les pratiques générales de manutention et de raffinage. Elle est aussi utilisée comme mesure indirecte de la vitesse d’évaporation des produits pétroliers volatils. Le pétrole brut dont la pression de vapeur est basse s’évapore plus lentement.

La quantité de diluant dissous dans le pétrole brut influence fortement les caractéristiques du produit. Le mélange de distillats avec du pétrole brut crée généralement un produit dont le point d’éclair, le point d’ébullition initial et la viscosité sont inférieurs à ceux du pétrole brut d’origine, ce qui rend le produit intrinsèquement plus inflammable.

1.20.1 Réduction de la volatilité du pétrole brut pour rendre le transport ferroviaire plus sécuritaire

Il existe diverses méthodes qui permettent de réduire la volatilité du pétrole brut pendant le transport ferroviaire, entre autres :

  • Conditionner et stabiliser le pétrole brut : le pétrole brut peut être traité par la chaleur, des additifs ou d’autres moyens pour réduire sa pression de vapeur et, par conséquent, le risque d’explosions ou d’incendies en cas d’accident.
  • Réduire le rapport de mélange de diluant : les diluants hautement inflammables utilisés pour transporter le pétrole brut par pipeline peuvent être retirés du pétrole avant le transport par chemin de fer à l’aide d’une unité de récupération des diluants, ce qui rend le produit moins volatil.

1.20.2 Analyse d’un échantillon du pétrole brut chargé dans le train

Les propriétés chimiques et physiques du pétrole brut varient considérablement en fonction du lieu d’où il est extrait, de la méthode d’extraction et de la quantité de diluant qui est ajouté pour faciliter le transport et le traitement du produit.

ConocoPhillips Company Canada, le producteur du pétrole brut, a fourni un rapport d’analyse du pétrole brut chargé dans le train. Le pétrole brut analysé a été prélevé dans la citerne de chargement (citerne Tank-20 de Gibson Energy) le 5 février 2020, et il a déterminé qu’il s’agissait de pétrole brut dilbitNote de bas de page 45 Surmont Heavy. L’analyse des caractéristiques du pétrole brut de l’échantillon a été obtenue auprès d’un laboratoire tiers (Intertek). Le tableau 9 énumère les propriétés pertinentes du produit.

Tableau 9. Propriétés du pétrole brut transporté sur le train (Source : Intertek)
Propriétés du produit de pétrole brut Valeurs enregistrées
Point d’éclair (°C, D93) <40
Pression de vapeur (kPa à 32,2 °C) 51,7
Point initial d’ébullition (°C) 33,2
Viscosité cinématique (cST à 40 °C) 58,76
Pourcentage de diluant (%) De 31,5 à 32

Le traitement, le chargement, l’analyse du produit et la classification du pétrole brut chargé sur le train ont tous été effectués conformément aux exigences de la réglementation.

1.20.3 Facteurs influençant les propriétés du pétrole brut en cas de brèche d’un wagon-citerne

Toute augmentation du pourcentage de diluant ajouté augmente la quantité de produit qui, en cas de brèche, peut s’échapper du wagon-citerne en phase gazeuse (c.-à-d. sous forme de vapeur). En outre, un point d’éclair bas combiné à une pression de vapeur relativement élevée et à un point d’ébullition initial relativement bas augmente la probabilité d’inflammation des vapeurs.

Lorsqu’un mélange de pétrole brut à viscosité plus élevée est exposé à des températures froides, l’écoulement d’une partie du produit ralentit; celui-ci peut ainsi s’accumuler et augmenter potentiellement le volume de pétrole brut susceptible d’alimenter un feu en nappe.

Lorsqu’un feu en nappe s’enflamme, le feu réchauffe les wagons-citernes qui sont directement exposés à l’incendie. Lorsqu’une citerne est exposée à la chaleur, le produit ou la vapeur qu’elle contient se dilate. La pression interne de la citerne augmente alors jusqu’au point où les dispositifs de décharge de pression (DDP) peuvent se déclencher et libérer davantage de produit, ce qui risque d’alimenter l’incendie.

Si la pression interne d’une citerne devient trop importante pour que les DDP puissent la gérer, il peut en résulter une rupture violente de la coque, également connue sous le nom de rupture thermique, et libérer encore plus de produit.

Le déversement de pétrole brut provenant de wagons-citernes déraillés peut s’accompagner d’un allumage immédiat ou d’un allumage retardé, ou ne s’accompagner d’aucun allumage.

Trois conditions doivent être remplies pour que le pétrole brut rejeté s’enflammeNote de bas de page 46 :

  1. la matière doit dégager des quantités suffisantes de vapeurs ou de gaz;
  2. les vapeurs ou les gaz doivent être mélangés à une quantité suffisante d’oxygène;
  3. le mélange air-vapeur doit se trouver à une température suffisamment élevée pour provoquer un auto-allumage, ou une source d’allumage (comme une étincelle, une petite flamme ou une pièce de métal surchauffée par la friction) doit être présente.

1.21 Zones de déraillement

L’examen de déraillements antérieurs de wagons-citernesNote de bas de page 47,Note de bas de page 48,Note de bas de page 49 montre que, lorsqu’un train-bloc transportant du pétrole brut déraille, la zone de déraillement compte généralement 3 parties principalesNote de bas de page 50 :

    1. La 1re partie est celle où les wagons-citernes déraillent en tête de train ou dans la portion menante du déraillement et se dispersent généralement de façon aléatoire. Cette partie comprend les wagons occupant les positions 2 et 3 dans cet accident.
    2. La 2e partie est la partie principale du déraillement. Il s’agit de la partie où, en général, des wagons-citernes se mettent en portefeuille, s’immobilisent côte à côte ou s’empilent. Cette partie comprend les wagons occupant les positions 4 à 22 dans cet accident.
    3. La 3e partie se situe en queue du déraillement. Un peu comme dans la première partie, les wagons-citernes restants qui déraillent dans cette partie se dispersent généralement de façon aléatoire, sans s’empiler. Cette partie comprend les wagons occupant les positions 23 à 34 dans cet accident.

Différents types de dommages, pouvant varier sur le plan de la gravité et de la quantité de produit déversé, ont été constatés dans chacune des 3 parties de la zone de déraillement (Figure 7). Les raisons qui expliquent l’étendue des dommages subis par chaque wagon-citerne déraillé varient, mais les facteurs principaux sont la vitesse du train au moment du déraillement, la taille de la zone de déraillement, la topographie de la zone de déraillement et les conditions météorologiques au moment du déraillement. Les observations suivantes sont considérées comme étant typiques de chaque partie d’une zone de déraillement et permettent d’expliquer les forces dynamiques agissant sur les wagons-citernes durant un déraillement.

Figure 7. Lieu de l’accident montrant les zones de la partie du déraillement (Source : BST)
Lieu de l’accident montrant les zones de la partie du déraillement (Source : BST)

1.21.1 Première partie du déraillement (Partie 1)

Les wagons-citernes dans la partie 1 se trouvent souvent à une certaine distance de la partie principale du déraillement. Pendant un déraillement, la caisse des wagons se sépare souvent de ses bogies. Lorsqu’un wagon se sépare de ses bogies, il glisse jusqu’à ce que des obstacles ralentissent sa course. L’élan du wagon-citerne peut habituellement être réduit soit par la friction avec le sol, soit par le contact avec des obstacles. Souvent, la coque des wagons dans cette partie conserve une excellente intégrité durant le déraillement. Habituellement, les citernes sont moins déformées et les bosses et brèches causées par l’impact sont plus petites.

Les composants fixés à l’extérieur de ces wagons-citernes subissent habituellement des dommages attribuables aux chocs lorsque les citernes se renversent en glissant sur le sol. Au fil des ans, la conception des accessoires des wagons-citernes, comme le robinet de décharge par le bas (RDB) et les raccords supérieurs, a été modifiée pour qu’ils soient protégés contre ce type de dommages. Le volume de produit déversé est généralement moindre dans la partie 1 que dans la partie principale du déraillement.

1.21.2 Partie principale du déraillement (Partie 2)

Les wagons-citernes situés dans la partie principale du déraillement subissent généralement la majeure partie des brèches et des pertes de produit. Cela peut s’expliquer par les importantes forces dynamiques auxquelles les wagons-citernes sont soumis dans cette partie. Le premier wagon de cette partie agit comme un point d’ancrage lorsqu’il déraille et il ralentit ou arrête la progression des wagons-citernes suivants qui déraillent. Les forces d’impact attribuables à l’élan des wagons-citernes suivants imposent de fortes charges aux wagons-citernes déraillés qui se sont immobilisés et entraînent souvent d’importantes déformations ou perforations des citernes. Cela se poursuit jusqu’à ce que les wagons-citernes s’immobilisent.

1.21.3 Queue du déraillement (Partie 3)

Pour les wagons-citernes situés en queue du déraillement, les dommages et les quantités de produit déversées peuvent varier considérablement. Lorsque les wagons déraillent dans la partie principale du déraillement, l’énergie est dissipée lors des chocs jusqu’à ce que les wagons-citernes se séparent. Ces chocs et la diminution résultante de la vitesse des wagons-citernes suivants réduisent les forces d’impact, ce qui diminue généralement les dommages aux wagons-citernes et la quantité de produit perdue.

1.22 Examen des wagons-citernes déraillés effectué par le BST

Les 33 wagons-citernes en cause dans le déraillement ont tous été fabriqués avant le 1er octobre 2015 : 6 par Trinity Industries, Inc. et les autres par The Greenbrier Companies Note de bas de page 51. Chacun des 33 wagons-citernes qui ont déraillé avait un PBR maximal de 286 000 livres et une capacité moyenne d’environ 110 000 litres.

Vingt-quatre des 33 wagons-citernes qui ont déraillé étaient des wagons-citernes DOT-111 construits selon la norme de conception avec chemise CPC-1232Note de bas de page 52. Ils étaient isolés et équipés de boucliers protecteurs et de chemises complets.

Les 9 autres wagons-citernes étaient à l’origine des wagons-citernes DOT-111 qui avaient été modifiés pour répondre à la norme DOT-117R. Ces wagons étaient également isolés et équipés de boucliers protecteurs et de chemises complets.

Au cours de l’assainissement des lieux de déraillements de wagons-citernes contenant des marchandises dangereuses, les wagons-citernes ayant déraillé sont déplacés soit pour libérer la voie, soit pour les orienter de manière à minimiser le déversement de produit, soit pour en retirer tout produit restant. Pour ce faire, les longrines tronquées et les enceintes des raccords supérieurs des wagons-citernes sont souvent utilisées pour déplacer les wagons, ce qui peut endommager considérablement les longrines et les enceintes. Par conséquent, il est parfois difficile de distinguer les dommages causés par le déraillement de ceux causés pendant la remise en état des lieux.

Malgré ces difficultés, tous les efforts ont été déployés pour bien caractériser les dommages constatés sur les wagons-citernes qui ont été causés par l’accident. Toutefois, en raison des dommages considérables causés par l’incendie et l’assainissement des lieux, moins de la moitié des wagons-citernes ont pu être identifiés. Pour faciliter l’examen, un numéro du BST a été attribué sur le terrain aux wagons-citernes non identifiables.

1.22.1 Observations générales sur les wagons-citernes

Les types suivants de brèches dans les wagons-citernes ont été recensés sur le terrain (Annexe A) :

  • 17 brèches de coque;
  • 4 brèches de tête;
  • 3 brèches des raccords supérieurs;
  • 3 brèches de trou d’homme.

Vingt des 33 wagons-citernes qui ont déraillé ont subi des dommages qui ont entraîné un déversement de produit. Cinq wagons-citernes ont subi plusieurs brèches.

Dix-sept des 20 wagons-citernes qui ont subi des brèches se trouvaient dans le feu en nappe principal (partie 2), ce qui représente environ 85 % des wagons-citernes qui ont subi des brèches.

  • Quinze des 20 wagons se sont vidés de tout leur contenu, et les 5 autres ont subi une perte moyenne de produit d’environ 60 %.

Les 19 wagons-citernes qui étaient dans le feu en nappe (partie 2) ont été lourdement endommagés par le feu. À l’exception des wagons-citernes CTCX 716605 (position 4), CBTX 729456 (position 8) et CBTX 729563 (position 11), toutes les marques (marquage et poinçonnage) des 16 autres wagons-citernes qui s’étaient trouvés dans le feu en nappe avaient été effacées par l’incendie.

Plusieurs coques et têtes de wagons-citernes, ainsi que des roues et des essieux de divers wagons, ont fondu (Figures 8 et 9). Cela indique que l’incendie a atteint des températures supérieures à 1340 °C, qui est la température minimale de fusion de l’acier au carbone.

Figure 8. Tête de coque fondue d’un wagon-citerne non identifié (Source : BST)
Tête de coque fondue d’un wagon-citerne non identifié (Source : BST)

Il y a eu au total 6 brèches dans les raccords supérieurs (3) et les trous d’homme (3). Cependant, 2 de ces 6 brèches étaient associées à des ruptures importantes de la coque. Dans les deux cas, on a considéré qu’il s’agissait d’un point de rejet secondaire du produit puisque la majeure partie, sinon la totalité, du déversement aurait été presque instantanée à la suite de la rupture importante de la coque.

Figure 9. Essieu monté fondu non identifié provenant de l’incendie (Source : BST)
Essieu monté fondu non identifié provenant de l’incendie (Source : BST)

Même si des signes de ruptures thermiques potentielles ont été relevés, les ruptures thermiques n’ont pas pu être confirmées avec certitude en raison des dommages importants subis par les wagons-citernes (Figure 10).

Figure 10. Wagon-citerne non identifiable gravement endommagé et présentant plusieurs brèches (Source : BST)
Wagon-citerne non identifiable gravement endommagé et présentant plusieurs brèches (Source : BST)

On n’a relevé aucun RDB s’étant rompu et ayant déversé du produit; toutefois, les dommages considérables causés par l’incendie et la remise en état des lieux ont empêché de déterminer la performance des RDB d’origine ou des RDB améliorés.

1.23 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La gestion de la sécurité figure sur la Liste de surveillance 2022. Comme le démontre cet événement, bien que les chemins de fer disposent de plans détaillés de systèmes de gestion de la sécurité et d’évaluations des risques qui précisent des stratégies d’atténuation pour réduire au minimum les dangers potentiels pouvant conduire à un déraillement, il y a souvent des lacunes dans l’évaluation des risques, et des accidents se produisent parfois avant que les mesures d’atténuation ne soient pleinement mises en œuvre.

MESURES À PRENDRE

L’enjeu de la gestion de la sécurité dans le transport ferroviaire demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce que les transporteurs démontrent à TC que leur SGS est efficace.

1.24 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a produit les 2 rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

  • LP011/2020 – Tank car examination [examen de wagons-citernes]
  • LP150/2021– Examination of product characteristics [examen des caractéristiques du produit]

2.0 Analyse

Le train de marchandises 516-398 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), un train-bloc transportant du pétrole brut (UN1267, classe 3, groupe d’emballage [GE] I), était exploité conformément aux exigences réglementaires. Les actions de l’équipe du train ne sont pas considérées comme des facteurs contributifs au présent accident. L’analyse portera sur l’état de l’infrastructure de la voie, la détection des rails brisés et des joints brisés, la vitesse du train et les lacunes dans le processus d’évaluation des risques du CP en ce qui concerne les exigences du Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS) et du Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés de 2016 (RTC).

Vu l’intérêt qui est porté partout en Amérique du Nord au comportement des wagons-citernes pendant les déraillements, il sera aussi question des résultats de l’examen détaillé des wagons-citernes, de l’analyse du produit ainsi que des observations issues de l’examen et de l’analyse.

2.1 L’accident

Le 9 décembre 2019 vers 0 h 10, heure normale du Centre, le train circulait vers l’est à 44 mi/h dans la subdivision de Sutherland, régie par le système de régulation de l’occupation de la voie (ROV), près de Guernsey (Saskatchewan), lorsque l’équipe a remarqué une brèche dans le rail sud alors que le train s’approchait du passage à niveau passif public du chemin Wolverine (point milliaire 48,85).

La vidéo de la caméra orientée vers l’avant de la locomotive de tête (CP 8946) a permis de confirmer qu’il y avait une brèche dans le rail sud aux environs du point milliaire 48,86, soit à environ 50 pieds à l’ouest du passage à niveau du chemin Wolverine (point milliaire 48,85). Lorsque la locomotive de tête a franchi la brèche, la cabine de la locomotive et l’image enregistrée ont vibré perceptiblement. Immédiatement après, un freinage d’urgence provenant de la conduite générale a été déclenché et les membres de l’équipe ont vu une forte explosion derrière eux alors que la locomotive de tête et le premier wagon se séparaient du train.

Le premier wagon situé derrière la locomotive de tête, un wagon-trémie couvert chargé de sable, a déraillé mais est resté attelé à la locomotive. Toutes les roues sud de la locomotive présentaient des marques d’impact transversales sur les tables de roulement. Ces marques indiquaient que les roues étaient entrées en contact avec le champignon du rail sud, exposé après qu’une longueur indéterminée du rail se soit détachée de la voie, probablement sous un train précédent du CP, avant l’arrivée du train 516-398. Il n’a pas été possible de déterminer la nature précise de la brèche du rail, car la section du rail sud qui s’était détachée n’a pas été récupérée.

Une inspection ultérieure a permis de déterminer que 34 wagons avaient déraillé, dont 33 wagons-citernes chargés de pétrole brut. Lors du déraillement, 20 wagons-citernes se sont rompus et ont déversé leur contenu. Le produit déversé s’est enflammé, ce qui a provoqué un vaste feu en nappe qui a brûlé pendant environ 24 heures et a détruit 19 des wagons-citernes qui avaient déraillé. On estime qu’environ 1,77 million de litres de pétrole brut s’est déversé. Aucune évacuation n’a été requise. L’incident n’a fait aucun blessé.

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Le déraillement s’est produit au moment où le train-bloc du CP transportant du pétrole brut traversait une brèche dans le rail sud alors qu’il circulait vers l’est dans la subdivision de Sutherland aux environs du point milliaire 48,86.

Le rail sud s’était probablement rompu sous un train précédent, entraînant la séparation d’une longueur indéterminée du rail de la voie de sorte à exposer les extrémités du rail.

2.2 Inspection de la voie de la subdivision de Sutherland

Afin de se protéger contre les risques que des joints brisés et des rails brisés entraînent une rupture d’éclissage et causent un déraillement, et conformément au Règlement concernant la sécurité de la voie, aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV), le CP a procédé régulièrement à des inspections visuelles de la voie et à des contrôles de détection des défauts de rail (DDR) par ultrasons.

Entre septembre et décembre 2019, les inspections visuelles du CP ont permis de recenser 11 joints brisés et 2 rails brisés qui devaient être réparés avant le passage d’un train.

Dans le cas de la subdivision de Sutherland, le CP dépassait l’exigence minimale du RSV – 3 inspections de DDR par année – pour les voies de longs rails soudés (LRS) de catégorie 4 dont le tonnage annuel se situe entre 15 et 35 millions de tonnes brutes. En 2019, le CP a effectué 7 inspections de DDR dans la subdivision et a recensé un total de 87 défauts qui ont été réparés en découpant le défaut de rail et en installant un rail de raccord.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Malgré les inspections visuelles régulières de la voie et les contrôles de DDR, qui dépassaient les exigences réglementaires, la rupture du rail sud en territoire ROV n’a pas été détectée avant l’arrivée du train et a provoqué le déraillement d’un train clé sur un itinéraire clé, entraînant le déversement de 1,77 million de litres de pétrole brut.

2.3 Résistance longitudinale des rails

En territoire de LRS, comme dans la subdivision de Sutherland, les rails et les joints brisés sont symptomatiques d’une résistance longitudinale inadéquate et sont plus susceptibles de se produire par températures ambiantes froides.

Pour offrir la résistance nécessaire aux forces longitudinales sous des charges de service normales, le rail doit être correctement supporté et fixé. Il est important que tous les composants de la voie – anticheminants, traverses et ballast – fonctionnent comme prévu et que la température neutre du rail soit correctement gérée.

Les anticheminants maintiennent le rail en place et transmettent aux traverses les forces longitudinales générées par le passage d’un train. Les traverses, encastrées dans le ballast, absorbent les forces, qui sont ensuite transmises à la plateforme. Si un ou plusieurs des composants de la voie ne contribuent pas à la résistance attendue, les risques d’irrégularités de la voie augmentent. Par exemple, si les anticheminants ne sont pas posés sur des traverses en bon état, ils ne fourniront pas la résistance attendue. De même, sur un ballast tout-venant constitué de petites pierres arrondies avec relativement peu de faces de rupture, il se peut que la résistance ne soit pas suffisante pour les traverses encastrées dans le ballast.

Dans les environs du déraillement, 25 % des traverses étaient défectueuses. Les anticheminants appliqués sur des traverses défectueuses n’assureront pas la résistance attendue.

Le ballast tout-venant dans l’événement à l’étude se composait principalement de petites pierres arrondies (jusqu’à 4 pouces de diamètre). Un ballast sain est généralement constitué de pierre concassée présentant des surfaces angulaires rugueuses, ce qui permet aux pierres de s’imbriquer avec les traverses et entre elles de manière à former une plateforme stable. En revanche, les roches arrondies du ballast tout-venant présentent moins de surfaces de rupture leur permettant de s’imbriquer avec les traverses et entre elles, de sorte que les traverses sont moins susceptibles de s’encastrer dans le ballast.

Au moment de l’accident, la température était de −19 °C. Au cours des 12 heures précédant l’accident, la température moyenne avait été de −19,3 °C. Lorsque les températures baissent en territoire de LRS, le rail se contracte et est soumis à des forces de traction longitudinales. Dans le cas présent, la température ambiante froide a créé des conditions favorables à la rupture du rail.

Toutes les conditions susmentionnées existaient dans les environs du déraillement et ont probablement contribué à la rupture du rail. Si la structure de la voie n’offre pas une résistance suffisante, les forces de traction peuvent conduire à des rails brisés, donnant lieu à des brèches de rail, ce qui peut provoquer un déraillement.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Les composants de la voie (anticheminants, traverses et ballast) n’ont pas offert une résistance suffisante aux forces de traction longitudinales du rail engendrées par le temps froid, ce qui a contribué à la rupture d’un rail sous les charges de service normales au passage d’un train précédent.

2.4 Détection des rails brisés et des joints brisés

Dans les subdivisions où la circulation des trains est régie par un système de commande centralisée de la circulation (CCC) avec signalisation, des signaux en bordure de voie sont installés le long de l’emprise ferroviaire pour régir la circulation des trains. Les signaux sont reliés par des circuits de voie qui fonctionnent à travers les rails. Un rail ou un joint brisé qui donne lieu à une brèche de rail en territoire CCC interrompra probablement le circuit de voie, ce qui amène les signaux régissant les mouvements à passer en mode « sécurité intrinsèque » et à présenter leur indication la plus restrictive, généralement un signal d’arrêt absolu rouge. Si cela se produit, un train doit s’immobiliser ou recevoir la permission d’un contrôleur de la circulation ferroviaire pour franchir le signal d’arrêt absolu, puis avancer dans le canton à la vitesse restreinte (15 mi/h) tout en étant à l’affût de rails brisés. Cela offre aux trains circulant en territoire CCC une certaine protection contre les déraillements dus à des rails brisés et à des joints brisés.

Dans le cas des trains circulant en territoire ROV, comme la subdivision de Sutherland, il n’y a pas de signaux en bordure de voie installés le long de l’emprise ferroviaire pour régir la circulation des trains. Par conséquent, comme l’a démontré cet accident, les rails brisés qui entraînent une brèche de rail peuvent passer inaperçus en territoire ROV jusqu’à ce qu’ils soient remarqués par l’équipe d’un train qui s’approche, auquel cas il peut être trop tard pour ralentir ou immobiliser le train avant qu’il ne passe sur un rail brisé.

2.5 Entretien de la voie et gravité des accidents

L’étude réalisée par le Centre national de recherches Canada concernant les facteurs qui augmentent la gravité des déraillements de trains transportant des marchandises dangereuses a permis de constater qu’il existe une relation complexe entre la vitesse du train, sa longueur, la cause de l’accident et d’autres facteurs qui influent sur la gravité d’un déraillement. Bien qu’il semble y avoir une relation linéaire entre le nombre de wagons déraillés et la vitesse du train lors d’un accident, la vitesse n’est pas l’unique facteur.

Au cours de l’étude, divers profils de train ont été examinés et comparés aux trains-blocs transportant des MD. Les résultats concernant les différences entre les déraillements pour les différents profils de train ont ensuite été comparés. Il a été déterminé qu’un train-bloc constitué entièrement de wagons de MD, tels que des wagons-citernes transportant du pétrole brut, présente le profil de risque le plus élevé, ce qui signifie que les trains-blocs transportant des MD présentent le plus grand risque en cas de déraillement.

Les déraillements provoqués par une rupture de rails, de soudures de rail ou d’éclisses étaient nettement plus fréquents et comptaient un nombre plus élevé de wagons déraillés par accident à une vitesse donnée. À mesure que la vitesse augmentait, les déraillements de ces types provoquaient des accidents plus graves comparativement aux déraillements provoqués par d’autres causes. En particulier, les trains-blocs chargés (y compris les trains-blocs qui ne sont pas des trains clés) comptaient un plus grand nombre de wagons déraillés et représentaient un pourcentage plus élevé des accidents de ces types. Tous ces facteurs étaient présents lors de l’accident à l’étude.

Bien qu’il ait été démontré que l’amélioration de la conception de la structure des wagons-citernes réduit la probabilité de déversement de marchandises dangereuses et la gravité potentielle d’un accident, elle ne réduit pas la probabilité d’un déraillement et n’a pas d’incidence sur le nombre de wagons déraillés. Le risque qu’un wagon-citerne subisse une perforation ou une brèche et déverse du produit existe dans tout déraillement si la vitesse est suffisamment élevée.

Par exemple :

  • Le 14 février 2015, un train-bloc de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) transportant du pétrole brut a déraillé au point milliaire 111,7 de la subdivision de Ruel près de Gladwick (Ontario). Le train circulait à 38 mi/h au moment de l’accident. Des 29 wagons-citernes déraillés, 19 (66 %) ont subi une brèche, et environ 1,7 million de litres de produit ont été rejetés dans l’atmosphère ou au sol. L’enquête a permis de déterminer que le déraillement s’est produit lorsqu’un joint isolé dans le rail sud, au point milliaire 111,7, s’est rompu sous la tête du train.
  • Le 7 mars 2015, un autre train-bloc du CN transportant du pétrole brut a déraillé au point milliaire 88,70 de la subdivision de Ruel, près de Gogama (Ontario). Le train circulait à 43 mi/h au moment de l’accident. L’enquête a permis de déterminer qu’avant l’arrivée du train, une section de 16 pouces du champignon du rail sud d’origine s’était rompue en raison d’une fissuration verticale du champignon dans le joint est d’une récente réparation avec un rail de raccord, ce qui a créé une brèche dans le rail sud. Le déraillement s’est produit lorsque le rail sud s’est rompu au passage du train; cette rupture a causé le déraillement des wagons-citernes 6 à 44 (39 wagons-citernes). Par suite du déraillement, 33 wagons (85 %) ont subi une brèche et environ 2,6 millions de litres de pétrole brut ont été rejetés.
  • Le 16 février 2019, un train-bloc du CN composé de 108 wagons-citernes chargés de pétrole brut  et 2 wagons-trémies couverts chargés de sable, circulait vers l’est à environ 49 mi/h dans la subdivision de Rivers, lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est déclenché près de Saint-Lazare (Manitoba). Une inspection subséquente a permis de constater que 37 wagons-citernes de catégorie TC/DOT 117R avaient déraillé près du point milliaire 197,47. Au total, 17des wagons-citernes déraillés ont subi des brèches, ce qui a causé le déversement d’environ 815 000 litres de produit. Le déraillement a endommagé ou détruit quelque 1000 pieds de voie. Il n’y a eu aucun incendie ni aucun blessé, et aucune évacuation n’a été requise. L’enquête a permis de déterminer que l’accident était dû à un joint mal aligné qui s’était rompu sous le train.

Ces 3 déraillements sont tous survenus en conséquence d’un entretien de la voie inadéquat et des problèmes de rail ou de joints qui en ont découlé. L’amélioration de la réparation et de l’entretien de la voie sur les itinéraires clés a pour effet de diminuer la probabilité de l’ensemble des déraillements, y compris ceux de trains transportant des marchandises dangereuses. À la suite de ces 3 accidents, le CN a apporté d’importantes améliorations à l’infrastructure des deux subdivisions; au moment de rédiger ce rapport, aucun accident grave en voie principale n’est survenu dans l’une ou l’autre des subdivisions depuis que les améliorations ont été apportées à l’infrastructure.

2.5.1 Signes que la voie nécessite un entretien supplémentaire dans la subdivision de Sutherland

La fréquence des inspections de l’état géométrique de la voie et de DDR effectuées par le CP dépassait les exigences minimales du RSV. Malgré l’augmentation de la fréquence des inspections, il y avait un certain nombre de signes indiquant que l’état de l’infrastructure de la voie dans la subdivision nécessitait un entretien supplémentaire. Par exemple :

  • En août 2018, Transports Canada (TC) a envoyé au CP une lettre de non-conformité et de préoccupation dans laquelle il relevait 79 traverses non conformes qui nécessitaient une attention immédiate.
  • En 2019, TC a inspecté 166 milles de voies dans la subdivision de Sutherland. Les inspections ont révélé un total de 31 défauts qui exigeaient une attention immédiate. Les mêmes inspections de TC ont aussi relevé 223 états de la voie qui s’approchaient des exigences minimales du RSV.
  • Même si seulement 2 inspections de l’état géométrique de la voie par année étaient exigées dans la subdivision de Sutherland, en 2019, le CP a effectué 3 inspections de l’état géométrique et a relevé un total de 220 défauts urgents qui nécessitaient des réparations. Parmi les 220 défauts urgents détectés dans la subdivision de Sutherland en 2019, les défauts les plus courants concernaient le sous-écartement (117), l’élévation de conception liée au nivellement transversal (56) ainsi que d’autres conditions de surface (24).
  • Le nombre de défauts urgents liés à l’état géométrique de la voie indiquait que la voie avait besoin d’un entretien supplémentaire. En particulier, le nombre élevé de défauts de sous-écartement (117) relevés indiquait que la structure de la voie en divers endroits n’était plus en mesure de maintenir l’écartement de la voie dans des conditions dynamiques. Sur les voies en alignement, le sous-écartement favorise l’instabilité du matériel roulant, ce qui contribue au galop des bogies ainsi qu’à l’usure accélérée des roues et des rails.
  • Dans la subdivision de Sutherland, seulement 3 inspections de DDR par année étaient exigées, mais en 2019, le CP avait effectué 7 inspections de DDR et relevé un total de 87 défauts qui nécessitaient des réparations. Compte tenu de l’âge des rails de la subdivision (qui remontaient aux années 1960 à 1980 environ), le nombre de défauts indiquait que les rails exigeaient un entretien supplémentaire.
  • Au moment de l’accident, malgré un programme d’élimination des joints, la subdivision de Sutherland comptait toujours environ 700 joints en territoire de LRS, dont un grand nombre étaient liés à des réparations avec rail de raccord visant à corriger les défauts DDR, ce qui constituait un autre signe que l’état de l’infrastructure de la voie formée de LRS dans la subdivision de Sutherland exigeait un entretien supplémentaire.

Cet accident et les 3 accidents précédents avaient des éléments en commun. Plus précisément :

  • Dans les 4 accidents, des trains-blocs transportant du pétrole brut étaient exploités sur des itinéraires clés.
  • Avec le temps, les subdivisions concernées ont commencé à exiger un entretien supplémentaire, comme en témoigne le grand nombre de défauts de l’état géométrique et de défauts DDR, de réparations avec rail de raccord et de joints ainsi formés en territoire de LRS.
  • Les 4 accidents sont survenus principalement en conséquence d’un entretien de la voie inadéquat et des conditions de joints ou de rail qui en ont découlé.

Bien que le RSV établisse des normes minimales pour l’infrastructure de la voie, certaines exigences du CP dépassent les exigences du RSV. Cependant, ni le RSV ni les exigences du CP n’abordent la nécessité d’améliorer les normes des voies pour les itinéraires clés, malgré les importantes augmentations des volumes de MD transportées et les nombreux indicateurs de détérioration de l’état de l’infrastructure de la voie, comme cela s’est produit dans la subdivision de Sutherland. Cela porte à croire que les exigences de la réglementation et de la compagnie concernant l’entretien de la voie en vigueur au moment de l’événement peuvent avoir été insuffisantes pour prévenir les déraillements de trains transportant des marchandises dangereuses sur les itinéraires clés.

Pour diminuer la fréquence des accidents de trains clés exploités sur des itinéraires clés et réduire les risques connexes, il est impératif que l’infrastructure de la voie des itinéraires clés soit entretenue adéquatement. Même si la capacité de survie des wagons-citernes transportant des MD devient importante après un accident, la stratégie la plus efficace est d’éliminer les causes sous-jacentes des accidents pour éviter qu’ils se produisent. Étant donné que les exigences de la réglementation et de la compagnie en matière d’entretien des voies en vigueur au moment de l’accident n’ont pas permis d’éviter ces accidents, renforcer ces exigences pour les itinéraires clés pourrait être une stratégie de prévention viable.

Fait établi quant aux risques

Si le renforcement des exigences de la réglementation et des compagnies de chemin de fer concernant l’entretien de la voie pour les itinéraires clés ne fait pas partie des stratégies de prévention des accidents, il y a un risque accru qu’une rupture de rail ou de joint sur un itinéraire clé provoque un déraillement et le déversement de MD.

L’exploitation de trains clés sur des itinéraires clés dans les territoires ROV qui ne disposent pas de moyens secondaires de protection contre une rupture de rail donnant lieu à une brèche de rail présente un risque accru pour le public et l’environnement en cas de déraillement d’un train clé.

2.6 L’exploitation de trains clés sur des itinéraires clés dans les territoires ROV qui ne disposent pas de moyens secondaires de protection contre une rupture de rail donnant lieu à une brèche de rail présente un risque accru pour le public et l’environnement en cas de déraillement d’un train clé. Vitesse du train

L’examen de déraillements antérieurs de wagons-citernes montre que lorsqu’un train-bloc transportant du pétrole brut déraille, la zone du déraillement compte généralement 3 grandes parties :

  1. La 1re partie est celle où les wagons-citernes se dispersent de façon aléatoire durant le déraillement. L’intégrité de la coque y est généralement préservée, la déformation des citernes y est moindre, et les bosselures ou les brèches qui en découlent sont de plus petite taille. Le volume de produit déversé est généralement moindre dans cette partie que dans la partie principale du déraillement.
  2. La 2e partie est la partie principale du déraillement, où en général des wagons-citernes se mettent en portefeuille, s’immobilisent côte à côte ou s’empilent. Ces wagons-citernes subissent la majorité des brèches et la majeure partie des pertes de produit, en raison des importantes forces dynamiques auxquelles ils sont soumis. Le premier wagon déraillé agit comme un ancrage, tandis que la force des wagons suivants exerce d’importantes charges sur les wagons déraillés qui se sont immobilisés , ce qui donne souvent lieu à d’importantes déformations ou perforations des citernes.
  3. La 3e et dernière partie se situe en queue du déraillement, où les derniers wagons-citernes qui déraillent se dispersent généralement de façon aléatoire, sans s’empiler. Pour les wagons-citernes situés en queue du déraillement, les dommages et les quantités de produit déversées peuvent varier considérablement, mais habituellement, la vitesse des wagons et les forces d’impact à l’arrière sont moindres, ce qui cause généralement moins de dommages aux citernes et par conséquent moins de pertes de produit.

Les raisons qui expliquent la performance des wagons-citernes déraillés dans chacune des parties varient, mais les facteurs les plus communs sont la vitesse du train au moment du déraillement, la taille de la zone du déraillement, la topographie de la zone du déraillement et la température ambiante au moment du déraillement. Tous ces facteurs ont joué un rôle dans l’événement à l’étude.

Dans cet événement, le train circulait à 44 m/h lorsque l’accident est survenu. Au total, 33 wagons-citernes ont déraillé, dont 20 ont subi des brèches et ont déversé environ 1,77 millions de litres de pétrole brut. La température au moment de l’accident était de −19 °C.

Les circonstances de cet événement, en ce qui concerne la vitesse à laquelle circulait le train-bloc transportant du pétrole brut, le nombre de wagons déraillés et certains des dommages constatés sur les wagons-citernes, sont semblables à celles d’autres accidents majeurs de trains-blocs transportant du pétrole brut qui ont fait l’objet d’enquêtes du BST. Elles concordent également avec les circonstances signalées par l’Étude sur les facteurs qui accroissent la gravité des déraillements qui mettent en cause des marchandises dangereuses, et établissement de mesures d’atténuation du Conseil national de recherches Canada (CNRC).

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Comme on l’a constaté lors d’autres accidents majeurs de trains-blocs transportant du pétrole brut, même si le train-bloc du CP chargé de pétrole brut était exploité conformément au Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés, la vitesse du train (44 mi/h) a contribué au nombre de wagons déraillés et au nombre de wagons qui ont subi des brèches et ont déversé de leur produit.

2.7 Système de gestion de la sécurité et évaluations des risques dans la subdivision de Sutherland

Le Règlement sur le SGS exige que les compagnies de chemin de fer effectuent une évaluation des risques lorsqu’un changement proposé à leur exploitation, dont une augmentation du volume de MD transportées, pourrait avoir une incidence sur la sécurité du public ou du personnel ou sur la protection des biens et de l’environnement. Malgré les augmentations annuelles du trafic de MD, en particulier le pétrole brut, dans la subdivision de Sutherland, aucune évaluation des risques n’a été effectuée en 2018 ou en 2019.

Le RTC exigeait que les compagnies effectuent des évaluations des risques liés aux itinéraires clés, au moins tous les 3 ans, et le CP a effectué des évaluations des risques liés aux itinéraires clés pour la subdivision de Sutherland en 2014 et en 2017. Lors des évaluations des risques effectuées par le CP, on a évalué 28 facteurs, dont la densité du trafic, prescrits par le RTC pour l’évaluation des risques pour la sécurité et la sûreté associés à chaque itinéraire clé.

Les évaluations des risques n’ont pas pris en compte la fréquence des défauts urgents de l’état géométrique de la voie, ni des DDR, dans la subdivision de Sutherland, qui aurait pu être un indicateur utile de l’état général de l’infrastructure de la voie utilisée pour le transport de MD.

De plus, entre 2015 et 2019, le tonnage de la circulation ferroviaire dans la subdivision a augmenté de 60 %, et le transport de pétrole brut a augmenté de plus de 66 000 chargements. La majeure partie du pétrole brut était transportée par des trains-blocs du CP composés de wagons-citernes de catégorie 111 construits selon la norme CPC-1232 et ayant un PBR maximal de 286 000 livres. Il s’agit d’une augmentation de 23 000 livres du PBR maximal par wagon-citerne par rapport à l’ancien PBR maximal des wagons-citernes de catégorie 111, qui était de 263 000 livres. Bien que la voie dans les environs du déraillement ait été continuellement entretenue selon les normes de la catégorie 4, la possibilité d’une dégradation plus rapide de l’infrastructure vieillissante de la voie en raison d’une augmentation de 60 % du tonnage de la circulation, dont le transport se fait en grande partie dans des wagons plus lourds, n’a pas non plus été relevée lors de l’évaluation des risques.

Une gestion de la sécurité efficace doit permettre de cerner les risques ou les problèmes systémiques pour contribuer à prévenir les accidents. Malgré l’existence d’évaluations des risques pour la subdivision de Sutherland qui prenaient en compte divers éléments de l’infrastructure de la voie nécessaires pour éliminer les risques potentiels de déraillement, les évaluations des risques effectuées par le CP n’ont pas recensé les risques associés à la détérioration de l’infrastructure vieillissante et à l’augmentation du volume de trafic de pétrole brut transporté dans des wagons-citernes plus lourds entre 2015 et 2019.

Faits établis quant aux risques

Si les évaluations des risques des compagnies ne tiennent pas suffisamment compte de l’augmentation du tonnage de la circulation, de l’utilisation de wagons plus lourds et de la possibilité d’une dégradation plus rapide de la structure de la voie, les activités régulières d’entretien de la voie pourraient ne plus être suffisantes pour maintenir la conformité de la voie avec les normes requises, ce qui ferait augmenter le risque que des défaillances de l’infrastructure de la voie causent des accidents ferroviaires.

2.8 Facteurs ayant contribué au volume des pertes de produit et à l’intensité de l’incendie

Trois conditions doivent être remplies pour que le pétrole brut rejeté s’enflamme Note de bas de page 53 :

  1. la matière doit dégager des quantités suffisantes de vapeurs ou de gaz;
  2. les vapeurs ou les gaz doivent être mélangés à une quantité suffisante d’oxygène;
  3. le mélange air-vapeur doit se trouver à une température suffisamment élevée pour provoquer un auto-allumage, ou une source d’allumage (comme une étincelle, une petite flamme ou une pièce de métal surchauffée par la friction) doit être présente.

Étant donné que tous ces facteurs étaient présents dans l’événement à l’étude, les conditions étaient idéales pour qu’une inflammation se produise une fois le produit déversé. D’autres facteurs ont aussi contribué au volume des pertes de produit et à l’intensité de l’incendie. Plus précisément :

  1. La zone de déraillement étant relativement courte (environ 500 pieds), l’énergie d’impact dynamique exercée sur les wagons-citernes pendant le déraillement a été plus grande, et les brèches ont donc été plus importantes.
  2. Le pétrole brut était mélangé à 32 % de diluant, ce qui a fait augmenter la quantité de vapeur de produit pouvant s’échapper des wagons qui avaient subi des brèches.
  3. La viscosité relativement élevée du mélange de pétrole brut (58,76 cST à 40 °C), combinée à la température froide de −19 °C au moment du déraillement, aurait fait en sorte de ralentir l’écoulement d’une partie du produit. Ainsi, le produit a pu s’accumuler sous les wagons-citernes déraillés situés dans la partie principale du déraillement et faire augmenter encore plus le volume de pétrole brut disponible pour alimenter l’incendie.
  4. La pression de vapeur relativement élevée de 51,7 kPa, le point d’éclair bas de moins de 40 °C et le point d’ébullition initial relativement bas de 33,2 °C ont fait augmenter la probabilité d’une inflammation des vapeurs pendant un déversement, que ce soit par une brèche ou par l’activation d’un dispositif de décharge de pression.
  5. Une fois que l’incendie s’est déclaré, il a chauffé les wagons-citernes exposés dans la partie principale du déraillement, ce qui a fait augmenter leur pression interne à un point tel que les dispositif de décharge de pression se sont mis à s’activer. L’activation de ces dispositifs a libéré davantage de vapeur et de produit, ce qui a alimenté le feu en nappe.
  6. En raison de la topographie de la zone de déraillement, l’importante nappe de produit a été encore plus concentrée. Le remblai du chemin Wolverine a empêché que le produit s’écoule au-delà de la partie principale du déraillement en direction ouest. Le produit a ainsi pu alimenter le feu plus longtemps que si le produit avait pu s’écouler.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

La dynamique du déraillement, les propriétés du mélange de pétrole brut et la topographie du lieu du déraillement ont tous joué un rôle dans les dommages subis par les wagons-citernes, la quantité de produit perdue et l’intensité des feux en nappe.

2.8.1 Réduction de la volatilité du pétrole brut pour un transport ferroviaire plus sécuritaire

Il existe plusieurs méthodes pour réduire la volatilité du pétrole brut transporté par chemin de fer afin de le rendre moins vulnérable à une inflammation involontaire. Ces méthodes comprennent le conditionnement et la stabilisation du pétrole brut, ainsi que la réduction du rapport de mélange de diluant.

Fait établi quant aux risques

Si la volatilité du pétrole brut transporté par rail est réduite, il est moins probable que le pétrole brut libéré à la suite d’un accident s’enflamme ou explose, ce qui réduit les risques pour les personnes, les biens ou l’environnement.

2.9 Performance des wagons-citernes

Dans le cadre de son mandat, le BST formule des recommandations visant à réduire ou à éliminer les lacunes de sécurité qui présentent des risques importants pour le système de transport et qui exigent l’attention des organismes de réglementation et de l’industrie. Le BST surveille continuellement les progrès accomplis à l’égard de ses recommandations actives. Le BST a donc dû procéder à une évaluation détaillée des dommages subis par les wagons-citernes afin d’évaluer la performance de ceux-ci lors du déraillement.

Dans l’événement à l’étude, 20 des 33 wagons-citernes déraillés ont déversé du produit après avoir subi des dommages; 15 des 20 wagons ont perdu la totalité de leur contenu, et les 5 autres ont perdu environ 60 % de leur contenu.

Dix-sept des 20 wagons-citernes qui ont subi des brèches (81 %) ont été engloutis dans le feu en nappe principal.

Les 19 wagons-citernes qui étaient dans le feu en nappe (zone 2) ont été lourdement endommagés par le feu. Les marques d’identification (marquage et poinçonnage) de 16 des wagons-citernes dans le feu en nappe ont été oblitérées à un point tel que les 16 wagons n’ont pas pu être identifiés.

Même si des signes de ruptures thermiques potentielles ont été relevés, la présence de ruptures thermiques n’a pas pu être confirmée avec certitude en raison de l’importance des dommages subis par les wagons-citernes.

Même si aucun robinet de déchargement par le bas ne s’est rompu ou n’a déversé du produit, les dommages considérables causés par l’incendie et l’assainissement des lieux ont empêché d’évaluer la performance des robinets de déchargement par le bas d’origine ou des robinets de déchargement par le bas améliorés.

Faits établis : Autre

L’intensité du feu en nappe a fait fondre les coques et les têtes de citerne, les roues et les essieux de divers wagons, ce qui indique que l’incendie a atteint des températures supérieures à 1340 °C, qui est la température minimale de fusion de l’acier au carbone.

En raison des dommages considérables causés par le déraillement aux wagons-citernes, des dommages causés par l’incendie et de certains dommages liés à l’assainissement des lieux, il n’a pas été possible d’évaluer de façon exhaustive la performance des wagons-citernes en cause dans ce déraillement.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. Le déraillement s’est produit au moment où le train-bloc du Chemin de fer Canadien Pacifique transportant du pétrole brut traversait une brèche dans le rail sud alors qu’il circulait vers l’est dans la subdivision de Sutherland aux environs du point milliaire 48,86.
  2. Le rail sud s’était probablement rompu sous un train précédent, entraînant la séparation d’une longueur indéterminée du rail de la voie de sorte à exposer les extrémités du rail.
  3. Malgré les inspections visuelles régulières de la voie et les contrôles de détection des défauts de rail, qui dépassaient les exigences réglementaires, la rupture du rail sud en territoire régi par la régulation de l’occupation de la voie n’a pas été détectée avant l’arrivée du train et a provoqué le déraillement d’un train clé sur un itinéraire clé, entraînant le déversement de 1,77 million de litres de pétrole brut.
  4. Les composants de la voie (anticheminants, traverses et ballast) n’ont pas offert une résistance suffisante aux forces de traction longitudinales du rail engendrées par le temps froid, ce qui a contribué à la rupture d’un rail sous les charges de service normales au passage d’un train précédent.
  5. Comme on l’a constaté lors d’autres accidents majeurs de trains-blocs transportant du pétrole brut, même si le train-bloc du CP chargé de pétrole brut était exploité conformément au Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés, la vitesse du train (44 mi/h) a contribué au nombre de wagons déraillés et au nombre de wagons qui ont subi des brèches et ont déversé de leur produit.
  6. La dynamique du déraillement, les propriétés du mélange de pétrole brut et la topographie du lieu du déraillement ont tous joué un rôle dans les dommages subis par les wagons-citernes, la quantité de produit perdue et l’intensité des feux en nappe.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Si le renforcement des exigences de la réglementation et des compagnies de chemin de fer concernant l’entretien de la voie pour les itinéraires clés ne fait pas partie des stratégies de prévention des accidents, il y a un risque accru qu’une rupture de rail ou de joint sur un itinéraire clé provoque un déraillement et le déversement de matières dangereuses.
  2. L’exploitation de trains clés sur des itinéraires clés dans les territoires de régulation de l’occupation de la voie qui ne disposent pas de moyens secondaires de protection contre une rupture de rail donnant lieu à une brèche de rail présente un risque accru pour le public et l’environnement en cas de déraillement d’un train clé.
  3. Si les évaluations des risques des compagnies ne tiennent pas suffisamment compte de l’augmentation du tonnage de la circulation, de l’utilisation de wagons plus lourds et de la possibilité d’une dégradation plus rapide de la structure de la voie, les activités régulières d’entretien de la voie pourraient ne plus être suffisantes pour maintenir la conformité de la voie avec les normes requises, ce qui ferait augmenter le risque que des défaillances de l’infrastructure de la voie causent des accidents ferroviaires.
  4. Si la volatilité du pétrole brut transporté par rail est réduite, il est moins probable que le pétrole brut libéré à la suite d’un accident s’enflamme ou explose, ce qui réduit les risques pour les personnes, les biens ou l’environnement.

3.3 Autres faits établis

Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

  1. L’intensité du feu en nappe a fait fondre les coques et les têtes de citerne, les roues et les essieux de divers wagons, ce qui indique que l’incendie a atteint des températures supérieures à 1340 °C, qui est la température minimale de fusion de l’acier au carbone.
  2. En raison des dommages considérables causés par le déraillement aux wagons-citernes, des dommages causés par l’incendie et de certains dommages liés à l’assainissement des lieux, il n’a pas été possible d’évaluer de façon exhaustive la performance des wagons-citernes en cause dans ce déraillement.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 4 mars 2020, à la suite du présent accident et d’un second grave déraillement de train-bloc transportant du pétrole brut exploité par le Chemin de fer Canadien Pacifique, survenus près de Guernsey (Saskatchewan) environ 2 mois plus tard (le 6 février 2020, événement R20W0025 du BST), le BST a émis les avis de sécurité ferroviaire 02/20 et 03/20 à Transports Canada (TC).

Les avis de sécurité ferroviaire soulignaient que, depuis 2015, en comptant le présent accident, le BST avait dépêché des enquêteurs sur les lieux de 7 déraillements de trains comprenant des wagons-citernes qui transportaient du pétrole brut, dont 6 ont entraîné un déversement important de produit. Un examen des 7 accidents a révélé ce qui suit :

  • Les 7 déraillements sont survenus sur un itinéraire clé dont les voies étaient entretenues conformément aux normes de catégorie 3 ou 4 du Règlement concernant la sécurité de la voie (aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie ou RSV).
  • Les 7 déraillements sont survenus en conséquence d’une rupture de rail ou d’éclisses ou d’un autre problème touchant l’infrastructure de la voie.
  • Dans 6 des 7 cas :
    • La vitesse du train se situait entre 38 et 49 mi/h.
    • De 29 à 39 wagons-citernes chargés de pétrole brut ont déraillé.
    • Au total, 8,43 millions de litres de pétrole brut ont été déversés.
    • Les déraillements se sont produits en hiver.
4.1.1.1 Avis de sécurité ferroviaire 02/20 – Modification de la vitesse de trains clés en fonction de divers profils de risques des trains

Dans l’avis de sécurité ferroviaire 02/20, le BST indiquait que la vitesse du train était l’un des principaux facteurs qui contribuent à la gravité d’un déraillement. Toutefois, d’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la longueur du train, le poids du train, la position du ou des premiers wagons à quitter les rails, la position des wagons dans le train et la conception des wagons-citernes. L’avis de sécurité ferroviaire suggérait que, pour réduire la fréquence de ces accidents et le risque auquel ils exposent le public, les biens et l’environnement, TC fasse une analyse plus poussée de la vitesse des trains clés, et la modifie au besoin, en tenant compte de divers profils de risques des trains ainsi que des autres facteurs influant sur la gravité d’un déraillement.

4.1.1.2 Avis de sécurité ferroviaire 03/20 – Normes de la voie renforcées pour les itinéraires clés

Dans l’avis de sécurité ferroviaire 03/20, le BST indiquait que l’exploitation des trains avait évolué, mais que le RSV n’avait pas évolué en conséquence. Le RSV alors en vigueur datait du 25 mai 2012, soit près de 4 ans avant le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés approuvé par TC, entré en vigueur en février 2016. Bien que le RSV établisse des normes minimales pour l’infrastructure de la voie, il ne contient aucune disposition répondant au besoin de normes de la voie renforcées pour les itinéraires clés, malgré les hausses parfois importantes des volumes de marchandises dangereuses transportées.

Afin de réduire la fréquence des accidents de trains clés sur des itinéraires clés et d’atténuer les risques connexes, il est impératif d’entretenir adéquatement l’infrastructure de la voie. Puisque les causes sous-jacentes des 7 accidents mentionnés étaient toutes liées à des défaillances de l’infrastructure de la voie, l’avis indiquait à TC que le RSV alors en vigueur ne palliait pas les risques accrus associés à l’exploitation de trains clés. Le BST suggérait que TC envisage une révision du RSV visant à y intégrer des normes de la voie renforcées pour les itinéraires clés.

4.1.2 Transports Canada

4.1.2.1 Révision du Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés

En réponse à l’avis de sécurité ferroviaire 02/20 du BST, TC a pris un certain nombre d’arrêtés ministériels, dont les suivants.

4.1.2.1.1 Arrêté ministériel MO 20-05 pris en vertu de l’article 32.01 de la Loi sur la sécurité ferroviaire

Le 1er avril 2020, TC a pris l’arrêté ministériel MO 20-05 qui, conformément aux dispositions de l’article 32.01 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, ordonnait aux compagnies de chemin de fer de compétence fédérale de mettre en œuvre des mesures de sécurité supplémentaires pour les trains clés.

L’arrêté tenait compte du fait qu’il y avait eu récemment un certain nombre de déraillements de trains transportant des marchandises dangereuses qui avaient entraîné la rupture de wagons-citernes et le déversement de marchandises dangereuses, notamment à Saint-Lazare (Manitoba) en 2019, à Guernsey (Saskatchewan) en 2019 et une deuxième fois à Guernsey (Saskatchewan) en 2020.

Il était ordonné aux compagnies de chemin de fer de mettre en application une définition supplémentaire de « train clé à risque élevé », soit une locomotive dont les wagons comprennent des wagons-citernes chargés transportant du pétrole brut ou des gaz de pétrole liquéfiés, selon la définition de la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses, dans un bloc continu de 20 wagons-citernes ou plus, ou dans 35 wagons-citernes ou plus répartis dans le train.

L’arrêté prévoyait également des limites de vitesse supplémentaires, des exigences relatives à la gestion des joints des longs rails soudés (LRS) et des exigences concernant l’installation d’un rail de rechange (rail de raccord).

L’arrêté MO 20-05 prenait effet immédiatement, à l’exception des exigences portant sur la gestion des joints des LRS et l’installation d’un rail de rechange (rail de raccord), dont l’entrée en vigueur était prévue le 1er septembre 2020. Il demeurera en vigueur jusqu’à ce que le ministre approuve le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés révisé, qui inclut les mesures ci-dessus à titre permanent.

4.1.2.1.2 Arrêté ministériel MO 20-06 pris en vertu de l’article 19 de la Loi sur la sécurité ferroviaire

Le 1er avril 2020, TC a pris l’arrêté ministériel MO 20-06 en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire. Il ordonnait aux compagnies de chemin de fer de compétence fédérale de réviser le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés.

Le règlement modifié devait reposer sur une évaluation des risques pour la sécurité et il devait comprendre, au moins : de nouvelles définitions, notamment pour « train clé à risque élevé », qui doit être défini comme « une locomotive dont les wagons comprennent des wagons-citernes chargés transportant du pétrole brut ou des gaz de pétrole liquéfiés, selon la définition de la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses, dans un bloc continu de 20 wagons-citernes ou plus, ou dans 35 wagons-citernes ou plus répartis dans le train »; des limites de vitesse supplémentaires; des exigences relatives à la gestion des joints des LRS; et des exigences concernant l’installation d’un rail de rechange (rail de raccord).

L’arrêté exigeait que les compagnies de chemin de fer déposent le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés révisé auprès du ministre des Transports, pour approbation, dans les 210 jours suivant la date de publication de l’arrêté.

4.1.2.1.3 Arrêté ministériel MO 20-10 pris en vertu de l’article 32.01 de la Loi sur la sécurité ferroviaire – arrêté MO 20-05 abrogé

Le 6 novembre 2020, TC a pris l’arrêté ministériel MO 20-10 en vertu de l’article 32.01 de la Loi sur la sécurité ferroviaire. En conséquence de la publication de l’arrêté MO 20-10, l’arrêté ministériel MO 20-05 a été abrogé, et les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale ont reçu l’ordre de mettre en œuvre des mesures de sécurité supplémentaires pour les trains clés :

  • partie I : Limites de vitesse supplémentaires en l’absence d’un plan d’atténuation des risques liés à l’exploitation hivernale;
  • partie II : Exigences relatives à la gestion des joints des LRS;
  • partie III : Exigences concernant l’installation d’un rail de rechange (rail de raccord);
  • partie IV : Limites de vitesse pour les trains clés dans le cas où un plan d’atténuation des risques liés à l’exploitation hivernale est en place;
  • partie V : Exigences concernant l’atténuation des risques liés à l’exploitation hivernale;
  • partie VI : Exigences concernant la technologie de détection des ruptures de rail.

L’arrêté prenait effet immédiatement et restera en vigueur jusqu’à ce que le ministre approuve le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés révisé, qui inclut les mesures ci-dessus à titre permanent.

4.1.2.1.4 Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés révisé

Le 22 février 2021, TC a approuvé les modifications au Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés proposées par l’industrie. La version révisée du Règlement est entrée en vigueur le 22 août 2021 Note de bas de page 54. Les nouvelles exigences sont les suivantes :

  • Les compagnies doivent élaborer et respecter un plan d’entretien et d’inspection des joints de rail permanents et des joints de rail temporaires en territoire à LRS.
    • Le plan d’inspection doit comprendre les délais pour le maintien des joints de rails temporaires jusqu’à la réparation permanente, ainsi que l’exigence concernant la tenue de registres précisant l’emplacement des joints de rail temporaires, de même que les dates d’installation, d’inspection et d’entretien.
  • Des limites de vitesse sont établies pour les trains clés exploités dans une région métropolitaine de recensement.
  • Les trains clés à risque élevé sont définis comme étant des trains clés composés de wagons-citernes chargés de pétrole brut ou de gaz de pétrole liquéfié dans un bloc continu de 20 wagons-citernes ou plus, ou de 35 wagons-citernes ou plus répartis dans le train, et
    • des limites de vitesse supplémentaires sont établies pour les trains clés à risque élevé, par comparaison avec les trains clés, qu’ils soient exploités à l’extérieur ou à l’intérieur d’une région métropolitaine de recensement.
  • De nouvelles exigences sont instaurées en ce qui concerne les plans d’atténuation des risques liés à l’exploitation hivernale.
  • Des limites de vitesse sont établies pour les trains clés à risque élevé des compagnies ferroviaires sans plans d’atténuation des risques liés à l’exploitation hivernale.
  • Des exigences spécifiques sont instaurées en ce qui concerne la technologie de détection des rails brisés.
4.1.2.2 Révision du Règlement concernant la sécurité de la voie

En réponse à l’avis de sécurité ferroviaire 03/20 du BST, TC a pris l’arrêté ministériel MO 20-07.

4.1.2.2.1 Arrêté ministériel MO 20-07 pris en vertu de l’article 19 de la Loi sur la sécurité ferroviaire

Le 1er avril 2020, TC a pris l’arrêté ministériel MO 20-07 qui, conformément aux dispositions du paragraphe 19(1) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, ordonnait aux compagnies de chemin de fer de compétence fédérale de réviser le RSV.

Le règlement révisé devait être fondé sur une évaluation des risques liés à la sécurité, les causes de déraillement attribuables à la voie, la technologie en constante évolution, les normes en vigueur de l’industrie ferroviaire et les pratiques exemplaires de l’industrie. Il devait en outre inclure, au minimum, les éléments suivants en 3 phases :

Phase 1

  • Formation, compétence et assurance qualité
  • Gestion des LRS
  • Géométrie de la voie
  • Gestion de l’usure des rails
  • Gestion de la surface de roulement

Phase 2

  • Fréquence d’inspection des voies
  • Technologie d’inspection automatisée des voies

Phase 3 – Structures/autres

  • Exigence de traverses en béton
  • Exigence d’inspection des voies de triage sur lesquelles circule du matériel voyageurs transportant des voyageurs
  • Exigence d’établir des indicateurs clés de performance des voies et d’en rendre compte
  • Exigence de déposer auprès de TC la version la plus récente des normes relatives à la voie de la compagnie

Les dates pour le dépôt de la version révisée du RSV auprès du ministre étaient le 1er avril 2021 (phase 1), le 1er octobre 2021 (phase 2) et le 1er avril 2022 (phase 3).

Le 31 mai 2021, TC a approuvé les éléments révisés de la phase 1 du RSV Note de bas de page 55. Les nouveaux alinéas b) à f), article 9, partie 1 du RSV prévoient des exigences liées à l’assurance de la qualité pour les activités d’entretien et de réparation essentielles à la sécurité. On s’attend à ce que ces exigences fassent diminuer les risques de déraillements attribuables à des activités d’entretien et de réparation non conformes aux normes et aux procédures de la compagnie de chemin de fer.

L’article IX, sous-partie D, partie II, de la version révisée du RSV contient des exigences selon lesquelles les plans de gestion requis pour les LRS doivent inclure des exigences détaillées relatives à l’installation, à l’inspection et à l’entretien Note de bas de page 56.

Par ailleurs, la version révisée du RSV prévoit des exigences selon lesquelles les compagnies de chemin de fer doivent élaborer et respecter un plan de gestion de la géométrie de la voie, un plan de gestion de la surface de roulement et un plan de gestion de l’usure des rails. Les plans de gestion de la géométrie de la voie pour les itinéraires clés doivent inclure des instructions relatives à la surveillance et à la prise de mesures appropriées pour les états géométriques qui s’approchent des limites prescrites en vertu du RSV.

Au 31 mai 2023, les 3 phases sont terminées et en vigueur.

4.1.3 Chemin de fer Canadien Pacifique

En réponse à cet événement et aux déraillements subséquents qui se sont produits dans des subdivisions régies par le système de régulation de l’occupation de la voie, le CP a mis en œuvre son propre système de détection des discontinuités de la voie en territoire exempt de signalisation. Le système peut détecter les rails brisés et indiquer la présence de trains. Il fonctionne en envoyant un signal basse tension par les rails et s’appuie sur des technologies utilisées dans d’autres industries, comme les cellules solaires, les batteries au lithium-ion et les circuits miniaturisés de traitement des signaux. Un territoire équipé de ce système serait toujours considéré comme un territoire exempt de signalisation.

Depuis l’événement, le CP a ajouté 2 autres systèmes de vérification autonome de l’état géométrique de la voie et en élabore un autre, ce qui portera le total à 5.

Le tableau 10 ci-dessous présente un résumé des travaux de voie effectués par le CP dans la subdivision de Sutherland en 2020 :

Tableau 10. Résumé des travaux de voie effectués par le Canadien Pacifique dans la subdivision de Sutherland en 2020 (Source : Chemin de fer Canadien Pacifique)
Travaux en voie Unités 2020
Nouveau rail/rail de réemploi Point milliaire 19,73
Traverses remplacées chaque 76 086
Élimination des joints chaque 845
Branchements installés chaque 10
Nivellement de la voie pieds 441 651

Au mois de septembre 2023, il n’y avait pas eu de déraillement en voie principale dans la subdivision de Sutherland du CP depuis que ce dernier avait terminé les travaux de voie.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Résumé des brèches des wagons-citernes

Tableau A1 . Résumé des brèches des wagons-citernes: Emplacement des wagons-citernes dans le train, numéro d’identification du BST attribué et type de brèche sur chaque wagon
Emplacement du wagon-citerne dans le train (position) Numéro d’identification du BST attribué Type de brèche
2 S.O. Pas de brèche
3 S.O. Pas de brèche
4 18 Pas de brèche
8 1 Coque
11 5 Coque
20 S.O. Pas de brèche
23 S.O. Pas de brèche
24 S.O. Pas de brèche
25 S.O. Pas de brèche
26 S.O. Coque
27 S.O. Pas de brèche
28 S.O. Tête
29 S.O. Shell
30 S.O. Pas de brèche
31 S.O. Pas de brèche
32 S.O. Pas de brèche
33 S.O. Pas de brèche
34 S.O. Pas de brèche
S.O. 2 Trou d’homme
S.O. 3 Coque
S.O. 4 Coque et tête
S.O. 6 Coque, raccord supérieur / dispositif de décharge de pression et trou d’homme
S.O. 7 Coque
S.O. 8 Coque
S.O. 9 Coque
S.O. 10 Coque, , raccord supérieur / dispositif de décharge de pression et trou d’homme
S.O. 11 Coque et tête
S.O. 12 Coque
S.O. 13 Coque
S.O. 14 Pas de brèche
S.O. 15 Coque et tête
S.O. 16 Raccord supérieur / dispositif de décharge de pression
S.O. 17 Coque
S.O. 19 Coque

Total de brèches:

  • Coque : 17
  • Tête : 4
  • Raccord supérieur / dispositif de décharge de pression : 3
  • Trou d’homme : 3
  • Robinet de déchargement par le bas : 0